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Jadwiga Kowalczyk (Kowalczykowna) et Jadwiga Jawurek (Jawurkowna), fondatrices et également responsables de l’école, étaient issues de l’intelligentsia varsovienne et leur parcours reflète les tendances de ce milieu, qui joua un rôle important dans l’action politique et sociale du tournant des XIXe et XXe siècles817. Jadwiga Kowalczyk (1874–1944) était la

815 J. S

WIERCZEWSKA-JOZEFOWICZOWA, « Panny Jadwigi. Przelozone szkoly na Wiejskiej », in Chrzescijanie, t. II, Warszawa, ATK, 1976, pp. 33–46 ; Szkola na Wiejskiej (recueil de témoignages d’anciennes élèves), A. Soltan (réd.), (2e éd.), « Biblioteka Warszawska », Muzeum Historyczne m. Warszawy, 2007.

816 Zofia Landy consacra à ses années d’école la plus grande partie de ses mémoires, Pamietnik 1940–1944

(m.s.), c. IV, pp. 21–51, ASFK, Papiers T. Landy 452/3. Elle développa ses souvenir par la suite dans un article publié dans le recueil consacré à l’école : « W atmosferze prawdy i tolerancji », in Szkola na Wiejskiej, pp. 97– 105.

817

Sur leur parcours et l’histoire de l’école cf. Szkola na Wiejskiej, pp. 21–29 ; Jadwiga Jawurek et Jadwiga Kowalczyk furent brûlées vives par les Allemands lors de la répression de l’Insurrection de Varsovie, en 1944.

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fille de l’astronome Jan Kowalczyk, chargé de cours à l’École Principale Supérieure de Varsovie, directeur de l’Observatoire astronomique de Varsovie et biographe de Copernic. Quant à Jadwiga Jawurek (1880–1944), elle était la fille d’un médecin connu, Aleksander Jawurek. Toutes deux avaient fréquenté les cours de l’Université Volante à Varsovie entre les années 1898–99 et 1903, époque à laquelle remontait leur amitié.

L’Université Volante, institution clandestine destinée à la formation supérieure des femmes, pour qui l’accès à l’université était interdit dans l’Empire russe, est considérée par l’historien Bohdan Cywinski comme une « réponse au problème soulevé par le positivisme », celui de la « question de l’égalité des femmes »818. Cette institution était l’œuvre de cette génération intellectuelle des « insoumis » issue de la tradition radicale et forgée dans l’esprit du positivisme qui, alors que l’enseignement était entravé par les mesures répressives de l’administration russe, s’efforçait, dans des conditions difficiles, de préserver le statu quo polonais, en multipliant les initiatives culturelles, notamment dans le domaine de l’éducation féminine. Depuis les années 1870, l’on observait en effet une explosion des structures, dont beaucoup étaient clandestines, destinées à encourager l’instruction des femmes. Et l’une de ces initiatives ce furent les cours de formation supérieure pour femmes organisés clandestinement depuis 1882, et qui se transformèrent, en 1885, en école supérieure clandestine, connue sous le nom d’Université Volante. Ce n’est qu’à partir de 1905 que cette école, remplacée alors par la Société des Cours Scientifiques, commença à fonctionner en tant que formation supérieure officielle.

Moult élèves de l’Université Volante et moult militants de divers cercles et associations engagés dans le travail d’enseignement clandestin dans la Pologne du Congrès se lancèrent alors dans la mise en place d’un réseau d’instruction en langue polonaise et militèrent pour la démocratisation de l’école. Telles furent notamment les visées du Cercle

des Éducateurs, dont Jadwiga Kowalczyk et Jadwiga Jawurek firent partie. Composé

d’éminents pédagogues et didacticiens, de conviction socialiste et radicale, dont par exemple Rafal Kornilowicz, le milieu du Cercle des Éducateurs joua un rôle important dans le développement d’écoles privées polonaises dans les terres sous domination russe819

. Le point crucial de ce combat pour l’école polonaise fut la grève des écoles de 1905, menée par les élèves et étudiants. Dans son prolongement, dans le contexte des vagues révolutionnaires qui secouaient l’Empire russe déclenchant le processus de libéralisation politique, l’un des résultats immédiats fut l’essor de l’enseignement privé polonais. C’est en effet dans ce double contexte, la lutte pour l’école polonaise et les efforts entrepris pour développer l’instruction des femmes dans l’esprit du positivisme, que fut créée l’École de la rue Wiejska.

