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Chapitre 1 Les raisons personnelles

Dans le document Le droit selon la musique (Page 46-51)

Partie 1 Le droit à l’usage de la musique

2. S OUS PARTIE 2 L’ ORIGINE DU DROIT

2.1. Chapitre 1 Les raisons personnelles

Les raisons personnelles des compositeurs ne sont pas exclusives d’autres origines.

2.1.1. Section 1 - Le compositeur

Extraire de la vie du compositeur les raisons justifiant la présence du droit dans ses œuvres n’est pas chose aisée.

En effet, et sauf exception, ce n’est pas parce qu’un texte cite du droit que le compositeur a décidé de le mettre en musique, c’est parce que le compositeur a choisi ce texte qu’il se trouve, subsidiairement, au contact du droit.

Cependant dérogent à cette règle les compositeurs attachés à la chose religieuse dont le répertoire, avec les sensibilités propres à leur confession (catholique, luthérienne, réformée, anglicane, hébraïque), est infailliblement constitué de pièces célébrant la loi ou le jugement de Dieu.

Par exception encore, la fréquentation assidue d’un lieu empreint de droit favorise la composition d’œuvres à l’usage de ce lieu (pour le Parlement de Paris, le Jugement de Salomon et

le Motet pour l’offertoire de la Messe rouge de M.-A. Charpentier)65.

La familiarité d’un compositeur avec l’univers juridique peut aussi expliquer ce choix, ou tout du moins son aisance à l’exprimer en musique.

Cette connaissance du droit peut ainsi procéder de sa propre formation générale, complémentaire à ses études musicales. De nombreux compositeurs baroques allemands suivaient ainsi des cours à l’Université de droit avant d’entamer leur carrière musicale (J. Christoph, Wilhelm Friedemann et Carl Philipp Emmanuel Bach, Homilius, Kuhnau, Scheibe, Schütz, Telemann et bien d’autres encore).

Il est à cet égard remarquable que KUHNAU, musicien et juriste émérite, ait été le premier à distribuer avant l’office le texte même des chorals afin que l’assemblée s’en pénètre et se l’approprie, ou qu’un un ancien clerc de notaire consacre un oratorio - dédié à un autre licencié en droit - aux Tables de la Loi (Moïse au Sinaï de Félicien David).

Pour sa part, la vie est chargée de son lot d’expériences juridiques, tels le mariage

(Quatuor à cordes n° 1 de Smetana)66, le divorce (Intermezzo de R. Strauss67 ou la Marche nuptiale de

Vierne68), une procédure judiciaire (Krämerspiegel de R. Strauss)69 ou des tensions sociales (la

symphonie n°45 « Les Adieux » de J. Haydn)70, dont certains compositeurs ont voulu témoigner

directement ou indirectement dans leur composition.

65 Marc Antoine Charpentier fut, de 1698 à 1704, maître de musique des enfants de la Saint Chapelle, qui était

enclavée dans le Parlement de Paris.

66 Le largo sostenuto (à 6/8), en la bémol majeur, reflète l’amour réciproque vécu avec Katerina, l’épouse de la

période heureuse.

67 Cet opéra « réaliste », dont le livret a été écrit par le compositeur lui-même, est inspiré de ses déboires

conjugaux. Son épouse y est décrite comme une femme irascible et de fort méchante humeur.

68 Cette pièce pour orgue, aux accords violents entrecoupés de sections sombres et méditatives, est semblable à

une méditation sur le propre mariage, malheureux, du compositeur.

69 Ce cycle de douze lieder avait été commandé par des éditeurs à Strauss qui ont ensuite recherché à abaisser

ses droits d’auteur. Écœuré par ce marchandage, le compositeur rompit le contrat. Attrait en justice, il s’exécuta, avant de connaître le jugement, en composant ces Krämerspiegel (Le Miroir du boutiquier) satiriques et critiques à l’égard de ces éditeurs.

70 Haydn a écrit l’adagio terminal de cette symphonie au cours duquel les instrumentistes, sauf deux violons,

s’en vont les uns après les autres, probablement pour attirer l’attention de son prince contre une saison musicale que n’en finissait pas.

D’une manière plus contingente, certains d’entre eux ont été inspirés par des avatars juridiques vécus (le Muss es sein ? du quatuor n°16 71 et les notes initiales de la symphonie n° 5 de

Beethoven 72).

2.1.2. Section 2 - Le librettiste

Quelques librettistes de formation juridique ont eu une influence sur des compositions lyriques, à commencer par celui considéré comme le premier d’entre eux, BUSENELLO, juriste, ancien ambassadeur et librettiste de Monteverdi, puis François-Louis LE BLAND DU ROULLET, attaché à l’ambassade de France à Vienne et librettiste de GLUCK.

Venu de l’Ouest lointain avec des idées claires, un librettiste s’est même familiarisé avec une organisation judiciaire étrangère avant de rédiger son livret (Can-can de Porter).

PICANDER, librettiste et collecteur d’impôt, a rendu hommage dans une cantate à son supérieur dans l’administration des contributions qui fêtait à la fois un héritage et son anniversaire (Bauern Kantate dite cantate dite des Paysans BWV 212 de J.-S. Bach).

