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Section 2 La satire du droit

Dans le document Le droit selon la musique (Page 137-144)

Partie 1 Le droit à l’usage de la musique

5.2. Chapitre 2 Le droit selon son traitement

5.2.2. Section 2 La satire du droit

La musique prend parfois le droit à contre-pied et le tourne en raillerie, construisant ainsi une sorte de droit bouffe au sein du répertoire musical. Ce divertissement constitue sans doute un exutoire légitime, tant le droit paraît pour certains rigide et rigoureux quand il n’est pas craint.

Parodies et pastiches ne peuvent faire l’économie du folklore juridique au sein d’un grand festival de droit bouffe. Il est amusant de relever que le droit français ne prohibe pas « la parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre ».

427 « Pauvre humanité, sort cruel ! Qui sera ton mandataire au Jugement dernier ? Le Génie ! ».

428 Le chœur : « Nous jurons tous par le saint crucifix de sceller entre vous une chaîne éternelle de tendre

charité, d’amitié fraternelle. Et Dieu qui tient d’une main le futur jugement, au livre du pardon inscrira ce serment ».

429 La reine Elisabeth I : « J’ai toujours eu l’habitude de me représenter le jour du Jugement dernier et, lorsque

je dois répondre au Juge suprême, je déclare que jamais mon cœur n’abrita de pensée qui en soit tournée vers l’intérêt de mon peuple ».

430 « Pour rendre le juge propice, lorsque de la stricte justice paraîtra le terrible jour, il faudra lui montrer des

granges pleines de moissons et de fleurs, dont les formes et les couleurs gagnent le suffrage des Anges ».

431 Le commandant Vere : « J’ai requis la mort. Mais j’ai vu le divin jugement céleste, j’ai vu l’iniquité vaincue.

Enfermé dans les limités de cette étroite chambre, j’ai été le témoin du mystère de la bonté et j’ai peur. Devant quel tribunal vais-je comparaître si je détruis la bonté ? ».

432 Le Hollandais : « D’une éternelle fidélité, sur terre, c’en est fait ! Un seul espoir doit me rester, un seul, que

rien n’ébranlera : aussi longtemps que croisse le germe de la terre, il faudra bien que celle-ci s’engloutisse et se perde. Jour de justice ultime ! Ô, Jugement dernier ! ».

- la parodie

Certaines œuvres musicales mettent en scène les professionnels du droit à des fins ironiques ou burlesques.

Le magistrat est tympanisé quand ses aventures galantes conduisent à son humiliation

(les raclées du Corregidor dans les opéras de Wolf, acte III et IV, et de Falla) ou à sa totale reddition

(La Finta Giardinera de Mozart, acte III)433, son embonpoint à une certaine balourdise (Le

Magistrat suisse de Françaix)434. Il en est de même lorsqu’il est dans l’incapacité absolue

d’argumenter sa décision (cantate Der Streit zwischen Phoebus und Pan de J.-S. Bach, 11. aria du ténor II)435.

L’avocat a tous les atours d’un beau parleur, comme le suggère son patronyme (Frazier

dans Porgy and Bess de Gershwin, acte II, scène 1) ou se trouve totalement dépourvu de clientèle

(Le Baiser à la Porte de Lecocq)436.

L’huissier, chargé de transcrire les minutes d’un procès, inverse tous les termes (Pierre

le Grand, tsar de Russie de Donizetti, acte I, troisième tableau)437 ; le greffier est contraint de se

cacher dans le coffre de son amante à l’arrivée d’un rival (De la Maison des morts de Janacek, acte II).

433 Le podestat, qui soupire en vain pour sa jardinière, est le seul personnage à ne pas trouver de compagne à la

fin de l’opéra.

434 Cette œuvre est une adaptation musicale d’une anecdote de Chamfort : « On condamna en même temps le

livre de L’Esprit des Lois et le poème de La Pucelle. Ils furent tous deux défendus en Suisse. Un magistrat de Berne, après une grande recherche de ces deux ouvrages, écrivit au Sénat : Nous n’avons trouvé dans tout le canton, ni Esprit ni Pucelle ».

435 L’aria de Midas, passablement brutal, atteint le ridicule lorsqu’il se borne, pour seul discours et seule

argumentation à proclamer non moins de vingt fois : « Pan et le maître, laissez-le passer ! ». Lorsque Midas évoque ses oreilles auxquelles s’est fié son jugement, les violons à l’unisson ne manquent pas de pousser aussitôt de stridents hi-han !

436 Fanny, sa femme : « Ce cher ami, cela fait de la peine, n’a pas eu le plaisir, je crois, depuis l’hymen qui nous

enchaîne, de plaider une seule fois. On le voit à la moindre chose de son étude s’échapper, pour courir après une cause sans jamais pouvoir l’attraper ».

