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Section 1 Le droit mortifère

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Partie 1 Le droit à l’usage de la musique

5.1. Chapitre 1 Le droit selon ses effets

5.1.1. Section 1 Le droit mortifère

Le droit est parfois germe de mort. Cette dimension funeste du droit est commune à tous les phénomènes juridiques.

Le pacte avec les forces maléfiques est le prototype du contrat mortifère. Conclu avec le diable lui-même (Faust de Gounod, acte I, scène 2) ou l’un de ses suppôts (Samiel 322dans le

Freischütz de Weber, acte II, scène 5), il expire avec celui qui l’a conclu. De manière maligne,

un contrat passé avec le diable a pour effet d’extraire l’esprit de la musique du corps du cocontractant, en ne laissant subsister que son squelette (L’Histoire du Soldat de Stravinsky, partie II, n°11).

À un degré moindre, les contrats passés avec des êtres malfaisants (Bertram dans Robert le

Diable de Meyerbeer, acte V)323 ressortissent à ce mythe du pacte diabolique conduisant

inéluctablement le contractant à sa perte (Nick Shadow dans The Rake’s Progress de Stravinsky, acte III)324.

L’engagement de Dieu ou des dieux à conserver la vie (Idoménée de Mozart, acte I, scène 8)325, empêcher la mort (Alceste de Gluck, acte I, scène 4)326 ou assurer la victoire (Jephté de Carissimi,

partie I0327 ou Jephté de Montéclair, acte III) de pâles humains a une rançon : la mort d’un

innocent. Dans ce cas, l’injustice s’ajoute à l’inhumanité de la promesse divine. Comme un juste retour des choses, il advient que les pactes conclus entre les mortels et les dieux se retournent contre ces derniers et contribuent à leur crépuscule (L’Anneau du Nibelung de Wagner).

Dans l’ordre profane, le recrutement d’un tueur à gages (Rigoletto de Verdi, acte I, second

tableau) se déroule dans une atmosphère d’outre-tombe, l’incitation à l’assassinat dans

un contexte de lucre doublé d’antisémitisme (Le Chevalier avare de Rachmaninov, premier tableau)328.

322 Samiel, dont le repaire est la Vallée du Loup, est un chasseur fantôme, autrement dit le diable.

323 Robert est le fils d’une mortelle et de Satan, connu sous le nom de Bertram, qui le suit partout où il se trouve

pour le tenter et obtenir sa perte.

324 Nick Shadow, qui a annoncé à Tom l’héritage dont il était bénéficiaire, se révèle sous son vrai jour dans un

cimetière (à Tom) : « Un an et un jour ont passé depuis le jour où je vous abordai…Ce n’est pas votre argent mais votre âme que je vous demande ce soir ». Ils jouent aux cartes, Tom est le plus fort et Nick Shadow - qui disparait dans une tombe proche - condamne Tom à la folie.

325 Idoménée : « Dans ma terreur, j’ai promis d’offrir en holocauste le premier des mortels qui, pour son

malheur, paraîtrait dans ces lieux ».

326 L’oracle (de la bouche du Dieu) : « Le roi mourra si quelqu’un ne meurt pas à sa place ». 327 Jephté : « Aux yeux d’un Dieu terrible, je me suis imposé d’indispensables lois ».

328 Un usurier juif suggère à son emprunteur d’assassiner son père, entreprise dont un certain apothicaire

La conclusion d’un pacte maudit conduit au trépas des deux contractants (Siegfried et Gunther dans Le Crépuscule des Dieux de Wagner, acte I, scène 2).

- la loi scélérate

Le législateur a parfois des aspirations mortifères qui sont à distinguer des dispositions pénales punissant de mort les crimes les plus graves.

Tel est le cas par exemple des lois civiles (La Défense d’aimer ou le Novice de Palerme de Wagner, acte I329et Esther de Haendel scène 4330 ) ou décrets (Théodora d’Haendel, acte III331 et Mikado, ou la Ville

de Titipu de Sullivan, acte I332) applicables sous peine de mortou des lois pénales prévoyant

une sanction disproportionnée par rapport à l’infraction, telle la peine de mort pour les voleurs domestiques (La Pie voleuse de Rossini, acte I, scène 13)333.

