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Section 4 Le droit libérateur

Dans le document Le droit selon la musique (Page 123-127)

Partie 1 Le droit à l’usage de la musique

5.1. Chapitre 1 Le droit selon ses effets

5.1.4. Section 4 Le droit libérateur

Le droit porte en lui une valeur salvatrice lorsqu’il défait des règles contraignantes qu’il a lui-même instaurées ou remet des faits qu’il a lui-même condamnés.

- l’amnistie

L’amnistie (Les Puritains de Bellini, acte III) - appelée grâce (Le Jacobin de Dvorak, acte III) selon

les œuvres musicales sans respecter leur nature juridique précise - a pour objet d’effacer les faits incriminés.

Emanant indifféremment du pouvoir législatif (le « Sénat » de Venise dans Bianca et Faliero de

Rossini, acte II) ou exécutif (un ministre dans Fidelio de Beethoven, acte II, scène 8, n°16 Final ; le roi

dans Les Deux Journées ou le Porteur d’eau de Cherubini, acte III), elle intervient in extremis afin

de ménager une fin heureuse à un acte (Les Vêpres siciliennes de Verdi, acte IV), et le plus

souvent à l’œuvre toute entière (L’Exilé de Rome de Donizetti, acte II).

Le chant, par les mêmes chœurs, de chorals défendant la personne du Christ et d’interventions populaires réclamant sa mort est une ambiguïté voulue qui rend compte de « l’amnistie céleste », la rémission des péchés par le Créateur (La Passion

selon Saint Mathieu de J.-S. Bach). Un empereur perse, après avoir décidé d’exterminer le

peuple juif, le gracie et lui fait recouvrir la liberté (L’Histoire d’Esther de M.-A. Charpentier).

370 Ce légiste serait-il le lointain aïeul du juge Brid’oison dans le Mariage de Figaro de Beaumarchais, et donc

Mais la grâce butte sur la cruauté d’un tsar qui ne fait aucun cas des implorations des condamnés à mort tcherkesses entendues au loin (Ivan IV de Bizet, acte II, n°5 : scène, chœur et récit).

- la clémence

La clémence est à ce point prisée en musique qu’un titre (La Clémence de Titus de Mozart) et

un acte (acte III La Clémence dans Ernani de Verdi) d’opéra lui sont dévolus.

À la différence de l’amnistie qui annule, la clémence tempère. Infailliblement liée à la notion de jugement, elle répond à une supplique, comme dans certaines œuvres sacrées où le croyant implore à l’avance le pardon de Dieu (Te Deum pour la victoire de

Dettingen de Haendel, la cantate Mache dich, mein Geist bereit de J.-S. Bach, 5. aria de la soprano371 ou la

cantate Bisher habt ihr nichts Gebeten in meinem Namen de J.-S. Bach, 4. récitatif de ténor372).

À l’inverse, elle peut être gracieusement accordée à celui qui l’attend (cantate Jesu, der du

meine Seele de J.-S. Bach, 5. Récitatif de la basse)373 ou qui y répugne (La Juive d’Halèvy, acte I, scène

4)374.

Dans d’autres œuvres, elle est l’aboutissement heureux (La Canterina de Haydn, acte II, scène 4375, La Clémence de Titus de Mozart, acte II, scènes 11 et 12, Elisabeth, reine d’Angleterre de Rossini, acte II,

troisième tableau376, le Freischütz de Weber, acte III, scène 6377) ou malheureux (Gloriana de Britten, acte

III, scène 3) d’une introspection intérieure portant sur la difficulté d’avoir à juger378.

Dans le premier cas, Titus préfère être accusé de pitié plutôt que de rigueur379.

371 Soprano : « Dans ta grande faute, implore l’indulgence de ton juge, qu’il te libère et te purifie de tes

péchés ».

372 Ténor : « Quand notre faute s’élève jusqu’au ciel, tu vois et tu connais mon cœur, qui ne te cache rien.

Cherche donc à me consoler ! »

373 Basse : « Quand un tribunal effrayant prononcera la malédiction des damnés, tu la transformeras en

bénédiction ».

374 Un cardinal gracie un orfèvre juif contre son gré au nom de leurs relations anciennes.

375 Don Pelagio : « Vois-tu comme je suis bon, j’oublie toutes tes fautes car la pitié est le propre du héros ». 376 La reine Elisabeth à Leicester : « La Reine a approuvé le verdict mais Elisabeth ne le peut ».

377 Le roi Ottokar : « Celui qui trône au-dessus des cieux est miséricordieux, c’est pourquoi le pardon honore les

Princes ».

378 Sur la relativité de la justice : « Le jugement est un doute qui décide ; le procès, l’institution d’une mise en

doute avec une décision au bout » (J. Carbonnier, op. cit. note 1, p. 194).