2.1.3. Section 3 - Le commanditaire

La personnalité du commanditaire frappe de son seau l’œuvre commanditée. Ainsi, lorsque un Etat (Des Droits de l’Homme de Constant) ou un conseil municipal (Die Furcht des

Herren de J.-C. Bach73 ou la cantate Gott ist mein König de J.-S. Bach74) commande une œuvre, la

probabilité est forte d’y trouver une allusion au droit.

71 À propos du prêt du manuscrit du 13ème quatuor par Beethoven à un bourgeois viennois, un certain

Dembscher.

72 D’après une légende incertaine, ces notes représenteraient les coups des créanciers sur la porte du

compositeur.

73 Dans ce chœur pour cinq voix solistes pour rendre hommage au conseillers de la ville d’Eisenach, les

chanteurs et instrumentistes ces élus.

74 La cantate célèbre la nomination des nouveaux responsables municipaux de Mülhausen, dans un style

L’objet de la commande, abstraction faite de la personnalité du commanditaire, peut par ailleurs se porter sur une œuvre riche en droit (Le Requiem de Mozart)75, sans possibilité pour le compositeur de s’y dérober.

2.1.4. Section 4 - Le dédicataire

Certaines œuvres sont dédiées à un professionnel du droit (deux professeurs de droit : cantate

Schwingt freudig euch empor76 et cantate Vereinigte Zwietracht der wechselnden Saiten77 de J.-S Bach) ou à

sa fille qui aurait hérité de son père un formalisme rigoureux (La Bersan de F. Couperin)78. Par contagion, elles rendent hommage à la chose juridique, sauf quand elle brocarde

des éditeurs tentés de baisser les droits d’auteur du compositeur nonobstant le fait que le dédicataire est un homme de loi (Krämerspiegel de R. Strauss)79.

Le mariage n’est pas en reste puisque MOZART a dédicacé deux morceaux de musique pure, l’un à celle qui a concouru au consentement au mariage de son père Léopold, l’autre au bourgmestre de Salzbourg à l’occasion des noces de sa fille

(Sérénade « Haffner » en ré majeur)

Au-delà de ces considérations personnelles, le choix du compositeur de mettre en musique telle ou telle œuvre littéraire est déterminant quant à la présence de phénomènes juridiques dans l’œuvre musicale qui en découle.

75 Le commanditaire, veuf et mélomane, entendait obtenir une messe anonyme à la mémoire de sa femme, une

explication possible étant qu’il voulût s’en attribuer la paternité (ne fut-il pas, en effet, stipulé devant notaire que Mozart devait remettre à son commanditaire le manuscrit autographe sans en prendre copie). L’Histoire a montré que cette substitution abusive de compositeurs était vouée à l’échec.

76 Cantate avec des compliments hyperboliques à l’adresse de Johann Burckard Mencke, professeur de droit de

l’Université de Leipzig qui fêtait ses quarante ans.

77 Cantate destinée à l’intronisation d’un nouveau professeur de droit à l’université de Leipzig, Gottlieb Kortte,

âgé seulement de vingt-huit ans, et comprenant de brillants hommages à l’institution et à ses maîtres.

78 Suzanne de Bersan était la fille du fermier général de Bersan. L’œuvre est écrite selon une polyphonique à

plusieurs voix, proche de l’écriture des Inventions de J.-S. Bach.

2.1.5. Section 5 - L’auteur de l’œuvre littéraire mise en musique

Sans préjuger des développements du chapitre suivant (Les raisons liées à l’œuvre), la vie de l’auteur d’une œuvre littéraire mise en musique peut expliquer la présence de phénomènes juridiques dans cette œuvre, et partant dans l’œuvre musicale dont elle est dérivée.

Quelques exemples parmi d’autres permettront de s’en persuader.

Ainsi, la vie de certains d’entre eux est parsemée d’épreuves judiciaires. C’est probablement la raison pour laquelle BEAUMARCHAIS s’est attaché à brocarder le monde judiciaire, comme il la fait dans la scène du procès du Mariage de Figaro, scène que MOZART a lui-même édulcorée dans les Noces de Figaro80.

D’autres ont suivi une formation juridique sans faire de carrières judiciaires.

BALZAC fut clerc dans une étude d’avoué pendant trois ans81. Aussi, la seule de ses

œuvres mises en musique - un petit roman épistolaire dénommé « Peines de cœur d’une chatte anglaise » - par HENZE fourmille d’acteurs du droit : un créancier, un avocat, des juges, le secrétaire d’un notaire, des policiers.

Pour sa part, KAFKA fut agent d’assurance. On retrouve dans l’adaptation lyrique de son roman « Le Procès » par von EINEM les mêmes partenaires : un juge d’instruction, un avocat, un huissier, des jurés, l’assistance à l’audience, un inspecteur, des hommes de mains qui se transforment en bourreaux.

80 Voir sur ce point le chapitre 3 de la sous-partie 5 de la présente partie.

81 Des études sont menées actuellement sur la présence substantielle de phénomènes juridiques dans l’œuvre de

Enfin, quelques-uns sont issus de la basoche. A titre exemplaire, Madame Butterfly est l’adaptation d’une nouvelle d’un avocat du barreau de Philadelphie, John Lutter LONG. Il est donc logique que l’opéra de Puccini contienne de nombreuses références au droit : un mariage, un conflit de lois de deux pays différents82, un bail, des officiers d’état civil, un consul, un courtier matrimonial, …

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