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Réalité de la réhabilitation de la notion de service public en droit Algérien

Sous-section 2 La Question de l’évolution vers l’utilisation du critère du service public

Paragraphe 1- Réalité de la réhabilitation de la notion de service public en droit Algérien

Le professeur Boussoumah est sans doute l‟un des spécialistes du service public en Algérie, son expérience est d‟autant plus intéressante qu‟il est un observateur assidu de l‟évolution du droit Algérien en générale et du service public, des entreprises publiques et des établissements publics. Il suffit de se reporter à ses travaux disponibles pour la pluparts.1

Si son ouvrage sur l‟entreprise socialiste2 reste un texte de référence et désormais un classique pour ce qui concerne la notion d‟entreprise socialiste et par la même en ce qui la structure du droit dans les années 1970 et début 1980, son essai sur la notion juridique du service public3 est sans doute l‟une des analyses les plus profondes non seulement sur la notion de service public en Algérie mais également et surtout sur la structure du système juridique algérien dans les débuts des années 1990.

Ainsi pour l‟éminent professeur : « le service public est le reflet des conceptions philosophiques en vigueur à une période donnée et dans un pays donné. Il varie dans l‟espace et dans le temps ».4

1Cf. Boussoumah M, Cous de théorie et organisation comparés des services publics, polycopié, semestre

7, année universitaire : 1977-1978 ; Boussoumah M, Le secteur public industriel et commercial de l‟Algérie coloniale, in. R.A, 1982, pp : 237-239 ; Boussoumah M., L‟entreprise socialiste en Algérie, Alger, OPU, Paris, Economica, 1982 ; Boussoumah M., La notion d‟entreprise publique en Algérie, in. R. A, 1989, pp : 59-64 ; Boussoumah Mohamed, Essai sur la notion juridique de Service Public, in. R.A, 1992, n°3, pp : 333-499 ; Boussoumah M., Réflexions sur le service public colonial, in. Ouvrage collectif sous la direction de Walid Laggoune, Algérie, cinquante ans après, la part du droit, tome II, éditions AJED, Alger, 2013, pp : 33-102.

2 Boussoumah M., L‟entreprise socialiste en Algérie, Alger, OPU, Paris, Economica, 1982. 3 Boussoumah M., Essai sur la notion juridique de Service Public, in. R.A, 1992, n°3, pp : 333-499 4

D‟emblée le professeur Boussoumah insistera sur l‟importance du service public rappelant qu‟il est une de ces notions qui sont considérée comme des « mythes légitimant », se fondant ainsi sur les travaux d‟un autre éminent spécialiste du service public, le professeur Jacques chevallier1 , ou comme les qualifiera plus tard l‟éminent professeur Grégoire Bigot de « mythes fondateurs » du droit administratif2, alors que d‟autres auteurs parleront de légende3

.

Cette fonction de légitimation est sans doute due au fait que le service public évoque à la fois trois significations : institutionnelle, juridique et idéologique4.

Après l‟indépendance, la notion de service public a préservé son contenu technique ou juridique et son aspect économique, mais il a perdu toute signification idéologique ou philosophique pendant un quart de siècle, remplacé par un autre mythe : le « socialisme algérien », et ce n‟est qu‟avec les réformes de 1988 et la constitution de 1989 qu‟il va réapparaitre comme une notion influençant le droit Algérien5

pour justement remplacer l‟idéologie socialiste et relégitimer le nouvel Etat dans sa conception libérale .

L‟on peut légitimement se poser la question du pourquoi d‟une telle résurrection ? À ce moment précis de l‟évolution du droit Algérien ? Pourquoi la notion de service public précisément ?

La notion de service public constitue-t-elle un critère de définition du droit administratif et surtout un critère de la répartition des compétences entre juridictions administratives et ordinaires : constitue-t-il l‟avenir du critère organique officiel ?

Les gouvernants de l‟époque entrant dans une phase transitoire incertaine à caractère libéral comprenaient bien qu‟il allait affronter de sérieuses difficultés vis-à-vis des citoyens notamment : on ne doit pas oublier que l‟Etat socialiste était un Etat providence, un Etat privant certes les citoyens de leurs droits politiques, mais qui garantissait une certaine sécurité économique pour les citoyens, il était difficile de remplacer cette sécurité économique , d‟où la nostalgie de beaucoup de gens pour cette période, jusqu‟à l‟heure actuelle d‟ailleurs.

