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L E CATHOLICISME – ACCOMPLISSEMENT D ’ UNE QUETE INTERIEURE

Pourquoi ces jeunes en phase d’introspection étaient-ils plus attirés par le catholicisme que par le judaïsme ? En fait, pour la plupart d’entre eux, qui avaient été élevés dans la culture polonaise, à l’instar de Zofia Landy, d’Anna Zand ou d’Irena Kaliska, la seule tradition religieuse connue était la tradition chrétienne, celle qui prédominait dans leur pays. Ces jeunes avaient ainsi l’habitude de côtoyer certains signes chrétiens, de célébrer même en famille les fêtes catholiques, comme Noël, et de fréquenter les églises plutôt que les synagogues. Détachés de toute tradition religieuse juive, ils ne connaissaient, pour la plupart, ni les rites judaïques ni le passé biblique. Même pour ceux, comme Bronislawa Wajngold, qui étaient issus de la bourgeoisie juive attachée à certaines traditions ancestrales, le christianisme représentait un attrait indéniable, en grand partie dû à leur enracinement dans la culture polonaise. Pour tous, le choix du catholicisme fut vécu comme l’aboutissement d’une quête intérieure.

Née le 11 décembre 1902 à Varsovie, dans la famille juive aisée des industriels Izydor (Icek) Wajngold et Ida (Idesa) Szladower, Bronislawa766 livre le portrait de la religiosité traditionnelle d’une famille bourgeoise :

761 Irena K

ALISKA, Wspomnienie, op. cit.; Irena KALISKA, «Na rocznice smierci ks. Wladyslawa Kornilowicza»,

Znak, R. 24 : 1972, n° 219 (9), pp.1262-1270.

762

Certificat d’études et diplôme de maturité du 16 juin 1915, École de Commerce pour jeunes filles d’A. Warecka ; Attestation d’immatriculation du 17 novembre 1915, diverses attestations d’études pour les années 1915–1921 ; Dossier Irena KALISKA AUW, AS/ RP 61.

763 Diplôme de maîtrise en droit du 13 juillet 1921, AUW, AS/ RP 61. 764

Irena Kaliska fut immatriculée le 17 novembre 1915 à la Faculté de Mathématiques et de Sciences naturelles, transformée en 1916 en Faculté de Philosophie. En parallèle, elle fréquenta les cours de droit, qui lui furent par la suite reconnus lors de son transfert à la Faculté de Droit, au semestre d’hiver 1916/1917. Relevé de cours et de séminaires des années 1915–1917, AUW, AS/ RP 61.

765 Certificat de baptême, Dossier Irena K

ALISKA, AUW, AS/ RP 61.

766

Sur l’approche biographique de Bronislawa Wajngold, connue, après la Deuxième Guerre mondiale sous le nom d’adoption de Sœur Maria Golebiowska (nom pris pendant la guerre pour cacher son identité juive) cf. : Notice biogr. (par Barbara Rut Wosiek) : « Siostra Maria Golebiowska », Siostry Zakonne w Polsce, t. I, pp. 101–104 ; Stefan Frankiewicz, « Agnieszka », Ludzie Lasek, pp. 439–456 ; Lidia WITKOWSKA fsk, « Macierzynstwo duchowe Siostry Marii Golebiowskiej FSK », Towarzystwo Opieki nad Ociemnialymi, Laski,

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À la maison, tous les vendredis soirs, après une célébration liturgique, alors que j’étais petite fille, mon père retenait pour la nuit mon neveu, qui avait mon âge (...) et nous racontait des histoires de l’Ancien Testament : d’Abraham, de Jacob, de la sortie d’Égypte, de la Terre Promise. Il nous parlait aussi du Messie, de l’attente du Messie et de la venue du Messie (...). Il me semblait que l’attente du Messie durerait à jamais. Ce Messie m’apparaissait par ailleurs de manière confuse, car on ne m’avait jamais rien expliqué à ce sujet (...). Pendant les grandes fêtes, nous allions à la synagogue, en partie pour écouter le chant sacré. Mon père priait et ma mère restait avec moi ; parfois elle m’y amenait juste pour écouter ce chant, que je ne comprenais cependant pas767.

