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B La loi d’orientation sur les E.P.E et critère matériel : une interprétation extensive

La loi de réforme des entreprises publiques est l‟aboutissement d‟un long processus qui débuté en ces début des années 1980 et plus particulièrement depuis 1984, le professeur Saadi R. N. parlera de la crise du secteur public et de la crise de la notion d‟entreprise socialiste et d‟une nécessaire restructuration.2

Avant de procéder à cette réforme le législateur a d‟abord commencé par réformer la loi relative au domaine nationale3

qui constitue en réalité le point de départ de toutes les réformes qui allaient intervenir par la suite.

Cette en effet cette loi, qui tout en ayant l‟apparence de préserver l‟unité du domaine nationale, ouvrait en fait une brèche dans les mécanismes juridiques antérieurs de par le fait de l‟introduction d‟une distinction entre la propriété de l‟administration et la propriété des entreprises publiques économiques : par conséquent, rien ne s‟opposait plus à ce que l‟administration puisse envisager l‟application des règles de gestion privée4.

Cette possibilité envisagée par la loi de 1984, allait être discutée d‟une manière plus concrète dans le cadre du rapport général relatif à l‟autonomie de l‟entreprise5, qui proposait entre autre la réforme du C.P.C de manière à revenir à l‟application des règles classiques en matière de contentieux concernant les différends patrimoniaux des entreprises publiques ainsi que la responsabilité civile des administrateurs et du directeur général.

Pour les auteurs du rapport du moment que l‟agent public peut faire des actes de commerce et que l‟entreprise peut avoir des attributs de puissance publique par le fait d‟une délégation expresse et sous le contrôle et la responsabilité de l‟autorité compétente , il fallait que les règles servant à délimiter les frontières entre compétence

1

C.S Ch. Adm., arrêt S.N. SEMPAC c/OAIC du 8/3/1980…, op.cit., p.148.

2Saadi R.N., La restructuration des entreprises d‟État, essai de présentation analytique, in. R.A. 1984,

n°2, pp : 306 et 340.

3Loi n°84-16 du 30/06/1984 relative au domaine national, in. J.O, 1984, n°27 du 03/07/1984,pp: 678-699. 4 Rahmani (A), changements politiques et droit de propriété publique, Algérie, in. Revue Idara, 1991,

V.1, n° 2, P.P : 7 et 10.

5

des juridictions administratives et celle des juridictions judiciaires soient le plus clairement possible précisées1.

Les propositions contenues dans le rapport susmentionné étaient en fait indispensable, vu les dispositions de la loi relative à l‟autonomie des entreprises2

.

Ainsi c‟est dans ce contexte général et de par la loi de 1988 que le législateur va préciser sa vison concernant le rapport entre la notion de service public qui structure de plus en plus le système juridique Algérien et le contentieux administratif, c'est-à-dire la question de la définition du litige administrative et de la répartition des compétences entre juridictions administrative et ordinaire : le législateur allait-il en faire le nouveau critère du contentieux administratif comme c‟était le cas durant la période 1962- 1965 comme nous l‟avons montré supra? Le critère du service public constituait-il la perspective du contentieux administratif en Algérie ?

C‟est donc au travers d‟une loi d‟orientation sur les entreprises publique que le législateur va préciser sa conception.

Avant la promulgation de la loi sur le contentieux administratif le législateur va insérer des dispositions exceptionnelles dans la loi de 1988.

Ainsi l‟article 55 de la loi n°88-01 du 12/01/19883 dispose que lorsque l‟entreprise publique économique gère dans le cadre de la mission qui lui est dévolue des biens domaniaux, elle doit le faire conformément à la législation régissant le domaine public par l‟intermédiaire d‟un contrat administratif de concession dont le contentieux relève de la compétence du juge administratif.

De même, aux termes de l‟article 56 de la loi précitée, lorsqu‟il est permis à L‟.E.P.E d'exercer de manière régulière des prérogatives de puissance publique, en ce sens qu‟elle peut délivrer au nom et pour le compte de l‟État des autorisations, des licences et autres, les modalités d‟exercice de ces prérogatives doivent préalablement faire l‟objet d‟un règlement de service établi conformément à la législation, dans ce cas également, le contentieux y afférent est régi par les règles du droit administratif.

Ainsi, en dehors des cas susmentionnés, le contentieux des E.P.E doit relever de la compétence des juridictions ordinaires, l‟article 59 de la loi de 1988 précise à cet effet que les E.P.E ainsi que les E.P.I.C ne sont pas assujetties aux dispositions du code des marchés publics.

