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Sous-Section 2 : la justice administrative dans les nouvelles constitutions Algériennes

Conséquemment à l‟incapacité réelle ou supposée de l‟échec de la constitution de 1989 à gérer la crise des années 19907, un long processus allait être déclenché pour sa révision et l‟élaboration de la constitution de 1996. Le professeur Boussoumah étudiera dans deux ouvrages importants cette période et ce processus.8

1Breen Emmanuel, Le Doyen Vedel et Charles Eisenmann : une controverse sur les fondements du droit

administratif, In. R.F.D.A, 2002, p.234.

2 Ibid., p.234. 3Ibid., p.235. 4

Favoreu Louis, « La modernité des vues de Charles Eisenmann », in AMSELEK Paul (dir.), La pensée

de Charles Eisenmann, Paris, Economica, 1986, p. 85-101.

5 Cf. Breen E., Le Doyen….op.cit. p.235. 6Ibid., p.

7Boussoumah Mohamed, l‟opération constituante de 1996, O.P.U, Alger, 2012, p.09-14.

8Boussoumah Mohamed, La parenthèse des pouvoirs publics constitutionnels de 1992 à 1998, OPU,

Il est important de rappeler que si nous invoquant à chaque fois le fondement constitutionnel de la justice administrative c‟est dû au rôle déterminant de cette dernière, ainsi aux termes du professeur Dominique Rousseau il est important de préciser qu‟une constitution prend « la forme d‟un système en ce qu‟elle est présentée comme le principe d‟ordre donnant unité et sens à l‟ensemble des règles organisant la vue des hommes »1, or c‟est justement cette unité et ce sens de l‟ensemble des règles organisant le contentieux administratif que nous essayons d‟entrevoir et du moins proposer les solutions de son développement : il doit exister à notre sens des « bases constitutionnelles »2

du contentieux administratif ou plus précisément de la répartition des compétences entre juridictions administratives et ordinaires.

A ce titre, et comme nous l‟avons fait pour les constitutions antérieures nous allons procéder à l‟étude de la justice administrative et des critères y afférents dans les nouvelles constitutions Algériennes à savoir celle de 1996 et de sa révision en 2016 : quelles est plus particulièrement l‟influence de ces constitutions sur les critères de répartitions des compétences entre juridictions administratives et ordinaires ? Nous nous réfèrerons à ce propos et à titre comparatif avec les nouvelles constitutions Marocaine et Tunisienne.

Paragraphe 1 la justice administrative dans la constitution de

1996 et sa révision de 2016

A- Constitutions et Réformes constitutionnelles : un cadre conceptuel en perpétuel mutation

La constitution algérienne du 28 novembre 19963 est la cinquième en trois décennies après celles de 1963, 1965 ,1976 et 1989, elle a fait l‟objet de trois révisions partielles 4 et d‟une révision plus globale en 20165.

L‟on remarque à ce propos le même schéma d‟évolution pour des pays voisins comme le Maroc et la Tunisie.

Ainsi c‟est le cas du royaume du Maroc qui avec le texte fondamental « préventif » du 29/07/20116est à sa sixième constitution, après celles de 1962, 1970,

1

Rousseau Dominique, Question de constitution, in. Le nouveau constitutionnalisme. Mélanges en

l‟honneur de Gérard Conac, Paris, Economica, 2001, p.05.

2Pour reprendre la formule du Doyen Vedel concernant le droit administratif, mais aussi pour étendre

cette thèse au contentieux administratif.

3Cf. Décret présidentiel n°96-438 du 07 décembre 1996 relatif à la promulgation au journal officiel de la

république algérienne démocratique et populaire de la révision constitutionnelle adoptée par référendum du 28 novembre 1996 modifiée et complétée par la loi n°2002-03 du 10 avril 2002 et la loi n°2008-19 du 15 novembre 2008.

4 Il s‟agit de la loi n°02-03 du 10/04/2002, J.O, n°25 du 14/04/2002 ; la loi n°08-19 du 15/11/2008, J.O

n°63 du 16/11/2008.

5 Cf.la loi n°16-01 du 06/03/2016, J.O. n°14 du 07/03/2016.

6 Cf. Dahir 1-11-91 du 29/07/2011, portant promulgation du texte de la constitution, Bulletin officiel n°

1972 et 1992 et celle de 19961, textes qui a d‟une manière préventive engagé une réforme du système constitutionnel marocain , du moins tel était l‟objectif visé2.

La Tunisie, avec « sa révolution désenchantée », s‟est finalement dotée d‟une nouvelle constitution en 20143

remplaçant ainsi la Constitution du 1er juin 19594 qui a d‟ailleurs subit d‟importantes révisons substantielles en 19885, sans omettre de rappeler la « petite » constitution de la période transitoire qu‟a connu ce pays6 .

