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Le noyau constitutionnel de la compétence de la juridiction administrative en droit Français :

Sous-Section 1 : Réformes constitutionnelles et justice administrative Dans le contexte de notre étude la constitution peut été considérée aux termes

Paragraphe 2 Le noyau constitutionnel de la compétence de la juridiction administrative en droit Français :

D‟une manière tout à fait incompréhensible, qu‟on pourrait même se permettre d‟ajouter aux douzes bizarreries constitutionnelles dégagées par le professeur François Luchaire1 , la constitution française de 1958, en dépit de toute sa charge historique2, ne fait aucune allusion à l‟existence de la justice administrative et ne mentionne le conseil d‟Etat qu‟à propos de ses attributions consultatives, et ce en contradiction avec toutes les théories de droit constitutionnel à savoir que s‟il est vrai que ce sont les options politiques qui structurent un système juridique3 , que ‎c‟est la « constitution » qui est le fondement du système juridique4; que les constituions sont considérées comme gestionnaire de la réalité sociale5 et que surtout les constitutions ne sont que la continuation -d‟une manière différente - de la politique6, avec tout ce qu‟elles

1Luchaire F., Douze Bizarreries constitutionnelles- bien françaises, in. Le nouveau constitutionnalisme.

Mélanges en l‟honneur de Gérard Conac, Paris, Economica, 2001, pp : 151-183.

2 Cointet Jean-Pierre, « L‟écriture de la Constitution de 1958 : le poids de l‟histoire », L‟écriture de la

Constitution de 1958, sous la dir. de D. Maus, L. Favoreu, J.-L. Parodi, Aix-en-Provence, PUAM et Paris, Economica, 1992, pp. 37-48.

3Vedel G. - Delvolvé P., « La constitution comme base du système juridique », JSLC 1979, pp : 111-134. 4Möllers Christoph, Les Gardiennes d‟une séparation : Les constitutions comme instruments de

protection des différences entre le droit et la politique, in. Jus Politicum, n°7, 2012, pp : 01-16.

5Cotta Sergio, « La notion de constitution dans ses rapports avec la réalité sociale », Annales de

philosophie politique 1965, p. 147-168.

6

véhiculent comme mythes et même utopie1, sans oublier l‟influence supposée de la constitution sur le droit public.2

Or la constitution française de 1958, héritière d‟une longue série de constitutions3, a ignoré ces principes et comme on le verra c‟est en fait le conseil constitutionnel en tant que régulateur des rapports de systèmes 4qui a sensiblement modifié cet état de choses.5

Cet état de fait interpelle et suscite l‟étonnement au sens désigné par le professeur Paul Amselek6 : alors que la justice administrative et notamment la question de l‟indépendance et de la séparation des juridictions a fait l‟objet d‟intenses débats , le professeur G. Bigot rappellera à ce propos que : « lorsque les constituants décident de séparer les fonctions de justice et d‟administration que confondait l‟ancien droit , par la grande loi des 16-24 aout 1790, la question du contentieux de l‟administration reste en suspens, faute de savoir avec exactitude s‟il se rattache à l‟unicité de la fonction juridictionnelle ou si ses particularismes doivent s‟inscrire au contraire dans le prolongement de l‟administration active ».7

L‟option qui a eu les faveurs des constituants concernant la justice administrative a été rappelant le constitutionnalisée par la constitution de 17918 et les constitutions qui l‟on suivie et ce contrairement à la constitution de 1958 qui a ignoré cette institution.9

Ainsi de 1958 à 1987 la justice administrative, qui contribué à créer le droit administratif et à organiser et maintenir l‟équilibres des institutions a été « inconstitutionnelle », existant en dehors du magistère de la constitution ?

Ce qui a amené des chercheurs français à s‟interroger sur le rapport même du principe de la séparation des pouvoirs au constitionnalisme.10

1Ferreira Da Cunha Paulo, « Constitutions, mythes et utopies », in Bart Jean, Clère Jean-Jacques,

Courvoisier Claude et Verpeaux Michel (dir.), 1791, la première constitution française, Paris, Economica, 1991, p. 129-145.