Sortir de l‟Etat socialiste obligeait les gouvernants donc à chercher des « palliatifs idéologiques » équivalents à celle du socialisme, du moins dans une certaine mesure.

Les gouvernants puiseront dans l‟arsenal juridique français où la notion de service public à une histoire et que surtout aux termes du professeur Bigot : le service public « s‟inscrit dans le registre de la croyance. Et son droit, le droit administratif, est de ce point de vue et avant tout fondé sur un système de représentation.

On peut y voir la preuve pour le professeur Bigot que « la croyance détermine pour partie le droit, ou du moins lui fournit une assise d‟ordre psychologique. L‟Etat

1 Chevallier Jacques, Le service public. Que sais-je ? P.U.F, 1987, p.03. 2

Bigot Grégoire, Les mythes fondateurs du droit administratif, in. R.F.D.A, 2000, n°3, PP : 527-536 ; cf.

également Lucien Nizart, à propos de la notion de service public. Mythes étatiques et représentations spéciales, Mélanges Eisenmann, p.91 et s.

3Cf. Mesheriakoff A.S, L‟Arrêt du bac d‟Eloka. Légende et réalité d‟une gestion privée de la puissance

publique, in. R.D.P., 1988, n°4, pp 1059-1081.

4Chevallier Jacques, Le service public. op.cit., p.03. 5

défini sur la base du service public : n‟est-ce pas la condition pour que le pouvoir trouve auprès des particuliers une adhésion consentie ?

Car, et là réside sans doute son secret : « Le service public est en effet fédérateur » en ce sens qu‟il est aux termes de M. Bigot « ce qui permet le consentement des différents acteurs engagés dans le processus administratif ».1

En effet, explique le professeur Chambat en cette année 1990 :« L‟expansion du service public entretien donc un lien étroit avec un projet politique émancipateur qui s‟identifie à la République. Les services publics participent au processus de démocratisation de la société en contribuant à l‟universalisation de l‟exercice des droits politiques puis économiques et sociaux, reconnus aux citoyens »2.

Car il s‟agit bien de rappeler avec le professeur Jean-Baptiste Geffroy que : « l‟idée de service public était le produit d‟une transformation de l‟État, fondé

d‟abord sur le concept de souveraineté, auquel a été substituée l‟idée d‟obligation de service à rendre… et l‟idée d‟obligation de service a eu pour conséquence d‟asseoir un peu plus la puissance étatique, d‟enraciner l‟exercice de son pouvoir au sein d‟une fonction « qui devient à la fois le but et l‟instrument d‟autolimitation d‟un État désormais exorcisé ». Si la fonction étatique est fondamentalement déterminée par une obligation sociale, elle ne peut conserver sa raison d‟être sans moyens exorbitants de l‟assumer et d‟imposer à l‟ensemble de la communauté les impératifs du service. C‟est ce qui a fait que les prérogatives de l‟autorité administrative sont en quelque sorte intégrées au service « au point qu‟elles font partie de sa définition même ».3

Cette conception était le compromis parfait pour les gouvernants algériens : Maintenir l‟autorité de l‟État, légitimer le pouvoir, et recourir aux services des personnes privées pour aider dans la gestion économique et sociale du pays.

Surtout que pour le bonheur de nos gouvernants de l‟époque « La désagrégation organique du service public a engendré le développement du service public fonction, indifférent à la nature de l‟organe gestionnaire et centré sur la dualité des éléments de but et de moyens. L‟État dispensateur de prestations de tous genres, régulateur de l‟économie sociale s‟est déchargé du fardeau d‟une fonction qu‟il ne pouvait plus assumer dans sa totalité et qu‟il a délégué à des organismes privés. Mais cette délégation des fonctions de service public ne se présume pas ».4

En ce sens poursuit le professeur Jean-Baptiste Geffroy que « L‟obligation de service transférée à une personne privée n‟a de consistance qu‟accompagnée de ces moyens dont l‟État ne peut se départir sans renoncer du même coup à sa mission. C‟est pourquoi « cette présence d‟éléments de la puissance publique a pour le juge une signification profonde. Elle est le signe que le législateur a entendu faire participer à la fonction administrative une institution dont la structure permettait de penser qu‟elle n‟a

1

Bigot Grégoire, Les faillites conceptuelles de la notion de service public en droit administratif, In.

R.F.D.A, 2008, n°1 p.01.

2P. Chambat, Service public et néolibéralisme, in. Revue Annales (Économies, Sociétés, Civilisation,

1990, n°3 pp : 620-621.

