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Au-delà d’un travail intellectuel intensif, les années fribourgeoises furent pour Kornilowicz un temps fort d’engagement social, culturel, au sein de la communauté estudiantine, une période riche en contacts et en amitiés.

Le temps des amitiés

Kornilowicz opta pour tout un programme d’engagements au sein de divers groupements d’étudiants et de séminaristes : il fut ainsi membre de la Conférence Académique de Saint Vincent de Paul368 et de l’association suisse Saint Boniface, très active dans le mouvement international d’abstinence369

. Mais il était aussi particulièrement présent auprès de ses jeunes camarades étudiants d’origine polonaise. Zygmunt Truszynski, jeune séminariste de Varsovie, vint à Fribourg en 1908 pour deux ans d’études. C’est à Kornilowicz que le recteur du Séminaire de Varsovie confia la mission d’accompagner ce jeune homme dans sa formation et dans sa préparation au sacerdoce. Truszynski fut incontestablement touché par l’influence de Kornilowicz, reconnaissant que c’était son soutien qui le motiva davantage à embrasser la vocation sacerdotale, ce qu’il allait réaliser au sein de la Congrégation des prêtres marianistes370. Il en fut de même pour Jerzy Czartoryski, étudiant en théologie à l’Université de Fribourg, qui se souvient d’avoir été accompagné et dirigé par Kornilowicz lors de l’année universitaire 1913–1914371

. Quant à Tomasz Rostworowski, dont la famille habitait Fribourg, et qui bénéficia de l’accompagnement spirituel de Kornilowicz pendant son adolescence. Il reconnaît tout autant sa dette à Kornilowicz, sous l’influence de qui il découvrit sa vocation pour la vie religieuse, qu’il accomplit dans la Congrégation des Jésuites372. D’autres textes, du reste, révèlent une telle influence. Mais ce qui est aussi intéressant et significatif dans ces nombreux témoignages c’est qu’ils sont unanimes pour décrire Kornilowicz comme un homme ayant une grande qualité d’âme. Maria Kalkstein (future sœur Teresa en religion) le décrit comme « un personnage ascétique, doté d’un regard méditatif et grave, qui n’avait pas une approche intellectualisée, mais s’adressait aux gens avec bienveillance ».

367 Par ex. Ks. W. K

ORNILOWICZ, « Liturgia », in J. WORONIECKI (éd.), Przewodnik po literaturze religijnej i

pokrewnych dziedzinach filozofii i nauk spolecznych, ( IIème éd.), Ksiegarnia Swietego Wojeciecha, Poznan 1927.

368 Dr Nicolaus P

FEIFFER, Lettre au père Bochenski, op. cit., AWK/42/5.

369 Plusieurs témoignages soulignent l’engagement de Kornilowicz sur le plan de l’abstinence. Avec quelques

amis, il se réunit en un petit groupe d’abstinence. Il s’agissait pour lui en effet d’une réflexion profonde découlant de saint Thomas. Au cours Sobrietas et ebrietas sont jointes des notes sur l’abstinence où il analysait le problème de l’alcoolisme et de l’abstinence. Il préparait visiblement une intervention partant d’une base thomiste. Notes : Sobrietas et Ebrietas (Doktryna Sw Tomasza), AWK/7137/1.

370 L’abbé Zygmunt Truszynski m.i.c., Lettre du 25 septembre 1948 adressée à Mgr Wyszynski, AWK/42/7. 371

Ks. Jerzy CZARTORYSKI, Wspomnienia, AWK/42/1.

372 Ks. Tomasz R

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Nicolas Pfeiffer le voit comme une personne « d’un grand esprit et au cœur large », un « ascète dans l’esprit et dans la vie, mais sans rigorisme », qui était marqué par « la volonté d’aider tout le monde, sans exception »373. Ce camarade d’études d’origine hongroise, avec

lequel Kornilowicz se lia d’amitié, Pfeiffer, étudia la philosophie et la théologie dans les années 1904–1913 à Fribourg, études achevés par un doctorat en théologie. Resté en Suisse, l’abbé Pfeiffer devint ensuite le Directeur spirituel de l’Institut Ste Marie des Ursulines à Orsonnens374. Il semble que Pfeiffer fut particulièrement marqué par l’esprit de tolérance qui émanait de la personnalité de Kornilowicz. C’est ce dont il témoigne trois décennies plus tard : « Son amour pour le peuple polonais était toujours lié chez lui à un respect sincère et bienveillant pour les autres nations»375.