379 Titus : « Que vive l’ami bien qu’infidèle ! Et que, si le monde me veut accuser d’une erreur, il m’accuse

Elle intervient aussi au terme d’un renoncement progressif à exercer un pouvoir autocratique (Lucio Silla de Mozart, acte III)380ou lors de l’intervention du paraclet bénissant les victimes d’un jugement terrible à venir (Cantate Jesu, der du meine Seele de J.-S Bach, 5.

Récitatif de basse)381.Elle peut être assortie d’un message à valeur d’exemple (L’Enlèvement

au Sérail de Mozart, acte III, scène finale)382. Dans une œuvre (Rienzi de Wagner), elle peut aussi

être reprochée à un tribun plébéien (acte III)383 qui en a fait bénéficier auparavant de nobles patriciens (acte II)384. Elle peut être enfin sollicitée dans une ballade (« La

clémence d’Auguste ») destinée à attendrir le vice-roi du Pérou (La Périchole d’Offenbach, acte III, scène 2).

A contre-courant, le désenchantement est perceptible lorsqu’un juge jadis clément convoque désormais le croyant devant son tribunal (Cantate Herr, deine Augen sehen nach dem

Glauben BWV 102 de J.- S Bach, 6. Récitatif d’alto)385. Pire encore, un corps de garde chante à

une barrière de Paris : « Point de pitié ! Point de clémence ! » (Les Deux Journées ou le Porteur d’eau de Cherubini, acte II).

L’aménité se définit par opposition à l’inhumanité d’un jugement (la décision du pape dans

Tannhäuser de Wagner, acte III, scène 3)386. Ainsi, un empereur étend un regard plein de

mansuétude sur ses ennemis prisonniers (Fierabras de Schubert, acte III).

- l’abrogation d’une loi injuste

380 Silla : « Relève-toi, Aufidio. Je te pardonne et qu’ainsi cette œuvre louable soit couronnée ».

381 « Les plaies, le clou, la couronne et le tombeau, les coups qu’on a infligés au Sauveur sont à présent les

signes de sa victoire et peuvent me donner des forces nouvelles. Quand un tribunal effrayant prononcera la malédiction des damnés, tu la transformeras en bénédiction ».

382 Le pacha Selim : « Réparer une injustice subie par des bienfaits donne une satisfaction plus grande que de

venger l’infamie par l’infamie ».

383 Baroncelli, Cecco, chœur du peuple : « Tribun, tu as péché envers nous en faisant passer la grâce avant le

droit ! ».

384 Rienzi : « Dois-je vous implorer pour la grâce de mes assassins ? Soit ! Je vous implore donc : si vous

m’aimez, graciez-les » (…) « Romains ! Je vous ai rendus grands et libres ; la paix, oh conservez-là ! Evitez de verser le sang ! Soyez cléments, je vous implore, moi le tribun ! » ( …) « Graciez-les et faites-leur de nouveau prêter serment sur la loi ; ils ne pourront jamais la rompre ».

385 « Le Dieu autrefois clément peut très aisément te mener devant son tribunal ».

386 Le Pape : « Tel ce bâton, là, dans ma main, ne reverdira plus, n’aura plus de rameaux, ainsi sur les tisons qui

Le législateur tire de sa fonction le pouvoir de réformer ou d’abroger la loi en vigueur. L’invalidation de la loi antérieure permet de libérer le fardeau de ceux qui en souffrent (La Ballade de la Grande Charte de Weill).

Cette novation dans la loi peut intervenir au début d’une œuvre musicale, ouvrant alors de grandes espérances à ses assujettis : pour le droit du seigneur ou droit de cuissage (Les Noces de Figaro de Mozart, acte I, scène 8) que d’autres exercent sans scrupule (Le

Prophète de Meyerbeer, acte I, Le Voïvode de Tchaïkovski, acte III) ;pour la corvée et l’exercice des

libertés publiques en général (Le Diable et Catherine de Dvorak, acte III).

Mais comme l’amnistie, elle intervient usuellement en point d’orgue, mettant fin aux effets pervers d’une loi décriée (Le Novice de Palerme ou La Défense d’aimer de Wagner, acte II).

- la disparition d’un phénomène juridique bloquant

L’existence même d’un contrat peut interdire à une situation d’évoluer, tant ses effets sont intangibles (l’empêchement à mariage du fait d’un mariage précédent dans la Juive d’Halèvy, acte II, scène 7, n°12 Trio).

Réciproquement, la renonciation à la conclusion d’un contrat peut porter en soi une valeur libératrice. Tel est le cas de parents renonçant à marier de force leur enfant (Le

Mariage secret de Cimarosa, acte II). Aux mêmes causes les mêmes effets en cas d’annulation

par un tiers d’une interdiction parentale injustifiée à un mariage (Maiskaya Nod de Rimski- Korsakov, acte III).

La cessation de certains contrats permet à tout ou partie des contractants de s’émanciper des charges qui reposaient sur eux (Le Comte de Luxembourg de Lehar, acte I)387.

387 Un prince demande à un comte d’épouser une roturière, puis de divorcer moyennant de l’argent afin que ce

fois paroxysme de la libération et comble de l’aliénation (Mephisto de Boito).

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