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L’une des spécificités de ces conversions de jeunes intellectuels nés dans des familles juives assimilées et détachées de leurs racines judaïques, c’est qu’ils venaient de l’agnosticisme. Tel est notamment le cas d’Irena Kaliska, dont la décision d’adhérer au christianisme fut une réaction face à l’idéologie positiviste dominant dans son giron familial.

754 Stefan F

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Née à Varsovie le 5 janvier 1898755 dans une famille d’origine juive, « enracinée dans la nation polonaise depuis des générations»756 , Irena Roza Kaliska grandit dans un foyer agnostique, élevée qu’elle fut dans le culte de la raison et l’esprit positiviste qui prédominaient dans l’intelligentsia varsovienne de la génération de son père. Juriste et adepte d’Auguste Comte, Julian Kaliski était en effet l’exemple même de cette intelligentsia moderne, déjudaïsée, et laïque qui croyait au progrès de l’esprit. Homme de droiture, connu pour son sens de la justice et son refus du compromis757, Julian Kaliski était aussi un essayiste habile aux intérêts philosophiques et littéraires très vastes, empreint d’un grand respect pour l’ensemble de la pensée humaine.

Toujours est-il que, lorsque l’on vivait dans un pays imprégné par des traditions chrétiennes, il était difficile de rester insensible à certains aspects du culte catholique. Et Julian Kaliski, « enchanté » par la beauté et la profondeur du Notre Père, allait enseigner cette prière à ses enfants, en « affirmant qu’il n’y a rien à y enlever ni à y ajouter », se remémore Irena Kaliska758. Elle même profondément attachée à la culture polonaise, se considérant agnostique, ne put pas non plus rester indifférente à toutes les manifestations de la religiosité catholique, à cette symbiose entre culturel et spirituel qui avait tellement marqué la mentalité polonaise et qui lui était si familière. De fait, au moment où ses interrogations spirituelles se manifestèrent, elle allait choisir la religion chrétienne qui, selon elle, répondait le mieux à sa quête d’idéal. L’une des raisons de ce choix résidait dans la distance que plusieurs de ses contemporains israélites ressentaient à l’égard de la communauté juive orthodoxe, que l’on voyait comme « très renfermée sur elle-même ». Alexander Hertz explique ainsi ce phénomène :

Les juifs forment un groupe fermé de l’intérieur. Leur « esprit de caste » provient en premier lieu de leur spécificité religieuse, de leurs mœurs, de leurs différences linguistico-culturelles et économiques. La religion y joue un rôle fondamental, définissant, comme dans peu d’autres religions, l’éthique du groupe, son aspect et le profil de chacun de ses membres. Le judaïsme constitue un système religieux intégral. Il fait entrer le sacré partout, – même dans le plus petit détail de la vie communautaire et individuelle. Ce n’est pas seulement un système de croyance religieuse. C’est la loi basée sur une règle de conduite sévère et très stricte759

.

Même si sa description demeure trop générale760, ne prenant pas en compte le particularisme des divers types de communautés juives habitant les différentes régions, ce sociologue mettait en évidence la difficulté qu’il y a à approcher le monde judaïque traditionnel. La communauté juive orthodoxe, se reconnaissant dans certaines pratiques, limitées au cercle de ses coreligionnaires, et considérant de fait les incroyants, dont les chrétiens, comme des goïms (des non-juifs, donc « impurs ») était un monde clos. Si cet enfermement semblait nécessaire pour préserver la différence culturelle et religieuse, il creusait aussi un grand fossé entre la communauté juive et le monde extérieur. C’est bien sûr ce fossé culturel et humain ressenti par de nombreux jeunes intellectuels détachés de leurs racines judaïques, comme Irena Kliska, qui explique leur difficulté à s’approcher du judaïsme et de s’y identifier.

755 Registre d’étude : données personnelles, Dossier Irena K

ALISKA, AUW, AS/ RP 61.

756 Irena K

ALISKA, Wspomnienie, AWK/42/3.

757 Suite à un conflit avec le pouvoir juridique russe dû aux positions qu’il défendait, Julian Kaliski, alors jeune

avocat, fut suspendu de ses activités professionnelles. Ce n’est qu’après la révolution russe qu’il retrouva ses pleins droits d’avocat.

758 Irena K

ALISKA, Wspomnienie, op. cit.

759

A. Hertz, Zydzi w kulturze polskiej, Warszawa 1988, p. 120.

760 R. W

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Hormis quelques indices retrouvés dans ses souvenirs, on ne connaît pas les motivations, ni même les circonstances exactes qui conduisirent Irena Kaliska vers l’Église761. Elle même l’évoque comme un long processus de recherche jalonné par des lectures, par une longue introspection. Sa quête spirituelle coïncide avec la période des études qu’elle effectua à l’Université de Varsovie dans les années 1915–1921762

. Étudiante en droit763, elle conjugua sa formation juridique avec ses passions humanistes (en suivant notamment les cours de littérature dispensés par Juliusz Kleiner, très en vogue parmi la jeunesse estudiantine)764 et ses pérégrinations spirituelles. Mais l’on remarque aussi, dans ces années-là, ses amitiés et ses affinités avec quelques camarades de promotion, les jeunes juristes Krzywoszewski, Baykowski et Braunstein. S’il est difficile, à défaut d’indices plus précis, d’affirmer que ces rencontres ont pu jouer un rôle dans le cheminement de conversion d’Irena Kaliska, cela est cependant très probable. D’ailleurs c’est alors qu’elle achevait ses études qu’elle décida de se faire baptiser à l’Église catholique. Son baptême fut célébré le 21 mai 1921 à l’Église Sainte- Croix de Varsovie765. Et l’on retrouve cette année même, cette jeune néophyte désireuse d’approfondir sa foi au sein du groupe des jeunes intellectuels, dont plusieurs étaient ses camarades d’études, qui se réunissait autour de l’abbé Kornilowicz.