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Le critère matériel comme fondement de la répartition des compétences juridictionnelles de 1962 à 1966

Paragraphe1 Notion de critère de compétence : Conception et fondement en droit français :

Paragraphe 2 Le critère matériel comme fondement de la répartition des compétences juridictionnelles de 1962 à 1966

Par la loi de reconduction de 1962 sus citée2, l‟Algérie a officiellement prolongé l‟application de la législation française, mais en fait était-ce seulement la législation qui était reconduite ? En fait comme nous allons le voir c‟est le système français qui a été reconduit, c'est-à-dire plus que les textes législatifs, c‟est une certaine manière de raisonner, la jurisprudence, les concepts et principes qui ont été reconduit et introduit dans le cadre du nouveau système Algérien. C‟est précisément le cas pour ce qui concerne les critères de répartition des compétences : en effet et vu le maintien des tribunaux administratifs s‟est logiquement posé la question des critères de répartitions de compétences qui devaient être utilisés. Sous la houlette de juristes et magistrats français ou formé à l‟école française, tel Jean Lapanne Joinville, Mustapha el Hassar, Michel Miaille, Henri Fénaux, Gaty, Vallé, Beraud, Haroun, Mosrefai,Abu Zeid, de même , qu‟il est intéressant de citer les jeunes juristes qui ont constitué le premier ministère de la justice3 ave le défunt maitre Amar Bentoumi, il s‟agit notamment de Ghaouti Benmelha , Abdel Kader Hadj Ali , Meziane Amar ,Kaddour Sator.4

Quel a été le critère de répartition des compétences entre juge administratif (tribunaux administratif) et juge judicaire (tribunaux ordinaires) ? En d‟autres termes quelle attitude a été adoptée par les juridictions administratives pour répartir la compétence, sur la base de quel critère ?

Au vu du caractère transitoire de la période et en l‟absence de textes législatif ou règlementaire relatif à cette question, l‟on ne peut que recourir à la jurisprudence de l‟époque, à noter cependant que les arrêts auxquels nous allons faire référence ne sont que des exemples ou plutôt des indicateurs jurisprudentiels.

En compulsant les recueils de jurisprudence et notamment la revue Algérienne et l‟annuaire de justice, on constate que plusieurs arrêts permettent de dégager la solution adoptée durant cette période (1962-1965) pour définir le litige administratif. Nous allons donc à titre pédagogique en citer quelques-uns qui nous paraissent les plus représentatifs : nous citons donc Les arrêts : Lecarcorvi du 17/12/19655, l‟arrêt Dame

1 Jusqu‟à la promulgation du code de procédure civile plus précisément.

2 Loi n°62-157 du 31/12/1962 tendant à la reconduction jusqu'à nouvel ordre de la législation en vigueur

au 31/12/1962. A rappeler que cette loi n‟a été abrogée qu‟en 1973 par l‟ordonnance n°73-29 du 05/07/1973, J.O, du 03/08/1973, qui stipulait dans son article 4 que cette abrogation ne prenait effet qu‟à compter du 05 juillet 1975. Un délai supplémentaire de deux ans avait donc été jugé indispensable pour permettre, pensait-on, à la « commission nationale de législation », crée par un décret du 05/07/1973 de parachever en étroite collaboration avec les diverses commissions sectorielles mises en place dans les départements ministériels, les travaux de codification, cf. Sekfali Z., Introduction générale au système judiciaire algérien, casbah édition, Alger, 2010, pp : 20-21.

3 Décret n°63-128 du 19 avril 1963.

4 Bentoumi Amar, Naissance de la justice Algérienne, casbah édition, 2010, nt. pp : 45-72. 5

Méon-Soler du 18 novembre 19661, l‟arrêt Hetzel du 16/12/1966,2 l‟arrêt consort Bardies-Montfa du 16/12/1966.3

Dans l‟arrêtLecarcorvi, qui est un arrêt des arrêts de l‟année 1965, en fait c‟est à partir de cette année que la situation s‟était quelque peu stabilisée après l‟euphorie de l‟indépendance et des troubles politiques qu‟elle connut. Dans cet arrêt, il s‟agit de la dame Marie Dominique Lecarcorvi qui soutien avoir reçu une lettre de l‟administration de l‟enregistrement et du timbre qui lui réclamait en tant que redevable le montant des droits simples dus sur la succession d‟une parente et d‟une pénalité encourue du par le retard pour le retard dans le dépôt de la déclaration de succession.

La dame Lecarcorvi contestait en fait l‟évaluation de l‟administration qu‟elle estimait erronée : elle demande la désignation d‟un expert et l‟annulation de la pénalité de retard.

La cour suprême va se déclarer incompétente considérant qu‟il s‟agit d‟un litige qui relève de la compétence de la juridiction civile et ce en dépit du fait de la présence de l‟administration dans ce litige. La juridiction suprême se fondera sur l‟article 181 du code de l‟enregistrement qui dispose que « lorsque l‟accord sur l‟estimation ne s‟est pas fait à l‟amiable, la demande en expertise est faite par simple requête au tribunal civil dans le ressort duquel les biens sont situés ».