Cette opinion est intéressante pour notre propos, vu le profil international de la communauté estudiantine fribourgeoise. Dans ces années d’avant-guerre, où les passions nationales étaient particulièrement fortes et les tensions entre étudiants tangibles, la tolérance et le dialogue semblait un défi, et non des moindres. Dans ce contexte, l’amitié que Kornilowicz noua avec un collègue allemand, Max Joseph Metzger prend une profonde signification.

Max Joseph Metzger (1887–1944)376, après des études en théologie à Fribourg-en- Brisgau, vint en Suisse en 1908 pour compléter sa formation par un doctorat. L’entente avec Kornilowicz, entre ces deux jeunes hommes en quête d’un approfondissement spirituel de leur vocation, fut immédiate. La correspondance conservée dans les archives de Metzger à Meitingen fournit de nombreuses informations à cet égard377. Leur amour commun pour la liturgie, leurs affinités intellectuelles scellèrent leur amitié. Dans le contexte de l’époque, où l’image de l’Allemand oppresseur était courante en Pologne, cette amitié entre un Polonais et un Allemand revêtait un caractère exceptionnel378. Les contacts entre étudiants polonais et allemands, portant le lourd poids des séquelles du Kulturkampf et des activités de l’Hakata dont l’objectif était de détruire tous les vestiges de la polonité en terres polonaises sous domination allemande, n’existaient quasiment pas. Par ailleurs, la méfiance existait dans les deux sens, des deux côtés. Metzger reconnaissait être le seul allemand accepté au sein de la colonie polonaise. Avant d’entrer en sacerdoce en 1910, Metzger adressa une lettre collective

373 Lettre de Nicolaus Pfeiffer au Père Joseph Maria Bochenski o.p., Fribourg, le 6 novembre 1948 (copie aux

archives de Laski, AWK/42/5). Nicolaus Pfeiffer notait : « Magnae fuit intelligentiae et mentis perspicacitate. Spiritu largus et corde dilatatus (...) tamen celuti tipus mentalis-psychologicus potius affectivus, quant intellectualista (…) vivacis et saquinici potius fuit temperamenti (...). Spiritu et vita asceticus fuit, sine ulle tamen exaggeratione, vel rigorismo (…). Vera puritas mentis, cordis et vitae ex eo quasi eradiavit. Principalis ejus virtus vera charitas et bonitas cordis semper mihi videbatur. Magnus et activus fuit in eo zelus animarum et ardens desiderium quoscunque homines sine ulla exeptione in quacunque necessitate adjuvandi. »

374 Dr Nicolaus Pfeiffer, prêtre d’origine hongroise, compagnon d’étude de Kornilowicz, nota ses souvenirs de

ces temps d’études (1905–1907) dans une lettre adressée au père J.M. Bochenski, citée plus haut. Il mentionna entre autres la visite de Kornilowicz à Budapest chez ses parents. (Fribourg, Suisse, 6 novembre 1948, lettre en latin ; copie aux archives de Laski, AWK/42/5.)