Si Bronislawa Wajngold ne resta pas insensible au souvenir de certains rites et aux émotions religieuses de son enfance, elle ne les voyait pas comme une appartenance à l’identité juive. Ses parents n’intervinrent pas davantage dans son éducation religieuse. Cette attitude ne différait en rien de la religiosité traditionnelle vécue dans le foyer mondain et sensible à l’art de sa sœur Helena, âgée de 26 ans et mariée à un riche industriel juif, Léon Kranc, qui possédait une fabrique de fonte « Kranc et Lempicki »,à Varsovie. C’est dans ce foyer fréquenté par de nombreux artistes que Bronislawa fut élevée, aux côtés de ses trois neveux, après la mort de ses parents768.

Bronislawa Wajngold trouva son premier ancrage intellectuel dans la réalité et la littérature polonaises. Grâce à sa situation familiale aisée, elle fit sa scolarité dans des écoles privées polonaises : l’école de Steinbeck, rue Elektoralna, puis le collège de Kochanowska à Varsovie. L’enseignement privé polonais tenait, dans ces années d’avant-guerre, une place particulière dans la formation de sa génération, celle dite « du tournant », qui entra dans la vie active au cours des années vingt. Il offrait, à ces jeunes vivant dans un environnement politique russifié, un apprentissage intellectuel placé sous le signe de l’engagement social et l’esprit patriotique. La vie clandestine de cette jeunesse – les cercles d’auto-formation, auxquels Bronislawa Wajngold prit part – tenait une grande place dans cet apprentissage.

Le fait de baigner dans le monde culturel polonais la rapprocha aussi de la vie chrétienne. Cependant, pendant longtemps, sa perception de la chrétienté resta assez superficielle, vécue seulement comme une donnée éthique. Analysant bien plus tard sa vision du christianisme, elle insiste sur ce point, évoquant la vision littéraire qu’elle avait de la figure du Christ, en particulier l’image qu’en donnait la littérature :

Durant toute mon enfance, jusqu’à mes 20 ans, le Christ a représenté pour moi la plus belle personne humaine, l’exemple parfait de la bonté, de la douceur et de l’amour. Mais je n’ai jamais pensé qu’il était plus que cela. Il me semblait que l’attente du Messie ne cesserait jamais. Mais je n’ai jamais réalisé que le Christ était ce Messie tant attendu769

.

Et pourtant, cette imprégnation de la culture chrétienne fut profonde et, plus que ses racines judaïques, celle-ci s’avéra déterminante lorsque des aspirations religieuses se manifestèrent chez Bronislawa Wajngold.

R. XIV, n° 6 (86) 2008, pp. 47–89 ; Souvenirs de Sœur Maria – Tak sie zaczelo, racontés aux Sœurs ( 1976), (texte dactyl. d’après l’enregistrement), ASFK, Papiers Maria GOLEBIOWSKA,publiés sous le titre « Tak sie zaczelo », Ludzie Lasek, pp. 456–464.

767 Maria G

OLEBIOWSKA, Tak sie zaczelo, pp. 456–457.

768 Parmi les enfants Kranc, Michal (1902–1969), Pawel (1908–1974) et Kazimierz (1911–1973), le dernier

devint un pianiste célèbre, donnant des concerts dans plusieurs pays européens. Il épousa Felicja Lilpop, une artiste-peintre. Ses mémoires donnent de nombreuses informations sur la famille Kranc : Felicja LILPOP

KRANCE, Powroty, Wyd. Versus, Bialystok 1991 ; voir aussi Waclaw JEDRZEJEWICZ, « Wspomnienie o Kazimierzu Krancu », Wiadomosci, 1973, n° 46, p. 3.