437 Le greffier transcrit mal et écrit : « Un jeune homme très honnête a fait emprisonner le juge perfide », ce qui

Le notaire, dans la grande tradition de la commedia dell’arte, est représenté dans les opéras sous un visage suffisamment pompeux et désuet pour provoquer l’hilarité (La

Femme Silencieuse de R. Strauss, acte II), fait des courbettes (Gianni Schicchi de Puccini) quand il ne

se montre pas en état d’ébriété (La Périchole d’Offenbach, acte I, scène 14 ou Le Corregidor de Wolf, acte II, second tableau).

Celui-ci est souvent affublé d’un patronyme qui souligne l’avidité (Maître Beccavivi – le charognard – dans Cosi Fan Tutte de Mozart, acte II, ou Maître Corbeau de Ratiboise dans Le Testament de

Tante Caroline de Roussel) et la prospérité notable de sa profession (Maître Fortuné dans les Deux

vieilles Gardes de Delibes).

Un compositeur est allé à l’encontre des idées reçues en représentant un procureur emplumé et un notaire à la robe blanche immaculée répondant au doux nom de Prud’homme, l’homme preux ! (L’Ile de Merlin ou le Monde renversé de Gluck).

Le geôlier affirme tout de go qu’il est petit et joli (La Périchole d’Offenbach, acte III, scène 6)438.

Le commissaire-priseur porte un nom prédestiné et adéquat, Selman, « l’homme qui vend » (The Rake’s Progress de Stravinsky, acte II).

Les frasques amoureuses d’un maire sont la risée des enfants du village (La Nuit de Mai

de Rimski-Korsakov, acte II), un conseiller d’Etat est l’objet de quolibets (La Bohème de Puccini,

acte II, scène 3)439, un podestat ne peut lire un avis d’arrestation faute de retrouver ses

lunettes (La Pie Voleuse de Rossini, acte I, scène 9)440, un banquier ridicule se réfugie dans une horloge (L’Heure espagnole de Ravel), le président du Comité de Salut Public est ivre et se

fait ainsi bâillonner (Le petit Marat de Mascagni, acte III).

438 Don Andrès : « Je suis le joli p’tit geôlier à la barbe en broussaille : on me dit quelqu’fois d’la tailler (En

faisant sonner ses clés) Et tin, tin, tin, et tin, tin, tin, sonnez mes clefs, soir et matin ! Aux prisonniers, d’un pas hâtif, je vais porter la nourriture ; malgré mon air rébarbatif, je suis une bonne nature (Agissant son gros trousseau de clés) Et tin, tin, tin, etc.

439 Etudiants et grisettes : « Vois, vois donc cette lorette ! Mais oui, c’est Musette ! Musette avec un vieux

céladon en retraite ! ».

440 Le Podestat (à Ninetta) : « Mais le reste, sans lunettes, est impossible à lire. Ma chère, s’il vous plaît, lisez

Au-delà du cercle des professionnels du droit, le comique peut dériver de situations juridiques, comme la conclusion d‘un mariage (Bei einer Trauung de Wolf441 et Le Lieutenant

Kijé de Prokofiev442) ou une scène de procès, îlot de comédie bouffe au milieu d’un océan

dramatique (Les Noces de Figaro de Mozart, acte III, scène 5).

Enfin un compositeur a représenté, avec un humour vengeur, des éditeurs de musique rapaces au milieu d’une ménagerie de boucs, lièvres, renards et punaises (Krämerspiegel de R. Strauss)443.

- le pastiche

Plagier les procédés du droit est aisé tant ceux-ci présentent une grande singularité. Un tribunal constitué d’animaux chargé de juger des humains (Jeanne au Bûcher

d’Honegger, scène 4. Jeanne livrée aux bêtes)444ou des congénères (Peines de cœur d’une chatte anglaise

de Henze, acte II, deuxième tableau)445est exemplaire de ce travestissement. Dans le même

esprit, l’audience tenue par des particuliers, s’attribuant les fonctions d’avocat, de juge ou de procureur (Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny de Weill dont l’issue est ici la

condamnation à mort pour non-paiement de bouteilles de whisky, acte III)446 comme un tribunal

hétéroclite jugeant de la postérité d’un héros antique (La Condamnation de Lukulus de Dessau,

scènes 6 à 12)447 est un pâle décalque de l’ordonnance d’une audience judiciaire. Un

gardien de phare s’improvise procureur (Les Naufrageurs de Smith, acte III).

