Partie 1 Le droit à l’usage de la musique
4.1. Chapitre 1 La place du droit dans l’œuvre
4.1.1. Section 1 Les repères du droit dans l’œuvre
L’exercice consiste ici à rechercher les éléments constitutifs d’une œuvre musicale formellement dédiés au droit.
Le recensement de ces éléments amène à dresser un glossaire des titres, motifs et rôles consacrés au droit dans le répertoire musical.
- les titres faisant référence au droit
Un professeur de littérature, Jacques BODY271, a écrit que « Le titre donne à la façon de la clé et des altérations qu’on inscrit au début d’une partition de musique la tonalité de la pièce ».
Certaines œuvres consacrent intégralement leur titre au droit, et ce pareillement dans la musique instrumentale (Das Gesetz des alten Bundes 272 de Neukomm), la musique vocale (Let
Justice and Judgment de Haendel, Die Advokaten de Schubert), la musique lyrique (Le Contrat de
mariage de Rossini) et l’opérette (Le Testament de Tante Caroline de Roussel).
Parmi les compositeurs de musique sacrée, J.-S BACH, comme ses confrères allemands, a pris les incipits du chœur initial de ses cantates pour les qualifier, et notamment ceux liés au Jugement et à l’Alliance : Sie werden euch in den Bann tun (I)273 ; Erfreute Zeit in neune Bunde274; Herr, gehe nicht ins Gericht275.
Parmi les compositeurs lyriques de second rang se dégage un parfum de concurrence dans le choix de titres de droit fleuris (Le Proscrit ou le tribunal invisible d’Adam, Le Testament et les billets doux d’Auber, Le Contrat signé d’avance ou laquelle est ma femme ? de Bianchi, L’avocat patelin de Chartrain, Point de bruit ou le contrat simulé de Doche, Les Créanciers ou le remède à la goutte d’Isouard, Le Petit Matelot ou le Mariage impromptu de Gaveaux, Le Maître en droit de Lemonnier, Le Baiser et la quittance de Méhul, Le Maître de droit de Monsigny, etc…).
Ce florilège s’est perpétué au temps des opérettes, en la personne du notaire (Deux parfaits notaires de Barbier, Par devant notaires de Goublier, Le Souper du notaire de Severin, etc,).
Simple incipit ou énoncé de l’action à venir, le titre marque le fronton de l’œuvre de son estampille juridique. Il en fixe l’esprit et l’horizon.
271 J. Body, un thème, trois œuvres, L’Histoire (Sur la Guerre de Troie n’aura pas lieu), collection D.I.A., Belin
1989, p. 141
272 « La Loi de l’ancienne Alliance ». 273 « Ils lanceront sur vous l’anathème ». 274 « Temps heureux de la nouvelle alliance ». 275 « Seigneur, n’entre pas en jugement ! ».
En demi-teinte, certaines pièces d’un recueil possèdent un titre à résonnance juridique. Elles se singularisent alors du recueil et de ses autres pièces, dont les titres relèvent du non-droit. Tel est le cas pour Le Magistrat Suisse (tiré des Huit Anecdotes de
Chamfort de Françaix) ou l’Amen du Jugement (tiré de la Vision de l’Amen de Messiaen).
Leur place dans un recueil obéit parfois même à la symbolique des nombres : par exemple, le choral pour orgue « Voici les dix saints commandements » BWV 678, est le dixième choral du recueil du Dogme en Musique, de J.-S. BACH276. De même, les
juifs en appellent à la Loi dans les dix doubles chœurs277 de la deuxième partie de la
Passion selon Saint Matthieu du même cantor278.
D’autres séquences musicales, partie intégrante d’une œuvre dont ils sont indissociables, se distinguent cependant pour être nommément affectés au droit.
Leur individualité dans le corpus de l’œuvre, suffisante pour leur conférer un titre, trouve son origine dans la subdivision de l’œuvre en verset (le Judex crederis des Te
Deum)279, parties (Le Jugement dans Mors et Vita de Gounod), actes (Le Jugement de Libuse dans Libuse
de Smetana)280, scènes (scène du jugement dans la Pie Voleuse de Rossini), numéros (I go before my Judge
dans le Songe de Gerontius d’Elgar, le Pacte infernal du Docteur Faustus dans Historia von D. Johann Fausten
de Schnittke), tableaux (la Salle du Conseil dans Simon Boccanegra de Verdi, le Pacte dans Faust de
Fénelon), couplets (le couplet des notaires dans La Créole d’Offenbach), ensembles vocaux (le duo des
Notaires dans la Périchole ou le duetto du notaire dans les Brigands d’Offenbach) et solos (récitatifs
d’oratorios par exemple).
Très exceptionnellement, un titre est de nature à tromper sur la qualité et la quantité des choses juridiques dans l’œuvre (La Basoche de Messager).
276 Première strophe du choral : « Voici les dix, les saints commandements que nous donna notre Seigneur Dieu
par Moïse, son serviteur fidèle, haut sur le mont Sinaï. Kyrieleis ».
277 Exclusion faite des doubles chœurs de ssoldats romains.
278 N. Harnoncourt, le Dialogue musical Monteverdi, Bach et Mozart, collection Arcades, éditons Gallimard, p.
283
279 « Judex crederis esse venturus » : « nous croyons que vous reviendrez pour nous juger ». 280 Le premier acte de l’opéra s’intitule : Le Jugement de Libuse.
Force est cependant de relever que la quasi-totalité des phénomènes juridiques ne passe pas sous les fourches caudines d’un titre éponyme. Ceux-ci sont alors ravalés au sort d’épiphénomènes de l’œuvre, sans distinction ni désignation particulière.