De la lecture de cet arrêt on peut relever au moins deux points essentiels pour notre étude :

1- Le critère retenu pour répartir la compétence est un critère matériel qui prend en compte la nature matérielle du litige et non pas la nature publique ou privé de la personne partie au litige ;

2- Le critère utilisé dans ce cas est de nature législative et non pas jurisprudentiel, et là il s‟agit de préciser un point important concernant la législation héritée du droit français, en effet par l‟effet de cette législation vont être transposer dans notre droit indépendant tous les ingrédients du dualisme juridique, c‟est ainsi que l‟on supprimera la dualité des juridictions dans ses organes mais elle ne sera pas supprimé dans le droit et sa structure binaire4; on omet souvent dans les différentes études auxquelles nous nous référons d signaler cet aspect important.

Le second arrêt permettant de dégager le critère utilisé pour définir le litige administratif durant cette période est l‟arrêt Dame Méon-Soler de l‟année 1966. Dans le cas la Dam d‟espèce la dame Méon-Soler, sage-femme de profession avait été sollicité par la commune de Kouba pour se rendre au gué de Constantine et de porter assistance à une patiente. En se rendant à cette destination, la Dame Méon-Soler est victime d‟un accident de la circulation, elle demande réparation devant le tribunal administratif d‟Alger qui par une décision du 24/6/1960 rejeta sa demande au motif que le litige relevait de la compétence du juge statuant en matière sociale, la Dame Méon-Soler interjeta appel contre cette décision.

1 C.S, Ch. Adm du 18/11/1966, in. Annuaire de justice, 1966/1967, PP : 255-260.

2 C.S, Ch. Adm du 16 /12 /1966, in. R.A., 1967, n° 3, P.562.

3 C.S, Ch. Adm du 16 /12 /1966, in. R.A., 1967, n° 3, PP : 563--564.

4Truchet Didier, La structure du droit administratif peut-elle demeurer binaire ? In. Clés pour le siècle,

Le problème juridique posé dans cet arrêt était celui de la nature juridique de la relation qui existait entre la Dame Méon-Soler et la commune de Kouba, en d‟autres termes, c‟était le problème de la compétence d‟attribution qui devait être tranché.

Si pour l‟administration, il s‟agissait d‟une relation établie par un contrat de travail et que par conséquent le litige relevait du juge judiciaire, pour la partie requérante, l‟accident était survenu alors qu‟elle concourrait à l‟exécution d‟un service public, et qu‟en application de la jurisprudence française, le préjudice causé à toute personne participant à l‟exécution d‟un service public engage la responsabilité de la puissance publique.

Dans cette affaire, la cour suprême a tranché en faveur de la requérante en les termes suivants : « Attendu qu‟en répondant à l‟initiative de la commune, elle a rempli une mission à laquelle il lui était interdit de se dérober et concouru ce faisant à l‟exécution d‟un service public, Que le dommage qui en est accidentellement résulté est de nature à engager la responsabilité de (l‟administration) »

.

De cette manière, la cour suprême s‟était référée pour se déclarer compétente dans cette affaire à un critère matériel, à savoir la nature du lien juridique qui existait entre l‟administration et la Dame Méon-Soler qui en fait avait participé à l‟exécution d‟une mission de service public.

Le troisième arrêt qui permet de déceler le critère utilisé à l‟époque est l‟arrêt Hetzel de l‟année 1966, dans le cas d‟espèce la société Hetzel intente un recours en vue de l‟annulation d‟un arrêté pris par le ministre de l‟économie nationale et dont l‟objet est la nomination d‟un commissaire du gouvernement qui devait prendre en charge pendant trois mois un chantier de travaux publics.

Pour le juge de la cour suprême, l‟administration a entendu par cette mesure remédiée à l‟abandon par la société Hetzel (…) des travaux d‟aménagement de la route nationale n°44, travaux qui lui ont été confié par marché et approuvé par décision du ministre.

Et le juge suprême de conclure en considérant « que s‟agissant ainsi d‟une mesure d‟exécution, le litige qui la concerne relève en première instance de la compétence du juge du contrat ».

On constate que dans cet arrêt, les juges de la cour suprême fondent leurs analyses sur la recherche de la nature du litige et ne se soucie guère de la partie qui est concernée par le litige.

Le quatrième et dernier arrêt que nous citons comme indicateur de la nature du critère qui permet de répartir la compétence entre juges administratif et judiciaire est l‟arrêt consort Bardies-Montfa.

Dans cette affaire durant l‟hiver de l‟année 1957 des inondations dues à la crue de l‟oued Isser ont causé des dommages aux consorts Bardies-Montfa, ces derniers ont dès lors demandé réparation des préjudices qui leur avaient été causés et ceci devant le tribunal administratif d‟Alger qui par une décision du 02/07/1965 rejeta leurs demandes1.

