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Paragraphe2 : La « légalité socialiste » fondement de la justice administrative : critique

La question qui se pose est la suivante : sur quelle base est fondée la justice administrative dans le cadre de la constitution de 1976 ?

À la lecture de la constitution de 1976, le contrôle a pour but de s‟assurer de la conformité de l‟action administrative « les, normes prévues par la loi », mais « le

1Mahiou Ahmed, La justice administrative…, op.cit., p.357.

2Laggoune Walid, La justice dans la constitution Algérienne du 22/11/1976, mémoire D.E.S de sciences

politiques, Alger, reproduction in. la R.A., 1981, N° 2, P.184. ; Brahimi Mohamed, Les filiations de la Constitution de 1976, in R.A.S.J.P.E. n°3/4 1988 pp. 609-676. ; Khalfa Maameri. Réflexions sur la constitution algérienne de 1976, Alger, éd. ENAL/OPU, 1984, 171p.

3Cf. Arthur, séparation des pouvoirs ou séparation des fonctions, partie 1, in RDP.1900, T.13e, pp : 214-

246. ; cf. également R.D.P 1900, T.14e, pp : 34-64.

4 Laggoune walid. op.cit., p.189. 5 Laggoune walid. op.cit., p.190. 6

contrôle doit en outre, s‟étendre à l‟application réelle des lois »1 , en somme pour les chercheurs Mekherbeche et Chalabi, on peut soutenir que dans le cadre de la constitution socialiste de 1976 que l‟administration se trouve clairement soumise au droit dont elle ne peut se contenter de simuler seulement l‟application. Il y a là une reconnaissance, par la charte du contrôle de la légalité qui inclut un contrôle de l‟activité de l‟administration tellement large qu‟on ne se demande s‟il ne renferme pas une reconnaissance du contrôle de l‟opportunité de l‟action administrative. »2 Pour les auteurs, la constitution de 1976 reprend en partie ces principes, en partie, car elle s‟abstient de mentionner « l‟application réelle des lois », ce qui tout à fait logique, puisque si la charte comporte l‟aspect idéologique, la constitution comporte l‟aspect juridique, avec cependant une prépondérance de l‟idéologie sur le juridique, ou que le juridique doit s‟inspirer de l‟idéologique.3

On serait tenté dès lors de dire, mais quelle différence y rait-il avec la légalité libérale ? Justement pour les auteurs, il faut préciser que l‟administration ne saurait être soumise de la même façon que les individus à la loi, la difficulté provenant de ce que justement, c‟est l‟administration qui se trouve chargée de l‟application de la loi.4

L‟exécutif étant à la fois législateur « éminent » et chef du parti, l‟activité normative présidentielle ne saurait être mesurée au degré de légalité ; l‟autorité administrative bénéficie, en quelque sorte de cette présomption d‟activité favorable à la loi.5

En fait la notion de légalité en Algérie reprend les grands traits de la légalité retenue dans les pays socialistes… elle est dominée par un engagement vis-à-vis de la construction d‟une société caractérisée par l‟approbation collective des moyens de production,

Il se dégage ainsi une conception de légalité « active » à qui sont assignée des objectifs qui ne peuvent être atteints selon les schémas d‟une légalité « neutre ».6

en somme pour le professeur Benakezouh dans sa thèse : « Le contrôle de l‟administration consiste dans « le rapprochement d‟une activité de l‟administration telle qu‟elle est, a été ou sera avec ce qu‟elle doit, devait, ou devrait être (..), c‟est le moyen par lequel on peut s‟assurer que la « machine » fonctionne adéquatement (...). Pour qu‟il y ait contrôle de quelque chose, il faut que ce quelque chose puisse être rapporté à des éléments donnés et appréciés par rapport à cet élément (..), tout contrôle doit, pour être réel et efficace se concevoir par rapport à un élément fondamental de référence ».7

Le système de répartition des compétences entre formations juridictionnelles statuant en matière administrative, devait être apprécié par rapport et en fonction de

1cf. Chalabi E.-Mekharbech C., op.cit.,…p.721 ; cf. également la charte nationale éd. Pop. de l‟armée,

de 1976, p.55 ; cf. Brahimi M., Le contrôle exercé par l‟APN, in. R. A, 1984, n°02, pp : 363-411.

2Chalabi- Mekherbeche,…op.cit., p.721. 3 Ibid., p.722. 4 Ibid., p.722. 5 Ibid., p.723. 6 Chalabi- Mekherbeche,…op.cit., pp : 731-732. 7

l‟élément fondamental de référence de l‟époque : la charte nationale et la constitution de 1976).