Plus rares sont les références à la loi révolue de Dieu dont l’observance (chœur « Es ist

der alte Bund » dans la cantate Actus tragicus de J.-S. Bach)334constitue un fardeau (cantate Freue dich,

erlöste Schar ! 2. récitatif de la basse de J.-S. Bach)335 voire un aiguillon de la mort (Le Messie de

Haendel, troisième partie, duo contralto et ténor)336.

- la justice inhumaine

329 Le régent de Sicile, qui entreprend de moraliser la vie des citoyens, édicte de très sévères décrets. Dans son

récit initial, ce régent, aveuglément convaincu, énonce son projet : « Je veux glacer l’ardeur qui vous consume comme le souffle aride du désert : purs, je vous veux purs ! ».

330 La loi perse punissait de la peine capitale quiconque pénètre à la cour sans être convoqué auprès du roi. Le

roi Assuerus : « Qui ose se présenter sans être convoqué ? Son sort est réglé, à mort pour lèse-majesté ».

331 Le gouverneur d’Antioche décrète des festivités en l’honneur du jour anniversaire de l’Empereur, menaçant

de mort quiconque refusera d’offrir un sacrifice à Jupiter.

332 En vertu d’un décret impérial visant à moraliser la vie des Japonais, un homme est condamné à avoir la tête

tranchée pour regards lascifs en dehors de tout lien conjugal.

333 Le Podestat : « La loi, pourtant, est là-dessus très sévère : elle condamne à la mort les voleurs domestiques”. 334 « Telle est l’antique Alliance : homme, tu dois mourir ! ».

335 Basse : « Nous avons une trêve et le fardeau de la loi nous est ôté ».

336 « Ô mort, où est ton aiguillon ? Ô sépulcre, où est ta victoire ? Or, l’aiguillon de la mort, c’est le péché ; et la

Dans certaines œuvres musicales, la seule issue possible d’une procédure judiciaire est la mort, que la culpabilité de l’accusé soit établie ou non.

Cette fin annoncée imprègne le procès du Christ condamné sans preuve (choral n°21

Christus der uns selig macht dans la Passion selon Saint Jean de J.-S. Bach) et certaines pièces

pénitentielles aux accents implacables (l’Amen du jugement de Messiaen).

Elle s’exprime dans les épreuves judiciaires en cours au Moyen-âge (Lohengrin de Wagner,

acte I) ou dans des sociétés orientales (La Femme sans ombre de R. Strauss, acte III) sous le nom

d’ordalie ou jugement de Dieu, au cours desquels les phénomènes naturels sont rapportés à l’action d’un juge surnaturel ; mais aussi dans les procès de l’Inquisition infaillible (Don Sébastien, roi de Portugal de Donizetti, acte IV et surtout Don Carlos de Verdi, acte III,

quatrième tableau) qui prêchait la rédemption par la mort.

La justice révolutionnaire revêt elle aussi le spectre d’une justice punitive, fondée sur l’intolérance politique (André Chénier de Giordano, acte III) ou religieuse (Dialogue des Carmélites

de Poulenc, acte III, Interlude 2) et dont les victimes, présumées coupables selon la loi des

suspects, trépassent in fine.

Plus généralement, elle prend le tour d’une justice mécanique, implacable et expéditive (Les Francs-Juges de Berlioz)337 conduisant à une marche au supplice (la Symphonie

fantastique de Berlioz), ou plus simplement d’un jugement rendu sans l’ombre d’un procès

(Salomé de R. Strauss)338.

Enfin, le pouvoir maléfique de certains professionnels du droit, tel un chef de la police, se perpétue après leur mort (Tosca de Puccini).

337 Les francs-juges appartenaient à une société secrète d’inspiration chrétienne dont le but était de rendre une

justice expéditive, en période de vacances du pouvoir au sein du Saint Empire romain germanique.

Le droit est susceptible d’abus. Il rompt alors avec l’un de ses principes fondamentaux, l’égalité, dont la violation se décline dans toutes ses composantes.

- la loi pervertie

La nature de la loi est susceptible d’être altérée par ceux-là même qui en sont l’auteur.

La loi est de circonstance lorsque son objet ne correspond pas à l’intérêt général mais satisfait à des intérêts particuliers (la loi sur le mariage dans le Couronnement de Poppée de

Monteverdi, acte I, scène 9). Elle peut être violée par son auteur et gardien, emporté par le

déclin du vieux monde contractuel au profit d’un monde libre et nouveau (L’Anneau du Nibelung de Wagner)339.