Ses débuts furent modestes. L’école ouvrit ses portes le 8 septembre 1903 dans un petit espace de six pièces comptant deux classes. Avec la libéralisation de l’instruction publique après 1905, l’école s’agrandit considérablement au cours des années, pour atteindre avec l’indépendance de l’État polonais, dans l’entre-deux guerres, 14 classes pour un total de 400 élèves820.

Jusqu’en 1918, le programme d’enseignement s’inscrivit dans le cursus de formation secondaire des jeunes filles, en vigueur dans les terres polonaises. Il était structuré par le règlement de l’administration tsariste s’appliquant à toutes les écoles privées de la Pologne du Congrès. L’enseignement qui y était dispensé était limité à un programme de sept années,

818 B. C

YWINSKI, Rodowody niepokornych, p. 47.

819 Felicja L

ILPOP KRANCE, Powroty, pp. 25–28 ; H. RADLINSKA, Z dziejow pracy spolecznej i oswiatowej, Wroclaw–Warszawa–Krakow 1964 ; J. ZANOWA, W sluzbie oswiaty. Pamietnik z lat 1900–1946, Wroclaw– Warszawa–Krakow 1961.

820 À partir de 1915, le gymnase à 8 classes fut officiellement reconnu. Dans l’entre-deux-guerres, l’école

comptait 6 classes primaires, 4 classes secondaires et 4 classes de lycée (en sciences humaines et naturelles), pour un total de 400 élèves.

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celui de 8ème année étant interdit, et, de ce fait, l’école privée ne donnait pas droit au diplôme de maturité. Dans le contexte de l’époque, les perspectives de poursuivre sa formation par la suite étaient pleines d’incertitudes. Le diplôme de ces collèges privés n’étant pas reconnu par l’administration impériale, les élèves n’avaient alors pas accès aux universités russes. En revanche, les élèves bénéficiaient d’un haut niveau d’enseignement permettant d’aller étudier dans les universités occidentales. Toutefois, les études à l’étranger demeuraient onéreuses et seuls certains des étudiants diplômés de ces écoles pouvaient réellement jouir de cette possibilité. Toujours est-il qu’au vu du médiocre niveau de l’école publique gérée par l’administration tsariste et de la russification poussée qui y régnait, les familles de l’intelligentsia, notamment pour des raisons patriotiques, envoyaient généralement leurs enfants dans des collèges privés polonais821.

L’École de la rue Wiejska devint très vite à Varsovie un lieu de formation prisé. Plusieurs éléments peuvent expliquer cet attrait : haut niveau d’enseignement, méthodes pédagogico-didactiques modernes, exigences élevées en matière d’hygiène822. Pour la jeunesse qui y suivait sa scolarité dans les années 1905–1918, le caractère polonais de l’école n’était pas le moindre argument pour expliquer son succès. Pour cette génération du « tournant », dont les plus jeunes étaient nés avec le siècle, la possibilité de fréquenter une école où l’enseignement était dispensé en polonais, et où les enseignants étaient polonais, était un changement radical par rapport aux promotions précédentes.

