• Aucun résultat trouvé

Section 1 L’apologie du droit

Dans le document Le droit selon la musique (Page 133-137)

Partie 1 Le droit à l’usage de la musique

5.2. Chapitre 2 Le droit selon son traitement

5.2.1. Section 1 L’apologie du droit

La musique est en mesure de magnifier le droit, un droit sain appelant en abyme une musique saine.

Cet honneur qu’elle lui rend se manifeste selon des procédés différents.

- la sacralisation

La musique sacrée est la terre d’élection du droit divin.

Cette transcendance de la règle de Dieu remonte à des origines archaïques, toute transgression du droit équipollant à un sacrilège (La Vestale de Spontini)418.

418 Le Pontifex Maximus accuse la vestale Giulia d’avoir négligé ses devoirs sacrés, la flamme sacrée du temple

Les musiques catholique (psaume XVIII Coeli enarrant de Saint-Saëns), luthérienne (chorals pour

orgue Voici les dix saints commandements) et réformée (Psaume 1419 et 119420 de Marot et Goudimel)

confondues loue la loi de Dieu, accomplie dans le premier commandement mosaïque par la venue du Messie (cantate Du sollst, Gott, deinen Herren lieben de J.-S. Bach, choral initial).

Les qualités en sont exaltées : sa pureté (Psaume XVIII Coeli enarrant de Saint-Saëns, duo Lex

Domini immaculata)421, sa perfection (Service sacré de Bloch, quatrième partie)422, son charme423et sa

sainteté (Athalie de Moreau)424. Certaines œuvres, reprenant les premiers versets du Psaume 1, demande même à ce qu’elle soit méditée nuit et jour (Petit concert spirituel Wohl dem, der nicht Wendel Im Rat der Gottlosen de Schütz).

De son côté, la musique hébraïque de facture occidentale accompagne la procession les Tables de la Loi (Service sacré de Bloch, troisième partie, et de Milhaud, X et XI), dans la grande

tradition des récits bibliques (Le Roi David d’Honegger, 16. La Danse devant l’Arche). En deux

mesures d’orchestre scintillant d’un éclat surnaturel, Moïse présente à son frère les Tables de la Loi (Moïse et Aaron de Schoenberg, acte II).

Néanmoins, l’emprunt au répertoire sacré est une constante du répertoire profane. Celui-ci procède soit par imitation (Canon Les Dix Commandements de Haydn), soit par

appropriation (l’Humanité instaurant son propre Jugement devant Dieu dans le War Requiem de Britten).

419 « Heureux celui dont la plus grande joie / Est nuit et jour de méditer ta loi ».

420 « Heureux celui qui dans son alliance / Prend son plaisir à méditer ses lois / Dont il a fait son unique

science ».

421 Dans le duo Lex Domini immaculata, la pureté de la loi divine est traduite par une écriture diaphane.

422 L’officiant, alternant avec le chœur, proclame la sagesse et la perfection de la Loi (Torah Adonaï temima), et

recommande au peuple de ne pas l’abandonner.

423 Le chœur : « O divine, ô charmante loi, ô justice, ô bonté suprême, que de raisons, quelle douceur extrême

d’engager à ce Dieu son amour et sa foi ».

424 Le chœur : « Mais ta loi sainte, ta loi pure est le plus riche don qu’il est fait aux humains. O Mont Sinaï,

conserve la mémoire de ce jour à jamais auguste et renommé, quand fut ton sommet enflammé, dans un nuage épais le Seigneur enfermé fit luire aux yeux mortels une raison de sa gloire. Dis-nous pourquoi ces feux et ces éclairs, ces torrents de fumée et ce bruit dans les airs, ces trompettes et ce tonnerre venait-il ébranler la terre sur ses antiques fondements ? ».

Le jugement s’assimilerait presque à un procès en béatification quand le peuple russe chante « O divine justice » dans une cour du Kremlin (Ivan IV de Bizet, acte III, n°10 Marche, scène et chœur).

- le prestige

Le droit tire de ses manifestations extérieures un certain prestige, qui se répand sur ses principaux acteurs.

La solennité entourant certains actes juridiques contribue à sa magnificence. Ainsi, le ritualisme cérémoniel d’une audience judiciaire (La Pie Voleuse de Rossini, acte II, scène 9) ou

le formalisme dans la conclusion de certains contrats (la cérémonie de mariage dans Les Noces

de Figaro de Mozart, acte III, scène 14) associent autorité et grandeur.

En retour, les acteurs du droit se comportent avec une certaine suffisance qu’ils expriment soit individuellement (Le podestat dans la Pie Voleuse de Rossini), soit de manière

corporatiste (Les Fastes de la Grande et Ancienne Ménestrandise, deuxième livre, onzième ordre, de F.

Couperin)425, au soutien de moyens musicaux hyperboliques.

Sans atours, un juge impressionne même les justiciables par son seul comportement

(le coroner dans Peter Grimes de Britten, Prologue).

- la glorification

Le droit idéal prend le pas sur le droit circonstanciel.

Dans l’ordre profane, une vision apologétique du droit domine dans des périodes de confusion entre le sacré et le profane, de crise politique ou sociale ou lorsqu’il s’agit de célébrer un haut fait.

Sans être d’origine strictement divine, le droit revêt un caractère quasi sacré quand la distinction cardinale entre le religieux et le profane n’est pas encore opérée (Les Pêcheurs de perles de Bizet).

Pour sa part, la révolution française a d’une certaine manière idéalisé le droit, et en particulier la loi (Le Triomphe de la loi de Gossec et surtout Tarare de Salieri dans sa reprise de 1790) ;

d’autres œuvres plus contemporaines font mémoire de cette glorification de la norme

(Des Droits de l’Homme de Constant).

La justice n’est pas en reste d’œuvres en forme de panégyrique (l’Hymne à la Justice de

Magnard, à l’occasion de l’affaire Dreyfus). Dans une œuvre à vocation patriotique, la juge

siège sur un trône entouré du glaive, des tables de la loi, du feu annonçant la vérité et de l’eau purifiante (Libuse de Smetana, acte I, Jugement de Libuse). Moins prestigieux, deux

avocats et leur client grugé chantent andante une sorte d’hymne à la Justice « O Justitia praestantissima »426 dans un trio comique (Die Advokaten de Schubert).

Sur le plan formel, le cérémonial de certaines manifestations juridiques (La procession

des Maîtres Chanteurs de Nuremberg de Wagner) relève d’un ritualisme quasi sacerdotal.

426 Les deux avocats : « O Justitia praestantissima, elle est souvent amère pour plus d’un, mais elle n’oublie

jamais les Docteurs », puis : « Que le ciel veuille nous préserver de laisser échapper un sou, car notre tâche n’est pas légère. Fiat Justitia ».

À une moindre échelle, certains compositeurs ont fait une référence heureuse au Jugement dernier pour immortaliser le génie (cantate pour l’inauguration du monument de

Beethoven de Liszt)427, sceller une réconciliation (Roméo et Juliette de Berlioz, partie IV, Le serment)428,

justifier une manière de régner (Gloriana de Britten, acte III)429, magnifier le travail des hommes (La Rançon de Fauré)430, faire une projection emblématique du Bien, du Mal et de la Justice (Billy Budd de Britten, acte II, scène 4)431ou mettre un point final à une vie d’errance

(Le Vaisseau Fantôme de Wagner, acte I, scène 2)432.

Dans le document Le droit selon la musique (Page 133-137)