Dans le cadre de la constitution de 1976, le pouvoir était fondamentalement unitaire, en ce sens que les fonctions législative et judiciaire étaient considérées comme les auxiliaires de la fonction exécutive (dans l‟accomplissement de sa tâche de réalisation des buts de l‟État socialiste1

).

Ce qui explique le fait que le système Algérien ait rejeté l‟idée qu‟il pouvait y avoir une discrimination entre les autorités administratives ou les actes administratifs, les différentes autorités administratives étaient considérées comme tenant le pouvoir du peuple et l'exerçait en son nom, dans le respect de la légalité socialiste.

Ainsi, dès qu‟il y avait atteinte à cette légalité2

, il fallait la faire redresser par la cour suprême.3

En ce sens explique M. Mathiot que : « le droit n‟a pas du tout cette fonction de conciliation, de modération, de compromis que les pays occidentaux lui attribuent, puisqu‟il n‟y a pas d'antagonismes sociaux ».4

Ce qui explique, souligne M. Laggoune, que la justice n‟était pas réductible à la fonction judiciaire par le fait que la fonction de contrôle était intégrée dans la séparation générale des fonctions.5

L‟article 184 de la constitution de 1976, consacrait d‟ailleurs cette conception de la justice quand il disposait que : « le contrôle a pour objet d‟assurer le bon fonctionnement des organes de l‟État dans le respect de la charte nationale, de la constitution et des lois du pays (...), le contrôle a enfin pour fonction de vérifier la conformité des actes de l‟administration avec la législation et les directives de l‟État ».

Ainsi, dans le cadre de la constitution de 1976, les dispositions constitutionnelles concernant le contrôle de l‟administration s‟articulaient de la manière suivante : l‟article (178) disposait que la cour suprême, organe régulateur de l‟activité des cours et tribunaux, assurant l‟unification de la jurisprudence et veillant au respect du droit, selon l‟article (177), connaissait des recours à l‟encontre des actes réglementaires.

Se voulant complémentaire, l‟article 184 disposait que certains actes de l‟administration (à l‟exclusion des actes administratifs devant normalement relever de la compétence de la cour suprême) pouvaient être contrôlés par l‟effet de l‟institution de juridictions exceptionnelles, en d‟autres termes, était permis le contrôle de l‟administration en dehors du cadre judiciaire, le contrôle de la légalité reposant sur des principes classiques ne permettant guère au juge de se transformer en « régulateur des

1 Mathiot A., pouvoir judiciaire ou fonction judiciaire, in. Annuaire de justice, 1969, PP : 115-116. 2Par «légalité socialiste » l‟on entendait « une force créatrice centre entièrement sur la défense, le

renforcement et le développement des conquêtes historiques de la révolution socialiste, cf. Mekharbech

C., Chalabi E., les fonctions de la loi, in. R A, 1985, n°4, p. 728, citant René David les systèmes de droit

contemporains, Dalloz, Paris, 1978, P. 209 et s.

3 Yagla M.B., op. Cit. P. 176. ; cf. nos développements Mohamed Karim …op.cit., p. 4 Mathiot A., op. Cit. P. 110.

5

contradictions sociales et politiques qui se nouent autour de la réalisation (du socialisme) ».1

Sous l‟empire de la constitution de 1976 le principe constitutionnel fondamental commandant le contrôle de l‟administration était posé par l‟article 184 qui constitutionnalisait le contrôle de l‟administration comme garant de la légalité socialiste.

Pour M. Laggoune, « l‟analyse de la charte nationale permet de dire que le contrôle (véhiculé par l‟article 184 précité échappait à la fonction judiciaire et à la compétence de la cour suprême, car dépassant par son caractère correctif les pouvoirs du juge ».2

En fait, poursuit M. Laggoune, « de par l‟institution de la fonction de contrôle (dans le cadre de la constitution de 1976, la fonction judiciaire avait été cantonnée dans un cadre d‟exercice assez limité 3: le contrôle s‟effectuait dans une large mesure en

dehors de la fonction judiciaire ».4

L‟on peut comprendre dès lors l‟étonnement du professeur M. Miaille dans sa note sur l‟arrêt MAATEC, sur laquelle nous reviendrons en détail, lorsqu‟il estimait que l‟Algérie aurait dû opter pour un critère matériel plus conforme avec les options socialistes, la conception de lois, la conception d‟administration.5