769

Souvenirs de Sœur Maria GOLEBIOWSKA racontés aux Sœurs: « Tak sie zaczelo », 1976, ibid., cité dans

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La période de sa formation universitaire fut décisive pour son éveil spirituel. Étudiante en peinture à l’École des Arts Décoratifs et auditrice libre de la section de journalisme à l’Université Polonaise Libre, à Varsovie, Wajngold se retrouva, comme les jeunes de son âge face à un dynamisme qui caractérisait la vie intellectuelle polonaise des années vingt, quand différents courants philosophiques (marxisme, empirisme, bergsonisme ou nietzschéisme) et littéraires s’affrontaient et obligeaient à se forger sa propre attitude face au monde. Ses recherches littéraires et artistiques allaient vite dépasser l’horizon purement intellectuel et éveiller en elle des inquiétudes spirituelles. Dans son cheminement, où se confrontaient les problèmes métaphysiques, où s’entrecroisaient les interrogations esthétiques, son amitié avec un jeune poète de talent, Jerzy Liebert770, issu du christianisme mais éloigné de la foi, s’avéra être un vecteur important.

Né en 1904 dans une famille de l’intelligentsia de tradition catholique mais éloignée de la pratique, Liebert, à l’issue d’une enfance chrétienne, passa en effet par une phase de refroidissement religieux et d’éloignement de l’Église. Découvrant très tôt ses passions littéraires, il se lança dans une carrière artistique. Sous l’influence de la lecture romantique, alors qu’il était encore élève de gymnase à Varsovie, Liebert se mit à écrire ses premiers poèmes. Il entra très vite dans les cercles littéraires de Varsovie et noua des amitiés avec les poètes contemporains, en particulier avec le groupe poétique Skamander, et avec sa figure de proue, Jaroslaw Iwaszkiewicz. Ce dernier, rédacteur du supplément littéraire du Dziennik

Polski (Courrier Polonais), fit entrer Liebert sur le marché de la poésie en 1921. Les colonnes

de Dziennik et, plus tard, de Wiadomosci Literackie, revue publiée dans le milieu de

Skamander, accueillirent régulièrement les poèmes de Liebert. C’est durant l’hiver 1922, lors

d’une soirée poétique privée, que Bronislawa Wajngold fit sa connaissance771

.

L’entente semble avoir été immédiate entre ces deux êtres passionnés par la littérature et l’art, amateurs de poésie et poètes à leurs heures, unis par leur camaraderie avec des artistes avant-gardistes, notamment poètes du cercle de Skamander. Les lettres adressées par Liebert à Bronislawa Wajngold dans ces années vingt confirment la proximité de leurs intérêts, leurs goûts littéraires, ainsi que leurs interrogations spirituelles qui les amenèrent à cheminer ensemble772. Selon Piotr Nowaczynski, c’est Bronislawa Wajngold, dans sa quête religieuse, qui stimula les inquiétudes métaphysiques du jeune poète et lui fit connaître la culture biblique dont elle était porteuse par ses racines judaïques773. Cette imprégnation biblique de l’enfance joua par ailleurs un rôle important dans le renouveau du sentiment religieux chez Bronislawa Wajngold elle-même, au moins pour ce que nous en laissent voir ses souvenirs, consignés bien des années plus tard. Mais sa quête spirituelle, qui se refléta dans ses poèmes composés dans les années 1922–25, témoignage inédit de sa nostalgie de l’Infini, allait trouver son accomplissement dans le christianisme. Certes, l’environnement culturel catholique ne pouvait pas la laisser insensible, mais c’est avant tout certaines rencontres et la fréquentation de certains auteurs qui s’avérèrent décisives. La lecture de John Henry Newman, converti anglais, qu’elle découvrit avec Jerzy Liebert, au cours de l’année 1924, fut un tournant. Elle renoua avec la figure du Christ qu’elle avait connue intellectuellement dans son enfance et qui à présent apparaissait comme une personne réelle, dans un monde

770 Jerzy L

IEBERT, « Pisma zebrane, t. Poezja – proza », t. II, Listy, Warszawa 1976 ; Sur la vie et l’œuvre de Liebert voir la préface de S. FRANKIEWICZ à Jerzy LIEBERT, Listy do Agnieszki, Biblioteka Wiezi, Warszawa 2002, pp. 7–24; Jacek LUKASIEWICZ, « Ruch i trwanie – Jerzy Liebert », Poeci dwudziestolecia

miedzywojennego, Irena Maciejewska, Wiedza Powszechna (réd.), Warszawa 1982, vol. I, pp. 527–530 ; P.