Futur enseignant de l’école de la rue Wiejska, Konrad Gorski, évoquant le changement de ces années, que lui-même avait vécu comme élève d’un collège privé pour garçons à Varsovie, transformé durant les années 1905–1907 en école polonaise, insiste sur l’atmosphère qui régnait à cette période et que l’on rencontre également dans d’autres récits :

La conscience d’avoir enfin une école polonaise raviva nos forces et notre motivation. Tant les jeunes que les enseignants étaient unis dans une ambiance spirituelle dominée par la ferveur et la conscience que nous étions un lieu de lutte pour la polonité et la liberté. Nous n’avions pas de contacts avec la jeunesse qui fréquentait les écoles russes823.

Ce témoignage révèle bien là la réalité intellectuelle de cette jeunesse en pleine « période de réceptivité » pour laquelle la grève des écoles de 1905 fut un événement générationnel.

À ce combat lancé pour rendre sa force et sa place à la culture polonaise participaient autant les parents, les professeurs que les élèves. Et l’école de la rue Wiejska était, comme le décrit Janina Landy-Dembowska, de la promotion 1913, avec des mots exaltés, l’une de ces écoles qui menaient cette « lutte continuelle, persévérante, silencieuse », pour « bénéficier du droit d’exister, du droit d’enseigner », qui caractérisait la génération tant des parents que des élèves824. De fait, pour la majorité de ces jeunes femmes qui fréquentaient cette école, elle était assurément un prolongement de l’éducation dans l’esprit patriotique dispensée au sein du giron familial. Toujours est-il qu’il ne s’agissait pas d’une approche simpliste, d’un sentimentalisme patriotique, mais, comme cela apparaît dans les témoignages, il s’agissait d’un travail en profondeur, afin de développer la conscience du devoir de maintenir des

821 En ce qui concerne l’École de la rue Wiejska, sur la base du matériel disponible, il apparaît que 60 % des

élèves avaient reçu un diplôme d’une école supérieure. Ce pourcentage doit être considéré comme élevé vu qu’il s’agit d’une période où peu de femmes fréquentaient les écoles supérieures, Szkola na Wiejskiej, p. 20.

822

Souvenirs de l’école : Hanna RZEPECKA-POHOSKA, « Niezapomniane lata », in Szkola na Wiejskiej, pp. 106– 128 ; Janina LANDY-DEMBOWSKA, « Kult poezji i zywego slowa », in Szkola na Wiejskiej, pp. 144–148,

823 Konrad G

ORSKI, Pamietniki, sur l’école pp. 24–27, ici p. 27, recueil de textes Wojciech Gorski i jego szkola, Warszawa 1982.

824 Janina L

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valeurs culturelles et artistiques825. « Dans cette école, on ne parlait jamais de l’amour de la patrie », note sur ce point Dembowska, mais on instruisait les élèves « dans l’amour des valeurs humanistes » et dans « l’amour pour la poésie et la littérature »826. Ils recevaient une éducation qui privilégiait l’histoire de la Pologne, mais aussi la commedia dell’arte et la création littéraire dans l’esprit des courants néoromantiques, nés avec le cercle de la Jeune

Pologne du tournant du siècle. Mais cette ouverture aux nouveautés ne doit pas tromper : les

acquis du positivisme étaient assurément la quintessence des valeurs pédagogiques et didactiques de l’école. « Le positivisme correspondait au langage de cette génération », souligne Zofia Landy, il « répondait aux besoins du présent, c’était le langage commun aux responsables de l’École et à ses élèves (…) c’était aussi le langage des parents »827

. Cette approche confirme le programme d’enseignement. Celui d’avant 1918 était particulièrement parlant, il laissait voir la place particulière que gardaient les institutions scolaires privées dans la formation de la génération des jeunes intellectuels polonais.