2 Druesne Gérard, « L‟influence de la Constitution sur le droit public français », JSLC 1981, p.439-484. 3 Harouel Jean-Louis, « regards sur les constitutions dans l‟histoire du droit français », annuaire de droit

européen vol. 1, p. 7-25.

4Levade Anne, « Le Conseil constitutionnel, régulateur des rapports de systèmes », in Mathieu Bertrand

(dir.), Cinquantième anniversaire de la Constitution française, Paris, Dalloz, 2008, pp : 729-752.

5

Cf. Lochak D., la justice administrative, 3e édition, Montchrestien, Paris, 1998, p.33.

6Ameselek P., L‟étonnement devant le droit, in. A.P.D, tome XIII, 1968, pp : 163-183. 7

Bigot Grégoire, Les bases constitutionnelles du droit administratif avant 1875, définir le droit

administratif, in. RFDA, 2003, p.218.

8

Cf. Drago (R.), « Les origines du contentieux administratif », in Naudin-Patriat (F.), dir., 1791, La première constitution française, Paris, Economica, 1993, p. 383 ; à ce propos le professeur J.L. Mestre s‟interrogera sur la fait que la décision du conseil constitutionnel de 1987 ne s‟est pas fondé directement sur les dispositions constitutionnelles de 1791 , et a choisi le recours au principe fondamentaux de la république, Cf. Mestre J.L., A propos du fondement constitutionnel de la compétence de la juridiction administrative, in. R.F.D.A., 2012, p.341.

9

Cf. Godechot Jacques (présentation), Les constitutions de la France depuis 1789, Garnier- Flammarion, Paris, 1970 notamment la constitution de 1791, et son article 3 du chapitre V, qui est la reprise des dispositions de l‟article 13 de la loi des 16-24 aout 1790, p.59; cf. aussi Jean-Louis Mestre, « Administration, justice et droit administratif », Annales historiques de la Révolution française [En ligne], 328 | avril-juin 2002, mis en ligne le 11 mai 2006. URL : http://ahrf.revues.org/608, pp : 01-13.

10Feldman Jean-Philippe, « La séparation des pouvoirs et le constitutionnalisme. Mythes et réalités

d'une doctrine et de ses critiques», Revue française de droit constitutionnel 2010/3 (n°83), p. 483- 496.DOI 10.3917/rfdc.083.0483.

Alors que d‟autres considéreront le rapport du juge administratif à la constitution comme un des problèmes du droit public contemporain1, d‟autres comme l‟éminent Louis Favoreu2 s‟interrogeront même sur le statut constitutionnel du juge administratif, mais également sur le rapport du juge administratif au principe de la séparation des pouvoirs.3

En effet, il s‟agit bien de préciser qu‟il existe un rapport spécifique de la justice française à la constitution de 1958, disons même un rapport « ontologique » qui consiste selon la formule de Jean Foyer en « l‟histoire d‟un pouvoir refusé »4, le professeur Dominique Turpin étudiera cet aspect de la conception de justice française en posant la question de savoir s‟il s‟agissait d‟un pouvoir ou d‟une autorité juridictionnelle ?5

En résumé la constitution de 1958 se caractérise par une double absence conclut Thierry S. il s‟agit en premier lieu de l‟absence formelle de tout pouvoir judiciaire autonome comparable à celui du gouvernement ou du Parlement6 ; mais surtout en second lieu pour ce qui concerne le propos de notre étude c‟est : « l‟absence de toute unité de la justice, la justice administrative étant ignorée et l‟indépendance reconnue aux seuls magistrats du siège, composant alors l‟autorité judiciaire ».7

Or, contrairement à ce qu‟on pourrait croire, cet état de fait va avoir un effet inattendu, spécifique à la France à savoir une justice (administrative et judiciaire) qui va s‟affirmer et s‟imposer par la qualité de ses juges et de sa jurisprudence. Le professeur S. Renoux Thierry notera à ce propos que « Ce qui a le plus changé depuis 1958 et marqué la distance qui sépare le texte de la Constitution de la Ve République avec la vie politique est sans aucun doute, dans la dernière décennie, la montée en puissance de la justice8 dans la société française ».9

Comment s‟explique dès lors une telle avancée de la justice en dépit de son statut spécial dans la constitution de 1958 ?