3Geffroy Jean-Baptiste, Service public et prérogatives de puissance publique, Réflexions sur les

déboires d‟un couple célèbre in R.D.P, 1987, n°1, p.84.

4

pas été intégrée à l‟administration ; elle traduit la volonté de la puissance publique de maintenir son emprise sur un organisme , elle révèle le service public ».1

Pour le professeur Jean-Baptiste Geffroy enfin «En transférant à une personne privé l‟obligation du service, elle lui confère par la même la qualité d‟autorité administrative à laquelle est liée la détention de prérogatives exorbitantes »2.

En somme comme l‟explique le professeur J. Chevallier « Les services publics ont été pendant longtemps soustraits à tout jugement en termes d‟efficacité : leur unique préoccupation devait être d‟accomplir la mission qui leur était confiée avec régularité, exactitude, fiabilité, sans s‟interroger sur sa pertinence et sur son coût. Cette conception est devenue caduque : les services publics sont invités à mieux répondre aux attentes de leurs usagers, en améliorant toujours davantage leurs performances et la qualité de leurs prestations. Ils sont sommés de tirer le meilleur parti possible des moyens matériels et humains qui leur sont alloués, en améliorant sans cesse leur productivité et leur rendement. ».3

C‟est donc dans ce contexte et pour ces raisons que les gouvernants Algériens se sont engagés dans un processus de refondation de l‟État et de sa gestion, processus qui va passer par ce que le professeur Boussoumah appellera la réhabilitation du service : ce qui se concrétise par une dénonciation de la bureaucratie4, par l‟installation d‟une commission nationale des réformes administratives, installées par le chef du gouvernement Kasdi Merbah le 31/07/1989 avec comme objectif « une refonte de l‟administration publique et une restructuration en profondeur de la relation administration-administré.».5

La réhabilitation du service public passe également à travers le renouveau du service public dans le vocabulaire politique6et juridique7 et plus particulièrement au travers de la loi d‟orientation sue les entreprises publiques économiques.8

1

Geffroy Jean-Baptiste, Service public et prérogatives de puissance publique,..., op.cit.,p.85.

2

Ibid., p.85.

3

Chevallier J., Les nouvelles frontières du service public, Regards croisés sur l‟économie, 2007/2, p. 23. 4

Boussoumah M., Essai ..., op.cit., p358-388.

5

Cf. El Moudjahid du 1er Aout 1989, cité in. Boussoumah M…, op.cit., p.391 ; même si cette commission sera éphémère, le principe sera cependant repris dans le programme du gouvernement de Mouloud Hamrouche qui succédé au gouvernement de Kasdi Merbah.

6

Le terme est de plus en plus utilisé par le président de la république, le premier ministre en fait un label dans son programme, c‟est le terme autour duquel fonctionne les différentes commissions de réformes de l‟administration : cf. El Moudjahid du 27/09/1989 et celui du 1er

/10/1989 ; Le Quotidien d‟Algérie du 24/06/1991, Service public où est tu ? cf. Boussoumah M., op.cit., p.392-394.

7

Cf. La loi n°80-05 du 1er/03/1980 relative à l‟exercice de la fonction de contrôle par la cour des comptes, J.O, p.234 ; loi n°85-05 du 06/02/1985 relative à la protection et à la promotion de la santé, J.O., p.122 : notamment art.128 : « le financement des services publics de santé est assuré par l‟État » ; cf. aussi Décret n°85-270 du 05/11/1985 portant transformation de l‟organisation et du fonctionnement des offices de promotion et de gestion immobilière de wilaya, J.O, P.1104 : notamment Art.04 : « Au titre de son objet, l‟office a pour mission :- la gestion du service public du logement social soumis à des conditions de normes techniques et de cout de construction , ainsi que d‟accès et de loyers spécifiques qui sont précisés par voie réglementaire. » ; Loi 90-30 du 1er /12/1990 portant loi domaniale, Art.12, J.O, p.1416 ; loi 90-08 du 07/04/01990, relative à la commune, J.O, p.420 ; Loi n° 90-09 du 07/04/01990, relative à la wilaya, J.O, p.434 ; sur l‟ensemble cf. Boussoumah M. Essai…, Op.cit., pp :396-402.

