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Section 3 Le droit juste

Dans le document Le droit selon la musique (Page 119-123)

Partie 1 Le droit à l’usage de la musique

5.1. Chapitre 1 Le droit selon ses effets

5.1.3. Section 3 Le droit juste

Le concept du juste est un paradigme commun au droit et à la musique. Cette polysémie ne laisse pas de masquer quelques différences. En musique, jouer ou chanter « juste » consiste à reproduire exactement la note donnée. De son côté, le droit est juste352 lorsqu’il régule harmonieusement les relations sociales. Ces deux

termes épousent néanmoins le même dessein : tendre vers une perfection possible. Ce droit bien tempéré se conjugue alors, selon les actes juridiques, au plus-que- parfait.

- la loi régulatrice

La vocation intrinsèque de la loi est d’établir des règles conformes à l’intérêt général. A cette conception quelque peu idéaliste de la loi est associée la figure du « bon législateur » dont le souci est d’assurer la paix sociale.

La loi divine tire sa perfection de son essence supérieure. Elle a été maintes fois honorées, autant dans la musique instrumentale (Das Gesetz des alten Bunden353 de Neukomm), vocale sacrée (Athalie de Moreau)354 ou profane (Le Triomphe de la Loi de Gossec)355 que dans la musique lyrique (Moïse en Egypte de Rossini, acte I)356.

Dans l’ordre profane, la musique s’attache peu à la dimension régulatrice de la loi. Selon les œuvres, elle est présumée acquise dans celles qui ne s’y référent pas ou dénaturée dans celles dénonçant son arbitraire.

352 Dans le Digeste, le droit est défini comme l’art du bien et du juste. 353 Littéralement : « La loi de l’ancienne Alliance ».

354 Chœur : « Oh divine, ô charmante loi ! ».

355 « Salut et respect à la loi ! Honneur au citoyen qui lui reste fidèle ! Triomphe au magistrat qui sut mourir

pour elle ! Salut et respect à la loi ! Qu’on la chérisse, qu’on la craigne. Elle règne par l’amour et par l’effroi. Nouveau peuple français, marche sous son enseigne. La sainte liberté va marcher avec toi ».

356 Une voix mystérieuse s’élève, rappelant à Moïse et aux israélites que Dieu a tenu ses promesses, et lui

Une œuvre (Die Bürgschaft de Weill) cependant contredit le mythe du bon législateur

étranger – insusceptible de voter et d’appliquer la loi qu’il rédige - 357 puisque, dans cet opéra, un législateur étranger impose la loi capitaliste la plus dure à un pays paisible.358

- le jugement équitable

Le bon magistrat applique avec humanité des règles de droit au litige qui lui est soumis et statut bono et ex aequo (selon le bien et l’équité). En contrepartie, les parties s’en remettent à sa sagesse.

C’est de toute éternité que la sagesse et la justice font bon ménage. Au sommet de l’Olympe, Métis, déesse de la sagesse, et Thémis, déesse de la justice, ont été toutes deux l’épouse de Zeus, le roi des dieux, gardien du bon ordre de l’Univers. D’un palais l’autre, un psaume de David atteste que la bouche du juste annonce la sagesse et sa langue proclame la justice (Psaume 37, v. 30).

Cette sagesse sereine dans l’exercice de la justice est le propre de Dieu lui-même

(Cantate Herr, gehe nicht ins Gericht de J.-S. Bach, 2. récitatif d’alto)359 et de certains rois bibliques

(Salomon de Haendel), imaginaires (Die Kluge de Orff) ou d’inspiration maçonnique (La Flûte

enchantée de Mozart, acte I, scène 18)360. En bas de la hiérarchie judiciaire, elle renvoie à

l’image paisible du juge de paix civil (Die Bürgschaft de Weill) ou pénal (Peter Grimes de Britten, prologue).

357 J. Carbonnier, op. cit. note 6, p. 191 et suivantes.

358 Le crieur public : « A la population de la ville ! Les Grandes Puissances s’étant emparé de ce pays envoient

leur Commissaire. Il dispose des pleins pouvoirs pour contrôler le pays et en augmenter les capacités de production. L’économie de notre pays et la vie de la population seront désormais modifiées et suivront la loi de son pays ».

359 Alto : « Mon Dieu (…), je sais combien sont grands ton courroux et ma faute, que tu es à la fois un témoin

attentif et un juge équitable ».

360 Le chœur (après la punition infligée à Monostatos) : « Vive Sarastro, le divin sage ! Avec équité, il

Le Jugement de Salomon de M.-A. Charpentier, chœur des élus362) est adressée un exorde à Dieu afin qu’ils rendent la Justice en discernant le bien du mal, prenant modèle sur Dieu lui- même (cantate Der Herr wird mit Gerechtigkeit richten de W.-F. Bach)363.