441 Le comique est entièrement musical : marche funèbre en fa mineur, aux courbes dépressives, suggérant tout à

la fois le pas traînant des futurs et la mine compassée de la « noble assemblée », ligne vocale ingrate ou chaque vers s’achève sur un intervalle contre nature.

442 Le lieutenant Kijé, personnage fantôme né d’une erreur de transcription sur les registres de l’état civil que

personne n’a voulu avouer, se marie au rythme d’une musique solennelle, dans le style des musiques de cour du XVIII° siècle.

443 Des compositeurs berlinois ayant tenté de baisser ses droits d’auteurs sur un cycle de douze lieder à venir,

Richard Strauss rompit le contrat, mais trainé en justice par ses éditeurs, il s’exécuta et écrivit douze « anti- lieder » avec une musique railleuse et insolente, d’un humour vengeur.

444 Le tigre, le renard et le serpent s’étant récusés, le cochon est désigné président. Les moutons sont assesseurs,

l’âne le greffier.

445 Œuvre tirée du petit roman homonyme de Balzac, écrit pour accompagner les Scènes de la vie privée et

publique des animaux dessinées par Grandville.

446 Le juge, le procureur et l’avocat sont les trois personnages recherchés au début pour proxénétisme et

banqueroute frauduleuse.

447 Lukullus affronte un jury composé d’un juge, d’un paysan, d’un instituteur, d’un boulanger, d’une

De concert, les faux notaires fourmillent dans les opéras classiques (Lo speziale de Haydn,

acte II) à l’occasion d’un contrat de mariage. Le travestissement est à son comble

quand le faux notaire est une femme (L’Infedelta delusa de Haydn, acte II) et mieux encore

une soubrette (Cosi Fan tutte de Mozart, acte II, quatrième tableau).

Un faux avocat procède à un interrogatoire pour mieux assurer la défense (La Chauve- Souris de J. Strauss, acte III, scène 11).

La mystification est complète quand la procédure se déroule devant un faux juge, avec de faux avocats et de faux témoins à propos d’un faux mariage (La Femme Silencieuse de R. Strauss, acte III).

- le ridicule

Certains compositeurs ont forcé le trait de certaines traditions du droit jusqu’à la caricature.

Le discours d’un professionnel du droit est parfois amphigourique et boursouflé (La

Finta Giardiniera de Mozart). Il traduit les volontés du testateur en latin (Gianni Schicchi de

Puccini)448, emprunte des locutions latines à tout instant (La Femme silencieuse de R. Strauss)449

en vue de cacher son ignorance (Les guerres du Romarin et de la Marjolaine de Teixeira), ou se

déclame en alexandrins (La Dame Blanche de Boieldieu450, Le Château à Toto d’Offenbach) ou en vers libres (Le Testament de Tante Caroline de Roussel). Un juriste pontifie lorsqu’il expose des

règles de droit (Doktor Faust de Busoni, deuxième tableau)451.

448 Gianni : « Je lègue ma mule, celle qui coûte 300 florins, et qui est la meilleure de Toscane…à mon dévoué

ami…Gianni Schicchi » / Le Notaire : « Mulam relinquit eius amico devoto Joanni Schichhi ».

449 Par exemple, Vanuzzi : « attendu que le demandeur a rapporté la preuve que son épouse n’a pas contracté les

liens de l’hyménée virgo desponsa, mais corrupta, l’impedimentum erroris qualitatis est établi et je requiers la nullité du mariage » (acte III, scène 9).

450 Le juge Mac-Irton : « le jour même, à midi, le prix de cette vente/sera payé comptant en nos mains, ou

sinon/et faute de fournir caution suffisante/le susdit acquéreur sera mis en prison ».

451 Un juriste (selon la didascalie : pontifiant) : « La loi défend la propriété contre le vol et la destruction. En

Leurs noms sont à contre-emploi et doucereux (Maître Subtil, notaire, dans Fortunio de Messager, le procureur Popelinet dans le Fifre enchanté de Lecocq, Maître Massepin, notaire dans Le Château

à Toto d’Offenbach, Jean Styx, geôlier des Enfers dans Orphée aux Enfers d’Offenbach), font douter de

leurs capacités (le bourgmestre Wambett dans le Bourgmestre de Saardam de Donizetti), frisent

l’indécence (le bourgmestre Van der Prout dans Geneviève de Brabant d’Offenbach ou le juge Cuccupis

dans Pierre le Grand, tsar de Russie de Donizetti). Certains, à l’allitération percussive, sonnent

comme une onomatopée (les ministres Ping, Pong, Pang dans Turandot de Puccini). D’autres enfin

témoignent à l’excès de leur méchanceté (L’Orco, « l’Ogre », président du Comité de Salut Public dans le Petit Marat de Mascagni).