NOWACZYNSKI, «O miejscu Lieberta w polskiej liryce religijnej», Znak, R. 23 : 1971, n°208(10), pp. 1298˗1330.

771 S. F

RANKIEWICZ, Agnieszka, p. 441.

772 Jerzy L

IEBERT, Listy do Agnieszki, Biblioteka Wiezi, Warszawa 2002, avec la préface de S. FRANKIEWICZ, pp. 7–24.

773 P. N

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. Newman ouvrit devant elle la réalité surnaturelle de l’Église et son caractère universel. Cette redécouverte, qu’elle décrit dans ses mémoires, comme « une grâce», enclencha le processus de sa conversion au catholicisme775. Elle décida de pratiquer la prière. Grâce à Jerzy Liebert, elle s’initia au Notre Père, à l’Ave Maria, au Credo, alors même qu’elle ne connaissait ni ne comprenait les dogmes catholiques. C’est sa conviction profonde de l’existence d’une réalité surnaturelle, incarnée dans l’Église, qui donnait un sens à ce choix.

« Le sens de la foi »

Le cheminement de Bronislawa Wajngold, tel qu’il nous est livré par son récit de conversion, semble révélateur du sens inné du religieux, de ce « sens du sacré » propre aux Juifs776, relevé par de nombreux observateurs de l’époque, qui ont étudié le phénomène des multiples conversions vécues parmi les Juifs durant les premières décennies du XXe siècle en Europe777. « L’Israélite a tellement le sens de la foi qu’il entre dans le christianisme avec une aisance qui peut surprendre un catholique ordinaire»778, note ainsi Stanislas Fumet. Cette remarque de l’essayiste, poète et journaliste français, n’est pas anodine, car il s’agit « d’un ami sincère des Juifs »779 et l’un des protagonistes de plusieurs conversions de Juifs, en particulier d’intellectuels. Le foyer de Stanislas Fumet, à côté de celui de Jacques Maritain, tous deux mariés à des Juives converties d’origine russe, offrent en effet l’exemple de deux lieux de sociabilité « favorables » à ces conversions dans la France de l’entre-deux-guerres780. L’explication donnée par Fumet place ce sens du sacré, qui se révèle par l’attrait de l’Eucharistie, au cœur du processus de conversion :

Les Juifs ont été attirés par le sacrement de l’Eucharistie ou de la Présence réelle, plus que par l’idée chrétienne. Mais celle-ci leur est complètement naturelle, à partir du jour où ils prient le Fils de Dieu – et je dirai même : où ils prient Dieu, où ils le font en essayant de se tourner vers sa Face. Son Image leur apparaît presque inévitablement comme la splendeur de sa gloire et la figure de sa substance781.

L’expérience religieuse de Bronislawa Wajngold semble confirmer cette analyse. Si sa découverte de la figure du Christ, sous l’influence de la lecture de Newman, joua un rôle essentiel dans son ouverture à l’Invisible, sa conversion définitive fut le fruit de la « vision du Dieu vivant », présent à travers l’Eucharistie, qu’elle avait lors de sa première Messe, en mai 1925. Elle y participa à l’invitation d’Irena Tyszkiewicz qui dirigeait une Bibliothèque du Savoir Religieux à Varsovie où Wajngold prêtait ses livres. L’accueil bienveillant de Tyszkiewicz fit que Wajngold vint spontanément à cette messe, célébrée dans la chapelle privée de la famille Tyszkiewicz, sans savoir de quoi il s’agissait ni avoir la moindre idée de la signification des sacrements782. Elle relata des années plus tard dans son journal intime ce moment capital pour sa biographie spirituelle :

774 « Tak sie zaczelo », cité dans Ludzie Lasek, p. 458. 775

Ibid.