- les leitmotivs du droit
Les leitmotivs musicaux281 sont à la partition ce que sont les titres dans l’agencement
de l’œuvre : un révélateur de la présence du droit.
Ces motifs, avec ou sans valeur juridique, ont vu le jour dans le répertoire lyrique des 19ème et 20ème siècles, nonobstant la nationalité du compositeur (Britten, G. Charpentier,
Janacek, Moussorgski, Puccini, Wagner, …).
Ils se différencient des œuvres ou extraits d’œuvres dont la musique seule évoque le droit, tel le suivi de bout en bout d’une procédure judiciaire (Lulu de Berg, acte II, film, et Till l’Espiègle de R. Strauss).
Ici en effet, à chaque phénomène juridique est affectée une phrase musicale propre : la loi (l’assemblée des boyards dans Boris Godounov de Moussorgski, acte IV, premier tableau), le contrat
(le pacte dans Ernani de Verdi), l’acte juridique unilatéral (le testament dans Gianni Schicchi de
Puccini), la procédure judiciaire (le litige dans L’Affaire Makropoulos de Janacek) le jugement
(l’accusation dans Lohengrin de Wagner, acte I) et le pouvoir (les tâches du Gouvernement dans Gloriana
de Britten).
Ces antiennes juridiques donnent à la musique le pouvoir extraordinaire de dire le droit par des moyens qui lui sont ordinaires, au point que plusieurs interprétations sont possibles sur le sens d’un motif donné.
Par exemple, la ligne descendante du leitmotiv des Traités (dans L’Anneau du Nibelung de
Wagner) :
Elle peut possiblement représenter la baguette du créancier s’inclinant sur l’épaule du débiteur agenouillé devant lui, un héros portant son épée sur le sol, une phrase prophétique annonçant le déclin des Dieux, l’autorité transcendante de Wotan, etc… De même, l’énoncé du choral (Voici les dix saints commandements de Dieu, véritable leitmotiv de la
loi dans l’œuvre de J.-S. Bach) en canon à l’octave dans le choral pour orgue BWV 678 a-t-il
été interprété comme signifiant la rigueur absolue de la loi, la stricte observance de cette loi par le chrétien ou distinctement les deux Tables sur lesquelles elle est inscrite.
Tous ces motifs pourraient être mis bout à bout dans un mélanges en hommage à la grande comme à la petite musique du droit.
- le rôle des professionnels du droit
La liste des protagonistes au seuil de l’œuvre enseigne sur la présence et le nombre de professionnels du droit.
Outre les pièces relevant de la musique pure, les professionnels du droit font défaut dans beaucoup d’œuvres chorales ou lyriques (Judas Maccabée d’Haendel ou Capriccio de R. Strauss par exemple).
l’occurrence d’un phénomène juridique dans une œuvre musicale : ainsi, la conclusion et l’exécution d’un contrat, comme le paiement du prix convenu se déroulent en l’absence de tout juriste (le contrat passé entre Wotan et les Géants dans l’Or du Rhin de Wagner).
Mais elle suffit pour créer une présomption quasi irréfragable de présence du droit dans tout ou partie de l’argument.
Pour prendre la mesure des professionnels du droit, il convient de faire soit l’addition des membres d’une même profession, soit la compilation des différentes professions au sein d’une même œuvre.
Parmi ceux-ci, les juges officient soit seul (Un Bal masqué de Verdi, acte I, scène 4), soit à
trois (la formation de droit commun en France dans Can-can de Porter, acte II), soit à quatre (la
composition de la cour martiale dans Billy Budd de Britten, acte II, deuxième tableau), soit en nombre
plus élevé (La Pie voleuse de Rossini, acte II, scène 9).
Quant aux avocats, ils apparaissent seul (Christophe Colomb de Milhaud, acte I, n°6) ou à deux
(Die Advokaten de Schubert, Porgy and Bess de Gershwin, acte II, premier tableau) et jamais plus à notre
connaissance.
Le greffier exerce une profession solitaire (Pierre le grand, tsar de Russie de Donizetti, acte I,
troisième tableau) à l’instar du commissaire-priseur (The Rake’s Progress de Stravinsky, acte III,
premier tableau) ou du commissaire de police, seul à diriger ses exempts (Lady Macbeth de
Mtensk de Chostakovitch, acte III, septième et huitième tableaux).
Un seul notaire reçoit en son étude (Intermezzo de R. Strauss, acte II), négocie (Le Chevalier à la
Rose de R. Strauss, acte II) ou dresse un acte (Don Pasquale de Donizetti, acte II) chez un
particulier. Lorsque deux d’entre eux se transportent hors les murs, ce sont de faux notaires (Lo Speziale d’Haydn, acte II) ou de vrais notaires éméchés (La Périchole d’Offenbach, acte I, scène 14).
du droit (un tabellion dans Béatrice et Benedict de Berlioz, acte II, scène 5). D’autres associent deux
professions judiciaires (un juge et un greffier dans Tosca de Puccini, acte II) et, mieux encore, des
représentants du pouvoir exécutif, législatif et judicaire dans un contexte dramatique
(un roi, des députés et un Grand Inquisiteur dans Don Carlos de Verdi, acte III, quatrième tableau). La
palme revient paradoxalement à une opérette qui fait chantonner quatre juristes aux métiers différents : un magistrat de l’ordre judiciaire, un conseiller d’Etat, un clerc de notaire et un huissier (La Dame en décolleté d’Yvain).