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Chapitre 2 Les raisons liées à l’œuvre

Dans le document Le droit selon la musique (Page 51-56)

Partie 1 Le droit à l’usage de la musique

2. S OUS PARTIE 2 L’ ORIGINE DU DROIT

2.2. Chapitre 2 Les raisons liées à l’œuvre

Sous le couvert de l’œuvre musicale, c’est en réalité dans le texte littéraire à mettre en musique qu’il y a toutes les raisons de trouver du droit.

Ce texte est rarement d’origine purement juridique ou pseudo-juridique (Cantate pour le

20ème anniversaire de la Révolution de Prokofiev) car nombre de compositeurs ont avoué leurs

difficultés à les mettre en musique.

Pourtant, les tentatives n’ont pas manqué pour mettre les lois en musique : TYRTEE, venu d’Athènes à Sparte avec sa lyre83, est l’auteur de l’Eunomia. CICERON, pour sa part, assure que l’on chantait la loi des XII Tables comme Jacob GRIMM tient que les premiers recueils de loi furent composés sous forme de chants par des peuples empreints d’une poésie native et primitive84. L’avignonnais Jean de DIEU OLIVIER

évoqua la possibilité la possibilité de créer des lois chantées : « Au reste, je ne prétends pas conseiller encore des lois chantées, nous n’y sommes pas suffisamment préparés (…). Je propose seulement de préparer peu à peu la nation à adopter dans la suite des chants appliques aux lois ».85

82 Selon la loi japonaise, l’abandon équivaut à un divorce et Madame Butterfly, abandonnée par son mari

américain, pourrait se remarier. Mais celle-ci se considère soumise à la loi américaine et donc engagée à l’égard de son mari.

83 J. Carbonnier, op. cit. note 6, p. 194

84 N. Roulland, La Raison, entre musique et droit : consonances, Droit et musique, actes du colloque du 23 juin

2000, Presse Universitaires d’Aix- Marseille, 2001, p. 113

85 A. Leca, Droit et musique : l’exemple de Jean de Dieu Olivier (1753-1823) et son rêve de mise en musique

des lois, Droit et musique, actes du colloque du 23 juin 2000, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2001, p. 71 et suivantes).

Enfin, M. CONSTANT a mis en musique la déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen tout en reconnaissant les problèmes musicaux rencontrés lors de sa composition86.

À tout faire, il semble plus facile d’exalter une loi dans un chant patriotique : pour l’abolition des privilèges, sur un texte anonyme et sur l’air « Avec les jeux dans le village »87 ; pour la déclaration des Droits de l’Homme, sur un texte de Thomas ROUSSEAU et sur l’air de « Philis demande son portrait »88.

Cela étant, les chances semblent importantes de trouver une référence au droit dans les œuvres de la musique sacrée : en effet, la loi, le jugement, l’alliance ou la promesse divine parsèment les récits du premier comme du second testament. Ces chances sont démultipliées, tant les genres musicaux y sont nombreux (psaumes, chorals, cantates, passions, messes, hymnes, oratorios, mystères et histoires sacrées). Du côté de la musique profane, les œuvres littéraires lato sensu, qui ont servi de sources à de nombreuses compositions musicales faisant référence au droit, sont imprégnées de culture juridique, prise au sérieux ou non, comme elles sont imprégnées de tous les phénomènes sociaux qu’elles décrivent. Ce second degré de représentation du droit lie donc le compositeur et le conduit parfois à simplifier ou abréger les phénomènes juridiques présents dans l’œuvre d’origine. En effet, l’écoute d’un même texte (mis en musique) est par nature plus longue que sa simple lecture. Par ailleurs, les auditeurs ne se satisferaient pas d’une œuvre musicale où le droit domine.

86 “ La “Déclaration” a posé un sérieux problème musical : les généreux principes des dix-sept articles ont été

rédigés dans le plus pur style notarial. Le texte est inchantable, difficile à dire et un accompagnement orchestral du récit aurait été d’une facilité toute cinématographique” (cité in André Chénier de Giordano, L’Avant-Scène Opéra, éditions Premières Loges 1989, p.138).

87 Exemple de la 1ère strophe : « Enfants d’un vrai peuple de frères gouvernés par les mêmes lois, sous l’empire

heureux des lumières jouissez tous des mêmes droits : non, la liberté n’est qu’un piège, par l’avare orgueil apprêté, tant que le mot de privilège blesse la sainte égalité » (G. et G. Marty, Dictionnaire des chansons de la Révolution 1787-1799, Tallandier, 1988, p.78).

88 Exemple de la 3ème strophe : « Oui, tous les hommes sont égaux, et leurs droits sont les mêmes ; On ne

distingue les héros qu’à leurs vertus suprêmes ; Mais la loi qui vous pèse tous dans sa juste balance, mortels, ne doit mettre entre vous aucune différence » (G. et G. Marty, Dictionnaire des chansons de la Révolution 1787- 1799, Tallandier, 1988, p.79).

Au-delà, ce texte possède des facultés d’adaptation variées.