Au gré des didascalies, certains adoptent un ton nasillard (Cosi Fan Tutte de Mozart, acte II,

quatrième tableau), haut perché (La Périchole d’Offenbach, acte I, scène 14) ou suraigu (Le Nez de

Chostakovitch, acte III). D’autres sont réduits à bégayer (Don Curzio dans Les Noces de Figaro de

Mozart, acte III, ou Tartaglia dans Turandot de Busoni, acte I, second tableau), à balbutier (Le docteur

Blind dans la Chauve-souris de J. Strauss, acte I) ou à s’exprimer par onomatopées (le commissaire-

priseur dans The Rake’s Progress de Stravinski, acte III).

Leur affabilité prête à rire : l’un commence par un compliment et s’embrouille dans ses métaphores (Pierre Le Grand, tsar de Russie de Donizetti, acte II, second tableau), l’autre enfin,

trop âgé, manque de tomber en se courbant devant sa souveraine (Gloriana de Britten, acte II)452.

L’accoutrement est archaïque à outrance, comme le port de la robe (Pierre Le Grand, tsar

de Russie de Donizetti, acte I, premier tableau)453 ou de la perruque (Peines de chœur d’une chatte

anglaise de Henze, acte II, deuxième tableau), le fait de l’arracher étant puni d’une peine de

prison (Les Cloches de Corneville de Planquette, acte I)454.

452 Cf. la didascalie : Le Recorder s’approche de la Reine qui lui tend sa main à baiser. En essayant de

s’agenouiller devant elle, il vacille. Elle l’aide de se relever.

453 Mme Fritz au juge Cuccupis : « Gentillissimo togato » (« Très aimable togé »).

454 Les juristes ne partagent pas le regard ironique des musiciens sur ces vieilleries “puisque si aisément nous

envions l’Angleterre d’avoir réussi à assurer les progrès de son droit avec des concepts médiévaux et des juges à perruques” (J. Carbonnier, op. cit. note 6, p. 18).

Enfin, ils adoptent des attitudes altières (Un Bal masqué de Verdi, acte I, scène 4), suffisantes

(Le podestat dans la Finta Giardinera de Mozart), vaniteuses et hautaines (Dalibor de Smetana, acte I),

qui participent à leur ridicule. Une fanfare d’un puissant élan accompagne de façon ironique le juge d’une bourgade andalouse (Le Corregidor de Wolf, acte I)455. L’admonestation d’un tribunalà l’attention de quelques habitants d’un village italien est démesurée (La Pie Voleuse de Rossini, acte II, scène 9)456. La procession des sachants se déroule, d’après les indications même du compositeur « gravi, enormi et impotenti »

(Turandot de Puccini, acte II).

Le matériau musical vient parfois à l’appui de cette satire lorsqu’il fait entendre dans une même scène de procès un cantus firmus grégorien à la manière de J.-S. BACH, une ritournelle pseudo-baroque et un air de jazz (Jeanne d’Arc au Bûcher d’Honegger, scène 4.

Jeanne livrée aux bêtes) ou lorsqu’il imite l’eau suintant du costume du magistrat ayant chu

dans un ruisseau à cause de ses frasques (Le Corregidor de Wolf, acte I)457.

Cette description satirique offre la latitude à quiconque répond à cette caricature de passer pour un acteur du droit (L’Infedelta delusa de Haydn, acte II)458, quitte à se cantonner dans un rôle strictement passif (Don Pasquale de Donizetti, acte II)459: à ce point, l’apparence prévaut sur l’essence.

Contrairement au bon sens proverbial dont un compositeur s’est d’ailleurs inspiré

(L’Habit ne fait pas le moine de Zemlinsky), en musique, l’habit ne fait donc pas le clerc…

455 Qui, malgré sa superbe, parvient à sa faire malmener par la police pour tapage nocturne. 456 Le Président et les juges : « Tremblez, ô peuples, à cet exemple ! ».

457 Des cris appelant au secours : en se rendant à son rendez-vous nocturne, le Corregidor est tombé dans le

ruisseau qui alimente le moulin en raison de l’obscurité ambiante. Les bois se moquent de lui, lorsqu’il rampe, complètement trompé, vers le lit des meuniers, après que la musique ait même illustré l’eau qui dégouline de ses habits ; Tout cela illustre bien l’art raffiné et bien connu de Wolf de caractériser avec humour les moindres détails.

458 Vespina apparaît sous les robes d’un notaire et se déclare prête à signer le contrat de mariage au nom d’un

grand seigneur temporairement occupé à organiser un somptueux voyage de noces.

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