375 Dr Nicolaus P

FEIFFER, op. cit. Il nota : « Profundam erga Deum habuit pietatem et devotionem. Amorem erga proprium populum Polonicum semper cum sincera aestimatione et benevolentia erga alios populos conjunxit. »

376

Sur la vie et l’œuvre de Metzger il existe de nombreux livres-témoignages. Cf. Ralf PUTZ, Das Christkönigs-

Institut, Meitingen und sein Gründer Dr Max Josef Metzger /1887–1944. «Für den Frieden der Welt und die Eihnheit der Kirche», Hamburg, Verlag Dr. Kovač, 1998 ; M. REIMANN, H. FIGELIUS, Bruder Paulus. Erbe und

Auftrag com Max Josef Metzger im Christkönigs-Institut Meitingen, Christkönigs Institut, Meitingen 1987 ; Hans

LIPP, Max Josef Metzger. Prophetischer Märtyrer, Topos plus, 2007 (Taschenbücher). Une biographie : Marianne MÖHRING, Täter des Wortes. Max Josef Metzger – Leben und Wirken, Kyrios-Verlag, Meitingen, Freising 1966.

377 Archives Joseph Max Metzger à Meitingen, Correspondance Kornilowicz-Metzger : AM M. 10.11.9.1.; voir

également la correspondance de Metzger avec ses parents : AM M2.2.

378 J. M. M

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à ses amis, dans laquelle il faisait un bilan de son temps d’études, évoquait le rôle joué par son meilleur ami, Ladis, dans sa maturation personnelle et son itinéraire vers le sacerdoce379.

Plus tard, ordonnés prêtres, tous deux allaient se lancer dans le renouveau du catholicisme, mettant en place de nouvelles perspectives d’apostolat. Metzger resta très engagé sur le plan pastoral et missionnaire dans le cadre de l’Action Catholique. Directeur de l’organisation internationale de la Mission catholique intérieure « Croix Blanche », fondateur de la « Missionsgesellschaft vom Weissen Kreuz » (Société missionnaire de la Croix Blanche), transformée par la suite en « Gesellschaft für Innere Missionen vom Weissen Kreuz », une société religieuse regroupant des prêtres et des frères et sœurs laïcs, il devint l’un des premiers « apôtres » de l’œcuménisme, fondant notamment le premier foyer œcuménique catholique Una sancta. Emprisonné par les nazis en 1939, il écrivit à Pie XII une lettre qui résume le programme d’Una sancta et prône la convocation d’un Conseil Œcuménique destiné à mettre fin aux divisions existant au sein du christianisme. Grâce à Kornilowicz, Metzger entra en contact avec Wilhelm Foerster, ce qui marqua le début de son engagement pacifiste ; tout un réseau de contacts polono-allemands se mit en place dans le sillage de cette relation. Après plusieurs emprisonnements successifs dus à ses positions pacifistes et antinazies en raison desquelles il fut considéré comme un traître à la patrie, Metzger mourut guillotiné, le 17 avril 1944, pour avoir envoyé à Hitler une lettre de protestation contre la guerre. Dans l’une des lettres écrites en prison, dans laquelle il faisait le survol de sa vie, il relevait une fois encore l’importance de cette amitié : « Nous étions comme David et Jonathan, un même cœur et une même âme, de véritables Frères380

. »

Ce temps d’études de Kornilowicz fut en effet sillonné par plusieurs amitiés. Deux figures à cet égard méritent d’être évoquées, Kazimierz Lutoslawski et Adam Woroniecki, aux côtés desquels il allait s’engager par la suite dans la pastorale intellectuelle en Pologne.

Fils de propriétaire terrien de Drozdow, dans la région de Lomza, Kazimierz Lutoslawski (1880–1924)381 fit des études de médecine à Zurich et de physique à Londres, avant d’entrer au séminaire et d’entreprendre sa théologie à Fribourg, études qu’il acheva en juin 1912. Il obtint son doctorat en théologie en 1914 et fut ordonné prêtre par le cardinal Mercier. Ayant découvert le mouvement scout, fondé par le major-général Robert Baden Powell, lors de son séjour en Angleterre, il devint le précurseur de ce mouvement en Pologne, posant les bases d’un programme de scoutisme destiné à servir de système d’éducation morale382. Dans les années précédant la Grande Guerre, au temps de leurs études à Fribourg, Kornilowicz et Lutoslawski partageaient déjà la même préoccupation pour la pastorale, réunissant autour d’eux des jeunes pendant leurs vacances en Pologne, menant de longues discussions quant aux projets du futur travail à réaliser parmi la jeunesse et de formation à donner à cette dernière pour la préparer à assumer ses responsabilités dans la Pologne libre383. Dans cette perspective, Lutoslawski fonda le Foyer Paysan d’Education, à Szymonow et à Stara Wies, puis, en 1914, le premier groupe de scouts dans la Pologne du Congrès, dans sa propriété familiale à Drozdow. Son engagement pastoral et éducatif prit vite un caractère politique. Il se lia en effet très tôt avec le mouvement national-démocratique de Roman