2.2.1. Section 1 - Le texte invariable

Un texte invariable ne laisse aucune latitude au compositeur pour s’en départir, en modifier la place ou la substance, sa seule alternative se réduisant à ignorer ou, au contraire, à illustrer le droit dans l’accompagnement musical.

Les anciens grecs n’avaient-ils pas appelé les mélodies de leurs chants des lois (nomoi), indiquant par là qu’ils s’agissaient de formules consacrées auxquelles on ne pouvait rien changer.

A cet égard, certaines œuvres se fondent rigoureusement dans les articulations du texte (Dixit Dominus Domino meo de A. Scarlatti).

Tel est le cas du credo de la messe, d’un choral luthérien ou d’un poème89.

Dans ce cas, comparer la manière dont certains compositeurs, à des périodes et avec des styles distincts, ont mis en musique le même texte présente un intérêt semblable, mutatis mutandis, à l’écoute comparative d’une œuvre exécutée par des interprètes différents.

2.2.2. Section 2 - Le texte flexible

89 À l’inverse, il existe des textes musicaux si célèbres dans certaines confessions chrétiennes que seul le texte

peut être arrangé –mais sans modifier la mélodie harmonisée l’accompagnant (à l’exemple des psaumes de la Réforme sur le thème de la Loi de Dieu).

Les œuvres musicales concernées relèvent d’un genre musical formalisé, mais au sein duquel le compositeur dispose d’une plus grande liberté.

Dans le cas du requiem, le passage obligé par le droit (la Justice divine) autorise toutefois les compositeurs à les composer différemment. Aux messes des morts strictement conformes au texte fondateur fixé au 13ème siècle (Mozart, Saint-Saëns, Verdi)

ont succédé des requiem où la place du jugement et de la condamnation est moindre si ce n’est édulcorée (Fauré, Duruflé).

De même, pour les Passions dont le récit évangélique demeure intact, le procès du Christ exclusivement à charge dans l’Evangile (les scribes, les anciens, le grand prêtre Caïphe, la turba) se mue en une procédure contradictoire où l’assemblée des croyants, dans les arias et chorals, plaide à décharge en faveur du Christ (La Passion

selon Saint Matthieu de J.-S. Bach). La profondeur théologique de cette œuvre est telle que,

en dépit de l’existence de deux chœurs, c’est toute la masse chorale qui tour à tour accuse ou défend Jésus.

2.2.3. Section 3 - Le texte adapté

Le texte à mettre en musique résulte couramment de l’adaptation d’une œuvre d’origine littéraire ou historique préexistante consacrée en tout ou partie au droit : un roman (Le Procès de Von Einem), une nouvelle (Billy Budd de Britten), un conte (Le Tricorne de

Falla), une légende (Till l’Espiègle de R. Strauss), une pièce de théâtre (Les Noces de Figaro de

Mozart), un récit mythologique (Der Streit zwischen Phoebus und Pan de J.-S. Bach) ou biblique

(Sanson de Haendel).

Le nombre d’œuvres originales adaptées rivalise avec le nombre d’adaptation qui en a été faite (les mythes d’Orphée, de Don Juan et de Faust par exemple). Le récit de Roméo et Juliette est signifiant puisque générateur d’une œuvre lyrique (GOUNOD), d’une symphonie (BERLIOZ) et d’un ballet (PROKOFIEV).

Plus révélateur encore de la plasticité de ces adaptations est le fait que seules deux d’entre elles évoquent implicitement le droit, l’une au détour de la loi, l’autre du jugement.

L’adaptation de l’œuvre d’origine associe en général un compositeur et un librettiste90, sauf dans le cas où le livret était déjà en usage dans un opéra antérieur.

La collaboration du compositeur et de l’auteur de l’œuvre originale transfiguré en librettiste91 conjugue une inspiration à une autre dans la même entreprise créatrice.

Mieux encore, un compositeur a rédigé le livret de son opéra d’après une comédie, assuré de la bienveillance de l’auteur de cette comédie lorsqu’il la modifie et l’adapte à son gré en reprenant pourtant le même titre (Janacek et Capek dans l’Affaire Makropoulos).

2.2.4. Section 4 - Le texte ad hoc

Exceptionnellement, un compositeur est l’auteur du texte qu’il met en musique : pour un oratorio (La Vérité de Jeanne de Jolivet), pour des opéras (Intermezzo de R. Strauss) y compris

méphistophéliques (Busoni et Boito).

WAGNER, pour être le plus connu, a écrit le livret de L’Anneau du Nibelung. Cette construction univoque du texte et de la musique lui a permis notamment de tordre la théogonie germanique dans le sens qu’il souhaitait donner à son spectacle total92, désinence de l’Art total.

90 J.-S. Bach et l’infatigable Henrici, alias Picander, ou Mozart et Da Ponte par exemple.

91 R. Strauss et Zweig, Weill et Brecht, Milhaud et Claudel, von Einem et Durrenmatt notamment.

92 Comme l’invention par Wagner ex nihilo du mythe des Traités qui n’a jamais été rapporté comme constituant

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