Cette succession de textes constitutionnels est révélatrice nous dit le professeur Mahiou pour l‟Algérie mais ce qui est aussi valable pour les pays maghrébins cités7

, d‟une certaine instabilité constitutionnelle et de la difficile recherche d‟un équilibre politique des institutions8 elle est en fait révélatrice de l‟incapacité « du » texte constitutionnel à gérer les situations de crises9, ce qui n'est pas sans rappeler l'histoire constitutionnelle française à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle10 , voire même la constitution de 1958 réputée pour sa cohérence mais qui n‟a pas échappé aux changements et la recherche de nouveaux équilibres11, voire des crises existentielles12, ce qui a amené le conseil constitutionnel dans plusieurs cas à jouer le rôle de régulateur et

1

Cf. Bulletin Officiel du Maroc n°4420 bis du 10 octobre 1997, p. 644 ; cf. sur cette constitution Rkia EL- Mossadeq, la réforme constitutionnelle et les illusions consensuelles, in. AAN., 1996, pp : 573-582.

2

Cf. La Constitution marocaine de 2011. Lectures croisées, Rabat, Les publications de la Revue REMALD, coll. « Thèmes actuels », n° 77, 2012.

Numéro spécial de la R.D.P 2012, n°3, consacré à cette question et contenant notamment les contributions des professeurs Bendourou, Bernoussi et Touzeil-Divina.

3

Décision du président de l‟assemblée nationale constituante du 31 janvier 2014, ordonnant la publication de la constitution de la de la République Tunisienne, publiée en arabe au Journal Officiel de la République Tunisienne n°57 du 10 février 2014 et la traduction en français est publiée au Journal Officiel de la République Tunisienne dans un n° spécial du 20 avril 2014.

4

Loi n° 59-57 du 1er juin 1959, Portant promulgation de la Constitution de la République Tunisienne.

5

En fait la constitution de 1959 a fait l‟objet de 14 réformes avant « la révolution » : 1965, 1967, 1969, 1975, 1976, 1981(2fois), 1988,1993, 1995, 1997, 1998, 1999 et 2002.

6

Loi constitutionnelle n° 6-2011 du 16 décembre 2011, relative à l'organisation provisoire des pouvoirs publics. J. O. R. T. n° 97 du 20 et 23 décembre 2011, p. 3111 à 3115 (version arabe) ; sur l‟évolution cf. Ben Hammed

Mohamed, Ridha, les avancées du droit constitutionnel à travers l‟expérience constitutionnelle tunisienne, in.

Revue du Conseil constitutionnel Algérien 2014, n°4, pp : 143-179.

7

Benazzi Lakhdar, Les constitutions maghrébines : différences et rapprochement entre- elles ? in R.A. n°04

2003 pp.09-16.

8

Cf. Mahiou A., note sur la constitution algérienne du 28 novembre 1996, in. AAN, 1996, p.479 ; Cf. plus généralement Ahmed Mahiou et Jean Robert Honry, Ou va l‟Algérie, les contraintes et incertitudes du système politique, 1ére édition, Edition Karthala et L ‟Harmattan, Paris, 2001 ; EL Messaoudi A., Réflexions sur l‟équilibre institutionnel dans la nouvelle constitution marocaine.- in Annuaire de l‟Afrique du nord ,1996 pp : 583 Ŕ 591 ; Touzeil-Divina Mathieu France/Maroc : Deux Constitutions formellement révisées et marketées... mais matériellement inchangées ? in. La nouvelle Constitution marocaine à l‟épreuve de la pratique, Actes du colloque organisé les 18 et 19 avril 2013, Coordonné par Omar Bendourou Rkia El Mossadeq Mohammed Madani, éd. La Croisée des Chemins, Casablanca, Maroc, 2014, pp : 225-253.

9

La parenthèse de 1992 -1996 constituant le cas typique, cf. Boussoumah M., la parenthèse…, op.cit.

10Cf. Mahiou A., Note…, op.cit., p. 479 ; Cf. à ce propos Harouel Jean-Louis, « regards sur les constitutions

dans l‟histoire du droit français », annuaire de droit européen vol. 1, p. 7-25 ; cf. aussi Troper Michel, « La Constitution de 1791 à nos jours », RFDC 1992,

11

Beaud Olivier, « Les mutations de la Vème République ou comment se modifie une Constitution écrite », Pouvoirs, 2001, n° 99, pp. 19-31 ; cf. aussi Pierré-Caps Stéphane, « Les révisions de la Constitution de la Cinquième République : temps, conflits et stratégie », RDP 1998, p. 409-431. Levade Anne, Les nouveaux équilibres de la Ve République, in. Revue française de Droit constitutionnel, 2010, n°82, pp : 227-256.