Toutes ces dispositions apportaient la contradiction au principe qui voulait que le contentieux du secteur public économique ne relavait pas de la compétence du juge administratif, les dispositions susmentionnées, étaient claires : lorsque l‟activité de l‟entreprise publique était exercée dans le cadre d‟une mission de service public ou d‟une prérogative de puissance publique, le contentieux y afférents pouvait relever de la compétence de la juridiction administrative.

1 Cf. rapport général ..., op.cit. p. 242.

2 Cf. la loi n° 88-01 du 12/01/1988, op.cit., p. 18. 3

Ces dispositions ont fait l‟objet de multiples analyses qui sont menés à des conclusions aussi divergentes que contradictoires, le professeur Zouaimia parlera d‟ambivalence de l‟entreprise publique économique1.

Ainsi le professeur R. Babadji, s‟est interrogé pour savoir qu‟en fin de compte lequel des critères : matériel ou organique avait été renforcé par les réformes précitées, il conclura pour sa part que la réforme allait plutôt dans le sens d‟une prise en considération du critère matériel.2

L‟avis de M.R. Babadji est également partagé par le professeur M. Kobtan, qui se fondant sur les trois articles précités de la loi de 1988 affirme qu‟avec de telles dispositions, l‟on assistait à la résurrection du critère matériel.3

Cependant, et contrairement aux avis précédents, le professeur M. Boussoumah, se félicitait quant à lui du fait que la jurisprudence O.A.I.C soit restée isolée, car selon lui, les dispositions de la loi de 1988 ont institués un critère supplétif, qu‟il qualifiera de « critère du mandat », venu précisément renforcer le critère organique. Ainsi aux termes de M. Boussoumah: « conscient des limites objectives du critère organique et désireux de surcroît probablement de stopper toute dérive jurisprudentielle analogue au dérapage de l‟arrêt O.A.I.C, le législateur profitera de la loi du 12/01/1988 pour glisser subrepticement un critère supplétif au critère organique, bref, il complète le critère organique par le critère du mandat, de la sorte, il élargit le domaine du contentieux administratif à certaines activités des entreprises publiques4

».

Enfin de compte, il ne s‟agit pour M. Boussoumah que d‟un contentieux par détermination de la loi, comme celui des mesures prises par les conseils de l‟ordre des avocats5.

Contrairement à notre position à l‟époque6 , on ne peut que reconnaitre la justesse du point de vue du professeur Boussoumah : le législateur comme nous aurons l‟occasion de le montrer a opté pour un critère complémentaire pour renforcer le critère organique, ce qui se concrétisera de par la loi 90-23 portant réforme du contentieux administratif en Algérie.

Ainsi, on notera la contradiction : au moment où le législateur fait de la notion de service public la structure de base su système juridique qui va être mis en place pour la décennie des années 19907, le législateur n‟en fait pas le critère de base pour ce qui concerne la définition du litige administratif et pour la répartition des compétences entre juridictions administratives et ordinaires.

1Zouaimia Rachid, L'ambivalence de l'entreprise publique en Algérie, in R.A., n°01 1989 pp.145-157 ;

cf. également Brahimi, Mohamed, Quelques questions à la réforme de l'entreprise publique : Loi n°88- 01, in. R.A. 1989, n°0l, pp.89-143.

2Babadji (R), le droit administratif ..., op.cit. P.P : 403-404. 3

Kobtan (M), le droit des marchés publics, in. L‟Actualité juridique, 1991, n°3, P. 11.

4Boussoumah(M), Essai sur la notion juridique de service public ..., op.cit. , P.P : 374-375.

5 ibid., P. 373 à noter qu‟il s‟agit de la loi n° 91-04 du 08/01/1991, portant organisation de la profession

d‟avocat, in. J.O., 1991, n°02, P.29.

6Cf. Mohammed Karim Noureddine, …, op.cit., p.35.

7Menouer Mohamed, L'autonomie de l'entreprise publique en Algérie la fin de l'hégémonie étatique, in.

Pour notre part nous pensons que le législateur se méfie du critère du service public, notion certes très utiles et douée de pouvoir légitimant, mais ayant l‟inconvénient d‟élargir la notion de contentieux administratif et en tout cas il s‟agit d‟une notion à terme incompatible avec le critère de la puissance publique et avec le critère organique .