L‟éminent D. Turpin développera plusieurs arguments expliquant ce pari de la justice10 , il considèrera ainsi que : « derrière la fable des juges simples « bouches de la loi » et « êtres inanimés », -( qui constitue la thèse officielle des constituants français depuis 1789, et qui généralement stigmatisé par la formule de « gouvernement des

1Charlier Robert-Edouard, « La Constitution et le juge de l‟administration », in Problèmes de droit

public contemporain. Mélanges Michel Stassinopoulos, Paris, LGDJ, 1974, p. 31-46.

2 Favoreu L., « Le juge administratif a-t-il un statut constitutionnel? », in Mélanges en l'honneur

de J.M. Auby, Paris, Dalloz, 1992, p.112-128.

3Cf. aussi Favoreu Louis., « Le juge administratif et le principe constitutionnel de séparation des

pouvoirs», in Mélanges en l‟honneur de P. Amselek, Bruxelles, Bruylant, 2005, p.297-313.

4 Foyer J., la justice : histoire d‟un pouvoir refusé, in. Revue pouvoir, n°16, pp : 17-29. 5 Turpin D., Pouvoir ou autorité juridictionnelle, in. RDP, 2002, n°1/1, pp : 383-392.

6Cf. Boucobza Isabelle, Un concept erroné, celui de l‟existence d‟un pouvoir judiciaire, in Revue

pouvoir 2012, n°143, pp : 73-87.

7S. Renoux Thierry, Le pari de la justice, in. Revue pouvoir, 2001, n°99, p.88.

8 Cf. Engel (L)- Garapon (A), La montée en puissance de la justice, Revue Esprit, 1997, pp : 152-171. 9 Ibid., p.89 ; cf. sur cet aspect M. Waline, « Le pouvoir normatif de la jurisprudence », in Mélanges G.

Scelle, 1950, p. 613 ; J. Hardy, « Le statut doctrinal de la jurisprudence en France », R.D.P. 1990 ; J. Roche, « Réflexions sur le pouvoir normatif de la jurisprudence », A.J.D.A. 1962, p. 532.

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juges 1»)-, les juges se sont arrogés discrètement mais nécessairement le pouvoir d‟interpréter la loi, non plus comme un « texte sacré » dont il ne faut pas s‟écarter, mais comme le résultat de compromis, souvent flous, ambiguë et incomplet. Dès lors la loi n‟était plus qu‟une source de droit, le véritable acte normatif résidait précisément dans l‟interprétation qu‟en donne le juge.il n‟y avait rien de mécanique : la fameuse « majeure » qu‟il est supposé appliquer ne lui est pas donné ou imposée : c‟est lui qui la crée en l‟interprétant, en lui donnant un sens ».2 Le professeur M. Tropper développera cet aspect en parlant de de re-création du droit par le pouvoir juridictionnel.3

Un des arrêts emblématique du conseil constitutionnel français concrétisera le rôle déterminant du conseil constitutionnel dans l‟évolution de la justice : il s‟agit de la célèbre décision du 16 juillet 1971, liberté d‟association4 où le conseil déclare non conforme à la constitution la loi qui soumet à la validité de la constitution d‟association « l‟intervention préalable de l‟autorité administrative ou judiciaire ».

Pour fonder sa décision le conseil constitutionnel range (déjà à l‟époque) le principe d‟association « au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la république » par référence au préambule de la constitution de 1958 renvoyant au préambule de 19465 et à la déclaration de 1789.6

Un des avocats les plus célèbres de France maitre J.M. Varaut considérera que c‟était là la fin d‟un absolutisme, celui de l‟identité du droit et de la volonté générale. C‟était pour lui revenir au principe libertaire et au principe légalitaire qui était au fondement de la république.7

En fait dans le cadre de la constitution de 1958, le conseil constitutionnel a par sa jurisprudence érigé l‟autorité judiciaire en un troisième pouvoir, il s‟est pour cela référé

1 Cf. Michel Troper, Le bon usage des spectres. Du gouvernement des juges au gouvernement par les

juges», Le nouveau constitutionnalisme. Mélanges en l‟honneur de Gérard Conac, Paris, Economica, 2001, p.49-65 ; également Brondel (Séverine), Foulquier (Norbert) et Heuschling (Luc) (dir.), Gouvernement des juges et démocratie, Publications de la Sorbonne, Paris, 2001.