En effet on peut poser la question de l‟opportunité du choix d‟un critère organique dans le cadre d‟une légalité socialiste « active », en ce comme l‟a montré le professeur Jean Rivero Dans les pages mémorables qu‟il a consacrés à l‟étude de l‟État de droit, le professeur jean Rivero comparant légalité classique et légalité socialiste, « la légalité socialiste du point de vue formel « englobe certes la règle écrite mais, alors qu‟n occident le règne de la loi constitue par lui-même une fin, la règle n‟est ici qu‟un moyen au service d‟une fin plus haute, le triomphe de la société socialiste; et si le moyen parait , dans un cas précis , mal adapté à servir la fin , il perd sa vertu et sa dignité; la règle cesse de définir la légalité si son abandon , à un moment sert mieux , qu‟elle, dans l‟esprit des dirigeants , la société à venir. ».6

En conclusion, on peut dire que le critère choisi par le législateur pour déterminer et répartir la compétence entre juges administratifs et judicaires n‟était pas très efficace, puisqu‟il va permettre de d‟exclure du contrôle de la légalité plusieurs catégories d‟institutions qui aurait dû logiquement être contrôle par le juge administratif, comme nous le montrerons dans le chapitre suivant. À noter que l‟erreur commise à notre sens a

1Aux termes de Walid Laggoune, la fonction de régulation est avant tout une action politique…, elle consiste surtout à donner une orientation générale à la décision à prendre et qui doit être constamment à la base de l‟activité judiciaire, cette orientation ne peut se faire que par rapport à un objectif : le socialisme.., Cf. Laggoune W., la justice .., op.cit., P. 249.

2 ibid. P. 232. 3

ibid. P. 232.

4Pour preuve, il suffit de se reporter au rôle de la cour des comptes, Cf. Laggoune, op.cit. P.P : 234-236,

ainsi qu‟aux compétences des commissions de la révolution agraire, fonctionnant dans le cadre de l‟article 184 de la constitution de 1976, Laggoune W., op.cit., P.P : 231-233.

5Cf. M. Miaille, note …, cf. également M. Miaille, Le plan comme loi fondamentale, Alger juin, 1975,

ronéoté.

6

Rivero Jean, l‟État de droit peut-il être encore un État de droit ? in. Local.droit.ulg.ac.be.

était de maintenir le principe français de summa divisio : c'est-à-dire la distinction du droit public et du droit privé avec une conception de la légalité socialiste qui ne se prend pas en compte cette distinction. Le maintien de la summa divisio s‟explique d‟autant moins, que la place de propriété privée et du droit privé était cantonné dans des limites très minimes, reflétant en fait la conception de l‟État voulu par le pouvoir révolutionnaire de l‟époque.

Se pose dès lors le pourquoi du choix du critère organique, consubstantiel à la nature des personnes et publiques et à la notion de puissance publique, contrairement au critère du service public.

En fait ce choix s‟explique non pas par l‟état du droit et de l‟État tel qu‟ils étaient à l‟époque mais au droit et à l‟État tel qu‟ils devaient être : en effet l‟une des faiblesses du système socialiste consistait justement dans une sorte de romantisme idéologique et juridique, Les textes étaient toujours dans une perspective d‟avenir et une perspective d‟idéalisme et de naïveté révolutionnaire.

Ainsi, le pouvoir ambitionnait en fait de construire l‟État sur la base de nouvelles catégories « juridiques » uniques telles les entreprises socialistes : envisager la même structure à utilisation polyvalente dans les différents domaines, le statut général des travailleurs : supprimer la distinction fonctionnaire - travailleurs, envisager le même statut pour tous.

Pour le pouvoir Algérien il s‟agissait de construire un État avec des structures uniques identiques multifonctionnelles et donc il aurait été facile avec un critère organique de répartir les compétences entre les différents ordres juridictionnels. Cependant n‟était-ce pas prendre ses rêves pour de la réalité ? En effet, la réalité se venge comme nous l‟explique P. Moor : « La réalité ne se venge-t-elle pas en réapparaissant à un autre niveau, de ce que la méthode occulte ?

La vérité d‟une science se révèlerait ainsi dans sa praxis, lorsqu‟elle est radiographiée, non dans sa pratique seulement, mais dans la totalité de ce qu‟elle produit ou ne produit pas, y compris donc ce qu‟elle ne peut ou ne veut pas voir de la réalité Ŕces « lacunes » qui en disent plus sur la science elle-même que ses discours, comme des « actes manqués »1

.