379

Lettre de J. Metzger « Liebe Freunde » St Peter, 29 dez. 1910. AM/ M 10.11.9/ Wladyslaw Kornilowicz.

380 J. M. M

ETZGER, Autobiographischer Bericht, Autobiographischen Aufzeichnungen vom 17 October 1939, Stenogramm, AM/M.1.1.

381 Slownik Biograficzny Katolicyzmu Spolecznego w Polsce/ Dictionnaire Biographique du Catholicisme Social

en Pologne (dorénavant SBKSP), Note biographique par Ryszard GAJEWSKI, Osrodek Dokumentacji i Studiow Spolecznych, Warszawa 1994, pp. 95–97.

382 C’est Lutoslawski qui prépara le projet de croix pour le scoutisme. Il était basé sur la Virtuti Militari, la plus

haute décoration polonaise.

383

Hanna ZALEWSKA, Wspomnienie (Souvenirs), 1948, AWK/42/8 ; et également Maria LUTOSLAWSKA, Wspomnienie, juillet 1949, AWK 42/3.

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Dmowski. Durant la guerre, il s’engagea sur le plan éducatif en tant qu’aumônier de la Brigade des Tireurs Polonais (Brygady Strzelcow Polskich), dans la presse écrite (Gazeta

Polska, Sprawa Polska), devenant en 1917 rédacteur du journal « Polak-katolik », Wygnaniec.

Après la Première Guerre mondiale, il fut membre du Conseil Général de l’Alliance Populaire Nationale, un parti de centre-droit, collaborateur de la Gazette de Varsovie, de la Pensée

Nationale et de Scout. Député au Parlement, il rédigea l’introduction de la Constitution de

mars 1921, le texte du discours du président et celui du discours des députés. Dans les années 1920, Kornilowicz se lia lui aussi avec le mouvement estudiantin, à Lvov, par l’intermédiaire de l’abbé Lutoslawski, qui avait créé, parmi ses jeunes, une Association de Retraite de Saint Dominique. Leur amitié persista en dépit d’un éloignement politique radical.

À l’Albertinum, Kornilowicz s’était également lié d’amitié avec Adam Woroniecki, (1878–1949)384, futur prêtre dominicain, qui avait été un camarade de Collège de ses frères à Varsovie. Adam Korybut Woroniecki avait entamé ses études à l’Université de Fribourg en 1898 et avait obtenu sa licence en sciences naturelles en 1902 et en théologie en 1905. Kornilowicz et Woroniecki, qui firent ensemble des excursions en montagne et des retraites à la Valsainte au cours de leur séjour suisse385, revêtirent tous deux la soutane en septembre 1905, Kornilowicz à Varsovie et Woroniecki à Lublin. Après une année d’enseignement au séminaire et de secrétariat auprès de l’évêque de Lublin, Mgr Franciszek Janczewski, l’abbé Woroniecki fut ordonné prêtre le 10 mai 1906 et reprit alors ses études doctorales à Fribourg. C’est là que les anciens liens se renouèrent386

. À Fribourg, il obtint son doctorat en philosophie, en 1909, et en théologie, en 1911, année de son entrée chez les Dominicains. À l’issue de son noviciat à San Domenica da Fiesole, près de Florence, il fit sa profession en 1911, prenant en religion le nom de Jacek. Il revint par la suite à Fribourg pour œuvrer comme père spirituel au Couvent des prêtres à l’Albertinum pendant deux ans puis dans les années 1916–1919, comme professeur de philosophie à l’Université. Le Père Woroniecki, théologien et philosophe, devint par la suite professeur et recteur de l’Université catholique de Lublin, fondée en 1918. À leur retour de Pologne, les deux amis comptèrent tous deux parmi les principaux artisans du renouveau catholique, s’engageant avec zèle dans la pastorale intellectuelle, sur laquelle nous reviendrons plus loin.