À cette époque, le programme officiel établi par l’administration tsariste pour les écoles privées polonaises était conçu de manière à minimiser non seulement les connaissances en matière de culture polonaise mais aussi à éviter tout éveil de la curiosité intellectuelle pouvant encourager le développement d’une opinion indépendante. Il limitait ainsi considérablement les sciences naturelles, qui risquaient en effet plus que tout autre domaine de la susciter. Du coup, le choix des disciplines enseignées à l’École de la rue Wiejska outrepassait le programme officiel. La priorité était donnée, dans l’esprit positiviste, aux sciences naturelles, enseignées à l’aide de méthodes novatrices (expériences en laboratoire, observation, excursions en milieu naturel)828. En outre, un programme de mathématiques élargies fut introduit. Parmi les disciplines les plus nobles que l’on privilégiait, l’on comptait alors l’histoire de la Pologne, l’histoire universelle enseignée en polonais, la littérature et les langues étrangères. Certains cours, qui outrepassaient le cadre du programme admis par l’administration tsariste, étaient donnés clandestinement, notamment le programme de 8ème

année, préparant à la maturité, pratique par ailleurs fréquente dans d’autres écoles secondaires privées. Tel était aussi le cas des cours de sciences naturelles, interdits par l’administration tsariste à une certaine période829. Par ailleurs, cette administration cherchait tout prétexte possible pour limiter les disciplines enseignées en polonais.

Si l’école se distinguait à l’époque par son niveau d’enseignement et son modèle éducatif moderne, elle le faisait aussi grâce aux éminents pédagogues qui composaient son corps professoral830. On y trouvait des figures marquantes de l’histoire de l’éducation. Rafal Kornilowicz, qui y enseignait les mathématiques (clandestinement jusqu’en 1907), ou Waclaw Jezierski, qui dispensait les cours de sciences naturelles et de géographie, jouèrent un rôle important dans l’organisation de l’instruction polonaise après 1905. Nombre de ces maîtres allaient devenir des professeurs universitaires, auteurs de travaux scientifiques importants. C’est le cas notamment des enseignants de langue et littérature polonaises Kazimierz Woycicki, qui enseigna dans les années 1906–1917, et Konrad Gorski, dans les années 1923–1934. Woycicki dispensa ensuite les cours de littérature à l’Université Libre de Varsovie, puis dans les années trente à l’Université de Varsovie831

. Auteur d’importants

825 Hanna R

ZEPECKA-POHOSKA, « Niezapomniane lata », in Szkola na Wiejskiej, pp. 106–128 ; Janina LANDY- DEMBOWSKA, « Kult poezji i zywego slowa », pp. 144–148.

826 Janina L

ANDY-DEMBOWSKA, Kult poezji i zywego slowa, p. 145.

827 Zofia (S. Teresa) L

ANDY, « W atmosferze prawdy i tolerancji », in Szkola na Wiejskiej, pp. 101–102.

828

Wanda KARPOWICZ, « Nasi biologowie », in Szkola na Wiejskiej, pp. 64–73.

829 Avide de prétextes pour fermer l’école, l’administration interdit notamment, dans les années 1910 et 1911,

l’enseignement de la biologie en polonais. Les cours étaient alors dispensés illégalement, dans la clandestinité.

830

Sur les enseignants (Lista nauczycieli i wychowawczyn), cf. Szkola na Wiejskiej, pp. 422–428.

831 T. L

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travaux en théorie et histoire de la littérature, fort apprécié pour son enseignement, même s’il ne fut jamais titulaire d’une chaire universitaire, Woycicki laissa sa marque sur plusieurs de ses disciples en matière de méthodologie de l’analyse littéraire. Quant à Konrad Gorski, il devint un historien de la littérature renommé, titulaire de chaires universitaires à Vilnius, puis à Torun, et sa contribution scientifique à l’histoire de la littérature reste imposante. Mais, à l’école, l’on trouvait également des prêtres qui enseignaient la religion, des religieux très engagés parmi la jeunesse, comme les abbés Antoni Bogdanski, Jan Mauresberger, Wladyslaw Kornilowicz (1919–1920) et l’abbé Edward Szwejnic (1922–24).