8

Cf. Loi n° 88-01 du 12 janvier 1988 portant loi d‟orientation sur les entreprises publiques économiques. JO 1988, n°02, pp : 18-23 ; cf. également Boussoumah M, la notion d‟entreprise public en droit Algérien, in. R. A, 1989, pp : 59-64 ; Ghezali Mahfoud, l‟évolution de l‟entreprise publique et de la planification en Algérie, in. R.A, 1989, n°4, pp : 735-781 ; Boussoumah M., Nomenclature des entreprises publiques, note de présentation, in. In. R.A, 1989, n°4, pp : 805-922.

Cette loi d‟orientation est fondamentale, elle renferme toute la conception des gouvernants Algériens pour ce qui concerne les services publics : pour M. Boussoumah, elle a tranché le vieux débat toujours pendants de savoir si le service public et le service public se superposent et se recouvrent dans « l‟État du socialisme ».Elle reconnait qu‟ils se recoupent en partie, qu‟ils se croisent souvent sans avoir pour autant la même sphère d‟influence sans former un bloc homogène ».1

À ce propos il s‟agit bien de noter que le législateur n‟a pas recouru à la méthode analytique pour définir le service public, il raisonne en fonction des modes de gestion des services publics et plus précisément de l‟établissement public2

: en effet la loi sur À titre transitoire certains établissements sont qualifiés d‟ «établissements publics à gestion spécifiques » : le cas par exemple des caisses nationales des assurances sociales, des accidents de travail et des maladies professionnelles, ainsi que la caisse nationale des retraites.3

L‟établissement administratif est ainsi défini dans la loi par rapport aux règles applicables à l‟administration, alors que l‟ÉPIC se définit par la réunion de trois critères : une production marchande, une tarification préétablie, l‟existence d‟un cahier des clauses générales.

Le régime juridique de ces établissements est mixte : ses relations avec l‟État et son organisation interne obéissent aux règles du droit public ; ses rapports avec les tiers autrement dit le statut fonctionnel relève du droit commun.4

Il est intéressant de noter avec le professeur Boussoumah, que la loi de 1988, conçoit l‟E.P.I.C comme une forme de gestion transitoire, dérogatoire au système de l‟entreprise économique : c‟est-à-dire que lorsque l‟É.P.I.C répond à certaines conditions il peut être à termes transformé en E.P.E, et donc en S.A.R.L.5

La loi d‟orientation des entreprises renferme ainsi tout un programme, toutes les perspectives des gouvernants sont contenues dans cette loi, on verra que son influence persiste jusqu‟à l‟heure actuelle en dépit de son abrogation.

Après avoir passé en revue toute cette évolution et réhabilitation du service public, la question essentielle qui nous intéresse est bien sûr : le législateur a-t-il voulu faire du service public un critère de la répartition des compétences entre juridictions administratives et ordinaires ? ou plus exactement , sachant que le législateur a opté pour un critère organique par l‟effet de la loi de 1990 : le service public est-il le critère de répartition entre juridictions administratives et ordinaire qui convient le mieux à

1 Boussoumah M., Essai…, op.cit., p.398. 2 Ibid., p.398.

3Cf. Le décret n°85-223 de la 20/08/1985 portant organisation administrative de la sécurité sociale, J.O,

p.810 ; cf. à ce propos Kacimi Lahlou, L‟établissement public à gestion spécifique, mode d‟exécution du service public de la sécurité sociale en Algérie, in. Revue Idara, 1993, n°1, pp : 03-26.

4

Cf. Art.45 de la loi n°88-01.

5Cf. Décret n°88-101 du 16/05/1988 déterminant les modalités de mise en œuvre de la loi n°88-01 du

12/01/1988 portant loi d‟orientation sue les E.P.E, pour les entreprises socialistes à caractère économiques sous l‟empire de la législation antérieure, J.O, p.600, cf. Boussoumah M., Essai…, op.cit., pp :399-400.

l‟État du droit en Algérie à l‟époque , notamment au vu des incohérences constaté sur l‟application du critère organique ? mes indices que nous avons mentionnés supra ont- ils été véritablement confirmés par l‟évolution du système juridique Algérien ? Se dirige-t-on par conséquent vers des solutions à la tunisienne, c'est-à-dire le choix d‟un critère matériel pour résoudre les problèmes de répartition de compétences entre juridictions administratives et ordinaires ?

En d‟autres termes quelle est l‟influence de la réhabilitation de la notion de service public sue le contentieux administratif et plus particulièrement suer la définition du contentieux administratif et de la répartition des compétences.

Paragraphe 2- L’influence de la notion de service public sur le

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