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En 1916, Wladyslaw Kornilowicz retourna à Varsovie depuis Zakopane et c’est dans son diocèse qu’il exerça ses premières charges dans les années 1916–1922. Il fut d’abord nommé vicaire à Gora Kalwaria, en mars 1916416. Cette fonction n’était pourtant que de courte durée puisque, quelques mois après son arrivée, il fut nommé vicaire à Leszno417. Cette dernière nomination était tout à fait formelle, car, aussitôt, l’archevêque Kakowski offrit à Kornilowicz de nombreuses fonctions à la Curie Métropolitaine, allant d’archiviste du Consistoire Général à censeur de livres religieux418. Kornilowicz devint aussi l’aumônier de deux prisons à Varsovie, l’une civile, l’autre militaire419, en même temps qu’il était nommé

vicaire à Siennica420.

Les auteurs des divers travaux biographiques concernant Kornilowicz ont relevé l’importance de ses premières années de ministère à Varsovie pour l’éclosion de son sacerdoce, lui permettant d’acquérir ses premières expériences en paroisse, ainsi que de nouer de nombreux contacts au sein du clergé ainsi que de prendre conscience des besoins spirituels des prêtres vivant hors des paroisses. Ces contacts avec ses confrères prêtres s’avérèrent durables. L’apostolat parmi les prêtres devint d’ailleurs l’un des éléments importants du ministère pastoral de l’abbé Kornilowicz, et celui-ci se poursuivit tout au long de sa vie, avec le désir de voir naître des communautés sacerdotales, cherchant à organiser un groupe d’approfondissement de la vie intérieure destiné aux jeunes prêtres. En effet Kornilowicz fut

414 Julia Z

ALESKA, op. cit. ; Kazimiera PIASECKA, op. cit.

415

Allocution du prélat Kornilowicz à l’Assemblée des anciennes élèves de l’Institut de Kuznice à Poznan, le 14 juin 1931, Kuzniczanka, n° 7–8, juillet–août 1931, R. XI, pp. 132–137.

416 La Curie de l’Archidiocèse de Varsovie à Kornilowicz, 28 mars 1916 (vicariat à Gora Kalwaria), Documents

administratifs 1891–1946, AWK/02.

417

Le Consistoire Général à Kornilowicz, 11 aout 1916 (nomination : paroisse de Leszno et archiviste du Consistoire Général) AWK/02.

418 Aleksander Kakowski, archevêque de Varsovie, à Kornilowicz, 11 août 1916 (archiviste du Consistoire) ;

nomination du 15 septembre et du 14 oct. 1916 (censeur des livres) ; A. Kakowski à Kornilowicz, 1er mai 1918 (nomination : secrétaire de la Curie, archiviste du Consistoire) et du 7 nov. 1918 (Nomination : archiviste au Conseil des Archives), AWK/02.

419 Aleksander Kakowski, archevêque de Varsovie, à Kornilowicz, 21 septembre 1916 (aumônier de la prison de

Varsovie), AWK/02.

420

La Curie de l’Archidiocèse de Varsovie à Kornilowicz, 15 avril 1917 (nomination : vicaire de Siennica), AWK/02.

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particulièrement attentif aux jeunes prêtres, notamment pendant la période où il fut directeur du Séminaire (Convinct) des Prêtres étudiants à Lublin, dans les années 1922–1929.

Il n’en reste pas moins que le travail à la Curie imposa aussi à Kornilowicz des obligations protocolaires et l’amena à côtoyer les représentants de la hiérarchie ecclésiastique. C’est ainsi qu’il se retrouva proche de l’archevêque Aleksander Kakowski, dont il devint le secrétaire. Sa rencontre avec l’archevêque remontait à ses études au séminaire de Varsovie, en 1905, à l’époque du rectorat d’Aleksander Kakowski dans cet établissement. Le soutien du dignitaire à toutes les œuvres pastorales entreprises par Kornilowicz demeura aussi constant que discret au fil des années.

Parallèlement à ses fonctions officielles à la Curie, Kornilowicz déploya de multiples activités au sein des milieux laïcs au cours de ses premières années de ministère (1917–1922).

Toujours en mouvement, toujours en quête d’œuvres apostoliques quelconques, il bouge au sein de l’intelligentsia et de la jeunesse de Varsovie, dans sa soutane usée, dans ses chaussures pas toujours en bon état, toujours joyeux, plein d’enthousiasme, analysant tout avec ses yeux, des yeux que certaines gens abhorrant la conversion qualifient de magnétiques

se souvient Eugeniusz Kloczowski, étudiant à l’École Supérieure d’Agriculture dans ces années-là421.