12

Lavroff Dmitri Georges, « La crise de la Constitution française », in En hommage à Francis Delpérée. Itinéraires d‟un constitutionnaliste, Bruxelles, Bruylant, 2007, p. 757-768.

de stabilisateur du système1 comme nous avons pu le constater dans les développements précédents.

Le professeur Rafâa Ben Achour exprime un avis différent concernant la comparaison avec le système français, en ce sens considère-t-il qu‟en Tunisie, (ce qui est également vrai pour les pays Maghrébins), il n‟y a qu‟une seule et unique République proclamée depuis l‟indépendance du pays, alors qu‟en France il y a eu plusieurs fois rupture avec l‟ordre Républicain.2

En tout état de cause , l‟instabilité constitutionnelle en Algérien s‟inscrit donc dans la vieille « tradition » française des révisions constitutionnelles3, qui consiste à gérer les crises politiques par le changement de constitution voire de régime politique et non pas gérer les crises par « la » constitution , tradition qui a d‟ailleurs influencée la plupart des pays du Maghreb4 qui ont de par leur histoire un engouement pour les textes constitutionnels5 en ce sens que le constitutionnalisme maghrébin ou africain évolue selon l‟étude très pertinente de M. Djoli Eseng‟Ekoli entre une perpétuelle gestion des héritages et invention du futur.6

En somme si « la » constitution pose des difficultés de définition7, elle est cependant considérée tout à la fois comme une nécessité8, une garantie9, un contrat10, une fonction idéologique11, une fonction symbolique12, et pour ces raison elle est en

1 Levade Anne, « Le Conseil constitutionnel, régulateur des rapports de systèmes », in Mathieu Bertrand

(dir.), Cinquantième anniversaire de la Constitution française, Paris, Dalloz, 2008, pp : 729-752.

2 Rafâa Ben Achour : La Constitution tunisienne, deux ans après (2014 -2016), Conférence prononcée le

10 février 2016 au siège de la Maison de Tunisie, Cité universitaire, Paris, publiée sur le site du magazine leaders, note de référence n°2.

3

Bédarrides Éd., Réviser la constitution : Une histoire constitutionnelle française, Thèse de Doctorat en

Droit Public, Université de Bourgogne, 2014, 657p. : L‟auteur citera à ce propos le professeur F. Moderne : «La place de la révision constitutionnelle est tributaire de la conception même de “Constitution” dans l‟histoire du constitutionnalisme contemporain », F. Moderne, « Réviser » la Constitution ,Analyse comparative d‟un concept indéterminé, Paris, Dalloz, coll. Thèmes & commentaires, 2006, p.7, et de compléter son propos : « Nous sommes tentés d‟ajouter que cette place est aussi tributaire des conceptions des notions de « pouvoir constituant » et de « pouvoir de révision » car elles sont toutes très étroitement interdépendantes, p.24.

4 Le Roy Thierry, Le constitutionnalisme : quelle réalité dans les pays du Maghreb ? in. Revue française

de droit constitutionnel, 2009/3, n° 79, pp : 543 Ŕ 556.

5Camau Michel., Caractère et rôle du constitutionnalisme dans les Etats Maghrébins, in AAN., 1977/16,

pp : 379-410.

6Djoli Eseng’Ekoli Jacques, Le constitutionnalisme africain. Entre la gestion des héritages et l‟invention

du futur, Editions Connaissances et Savoirs, Paris 2006, 402 p.

7Aubert Jean-François, « Qu‟est-ce qu‟une constitution ? », in Kaddous Christine et Auer Andreas

(dir.), Les principes fondamentaux de la Constitution européenne, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 107-114.

8Aubert Jean-François, « Nécessité et fonctions de la Constitution », in Bieber Roland et Widmer Pierre

(dir.), L‟espace constitutionnel européen, Zürich, Schulthess Polygraphischer Verlag, 1995, p. 15-24.

9Rousseau Dominique, « La garantie de la Constitution », in Clément Jean-Paul, Jaume Lucien et

Verpeaux Michel (dir.), Liberté, libéraux et constitutions, Paris, Economica, 1997, p. 97-105.

10Roux Jérôme, « La Constitution comme contrat », in Contrats publics. Mélanges en l‟honneur du

Professeur Michel Guibal, Montpellier, Presses de la Faculté de droit, 2006, vol. II, p. 447-455.