Dans une étude tout à fait pertinente du professeur Claude Didry concernant Léon Duguit et la notion du service public, où l‟on peut être surpris par la puissance de cet esprit qui véritablement était en avance sur son temps : pour Claude Didry en partant de l‟usager : « le propos de Léon Duguit va d‟une certaine manière au-delà des tentatives récentes de modernisation des services publics, dont l‟ambition a été de remettre l‟usager au centre de l‟activité de ces derniers.

Préservées des excès d‟un discours proche du marketing, les analyses de Léon Duguit fondent le service public sur le droit d‟agir en justice ouvert aux particuliers pour obtenir de l‟État l‟exécution d‟un service qu‟il définit et garantit »1

.

Or cette approche « judicaire du service public » de Duguit va conduire aux termes de M. Didry « à une vision très large du service public. Le service public déborde le secteur public, entendu comme prise en charge d‟activités industrielles et commerciales par des agents de l‟État ou assimilés, pour intégrer l‟ensemble des activités réglementées par la loi »2

. et là réside le « danger » et le risque d‟incompatibilité avec le critère de puissance publique en ce sens poursuit le professeur Didry qu‟il « devient alors impossible de s‟en tenir à la vision du service public réduit à la prise en charge d‟activités industrielles et commerciales, périphériques par rapport au noyau de la puissance publique. Mais dans le même temps, cette analyse du service public à partir de l‟action en justice du particulier ne conduit-elle pas à une vision éclatée de l‟État en une multitude de services publics et ainsi à nier l‟existence d‟une activité législative et juridictionnelle présupposée par l‟existence même du service public ? Elle traduit en tout cas une conception renouvelée du droit dans le sens d‟un pluralisme juridique où l‟État n‟est plus la seule source de la loi : à côté de la loi « au sens formel » produite par le Parlement, il faut compter la loi « au sens matériel » produite par des groupements de différentes natures, communes, mais aussi syndicats, qui ne se rattachent à l‟État que par les juridictions administratives».3

On peut conclure donc qu‟il est tout à fait évident que la notion de litige administratif a évolué, et que cette évolution est du à l‟évolution du contexte juridique Algérien en ces début des années 1990, évolution et réforme juridiques qui ne sont en fait que l‟aboutissement d‟un long processus qui a était entamé depuis le début des années 1980.

Il est indéniable toutefois que la loi de 1988 est cardinale dans le processus des réformes, elle renferme tous les ingrédients qui vont nourrir les réformes, mais elle

1Didry Claude « Léon Duguit, ou le service public en action », Revue d‟histoire moderne et

contemporaine 2005/3 (n°52-3), p.88. ; cf. également Duguit Léon, « De la situation des particuliers à l‟égard des services publics », Revue du droit public et de la sociologie politique en France et à l‟étranger, 1907, p. 411-439.

2 Ibid., p.88. 3

renferme surtout les clefs pour comprendre les conceptions du législateur concernant la notion d‟établissement public.

Par l‟effet de cette loi, la notion d‟acte administratif a évoluée, désormais l‟acte administratif peut être émis par un organisme public à caractère économique sous certaines conditions et dans certaines situations : et donc à la question de savoir s‟il existe une corrélation entre service public et compétence du juge administratif, la réponse ne peut être que négative.

Ainsi pour le professeur Djebbar Abdelmadjid, dans son important article sur la notion d‟acte administratif, « il est vrai que les entreprises publiques économiques sont désormais- sous certaines conditions -, détentrices de prérogatives d‟édicter des actes à caractère administratifs susceptibles d‟être attaquées devant le juge administratif, et de cette manière le législateur a pu comme l‟a écrit le professeur Boussoumah de compléter le critère organique par un critère du mandat , c'est-à-dire par détermination de la loi cependant cela ne veut pas dire que tous les actes de ces entreprises sont susceptibles d‟être qualifiés d‟administratif dans le cas où cette dernière a entrepris de gérer des immeubles biens privés de l‟Etat ou même lorsqu‟elle est chargé de travaux de service public. En d‟autre termes pour le professeur Djebbar : « la présence d‟un service public n‟induit pas toujours et fatalement l‟application du droit public et à la compétence du juge administratif sauf texte contraire du législateur ».1

Pour le professeur Djebbar enfin, aux termes des dispositions législatives en vigueur actuellement « le critère du mandat reste l‟indice principal pour octroyer le caractère administratif aux actes des entreprises publiques économiques ».2

1Djebbar A., Notion d‟acte administratif en droit Algérien, in. Revue Idara, 1995, n°01, pp : 33-34. 2

PARTIE II: Les Critères de Répartition des compétences entre

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