Mais c’est aussi le profil idéologique du corps professoral de l’école qui révèle l’une de ses particularités. Alors catholique, cette école recrutait largement ses enseignants au sein de l’intelligentsia non croyante832. L’on pourrait penser que cela a pu provoquer des clivages

idéologiques, mais tel ne fut pas le cas. Les divergences de conviction semblaient, comme l’attestent plusieurs souvenirs d’élèves ou d’enseignants, ne nuire en rien à l’harmonie de l’école. Les professeurs et les deux responsables de l’institution partageaient les mêmes valeurs pédagogiques et cette unité de vue se répercutait sur le modèle d’enseignement délivré, ce qui permit d’instaurer une atmosphère favorable à chacun, indépendamment de ses convictions philosophiques, politiques ou religieuses. « Dans l’école, il y avait des gens de gauche et de droite », aussi bien parmi les enseignants que parmi les élèves, et « la provenance idéologique n’avait pas d’importance », relève sur ce point Konrad Gorski833

. De fait, malgré son caractère catholique, l’école avait la réputation d’être progressiste, ce qui apparaît bien dans le profil sociologique des élèves issus du milieu de l’intelligentsia. On y observe la prépondérance des « filles de révolutionnaires polonais et de progressistes », comme le révèle Zofia Landy834, alors que la fréquentation des élèves venant des milieux catholiques traditionnels était plus rare. Zofia et Janina Landy, issus du milieu socialiste et, à l’époque de leur scolarité, revendiquant leur agnosticisme, étaient alors largement représentatives de leurs camarades. Elles avaient intégré l’école sur le conseil d’un ami de la famille, Feliks Kon, militant du Parti Socialiste Polonais qui tenta, en 1920, avec l’aide de Marchlewski, de constituer un gouvernement communiste en Pologne. Cet exemple radical s’il en est n’est pourtant pas atypique par rapport au milieu dans lequel se recrutaient les élèves de l’école. On retrouve en effet, parmi les parents d’élèves des premières promotions, des noms illustres du courant progressiste : Andrzej Niemojewski, Adam Mahrburg, Stanislaw Karpowicz, Adam Krynski, Marian Abramowicz, Iza Moszczenska et Adolf Warski. On y trouve aussi les anciens élèves de Stefania Sempolowska835. Dans les années vingt et trente l’école était encore fréquentée majoritairement par les filles des dirigeants politiques et des scientifiques issus du milieu socialiste ou socialisant836.

Pour ces jeunes filles issues de la gauche, l’acclimatation à l’atmosphère de l’école de la rue Wiejska semble s’opérer sans problèmes. Comme le relève Zofia Landy dans ses souvenirs, malgré les différences ou les désaccords politiques ou idéologiques, tout le monde pouvait se retrouver dans les « attitudes et les sphères profondes de l’éthique naturelle, alors, commune à tous les hommes »837.

En quoi consistait donc cet idéal pédagogique si important, revendiqué comme tel par la jeune intelligentsia féminine et qui rendait l’école de la rue Wiejska si intéressante, notamment pour l’intelligentsia progressiste ? Les témoignages de quelques-unes des

832 Szkola na Wiejskiej, pp. 422–428. 833 K. G

ORSKI, « Panny Jadwigi – Czarna i Biala », in Szkola na Wiejskiej, p. 54.

834

T. LANDY, Journal, p. 34.

835 Hanna R

ZEPECKA-POHOSKA, op. cit., p. 107 ; Aniela MIKLASZEWSKA-EHRENFEUCHTOWA, « Szkola w latach 1915–1922 », in Szkola na Wiejskiej, p. 192 ; aussi : « Historia Szkoly», in Szkola na Wiejskiej, p. 21.