Cette conception du pouvoir allait échouer pour plusieurs raisons :

1er : en raison d‟une « polysystémie disjonctive » : Comme l‟a si bien expliqué R.N Saadi, la science juridique s‟est constituée et évolue en Algérie sur un terrain heurté et contradictoire (…) en ce sens que tout se passerait comme si l‟impossibilité de cette science juridique à penser « son » système juridique conduisait immanquablement à la cantonner au descriptivisme…2

Pour R.N Saadi « Le système juridique apparaît doublement fracturé : par une « polysystémie disjonctive » au sens de la coexistence de plusieurs systèmes juridiques ayant des valeurs contradictoires et par une « polysystémie successive » au sens où il y a une substitution progressive d‟un corps de règles par un autre dans deux temps

1Moor P., Dire le Droit, In. De l‟argumentation dans les sciences de la société, P. Moor.éd., Revue

Européenne des sciences sociales 35,1997, n°107, p.34.

2Saadi Rabah Noureddine, Quelques réflexions sur l‟état de la science juridique en Algérie, In.

historiques : dans un ressourcement recherchant une adéquation de la société hic et nunc avec son passé et dans une prospective de transformation de la société par le « développement »1.

2e La reconduction de concepts de droit français libéral

La reconduction de la législation antérieure à l‟indépendance, opération d‟attente justifiée par la raison que l‟existence de l‟Etat a horreur du vide juridique, dépasse largement l‟effet provisoire qui lui a été initialement donné. D‟abord parce que, par bien des aspects elle marque le système juridique d‟aujourd‟hui malgré son abrogation en 1975. Mais surtout par le fait que le constituant de 1962 en (re) donnant validité à un corps de règles (la lettre du droit) a investi le système juridique algérien par les fondements de cette législation (esprit des lois) de la doctrine, la jurisprudence, la logique bref le champ intellectuel de la science juridique française. Ce, connu dans de nombreux pays à la faveur de la décolonisation et du processus de « succession d‟Etat »2

.

3e Le manque de cohérence : On peut ainsi parler d‟un manque de cohérence dans la mise en place du système socialiste en Algérie : au moment où on ambitionne de créer de nouvelles structures conforme à l‟option socialiste , on reconduit des structures du droit français libéral, ; au moment où on veut simplifier l‟accès à la justice en simplifiant les critères de répartition des critères , on reconduit tous les ingrédients des problème de répartition de compétence en droit français : au moment où on rejette les critères classique, on réintègre toutes les notions et conceptions du droit administratif français : établissement public, contrat administratif, distinction droit public droit privé, EPA, EPIC, …en fait toutes le notions qui ont fait échouer le critère organique en droit français , le reléguant au rang de d‟indice de répartition de compétence.

C‟est comme si un musicien choisissait des instruments de jazz pour faire de la musique andalouse.

En ce sens-là de reconduction de 1962 a était catastrophique pour l‟Algérie : Le pouvoir était confiant qu‟il pouvait importer des notions même libérale et qu‟il pouvait les instrumentaliser à son compte en attendant l‟avènement du socialisme final ou tous le système aurait été expurgé des notions contraires aux options du socialisme égalitaire ; mais en fait on était plus dans un scenario « en attendant Godot » qu‟en l‟attente de l„avènement d‟un socialisme final utopique : le professeur J Rivero résumera bien cet aspect en considérant que la technique de la légalité libérale ne serait rien si l‟idéologie de la légalité socialiste était vrai, que pour Rivero, nous savons qu‟il n‟en était rien.3

C‟est donc dans le cadre de cette « légalité socialiste », que va être mis en place le critère législatif à caractère organique en Algérie : quelle a été la genèse de la mise en application de ce critère ?

1Saadi Rabah Noureddine, op.cit., p.306.

2Ibid., p.307 ; Cf. également Bedjaoui M., les successions d‟Etats, Recueils des cours de l‟Académie de

droit international de la Haye, 1970, vol. 130.

3

Section 2 : Genèse et application de la clause générale de compétence

en droit Algérien

:

Aux termes de ce qui précède et après avoir étudié le fondement constitutionnel de la justice administrative et des critères de répartition des compétences en Algérie, il s‟agit à présent de procéder à l‟examen de la genèse et de l‟application du critère législatif adopté par le législateur Algérien dans la cadre de code de procédure civile de 1966 : quels sont les critères adoptés par le système français ? Quel a été l‟influence de ces critères sur la solution adoptée après l‟indépendance ? Quel est la genèse et les modalités d‟application du critère législatif adopté par le législateur Algérien ?

Sous-section 1 Une Reconduction éphémère du critère matériel

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