2 Cf. Turpin D., Pouvoir…, op cit. p.387. 3

Michel T., Fonction juridictionnelle ou pouvoir judiciaire ?, in. Revue pouvoir, 1981, n°16, pp : 05-15, cité par D. Turpin ibid.,p.387 ; Le phénomène semble même atteindre, à un degré moindre certes la justice civile, cf. Boulanger (J.), «Notations sur le pouvoir créateur de la jurisprudence civile », R.T.D Civ, 1961, p. 417.

4Cf. 71-44 DC, Rec., 29, RJC I-24, in L. Favoreu, L. Philip, les grandes décisions du conseil

constitutionnel, 10e éd. Dalloz, 1999, p.252-271.

5

Cf. Philip L., La valeur juridique du préambule de la constitution de 1946, selon la jurisprudence du conseil constitutionnel, in. Mélanges Pelloux, l‟Hermès, 1980, p : 265.

6Cf. Rials (S.), La déclaration des droits de l‟homme et du citoyen, Paris, Hachette, 1988. ; voir aussi

Marguerat Ph., Lecture de la déclaration des droits de l’homme, in. Revue Suisse d’histoire, vo.33, 1983, pp : 47-69 ; cf. Chapus René, Les fondements de l‟organisation de l‟Etat définis par la Déclaration

de 1789 et leurs prolongements dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d‟Etat, In. L‟Administration et son Juge, P.U.F, Paris, 1999, pp : 398-426, publié initialement In. La Déclaration des droits de l‟homme et du citoyen et la jurisprudence (colloque des 25 et 26 mai 1989, au Conseil constitutionnel), P.U.F, coll. « Recherches politiques »1989, p.181 ; voir aussi Marguerat Ph., Lecture de la déclaration des droits de l‟homme, in. Revue Suisse d‟histoire, vo.33, 1983, pp : 47-69.

7 Cf. Varaut J. M., Le Droit au juge, Quai Voltaire, Paris, 1991, p.222 ; cf. Redor (M.-J.), « "C‟est la

faute à Rousseau…", Les juristes contre les parlementaires sous la Troisième République », Politix, 1995, n° 32, p. 89.

à la Déclaration des droits de l‟homme et du citoyen du 26 août 1789, dont l‟article 16 qui dispose qu‟une constitution n‟est considérée comme garante des droits de l‟homme que si elle est fondée sur une véritable séparation des pouvoirs, assortie d‟une garantie des droits, assurée en particulier par le juge .1

Il est à noter que cette évolution n‟a pas manqué de soulever une multitude de questions de la part de la doctrine2 sur le conseil constitutionnel3, sur la possibilité de création de droit de sa jurisprudence4 , voire sur la légitimité même de cette jurisprudence5

.

En dépit de certains avis circonspects ou du moins interrogateurs, le conseil constitutionnel a continué à jouer ce rôle, et notamment pour ce qui concerne la constitutionnalisation de la justice administrative et les critères de répartition des compétences.

A ce propos il est à rappeler que la constitutionnalisation de la justice administrative et notamment pour ce qui intéresse notre étude, celle des critères de répartition des compétences a concrétisé par deux décisions importantes du conseil constitutionnel qui ont consacré le caractère constitutionnel de l‟existence et de la compétence propre de la juridiction administrative.