776 Jozef Maria B

OCHENSKI o.p., Entre la logique et la foi. Entretiens avec Jozef M. Bochenski recueillis par Jan Parys, Éditions Noir sur Blanc, Montricher 1990, p. 248.

777 Par ex. F. G

UGELOT, op. cit, pp. 173–216.

778 Stanislas F

UMET, Histoire de Dieu dans ma vie, préface par le cardinal Jean-Marie LUSTIGER, Introduction par Étienne FOUILLOUX, Éditions du Cerf, Paris 2002 (Ière édition Fayard–Mame, 1978), p. 314.

779 Étienne F

OUILLOUX, Introduction à l’Histoire de Dieu dans ma vie, p. XII.

780 F. G

UGELOT, op. cit., p. 201.

781

S. FUMET, op. cit., p. 314.

782 S. Maria G

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Je revois la chapelle de Tyszkiewicz. Ma première Sainte Messe. Une inondation de lumière, une ouverture sur ce qui m’est encore incompréhensible, sur un univers de valeurs, de bonté, de beauté qui m’est encore inconnu. Un bouleversement qui se produit en moi, un torrent de larmes, de chagrin, de nostalgie783.

Lorsqu’elle raconte, en 1976, ce qu’elle a vécu, Bronislawa Wajngold, alias Sœur Maria Golebiowska, met en exergue l’action de la grâce qui l’a conduite à la conversion : « Je suis venue, et ce fut un deuxième moment de grande grâce, parce que, sans comprendre le sens [de la Messe], j’ai simplement saisi que Dieu était descendu sur l’autel »784. Aussitôt après cette première Messe, Bronislawa Wajngold proclama sa décision d’adhérer pleinement à cet univers révélé. Dans la précipitation de son départ pour la France, où elle accompagnait la famille de son beau-frère, elle organisa quelques rencontres avec son amie d’enfance, Zofia Landy, pour apprendre le catéchisme en vue de son baptême. Celui-ci fut célébré le 18 juin 1925 à l’Église Sainte-Croix de Varsovie, par Wilhelm Michalski785

. Bronislawa Wajngold prit pour nom de baptême Agnieszka qui désormais remplaça le sien. Le lendemain eut lieu le sacrement de confirmation par l’évêque Adolf Szelazek.

Cette foi, absolue, irrésistible, tranchante, de Bronislawa Wajngold dans la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie, en tant que vecteur essentiel de sa conversion, ressort aussi clairement de sa correspondance adressée à Zofia Steinberg, une ancienne camarade d’école, au cours des mois qui suivirent son baptême depuis Cammazou, dans l’Aude, où elle séjournait avec la famille Kranc. Dans ses lettres, qu’elle signait de son nom de baptême Agnieszka, elle insistait sur la vérité complète qu’elle avait trouvée dans l’Église, à travers la présence de Dieu786. La figure du Christ qui apparaît dans ses missives, c’est « Jésus, le crucifié », « l’accomplissement de l’amour », c’est « le Berger qui réalise l’espérance d’Israël, l’espérance pour l’homme pécheur »787

.

Cette quête du contact avec le Christ, fils de Dieu, présent à travers l’Eucharistie apparaît aussi fortement dans le parcours d’Anna Zand. Son récit, qui esquisse le portrait, le sien, d’une petite fille élevée dans une famille juive et portée par un tel désir est saisissant :

Je repense à cette petite fille de 9 ans qui s’agenouillait le matin, alors que tout le monde dormait à la maison, dans sa chemisette blanche et son gilet, une couronne de fleurs, préalablement tressée en cachette, posée sur ses cheveux défaits (...), cette petite fille tenait dans sa main un morceau de pain et elle priait. Elle livrait à Dieu ses péchés et demandait Son pardon. Ensuite, comme dans la Sainte communion, elle avalait son morceau du pain... en désirant ardemment que ce soit le Christ788.