836

F. LILPOP KRANCE, op. cit., p. 27.

837 T. L

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anciennes élèves peuvent nous éclairer sur le sujet. Certes, ces réflexions fortement teintées d’émotions exigent une distance critique. Cela étant, par-delà les sensibilités qu’elles reflètent, une réalité se dégage qui permet, ainsi, à défaut d’autres sources documentaires, de reconstituer l’atmosphère de l’école. Parmi les traits essentiels qui singularisaient cette école aux yeux de ses élèves, il y avait l’éthique pédagogique transparente, fondée sur un système de valeurs solides838. Zofia Landy la décrit comme une « atmosphère de vérité » 839, elle note :

Les Demoiselles Hedwige aimaient tellement la vérité, elles croyaient tellement en sa force vitale et en sa valeur pédagogique, qu’elles créèrent autour d’elles un cercle de vérité inaliénable. Tout comme la propreté, le bon ordre qui régnait dans l’école n’était pas imposé de l’extérieur mais exprimait la profondeur d’esprit, le sérieux et l’honnêteté dont s’imprégnaient les élèves840

.

Ce texte met bien là en évidence la puissance d’influence que les deux responsables de l’école, appelées couramment les « Demoiselles Hedwige », avaient sur leur entourage. Elles cherchaient en effet à induire des attitudes morales permettant d’intérioriser des normes de comportement, façonnées par une éthique sociale basée sur le respect de l’autre et le principe de solidarité qui pouvait être commun à tous, quelles que fussent les origines philosophiques ou religieuses841.

De fait, l’environnement scolaire offrait un cadre stimulant : l’enseignement se basait sur la confiance accordée aux élèves ; l’école fonctionnait sans notes, tout du moins jusqu’en 1918 ; les évaluations avaient pour seul but de révéler les forces et les faiblesses des élèves afin de les aider à développer leurs compétences. Sentant à quel point cette école était idéale, les élèves y mettaient du leur, ce qui permettait d’éliminer toutes les tendances amorales au sein de la jeunesse, comme le notent les anciennes élèves, et de promouvoir des attitudes éthiques communes, indépendantes des convictions personnelles, telle que sens de la responsabilité, honnêteté, courage de ses opinions, tout en forgeant une attitude ouverte et active face à la société842. « Sans pour autant recourir à aucune phraséologie démocratique, c’était une vraie démocratie », affirme Zofia Landy843

. En adhérant à la même hiérarchie de valeurs et en intériorisant les normes de comportement qui en découlaient, à savoir une attitude éthique commune aux croyants et aux incroyants, les élèves développaient une sociabilité non institutionnalisée. Zofia Landy le résume ainsi : « Lorsque nous n’étions pas d’accord dans nos convictions, nous nous retrouvions dans nos attitudes, dans cette couche profonde de l’éthique naturelle commune à tous » 844

. Les amitiés et les liens constitués autour de l’école étaient ainsi baignés d’un sens de l’éthique qui aboutit à la création d’une norme de comportement reconnue comme étant la marque de l’établissement. Dans les milieux varsoviens l’on parlait ainsi des « éthiciennes de Kowalczyk », ce qui était une référence à l’heure d’intégrer la vie sociale de la capitale845

.

En plus de forger des comportements éthiques et de stimuler le sens des responsabilités, l’établissement développait un esprit social. Comme le précise Hanna Odrowaz : « Sans être des travailleuses sociales, les élèves de notre école étaient "socialisées", chaque action sociale étant entreprise avec le souci de s’appuyer sur les principes moraux » 846. L’école faisait également participer les élèves à des actions sociales

838 Hanna R

ZEPECKA-POHOSKA, Niezapomniane lata, p. 112, 119.

839 Z. L

ANDY, W atmosferze tolerancji, p. 97 ; Hanna RZEPECKA-POHOSKA, Niezapomniane lata, pp. 106–125.

840 Z. L

ANDY, Pamietnik, p. 23.

841 Janina R

OGOWSKA-DOROSZEWSKA, « Zeby ocalic ich slad », in Szkola na Wiejskiej, pp. 149–175.