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La constitutionnalisation de la justice administrative dans le système Français : Critères de répartition des compétences et

Sous-Section 1 : Réformes constitutionnelles et justice administrative Dans le contexte de notre étude la constitution peut été considérée aux termes

Paragraphe 1 La constitutionnalisation de la justice administrative dans le système Français : Critères de répartition des compétences et

principe de séparation des autorités :

Le modèle de la justice administrative française est sans doute le modèle original, si tous les systèmes ont puisé dans ce modèle, aucun ne lui ressemble exactement, il garde ainsi une spécificité sans doute lié à son histoire1

, ses mythes2

et au prestige des juristes qui ont contribué à son élaboration et son façonnement3.

L‟originalité du système français est d‟autant plus marquée qu‟elle est fondé sur une lecture spéciale du principe de la séparation des pouvoirs4 : quelle est donc l‟influence de cette lecture sur la justice administrative et les critères de répartition des compétences ?

Historiquement, il est établi que la justice administrative française a était fondé sur la base du principe de la séparation des autorités5, lui-même fondé sur le principe chère à la révolution française : le principe de la séparation des pouvoirs développé par Montesquieu,6 un des penseurs emblématiques du siècle dit des « lumières »7.

Principe qui n‟a cessé de se développer et a influencé les constituants de la révolution française8, car pour en comprendre la logique, « il est impératif d‟avoir présent à l‟esprit une donnée fondamentale de la grammaire du droit public de la Révolution française, à savoir l‟existence d‟une hiérarchie des fonctions étatiques dans le cadre de laquelle la fonction exécutive était subordonnée à la fonction législative, fonction suprême. L‟ensemble de la pensée politique et juridique des XVIIe et XVIIIe

1

Cf. l‟excellent ouvrage de Grégoire Bigot, Introduction historique au droit administratif depuis 1789, P.U.F, 1e édition paris, 2002.

2Bigot Grégoire, Les mythes fondateurs du droit administratif, in. R.F.D.A, 2000, n°3, PP : 527-536. 3Cf. par ex. Gonod Pascale, Edouard Laferrière, un juriste au service de la République, L.G.D.J, Paris,

1997 ; Roussillon Henry, Hommage au Doyen Vedel, in. Revue Droit écrit, Toulouse, 2001, pp : 07- 21, Eisenmann C., « Deux théoriciens du droit: Duguit et Hauriou », Rev. Philosophique, 1930, pp : 231-279 ; Waline Michel. « L‟œuvre de Gaston Jèze en Droit Public ». In : Revue du droit public et de la science politique en France et à l‟étranger. Avril-Juin 1953, n°02. Paris : Libraire Générale de Droit et de Jurisprudence. pp : 879/890.

4Troper Michel, La séparation des pouvoirs et l‟histoire constitutionnelle française, Paris, LGDJ, coll.

«Bibliothèque constitutionnelle et de science politique», t.48, 1973.

5Cf. Auby J.M, Drago R., Traité …, op.cit., pp : 141-146. 6

Montesquieu Charles de Secondat Baron de, De l‟esprit des lois, Flammarion, Paris, 2008, A noter que

des auteurs considère que « ce que développe Montesquieu ce sont les principes supposés de la séparation des pouvoirs, alors qu‟il ne peut pas ignorer Ŕ ses sources anglaises en font foi Ŕ à la même époque les déformations de la pratique auxquelles les analystes anglais sont eux beaucoup plus sensibles », cf.

Seurin JL, Les origines historiques de la séparation des pouvoirs, in. Mélanges AUBY .Dalloz, 1992,

P.657 ; Vlachos (G.), « Le pouvoir judiciaire dans l'esprit des lois », in Mélanges en l'honneur de Michel Stassinopoulos, Paris, LGDJ, 1974, p. 363.

7Cf. M. Foucault, « Qu‟est-ce que les Lumières ? », in Dits et Ecrits, II, Paris, Gallimard, 2001, p.1381-

1397 ; E. Lerminier, De l‟influence de la philosophie du XVIIIe sur la législation et la sociabilité du XIXe siècle, Paris, Prévost-Didier, 1833 ; cf. sur ce thème Duguit L., la séparation des pouvoirs et l‟assemblée nationale de 1789, R.E.P., 1893, p.99 et s.

8Cf., Haleperin Jean Louis, 1789-1815 : un quart de siècle décisif pour les relations entre la justice et le

siècles, tant en Grande-Bretagne, en Amérique puis aux États-Unis qu‟en France, était gouvernée par cette donnée de base qui participait à l‟époque d‟un lieu commun. »1

C‟est sans doute le professeur Jacques Chevallier qui dans sa thèse de doctorat fourni une des études les plus complètes et les plus profonde sur ce principe fondateur de la justice administrative en France.2

L‟éminent professeur Roland Drago préfaçant justement la thèse de Jacques Chevallier considérera que : le principe de séparation de la juridiction administrative et de l‟administration active est un des plus mystérieux du droit administratif français. Bien entendu, il n‟a jamais été inscrit dans un texte de droit positif et il est d‟essence purement doctrinale3.