Or, pour opérer cette constitutionnalisation de l‟existence et la compétence spécifique de la juridiction administrative, le conseil ne va pas, comme -on aurait pu s‟y attendre-, faire appel au principe de la séparation des pouvoirs,6 ce qui prouve la justesse avis contestant le fait que le principe de séparation est le principe qui fonde l‟existence de la justice administrative, affirmation qui va nous permettre, dans les développements à venir, de mieux penser les fondements de notre justice administrative et des critères de répartition y afférents , et notamment d‟essayer de sortir du schéma qui nous a été imposé et d‟envisager des solutions plus compatible avec notre contexte historique et social.

En effet, dans la première décision, celle du 22/07/19807, le conseil va fonder l‟indépendance de la juridiction administrative sur « les principes fondamentaux reconnus par les lois de la république depuis la loi du 24 mai 1872 ».8

1 S. Renoux Thierry, Le pari de la justice…, op.cit., p.89 ; cf. à ce propos CC. 98-399 DC, 5-5-1998, Rec.,

p.43, Considérant n° 83, 98-399 DC, 5-5-1998, Rec., p.245, considérant n°13 à 18 ; Voir Thierry S.Renoux, « L‟apport du Conseil constitutionnel à l‟application de la théorie de la séparation des pouvoirs en France », D, 1991, chron. p. 169

2

Cf.Dupeyroux (O.), « La doctrine française et le problème de la jurisprudence source de droit », in. Mélanges Gabriel Marty, Toulouse, Université des sciences sociales de Toulouse, 1978, p. 463-475.

3

Blacher Philippe, « Le Conseil constitutionnel en fait-il trop ? », Pouvoirs, n° 105, 2003, pp. 17-27 ; Waline (Jean), « Existe-t-il un gouvernement du juge constitutionnel en France ? », in Renouveau du droit

constitutionnel. Mélanges en l'honneur de Louis Favoreu, Dalloz, 2007, pp. 487-510.

4

Avril Pierre, « La jurisprudence institutionnelle du Conseil constitutionnel est-elle créatrice de droit ? »,

Archives de philosophie du droit, 2006, t. 50, pp. 33-39.

5

Cf. Drago (Guillaume), François (Bastien) et Molfessis (Nicolas) (dir.), La légitimité de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Economica, Paris, 1999.

6

Rousseau D., Droit du contentieux constitutionnel, 7e éd., Montchrestien, 2006, p.270.

7

CC.80-119 DC., 22/07/1980, R.p.46 ; in. Les grandes décisions.., op.cit., pp : 424-439 ; cf. Favoreu L., RDP, 1980, p.1658 ; Carcassonne G., AJDA, 1980, p.602.

8

Cf. notamment l‟importante étude de Menna Domenico, La théorie des principes généraux du droit à

l'épreuve de la jurisprudence constitutionnelle, in. Le droit administratif en mutation, publication du CURAPP, P.U.F, Paris, 1993, pp : 201-209 ; cf. aussi Brunet Pierre, Les principes généraux du droit et la hiérarchie des normes, In. L‟architecture du droit. Mélanges en l‟honneur de Michel Troper, Études coord. Par D. de Béchillon, P. Brunet, V. Champeil-Desplats et E. Millard, Paris, Economica, 2006, p. 207-221.

Dans la deuxième décision en date du 23/01/19871 le conseil constitutionnel précisera davantage sa conception en considérant que « les dispositions des articles 10 et 13 de la loi des 16 et 24 aout 1790 et du décret du 16 fructidor , an III, qui ont posé dans sa généralité le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires n‟ont pas en elles même valeur constitutionnelle »2 ; en revanche « figure au nombre des principes fondamentaux reconnus par la république les lois de la République » celui de l‟existence d‟une juridiction administrative disposant d‟une compétence réservée.3

A ce propos il est intéressant de relire l‟étude du professeur J.L. Mestre sur justement la constitutionnalisation de la justice administrative. Se référant aux archives parlementaires4 et interprétant les écrits du Doyen G. VedeL, membre du conseil constitutionnel à l‟époque de l‟arrêt en question et ce selon une tradition bien établi en France5. Le professeur Mestre va expliquer qu‟en fait « un projet de justice avait était élaboré le 22/128/1789 qui contenait deux titres qui préfiguraient les articles 10 et 13 du titre II de la future loi des 16-24 aout 1790 ». Or ce projet « présenté par M. Thouret et dont le titre XV était consacré « aux juges en matière d‟administration et d‟impôt » n‟a pas été adopté par la constituante et les deux articles sus cités ont été décontextualisé et transférés dans le titre II du projet présenté le 5/07/1790 ».6