En suivant ces diverses trajectoires de camarades d’études de Kornilowicz qui, suite à leur formation, œuvreront en parallèle à des projets allant dans le même sens, on peut se risquer à dire à leur sujet qu’ils sont l’exemple d’une sociabilité spécifique qui s’est ordonnée autour de l’université, cimentée par l’amitié et imprégnée par une commune sensibilité, et qui se révéla dans leur aspiration à un renouveau catholique, qui se concrétisera dans leurs engagements respectifs à leur sortie de l’université.

Au service de la colonie polonaise

Kornilowicz prit aussi une part active à la vie de la colonie polonaise en Suisse, s’engageant notamment auprès des jeunes ouvriers saisonniers.

L’émigration polonaise de subsistance fut importante au début du siècle. Une grande vague de journaliers se rendait chaque année en Suisse pour les travaux saisonniers, dans

384 S. Imelda Zofia B

LESZYNSKA o.p., O. Jacek Woroniecki. Dominikanin-wychowawca-patriota. 1878–1949, Ed. Fundacja Servire Veritati, Instytut Edukacji Narodowej, Lublin 2006 ; Jacek WORONIECKI o.p., Wspomnienie, op. cit., AWK/ 42/7.

385 La lettre du 1er avril 1937, adressée à Kornilowicz par J. Woroniecki, o.p., contient plusieurs informations

concernant les années d’études à Fribourg et leurs discussions, leurs recherches en commun. Correspondance : AWK/32, f. 156.

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l’agriculture et dans l’industrie du sucre. C’étaient majoritairement des paysans venus de Galicie387, mais y venaient également des jeunes provenant de régions industrialisées comme la région minière de Dabrowa (en Silésie) ou de petites villes appauvries comme Radomsko et Piotrkow. Selon les données de la Société des Prêtres et Séminaristes polonais de Fribourg, ce groupe compta environ un millier d’individus dans toute la Suisse en 1910, éparpillés dans divers cantons388.La plupart travaillait dans les champs et dans la briqueterie. Ces ouvriers polonais furent souvent confrontés à toutes sortes de difficultés, aussi bien administratives que psychologiques. L’éloignement du pays, la différence de mentalité, le manque de connaissances linguistiques et leur bas niveau d’instruction, nombre d’entre eux étant analphabètes, en furent les principales causes.

La jeunesse estudiantine polonaise des diverses universités suisses (Zurich, Berne, Lausanne et Fribourg) s’engagea pour soutenir et secourir ses compatriotes389

. Au sein de diverses associations estudiantines furent organisés des groupes de travail pour participer à cette action considérée comme un « service pour la Patrie »390. Il s’agissait en premier lieu d’un travail d’instruction à caractère culturel auprès des ouvriers saisonniers et permanents, pour les aider à maintenir leur contact avec le pays. Mais tout aussi importante s’avéra l’aide fournie concernant les problèmes juridiques (révision des contrats signés, vérification des conditions de travail) et le soutien dans les contacts avec l’administration locale et cantonale (démarches administratives, intervention en cas d’abus de la part des employeurs).

Cet élan d’abord spontané des étudiants trouva, au fil du temps, un cadre plus structuré. L’organisation qui s’engagea intensément auprès des ouvriers saisonniers fut la Société des Prêtres et Séminaristes Polonais de Fribourg dénommée « Jagiellonia »391 dont Wladyslaw Kornilowicz fit partie. Fondée en 1902 à l’initiative de Kazimierz Lutoslawski et d’Adam Woroniecki, visant principalement les prêtres et séminaristes étudiants à l’Université392