Ils relevèrent dès lors appel de cette décision, devant la chambre administrative de la cour suprême qui décida de confirmer le jugement du tribunal administratif d‟Alger du 02 Juillet 1965.1

Le problème juridique posé dans cet arrêt était celui de savoir si les arguments juridiques invoqués étaient de nature à engager la responsabilité de l‟État.

Le professeur M. Boussoumah notera à ce propos que même si la présence de la locution de service public ne fonde pas la compétence du juge administratif, elle n‟est pas pour autant dépourvue d„intérêt puisqu‟elle a valeur d‟indice, d‟indicateur dans la mesure où la décision Bardies-Montfa possède des similitudes frappants avec la jurisprudence Blanco2.

Le juge administratif se réapproprie même à peu de chose près les considérants du célèbre arrêt souligne M. Boussoumah 3: « Attendu que la responsabilité qui peut incomber à l‟administration pour les dommages causés aux particuliers ne peut être sans autre considération du code civil, que cette responsabilité n‟est ni générale, ni absolue qu‟elle a ses règles qui varient selon les besoins du service public4

».

Le professeur Boussoumah expliquera cette réappropriation de la logique de l‟arrêt Blanco: « bien que la loi opère une nouvelle distribution des tâches entre la chambre administrative de la cour suprême et les tribunaux administratifs, le problème de la répartition des litiges se repose dans les mêmes termes qu‟en droit français, que ce soit à l‟intérieur ou à l‟extérieur de la cour suprême, cette similitude résultant du fait qu‟à côté du contentieux par détermination de la loi (travaux publics, expropriation, actes des autorités administratives), il existe un vaste champs ou le juge intervient souverainement.5

Tout indique pour M. Boussoumah que le critère du service public a guidé le choix du juge Algérien durant la période 1962-1965.6

Cette conclusion du professeur M. Boussoumah est également partagée par d‟autres auteurs, ainsi M.E.J Lapassat affirme que « dans tous les cas, le tribunal administratif a purement et simplement appliqué les règles du droit français et de la jurisprudence du conseil d‟état ».7

Aussi, peut-on conclure que le juge administratif Algérien s‟est réapproprié la solution française pour définir le litige administratif, à savoir un critère essentiellement matériel, le juge devait notamment poser la question du droit applicable au litige et ce selon la règle de la "compétence suit le fond".

Comment expliquer l‟utilisation du critère du service public, critère consubstantiel à l‟État libéral et érigent l‟activité privée comme règle générale et ce dans le cadre d‟un système juridictionnel privilégiant l‟administration, elle-même émanation d‟un pouvoir

1C.S, Ch. Adm, Bardies-Montfa C. / l‟État ..., P. 563.

2Arrêt Blanco, T.C. 8/2/1873, Long (M), Weil(P), Braibant (G), Les Grands arrêts de la jurisprudence

administrative, Paris, Sirey, 9° édition, 1990, P. 15.

3Boussoumah (M), Essai sur la notion, op. cit. p. 345.

4Arrêt Bardies-Montfa ..., op. Cit. P. 564. 5Boussoumah (M op. cit., p. 344. 6 ibid., P. 344.

7Lapassat (E.J), la justice en Algérie..., op. Cit. P.P : 89--90, dans le même sens, Benmelha (G), l‟État

politique se voulant socialiste et consacrant l‟activité étatique comme règle générale et absolue?1

Pour le professeur M. Boussoumah, l‟utilisation du critère matériel s‟explique : 1° Par le fait qu‟elle n‟était pas en contradiction avec les options socialistes de l‟Algérie, considérant qu‟elle s‟insérait même dans la logique socialiste de l‟évolution du droit, en ce sens que durant une phrase transitoire qualifiée de phase inférieure du socialisme, rien n‟interdisait de recourir aux catégories juridique de l‟ancien droit (français, bourgeois...).

2° Par le fait que l‟État Algérien indépendant allait tirer la puissance de son pouvoir et sa raison d‟être de la nécessité de répondre aux besoins collectifs du public, se forgeant ainsi le mythe (par le discours politiques notamment) du protecteur, du bienfaiteur, du serviteur du peuple car, voulant surtout se consacrer comme État/ Contraire à « L‟État colonial », oppresseur, injuste.2

Afin de répondre aux aspirations du peuple, et légitimer par la même leur pouvoir, les gouvernants Algériens allaient s‟empresser de reproduire les mécanismes juridiques du critère du service public3, qui était d‟ailleurs considéré par la doctrine française comme « un mythe légitimant » selon la formule consacré par J. Chevallier.4

C‟est ainsi que « débarrassé de la gangue idéologique coloniale qui altérait son éclat, le service public allait préserver à la fois son contenu technique ou judiciaire et son aspect économique au moment ou au plan philosophique il perdrait toute signification ».5

Sous-section 2 : Le C.P.C de 1966 : Adoption d’une « clause générale

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