En effet, par la diversité de ses engagements apostoliques, Kornilowicz fit résonner son nom dans des cercles fort différents au sein de la jeunesse et de l’intelligentsia varsoviennes. Catéchiste à l’école de Mécanique et Technique de Wawelberg/Rotwand et à l’école de sylviculture422

, il fut aussi le confesseur et le prédicateur des étudiantes de l’œuvre de Zamoyska à Varsovie et de l’école privée pour femmes de Plater-Zyberek423

. Jadwiga Reutt, alors responsable de l’école, se souvient que, lorsqu’il était aumônier de cette école, il se voyait surtout confier les « étudiantes en recherche » et les néophytes424. À Varsovie, nombreuses furent les personnes attirées par ses homélies et ses retraites. Ses prêches à l’église de la Visitation réunirent la jeunesse estudiantine, au sein de laquelle Kornilowicz ut vite connu comme confesseur et prédicateur.

Lors de ses premiers ministères, Kornilowicz commença par habiter un petit appartement dans les combles du Palais de l’Archevêque, rue Miodowa. Il emménagea ensuite « dans une jolie chambre à la cure de la paroisse Saint Alexandre, rue Ksiazeca425 », qu’il laissa au printemps 1918 au Nonce apostolique Mgr Achille Ratti, futur pape Pie XI, avec qui des liens se tissèrent au cours du séjour de ce dernier en Pologne. En tant que nouvel aumônier des étudiants de l’Institut Saint-Joseph, il s’installa alors dans le quartier de Sewerynow. Les différents domiciles de Kornilowicz furent le lieu de nombreuses rencontres où il reçut de jeunes amis étudiants, de jeunes intellectuels « en recherche », venus pour discuter, pour emprunter des livres religieux en polonais, en français, en allemand. Ces personnes en quête « de l’idéal », trouvèrent chez ce prêtre une écoute, un accueil, et devinrent peu à peu ses interlocuteurs privilégiés. Certaines se convertirent.

Plusieurs auteurs ont déjà souligné le fait, qui se confirme à la lumière des témoignages des contemporains, que c’est sous l’influence de Kornilowicz que se produisirent, pendant ces premières années de sacerdoce, les conversions de personnes célèbres qui laissèrent leur nom à la culture et à la science tels qu’Edward Abramowski,

421 EugeniuszK

LOCZOWSKI, Témoignage du 1er avril 1949, Poznan, AWK/42/3.

422 Nomination du 22 juin 1917 (Szkola Mechaniczno-Techniczna Wawelberga i Rotwanda à Varsovie) ;

Nomination du 3 mars 1917 (Prefekt Szkoly Lesnej w Warszawie), AWK/02.

423 Jadwiga R

EUTT, Témoignage du 28 novembre 1948, AWK/42/5.

424 Jadwiga R

EUTT, op. cit., AWK /42/5, voir aussi à ce sujet : Jadwiga ROPP, Témoignage du 3 avril 1949, AXWK/42/5.

425 Eugeniusz K

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psychologue et militant socialiste426, Bronislaw Chlebowski427, historien de la littérature considéré comme le coryphée du positivisme, ou Ignacy Baranowski, médecin, professeur universitaire et mécène des sciences naturelles428. Mais son action ne se réduisit pas à ces quelques noms illustres. Dès ses premières années se constitue autour de Kornilowicz, un premier noyau de disciples composé de convertis, parmi lesquels beaucoup sont d’origine catholique ou issus de l’intelligentsia polono-juive souvent agnostique. Ce jeune prêtre issu du milieu agnostique, serait-il devenu un convertisseur ?

Arrivés à ce point de la trajectoire de Wladyslaw Kornilowicz, il nous reste à savoir s’il est représentatif d’un milieu, d’un certain état d’esprit, d’une génération. Né à Varsovie en tant que sujet russe, il appartenait, sur le plan sociologique, à une génération marquée par l’échec des insurrections nationales et élevée sous l’influence du culte religieux de la patrie, devenu une norme, « une mission à accomplir ». Issu de l’intelligentsia radicale, forgé par l’esprit positiviste, Kornilowicz était assurément héritier des comportements et des idéaux de son milieu familial, dont le crédo fut l’engagement social et l’esprit de tolérance face aux opinions idéologiques différentes. Ses années d’études, à Zurich, puis Fribourg, où il fut confronté aux personnes issues de courants et de convictions très diverses, renforça d’avantage encore cette attitude d’ouverture, décrite souvent par ses contemporains comme « dépourvue de préjugés et de crainte »429.

La singularité du parcours de Wladyslaw Kornilowicz réside certainement dans le fait qu’il transgressa, comme le note Cywinski, « les vieux schémas de son milieu, schémas qui éloignaient de l’Église les cercles de grande qualité sociale et intellectuelle de l’intelligentsia radicale »430.De fait,Kornilowicz, à l’encontre de son cercle familial, libre-penseur et marqué par l’indifférentisme religieux, fit preuve d’indépendance dans le domaine religieux et philosophique, en choisissant la vocation sacerdotale. De par sa trajectoire, Kornilowicz est alors un témoin représentatif et symbolique d’un changement qui s’opéra dans l’abolition de la frontière bâtie entre l’Église et le milieu de l’intelligentsia radicale. On observe, du reste, que ses années d’études, à Fribourg en particulier, qui lui procurèrent une solide formation intellectuelle et lui permirent de s’imprégner du climat du renouveau que vivait alors l’Église universelle, allaient contribuer à forger son profil intellectuel et spirituel et cristalliser son futur engagement auprès des intellectuels.