Pour ce qui concerne la question de la répartition des compétence , le Conseil constitutionnel a donné une précieuse indication générale dans la décision n°86-224 du 23 janvier 1987 « Conseil de la concurrence »7 à savoir que : « (…) relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l‟annulation ou la réformation des décisions prises, dans l‟exercice des prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leur agents, les collectivités territoriales de la République ou les organismes publics placés sous leur autorités ou leur contrôle »8.

C‟est donc cette formule très soigneusement rédigée d‟ailleurs 9

qui va contribuer à créer un «noyau » constitutionnel de compétence pour la juridiction administrative à

1CC.86-224 DC., 23/01/1987, R., p.08 ; in. Les grandes décisions…, op.cit., pp : 714-729 ; Chevallier J.

AJDA1987, p.315 ; Favoreu L. RFDA, 1987, p.301, « le principe de la séparation des autorités administrative et judiciaire n‟a pas valeur constitutionnelle » ; Gaudemet Y., RDP.1987, p.1341-1352.

2 Et ce alors qu‟elles figurent dans la constitution de 1791.

3Rousseau D. Droit du contentieux…, op.cit., p.270 ; cf. dans le même sens Lochak D., La justice

administrative…, op.cit., p33.

4Archives parlementaires de 1787 à 1860(dir. J. Mavidal et E. Laurent), 1ere séries, tome 10, pp : 717-718. 5Castera Pierre, Les professeurs de droit membres du conseil constitutionnel, thèse de doctorat en droit

public, université de Bordeaux, 2015, cf. aussi Genevois B., Un universitaire au conseil constitutionnel : le Doyen George Vedel, in. RFDA, 2004, pp : 215-223.

6 Mestre J.L., A propos du fondement constitutionnel..., op.cit., p.340. 7

G.A.J.A., n°93, G.D, p.79

8Truchet Didier, Droit Administratif, 2e édition, Thémis droit, P.U.F, Paris, 2009, p.113 ; Favoreu L.,

«Le juge administratif a-t-il un statut constitutionnel ? », in Mélanges en l'honneur de J.M. Auby, Paris, Dalloz, 1992, p.112-128 ; Favoreu L., « La constitutionnalisation du droit » in. L‟unité du droit. Mélanges en l‟honneur de R. Drago, Paris, Economica, 1997, p.25-42

9D.Rousseau verra dans cette formulation soigneusement pensé et pesée l‟influence du doyen Vedel, se

savoir l‟annulation ou la réformation des actes administratifs unilatéraux. Le professeur Philippe Terneyre parlera ainsi d‟une compétence minimale garantie par la constitution1. D‟une manière générale, la doctrine2 constate que dans la décision du 23 janvier1987 il y a une dynamique qui va conduire progressivement à des changements profonds du système juridictionnel par modification des règles de répartitions des compétences, en ce sens que la compétence de la juridiction administrative est laissée à l‟appréciation du juge administratif ou du juge des conflits, elle n‟est plus limitée par une clause générale de compétence. La conséquence directe (la nouveauté donc) est que le législateur pouvait désormais, sans craindre d‟être censuré par le conseil constitutionnel, établir des transferts de compétences ou créer des blocs de compétence dans un souci de bonne administration de la justice.3

1°-Pour ce qui concerne le principe donc : Le Conseil constitutionnel décide

qu‟a valeur constitutionnelle « la compétence de la juridiction administrative pour « l‟annulation ou la réformation des décisions prises dans l‟exercice des prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités territoriales de la République ou des organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle ».

De cette formulation la doctrine conclut qu‟il est possible de dégager les critères de la compétence « constitutionnellement définie » de la juridiction administrative4.

Ainsi il est important de signaler que cette compétence concerne exclusivement

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