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Section 2 Les cordes

Dans le document Le droit selon la musique (Page 162-173)

Partie 1 Le droit à l’usage de la musique

Partie 2 Le droit dans l’écriture musicale

1. S OUS PARTIE 1 I NSTRUMENTATION ET VO

1.1. Chapitre 1 L’orchestration

1.1.2. Section 2 Les cordes

Par leur constante intervention dans l’orchestre, leur nombre supérieur à toutes les autres familles d’instruments et leur homogénéité intrinsèque, les cordes soutiennent sans état d’âme le droit dans toutes ses représentations.

- la loi

La mélodie du choral « Voici les dix saints Commandements de Dieu » est confiée aux violons (cantate Wer da glaübet und getauft wird de J.-S. Bach) :

ou est enchâssé dans un tissu polyphonique revenant aux voix et aux instruments à cordes (cantate Du sollst Gott, deinen Herren lieben de J.-S. Bach) :

En deux mesures d’orchestre scintillant d’un éclat surnaturel, obtenu par une polyrythmie du piccolo, de la première flûte et des altos jouant sul ponticello, Moïse présente à son frère les Tables de la loi (Moïse et Aaron de Schoenberg, acte II).

Une lyre à dix cordes, représentation des dix commandements, accompagnait un psaume s’achevant sur le bonheur des justes et la justice équitable de Dieu (Psaume 92, chant pour le jour du Sabbat).

La pureté de la même loi est traduite par une musique diaphane au violon, à l’alto et à la harpe soutenant un duo vocal immatériel (Psaume XVIII de Saint-Saëns, 5. Duo Lex Domini immaculata) :

Dans un règne humain plus tendu, un arrêté royal est clamé avec enthousiasme par la foule sur un accompagnement de violoncelles et de contrebasses (Lohengrin de Wagner, acte II, scène 3)495 :

Mais plus vertement, l’opinion publique - incarnation moderne de la loi et en l’occurrence de l’ordre public – est soutenue par une mélopée confiée aux cordes

(Orphée aux Enfers d’Offenbach, acte I, n°1 Marche et mélopée).

- les droits subjectifs

Les cordes se manifestent dans un contexte contractuel allègre, angoissé ou équivoque.

Elles accompagnent la fiancée sollicitant la bénédiction paternelle sur son futur époux

(La Juive d’Halèvy, acte II) avant deprécéder un chœur en l’honneur des mariés (Lady Macbeth

de Mtensk de Chostakovitch, acte III, huitième tableau) :

495 Les Hommes : « Gloire à l’homme entendu ! Salut à toi, l’envoyé de Dieu ! Nous sommes fidèlement soumis

testateur (Gianni Schicchi de Puccini) :

L’emploi d’un quatuor à cordes accentue l’intimisme d’une demande en mariage

(Arabella de R. Strauss, acte III). De manière pluschevaleresque encore, les cordes grondent

quand les conjurés helvétiques prêtent serment de fidélité (Guillaume Tell de Rossini, acte II)496.

En outre, les cordes s’accordent à susciter à l’inverse un climat d’angoisse lorsqu’elles enchaînent un unisson livide à la conclusion d’un pacte satanique (Docteur

Faust de Busoni, prologue II), déploient des doubles croches dans l’attente inquiète des

créanciers (Arabella de R. Strauss, acte I)497ou solennisent par des accords tenus le récitatif d’un juge hébreux qui fait une promesse hasardeuse à Dieu (Jephté de Haendel, acte I, scène 4).

496 Tell : « Que de nos mains les loyales étreintes confirment ces promesses saintes. Jurons, jurons par nos

dangers ». / Tell puis tous : « Par nos malheurs, par nos ancêtres, au Dieu des rois et des bergers, de repousser d’injustes maîtres ».

Elles procèdent enfin du comportement équivoque d’un contractant : les cordes graves énoncent le motif des traités rappelant ses obligations contractuelles au dieu qui veut s’y soustraire (L’Or du Rhin de Wagner, scène 2)498.

De même, l’hommage des héritiers rendu au vrai testateur sonne faux aux accords dissonants des cordes avant que leur couleur terne et feutrée témoigne des manœuvres dolosives du testateur substitué (Gianni Schicchi de Puccini). Quelques siècles auparavant,

un roi distribue ses terres à ses enfants sur des accords syncopés des cordes (Der

Königsohn de Schumann, 1. Freierlich)499:

- le jugement

Les cordes épousent toute la carrière de l’accusé.

Et tout d’abord l’infraction. Les coups et blessures volontaires sont assénés par les violoncelles et les contrebasses (Chants symphoniques de Zemlinsky). La relation d’un crime

est introduite par des accords de harpes (Dalibor de Smetana, acte I) ou revêt un motif dur

et rigide joué d’abord aux cordes graves (Boris Godounov de Moussorgski, acte I, premier tableau).

498 Le motif figure au chapitre 2 de la sous-partie 3 de la présente partie.

499 Le roi : « À mes deux fils aînés, je distribue mes terres ; à mon très cher fils cadet, que puis-je te laisser en

cordes souligne le ton menaçant du chef de la police (Tosca de Puccini, acte II), des traits

de cordes figurent la course du prévenu et son état de détresse (Lady Macbeth de Mtensk de Chostakovitch, acte III, huitième tableau).