Ce souvenir d’enfance retracé dans les années 1950, animé, on le constate, par une sorte de ferveur religieuse, demeure teinté d’une forte émotion et doit être considéré avec un certain recul. Il met toutefois en exergue le désir du Christ et la foi en sa Présence réelle dans l’Eucharistie, chez cette enfant juive baignée dans le monde catholique. Le récit montre en effet l’image d’une fillette catholique de son âge qui recevait le sacrement de la communion pour la première fois et avec laquelle elle désirait s’identifier. L’éducation dans les écoles polonaises, indiscutablement, sensibilisa Anna Zand aux pratiques religieuses. Et, en tant qu’enfant, elle fut incontestablement attirée par certaines pratiques. Elle avoua même ressentir

783 Pamietnik (Journal intime) de sœur Maria, 1978–1980, à la date 15 juillet 1979, ASFK, Papiers Maria

GOLEBIOWSKA.

784 Tak sie zaczelo, pp. 459–460.

785 Registre de la Congrégation - Données personnelles, ASFK, Papiers Maria G

OLEBIOWSKA. Cf. aussi Notice biogr. : Siostra Maria GOLEBIOWSKA, Siostry zakonne, op. cit., p. 102.

786 Lettre d’Agnieszka Wajngold à Zofia Steinberg, s.d. (1925), ASFK, Papiers Katarzyna (Zofia) S

TEINBERG.

787 Lettre d’Agnieszka Wajngold à Zofia Steinberg, le 6 septembre 1925, ASFK, Papiers Katarzyna (Zofia)

STEINBERG.

788 Anna M

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à l’époque sa « plus grande souffrance », en voyant ses camarades d’école aller se confesser et communier, sans pouvoir comprendre ce qui se passait ni les suivre789. Or, si certaines traditions catholiques étaient cultivées par sa famille, elles revêtaient une valeur exclusivement culturelle. Les Zand ne voulant pas perdre leur judéité, se gardaient d’adhérer au catholicisme. Toujours est-il que leur approche de la religion était purement éthique, ce dont la jeune Anna était bien consciente : « On parle de Dieu, mais c’est quelqu’un qui ne s’occupe pas de nos affaires humaines. S’il faut être bon et généreux, c’est que cette discipline exige la meilleure part de notre nature humaine et que l’on considère qu’une attitude humaniste est quelque chose de grand » 790. De fait, Anna Zand, au moment de son éveil spirituel, pendant son enfance, avait dû poursuivre sa quête en solitaire. Ses prières récitées dans la solitude et « ses égarements spirituels » furent l’expression de sa « nostalgie infinie du Christ », dont elle fut « hantée » tout au long de ces années791. Cette quête d’enfant, telle qu’elle est livrée dans ses mémoires, révèle qu’Anna Zand n’aspirait pas à rejoindre le catholicisme comme un système religieux, mais que c’était sa foi impérative en la Présence réelle du Christ à travers l’Eucharistie qui la poussait irrésistiblement à la pratique de la communion792. Lorsqu’elle atteignit l’âge de 16 ans, l’adolescente se fit baptiser à l’Église. Son baptême ut suivi de la « toute première » communion reçue dans la « plénitude » de sa nouvelle appartenance793.

Cet «attrait pour l’Eucharistie», en tant que vecteur principal d’adhésion au catholicisme que nous dévoile le parcours de Bronislawa Wajngold ou celui d’Anna Zand constitue sans aucun doute ce lien mystérieux avec d’autres convertis d’origine juive, dont parle Stanislas Fumet dans ses mémoires, dont nous avons rapporté les propos plus haut. On retrouve en effet ce même phénomène dans le parcours de plusieurs convertis juifs de France,