, cette association aspirait à former une « élite intellectuelle catholique, prête à servir Dieu et la Patrie »393. L’objectif premier visé était de « conserver intacts les deux centres vitaux de la nation : la foi et la culture polonaise »394. L’association avait aussi un but pastoral, celui de s’occuper de compatriotes laissés à eux-mêmes dans les villages du canton de Fribourg et dans les cantons avoisinants. Il s’agissait d’un travail systématique et assuré en

387 M. Vuilleumier calcula qu’il y avait, en Suisse, plusieurs centaines de personnes originaires de Galicie

venues, avant-guerre, pour les travaux des champs : M. VUILLEUMIER, Immigrés et réfugiés en Suisse. Un aperçu

historique, Zürich 1989, p. 43.

388

Towarzystwo Ksiezy i Klerykow Polakow we Fryburgu « Jagiellonia » : Sprawozdanie pierwsze z opieki nad

wychodzcami polskimi w Szwajcarii w roku 1910-ym (Société des Prêtres et Séminaristes Polonais de Fribourg,

« Jagiellonia » : Premier Rapport sur le travail de protection des émigrés polonais en Suisse, pour l’année

1910), par l’abbé Wladyslaw CHRZANOWSKI, Commissaire d’instruction, Fribourg 1911, édité par l’association

« Jagiellonia », p. 7.

389 Sur ce point, Maria Kalkstein, future Sœur Teresa dans la Congrégation des Sœurs de la Résurrection de

Notre Seigneur Jésus-Christ, à l’époque étudiante à Fribourg, évoqua après des années cette action de la jeunesse fribourgeoise : « Pour nous, Polonais, le travail intellectuel intensif s’accompagnait, durant le semestre d’été, du service pour la Patrie (...). Les prêtres, ainsi que les étudiants et étudiantes, devaient consacrer tous leurs dimanches à l’enseignement et à l’éducation de nos émigrés disséminés dans les divers villages des cantons avoisinants. » S. Teresa KALKSTEIN, op. cit.

390

Teresa KALKSTEIN, op. cit.

391 Polonia. Société Académique Polonaise de Fribourg. L’esquisse d’histoire de la Société Jagiellonia-Polonia

(Texte dactyl. du 20 VII 1938), Fonds : Polonia–Fryburg–Documenty, Archivum Helveto-Polonicum à Fribourg (dorénavant AHP)/ POFR–2/40A–42B ; aussi : Aperçu historique de la Société Académique Polonaise de

Fribourg, texte de Lucien CZECHOWSKI, Fonds : Polonia, AHP POFR–2/43A–44.

392

Elle se composait essentiellement de prêtres et de séminaristes, mais participaient aussi aux activités des étudiants en théologie, en tant qu’hôtes-initiés ou sympathisants, leur statut n’étant que vaguement défini.

393 Dès 1897 furent entreprises des démarches en vue de fonder une société estudiantine parmi les séminaristes

polonais, mais la fondation officielle n’eut lieu qu’en 1902.

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continuité jusqu’en 1914 (la guerre fut en cela une rupture) parmi les ouvriers agricoles. Cette activité dépassa en effet la frontière des cantons fribourgeois et bernois, et s’étendit à quelques localités des régions de Soleure, Bâle et Neuchâtel. Les principaux fonds matériels de l’association provenaient de dons privés, en particulier du comité de soutien constitué en Pologne auprès du séminaire de Wloclawek.

L’action menée par les prêtres et séminaristes auprès des ouvriers polonais était autant un accompagnement spirituel qu’une aide pratique ayant un caractère de service social395

. Ainsi, la Société prit en charge le ministère religieux auprès d’ouvriers agricoles polonais disséminés dans une dizaine de localités différentes. Les colonies ouvrières furent régulièrement visitées, on tâcha d’y assurer le service religieux régulier (messes dominicales dans les villages éloignés de la paroisse, service des sacrements, sermons). Une fois par an, à l’occasion de la fête du Corpus Christi, la Société réunissait aussi tous les ouvriers à Fribourg et à Soleure396.

La deuxième voie d’action était le travail social et l’instruction. Il s’agissait de