Certains vont jusqu’à offrir la liberté au condamné s’il reconnaît que la sentence prononcée à son encontre est juste (Le Prince de Hombourg de Henze, acte II, scène 8).

Dans une sorte d’apothéose psychanalytique, il est même affirmé que le jugement impartial et la loi sont, comme le questionnement de notre propre conscience, révélateurs de ce que nous sommes (cantate Bereitet die Wege, bereitet die Bahn de J.-S. Bach, 3. aria de basse)364.

De manière plus générale, la figure du magistrat en musique est plus flatteuse que celle du législateur, dans la mesure où les principes directeurs du procès y sont peu ou prou respectés.

Par contagion apparaît également le personnage du bon geôlier qui souhaite soulager les malheurs de l’accusée (La Pie voleuse de Rossini, acte II, scène 1)365.

- le contrat équilibré

Il s’agit, en musique comme dans la réalité, du lot commun des contrats.

361 Chœur : « Ô Dieu, donnez au Roi votre jugement et votre justice aux fils du Roi ».

362 Le peuple : « Mais vous, nobles vêtus de pourpre auxquels a été donnée d’en haut, à jamais et pour toujours

égale à elle-même, la volonté de rendre à chacun justice, réjouissez-vous, défenseurs des veuves et protecteurs des orphelins, réjouissez-vous et exultez dans le Seigneur, car Dieu élèvera comme un flambeau votre justice et fera resplendir votre jugement comme la lumière du droit ».

363 Littéralement : « Le Seigneur jugera avec équité ».

364 Basse : « Qui es-tu ? Interroge ta conscience. Alors, dans hypocrisie, que tu sois, ô homme, faux ou fidèle, tu

dois entendre ton juste jugement. Qui es-tu ? Interroge la loi. Elle te dira qui tu es ».

365 Le geôlier Antonio à Ninetta : « Enfermée dans cet horrible cachot gémit la pauvrette ! Ah, qui n’éprouverait

en effet l’équilibre des prestations contractuelles.

Les contrats usuels balancent entre la vente (Cardillac d’Hindemith, acte II), le bail (La Rondine

de Puccini), le contrat de travail (Le Directeur de Théâtre de Mozart), le prêt sur gage (La Bohême

de Puccini, acte I), le jeu (Manon de Massenet, acte IV), le cautionnement (Die Bürgschaft de Weill,

prologue), le contrat d’entreprise (les Géants dans l’Or du Rhin de Wagner, scène 2), la rente

viagère (Un Jour de Règne de Verdi, acte II, scène 1).

Pour descontrats moins ordinaires, comme le mariage, l’équilibre des prestations est à soupeser par un juge ou un officier ministériel, y compris au moment de leur résiliation (les prêtres dans Medea de Pacini, acte II)366.

- le bon dirigeant

Le bon dirigeant fait régner la loi, l’ordre et la justice (Le Voïévode de Tchaïkovski, acte III)367, renonce à des privilèges d’un autre âge, tel le droit de cuissage (Les Noces de Figaro de

Mozart, acte I, scène 8), promeut des réformes démocratiques (La Gondoliers, ou la roi de Barataria

de Sullivan, acte I) ou obtient la grâce de celui contre qui il ne peut se résoudre d’avoir

conspiré (L’Exilé de Rome de Donizetti, acte II).

Il ne laisse d’ailleurs pas de faire transparaître une certaine utopie éclairée, le « bon gouvernement » (le gouverneur dans Fidelio de Beethoven)368, le « bon monarque » (La Pie voleuse

de Rossini, acte II, scène 17)369en vogue à la fin du 18ème et au début du 19ème siècle.

- le juriste de bon conseil

366 Dans le temple où l’on procède à l’annulation du mariage de Jason et de Médée, arrive cette dernière qui,

sans se dévoiler, réclame ses droits. Nullement impressionnés, les prêtres prononcent le divorce, s’attirant les foudres de la sorcière.

367 Un méchant voïévode est remplacé in extremis par un nouveau voïvode fraîchement envoyé de Moscou qui

sera bon et fera régner la loi et l’ordre.

368 « Le bon plaisir du meilleur des rois m’amène jusqu’à vous qu’a frappé le malheur». 369 Le peuple : « Vive le Prince adoré qui ne règne que par l’amour ! ».

convoquées des sommités – dont le légiste Brid’oye370 – pour disserter sur cette matière (Panurge de Massenet, acte II).

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