Les prémisses du jugement sont alors vécues toutes cordes frissonnantes : traits fusants aux violons dans deux cantates de J.-S. BACH : la cantate Es reisset euch ein

schrecklich Ende (1. aria du ténor)500 :

et la cantateWachet! Betet ! Wachet! Betet ! (9. récitatif de la basse)501 :

mais aussi chromatisme descendant des violons (Dies irae du Requiem de Saint-Saëns) :

et motifs agités puis tenus des cordes (Dixit Dominus RV 595 de Vivaldi).

500 Ténor : « Il vous arrivera une fin terrible, à vous, contempteurs pleins de péché. La mesure de vos péchés est

à son comble, et vos sens complètement obstinés ont complètement oublié votre juge ».

501 Basse : « Tremblez d’effroi, pécheurs invétérés ! Un jour arrive dont personne ne peut se mettre à l’abri : il te

l’intervention du juge (le Pape)502:

auquel revient une scansion rythmique implacable, la réponse chromatique à intervalle de triton étant confié à un quatuor à cordes, le tout formant comme une « orchestration vocale » du thème de la Damnation (Tannhäuser de Wagner, acte III, scène 3)503 :

Dans le procès le plus chanté de l’Univers, un accusé est secondé par un quatuor à cordes face à son juge (La Passion selon Saint Matthieu de J.-S. Bach, exemple de la seule intervention de Jésus devant Pilate) 504:

502 Tannhaüser : « À mon tour j’avançai et, le front jusqu’à terre, avec des gestes déchirants je m’accusai de ce

plaisir malin qu’avait connu mes sens, ce désir qu’aucune pénitence encore n’avait pu entamer ; pour être délivré de ces chaînes brûlantes, j’implorai son secours, tenaillé de sauvages souffrances. Et lui, qu’ainsi je suppliais, me repoussa ainsi : …».

503 Tannhaüser (reprenant les propos du pape) : « Puisque tu as goûté des joies si noires, attisé tes passions aux

flammes infernales, puisque tu as vécu au Venusberg, alors à tout jamais tu es damné ! Tel ce bâton, là, dans ma main, ne reverdira plus, n’aura plus de rameaux, ainsi sur les tisons qui brûlent en Enfer, jamais aucune rédemption ne fleurira pour toi ! ».

504 Pilate (à Jésus) : « Es-tu le roi des Juifs ? » / L’évangéliste : « Et Jésus lui dit » / Jésus : « Tu l’as dit » (« Du

L’aveu d’un autre accusé est accompagné par les cordes seules (Le Freischütz de Weber, acte III, scène 6)505 :

tandis que les cordes, dans leur registre le plus poignant, le soutiennent dans son plaidoyer (André Chénier de Giordano, acte III).

Une mélodie aux cordes graves apporte néanmoins un semblant d’éclaircie à l’idée du repentir des députés flamands (Don Carlos de Verdi, acte III, quatrième tableau) :

et la soprano accompagnée des cordes seules - en lieu et place du trombone – exprime l’intime conviction de la grâce à venir (Tuba mirum du Requiem de Zelenka).

Dans une œuvre (Lohengrin de Wagner, acte I), la joute judiciaire se trame sur un tapis de

cordes : le motif de l’accusation naît aux violoncelles et aux contrebasses et est réitéré sur un fond d’accords des altos divisés (scène 1) :

puis sa réplique « Ton accusation est mensongère » est initiée sur des traits de quadruples croches aux cordes (scène 2) :

Le thème des juges s’évanouit dans les pupitres des premiers violons quand ils se retirent pour délibérer (Aïda de Verdi, acte IV, premier tableau) :

cependant que le juge appelle à une décision irrévocable sur un motif insistant aux cordes (Un Bal masqué de Verdi, acte I, premier tableau, exemple des violons)506:

La punition se dévoile derrière des traits fusant aux violons (cantate Es reisset euch ein schrecklich Ende de J.-S. Bach, 3. aria de la basse)507 :

506 Le premier juge : « La loi la condamne… Condamne ».

Enfin, l’évocation d’une prison s’ouvre sur quatre mesures aux cordes graves (La Prison

de la Santé dans la Symphonie n°14 de Chostakovitch), la complainte du détenu sur un lit de

cordes pianissimo (Les deux Foscari de Verdi, acte II, premier tableau).

La marche au supplice se déroule sur un thème implacable énoncé par un orchestre d’outre-tombe (Symphonie fantastique de Berlioz, La Marche au supplice) où la mort ne quitte

guère les cordes graves (Dialogues des Carmélites de Poulenc, acte III, quatrième tableau).

- le pouvoir

L’usage des cordes suit les circonvolutions du pouvoir.

Mère de tous les pouvoirs, l’autorité paternelle l’emporte au son du violoncelle

(Symphonie domestique de R. Strauss, 4.Finale) :

Puis dans l’ordre protocolaire : le motif de la grandeur du pouvoir508passe en contre- chant aux violons et aux altos (Boris Godounov de Moussorgski, acte II).

Et reflet de deux images inverses du pouvoir, le pouvoir tyrannique est stigmatisé par des traits de cordes menaçants (Guillaume Tell de Rossini, acte I) tandis que la dévolution du

pouvoir s’opère sous des douces tenues de cordes (Idoménée de Mozart, acte III, dernière scène,

exemple de la première intervention d’Idoménée)509 :

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