Viciée plus encore, la loi liberticide atteint délibérément aux libertés publiques. Elle est imposée sans considération de ceux à qui elle s’applique et ne souffre aucune violation (Guillaume Tell de Rossini, acte I)340. L’intolérance de la loi est traduite dans la musique de manière dramatique : entorse à la liberté religieuse (La Juive d’Halèvy, acte I)341, politique (Têtes de chien de Kovarovic, acte I)342, atteinte à la vie privée (Bianca et Faliero de

Rossini)343quand il ne s’agit pas de discrimination sociale (Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg

de Wagner, acte I, scène 3)344, raciale (Show Boat de Kern)345 ou sexiste (Libuse de Smetana, acte I

Jugement de Libuse)346.

- le jugement inique

339 Le dieu Wotan, gardien des lois, refuse de livrer en paiement Freia, déesse de la jeunesse et de la beauté,

aux géants bâtisseurs de la Walhalla.

340 Le gouverneur Gessler : « Vainement dans son insolence, le peuple brave ma vengeance, il doit se soumettre

à ma loi. Devant ce signe de puissance, que chacun se courbe en silence, comme il s’incline devant moi ».

341 Le Maire de Constance : « Quelle main sacrilège, en ce jour de repos, ose ainsi s’occuper de profanes travaux

» / Chœur de gens du peuple : « C’est chez cet hérétique, c’est là, dans la boutique du juif Eléazar, ce riche joailler ! ».

342 L’abrogation de lois écrites dans une région jouissant d’une autonomie à l’égard d’obligations féodales. 343 Le doge proclame la peine de mort pour tout vénitien coupable de frayer avec l’étranger.

344 Beckmesser : « Cette maudite engeance des nouveaux noblaillons !

345 Cette œuvre lyrique est située à Natchez, à la fin des années 1880, où le mariage interracial est interdit. 346 Chrudos, le frère débouté : « Malheur à ceux sur lesquels la femme, si inconstante, règne. L’homme doit

Le jugement inique est rendu dans l’intérêt bien compris du juge ou de l’une des parties à la procédure. Le juge s’abstient alors d’appliquer en tout ou partie les règles juridiques en vigueur.

Le juge se détermine en vertu de considérations purement personnelles, comme le désir amoureux (Alzira de Verdi, acte II, Dans les fortifications de Lima), la jalousie (Beckmesser dans

les Maîtres Chanteurs de Nuremberg de Wagner, acte II, scène 6) ou les avantages financiers qu’il

peut en tirer (le commissaire-priseur dans la Dame Blanche de Boieldieu, acte I), la colère (L’Etoile du

nord de Meyerbeer, acte II)347 quand ses propos ne sont pas simplement xénophobes (Un Bal

masqué de Verdi, acte I, scène 4)348.

Le jugement peut simplement receler une injustice qu’un comportement exemplaire est apte à réparer (La Famille indigente de Gaveaux)349.

- le contrat léonin

Le contrat léonin avantage abusivement l’une des parties au détriment de l’autre. Souvent imposé par la partie la plus favorisée, il prévoit des prestations sans contrepartie (Sœur Angélique de Puccini)350 et en poussant vers le Levant, des obligations déséquilibrées (l’usurier dans Abu Hassan de Weber) ou des modalités de rupture dissuasives (pour le contrat de mariage, le Cadi dupé de Gluck)351.

Un compositeur a même consacré un recueil entier d’« anti lieder » à railler des éditeurs tentés de baisser abusivement ses droits d’auteur (Krämerspiegel de R. Strauss).

347 L’héroïne est condamnée à mort pour avoir giflé le chef des cosaques. 348 Le Juge : « Elle s’appelle Ulrica – de la race immonde des nègres ».

349 Après avoir relu les minutes du procès gagné par ses parents, un riche agriculteur relève une injustice et

s’engage à rendre l’argent dont la perte avait ruiné le père d’une famille devenue indigente.

350 Une tante vient faire signer une renonciation à héritage à sa nièce dont la sœur se marie, laquelle a pris le

voile pour expier la faute d’avoir donné naissance à un enfant illégitime.

351 Un cadi signe un contrat de mariage prévoyant d’énormes dédommagements en cas de rupture de sa part. Il

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