11 Brigitte Vincent, Et la fonction idéologique des constitutions, in. Mélanges en l‟honneur de Slobodan

Milacic, Bruxelles, Bruylant, 2008, pp : 251-272.

12B. Lacroix, "Les fonctions symboliques des constitutions", in Le Constitutionnalisme aujourd'hui,

perpétuelle évolution et mutations1, entre survivance2 et résurrection3, en tout état de cause la constitution est en quelque sorte le « convertisseur » de la « chose politique » en un statut juridique : c‟est aux terme du professeur Beaud le passage de la constitution « politique » à la constitution « statut juridique de l‟Etat » avec tout ce que cela comporte comme conséquence4.

Ce qui nous intéresse de tous ces développements, le propos n‟étant pas une étude sur les constitutions, et pour paraphraser le professeur Thierry Le Roy : « Des constitutions au Maghreb, oui ; mais pour quelle influence sur l‟état de droit ? »5, or l‟un des éléments fondamentaux de l‟Etat de droit c‟est bien le contrôle de la légalité des actes de l‟administration : c‟est donc la justice administrative.

Et plus précisément c‟est le rapport de la constitution à la justice administrative, en premier lieu pour ce qui concerne le fondement de cette dualité et sa relation avec le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires et deuxièmement par rapport à l‟impact et l‟influence de la constitution sue le contentieux administratif.

En d‟autres termes quels sont les principes constitutionnels qui commandent le contentieux administratif et notamment pour ce qui concerne les critères de répartition des compétences entre juridictions administratives et judiciaires ? Notamment par rapport aux solutions dégagées par le conseil constitutionnel français comme développé supra. Nous nous réfèrerons également aux nouvelles constitutions maghrébines à titre indicatif et comparatif.

Ce qui caractérise la constitution de 1996 c‟est son attitude de volte-face inattendue6 et celle de rupture7 avec l‟ancien système et ce par l‟adoption du système intégrale de la dualité des juridictions avec l‟instauration de tribunaux administratifs, un conseil d‟Etat et un tribunal des conflits : cette initiative sera saluée par certains comme : « (…) un saut qualitatif vers … le parachèvement des institutions et la consécration de l‟État de droit»8; alors que pour d‟autres : « … Cette réforme aboutit à une dualité de juridiction. Elle a mis fin à l‟acquis qu‟à constitué l‟unification des juridictions instituées après l‟indépendance pour rompre avec la tradition française datant de Napoléon 1er, de l‟existence d‟une juridiction administrative au côté de

1Pierré-Caps Stéphane, « Les mutations de la notion de constitution et le droit constitutionnel », Civ.

Eur. n°6, p. 39-52.

2Burdeau G.,Une survivance :la notion de constitution, in. L‟évolution du droit public, Sirey,1956, p.53. 3

Rousseau Dominique, Une résurrection : la notion de constitution, in. R.D.P, 1990, n° 1, PP : 05 - 22.

4Beaud Olivier, L‟histoire du concept de constitution en France De la constitution politique à la

constitution comme statut juridique de l‟Etat, in. Jus Politicum, Autour de la notion de Constitution, n°3, 2009, pp : 01-29.

5Le Roy Thierry « Le constitutionnalisme : quelle réalité dans les pays du Maghreb ? », Revue française

de droit constitutionnel, 2009/3, n°79, p.543-556.http://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit- constitutionnel-2009-3-page-543.htm.

6Cf. Benaceur Youcef, Le cinquantenaire de la justice administrative Algérienne : 1962-2012, in.

Algérie, cinquante ans après, la part du droit, Tome 2, édition AJED, 2013, p.555.

7 Bekhechi Mohamed Abdelouhab, Variations autour d‟un demi-siècle de production juridique

Algérien, in. Algérie, cinquante ans après, la part du droit, Tome 1, édition AJED, 2013, p.156.

8 Sekfali Zineddine, Introduction générale au système judiciaire Algérie, évolution et tendances 1962-

l‟institution judiciaire et de deux catégories de magistrats »1 ; maitre Bentoumi parlera même de « l‟inutilité du conseil d‟Etat »2.

Cherchant une explication aux nouvelles dispositions constitutionnelles le professeur Boussoumah conclura au fait que « L‟explication du dualisme n‟est pas convaincante dans la mesure où des pays très démocratiques, ceux de la sphère juridique anglo-saxonne par exemple, ont un système judiciaire unitaire qui sanctionne correctement la mal administration3. En réalité, la proposition probablement hâtive et peu étudiée dans son contexte structurel, procédurier, humain, logistique, etc…, participe du mimétisme juridictionnel avec l‟existence d‟organes présentant une façade libérale »4.

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