De par son héritage familial et sa trajectoire de vie, Kornilowicz était-il prédisposé à comprendre la nouvelle génération intellectuelle, encore élevée dans les idéaux positivistes, mais cherchant à se définir par rapport à ses aînés, qui émergea à l’aube de l’indépendance polonaise ?

Cette interrogation s’impose à la lumière des nombreux témoignages et souvenirs contemporains qui soulignent le rôle joué par l’abbé Kornilowicz dans la quête religieuse de

426 Ambrozyna W

IECZORKOWSKA, Wspomnienie, 31 août 1949, AWK/42/7.

427

Père Jacek WORONIECKI, Wspomnienie du 24 septembre 1946, AWK/42/7 ; Eugeniusz KLOCZOWSKI, Wspomnienie du 1er avril 1949, AWK/42/3.

428 Souvenirs de Kazimiera P

IASECKA, op. cit. ; Aniela TRYNISZEWSKA, Dolna MASZANA, Wspomnienie, 7 novembre 1948, AWK/ 42/ 7.

429 Teresa L

ANDY, « Ks. Kornilowicz i Laski » (titre sur la page de couverture). « Odpowiedz na Ankiete : Formacja katolicka w dwudziestoleciu », Znak, 11/1959, n° 57, pp. 364–383, ici p. 368.

430 Bohdan Cywinski, s’interrogeant sur le phénomène de renouveau du catholicisme polonais qu’il observe dans

les premières décennies du XXe siècle, voit ces prémices dans les trajectoires des intellectuels, à l’exemple de celle de Kornilowicz, « étudiant qui a décidé de briser les vieux schémas de son milieu ». B. CYWINSKI,

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cette génération qui arrive à maturité à la veille de l’indépendance polonaise431

. Jadwiga Dabrowska le résumait ainsi :

Si je dois à Mickiewicz, Grottger et Chopin la formation de ma conscience nationale, c’est l’abbé Kornilowicz qui a joué un rôle fondamental dans mon catholicisme, dans ma vie religieuse. Les premiers ont formé ma polonité qui m’a été donnée avec ma vie biologique ˗ Kornilowicz m’a révélé Dieu432

.

Tout comme Dabrowska, beaucoup d’autres personnes attribuent à Wladyslaw Kornilowicz cette place singulière dans la « vie spirituelle » de cette génération433. Un bon observateur de l’époque, Stefan Krzywoszewski, dramaturge et publiciste, l’une des figures importantes de la vie culturelle polonaise des premières décennies du XXe siècle, notait dans ses mémoires :

L’abbé Kornilowicz était une personnalité de notre clergé appartenant à une espèce extraordinaire. Il se distinguait par ses vastes connaissances religieuses et philosophiques et sa foi passionnée, mais aussi par son train de vie à la fois austère et très actif. Sa vocation apostolique se manifestait dans la propagation et l’approfondissement des sentiments religieux parmi la jeunesse universitaire et dans la conversion de l’intelligentsia juive434

.

Ce crédit accordé à Kornilowicz quant à son influence sur la religiosité de l’intelligentsia et son rôle joué dans le processus de conversion interroge forcément. Il reste le fait que l’apostolat de Kornilowicz s’avéra particulièrement probant dans les milieux intellectuels. Il influença bien des personnes dans leur quête spirituelle et joua, pour de nombreux jeunes convertis de la génération de 1890–1900, un rôle de père spirituel. Autour de Kornilowicz émergea très rapidement un milieu favorable à l’accueil des personnes de convictions fort diverses, certaines en quête spirituelle et futures convertis. C’est ce que nous tâcherons de voir au chapitre suivant.

431 Antoni M

ARYLSKI, « Ks. Wladyslaw Kornilowicz 1884–1946 », Znak, 18/1966, n° 144, p. 663 ; voir aussi : Stefan FRANKIEWICZ, « Ojciec Wladyslaw Kornilowicz », Wiez, n° 9, 1971, pp. 75–87 ; reproduit dans Tworcy

Lasek, pp. 322–335 ; Teresa LANDY, Ks. Kornilowicz i Laski, op.cit., pp. 364–383 ; Krystyna ROTTENBERG, Les

Traces des relations franco-polonaises dans les archives de l’Œuvre de Laski 1918–1939, pp. 53–87 ; A.

HERTZ, Wyznania, p. 352.

432 Jadwiga D

ABROWSKA, Wspomnienie, AWK 42/1.

433

Aleksander HERTZ, Wyznania starego czlowieka, p. 352.

434 Stefan K

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C

HAPITRE

II :