En fait, le principe ne fait pas l‟unanimité, en ce sens qu‟il il s‟agit d‟un principe fondé sur une certaine interprétation d‟une partie de la doctrine du principe de la séparation des pouvoirs4.

Le professeur Burdeau fournira un tableau détaillé des querelles qui ont entouré la naissance de la justice administrative, et qui étaient fondées sur la lecture du principe de la séparation des autorités5, l‟éminent professeur notera notamment le fait que les antagonistes se fondent dans leurs avis divergents sur le même principe, celui de la séparation des pouvoirs : « …un dialogue de sourds commence à s‟établir entre les deux camps. Des deux côtés, on se drappe sous les mêmes plis du drapeau tutélaire de la séparation des pouvoirs. Et quand les défenseurs de la juridiction administrative allèguent nécessité concrètes, contraintes pratiques, souci bien compris de l‟intérêt général, leurs adversaires répondent : respect du droit, exigence d‟honnêteté. »6

Dans le même sens Yan Laidie puisant dans le corpus historique des études en droit administratif lèvera un voile sur une controverse peu connue entre deux éminents juristes non moins connus, à savoir Thérèse René Jacquelin (1865Ŕ1922), et Arthur. Pour le premier le constat est sans équivoque : « La juridiction administrative n'est qu'une invention du despotisme, quelle est une violation du principe de fait par les pouvoirs… ».7

Et d‟ailleurs pour lui « les recherches précédentes en vue de la découverte d'un principe général et directeur ont été infructueuses et cet insuccès confirme l'observation faite que la répartition des compétences respectives a été dictée uniquement par l'arbitraire ».8

1

Lahmer marc, Moment 1789 et la séparation des pouvoirs, in. Jus Politicum, n°12, 2014, p.03.

2Chevallier Jacques, l‟élaboration historique du principe de séparation de la juridiction administrative et

de l‟administration active, LGDJ, paris, 1970.

3Ibid. p.I.; pour cette raison on parlera même de mythe, cf. Velley (S.), « La constitutionnalisation d‟un

mythe: justice administrative et séparation des pouvoirs », RDP, 1989, p. 767.

4Van Welkenhuysen (A.), « La séparation des pouvoirs, notion à contenu variable », in Perelman (C.) et

Vander Elst (R.), dir., Les notions à contenu variable en droit, Bruxelles, Bruylant, 1984, p. 113.

5Burdeau François, Les crises du principe de dualité de juridictions, In. R.F.D.A, 1990, n°5, pp : 38-47. 6Ibid., p.40.

7Cité in. Laidie Yan, Relire un contemporain de la justice administrative sous la IIIe République : La

Rhétorique Jacquelin, in. R.F.D.A, 2013, p.783.

8Cf. Les principes dominants du contentieux administratif, Paris Giard et Brière, 1899, p.7, cité in Laidie

Alors que pour Arthur, un peu sur la défensive le constat établi par Jaquelin à cet égard est exact. Mais il ne faut pas fonder ses analyses sur le principe de la séparation des pouvoirs mais sur une constatation empirique : « le mieux seraient de ne pas raisonner. La délimitation entre les deux contentieux est établie historiquement : nous ne pouvons prétendre qu'à la constater avec exactitude.»1

Dans une époque plus récente l‟éminent G. Dupuis considérera qu‟il ne s‟agissait pas d‟une interprétation logique du principe de séparation des pouvoirs, car reconnait-il « si une certaine spécialisation des taches a amené la création , au sein même de l‟administration , d‟organismes chargés de trancher ses litiges avec les particuliers , il n‟en reste pas moins que cette «juridiction administrative » a un fondement bien peu libéral et constitue plus un privilège de l‟administration qu‟une limitation de ses pouvoirs … Le pouvoir a eu surtout pour but « d‟enlever au juge indépendant, et surtout au juge inamovible, la connaissance des affaires d‟État, (de) s‟affranchir de tout contrôle, (d‟) être à la fois juge et partie…. ».2

Et si donc la thèse de la séparation des autorités a prévalu en fin de compte, ce n‟est pas parce qu‟elle correspondait à ce qu‟était l‟intention des constituants de l‟époque.

En réalité comme l‟explique le Doyen Vedel, ce n‟était pas exactement ce que voulaient les constituants : « Même si l‟on remonte aux origines, il est tout de même vrai que les constituants ont attaché à la séparation des pouvoirs un minimum d‟effets quant aux rapports de l‟administration et des tribunaux judiciaires ».3

Avis partagé et confirmé par le professeur J.Chevallier : « La loi des 16-24 août n‟a certainement pas la portée qu‟on lui prête ; et le sort réservé au contentieux administratif n‟est pas le produit d‟une vision préconçue de la séparation des pouvoirs qu‟auraient eu les constituants »4

.

et le professeur de développer son raisonnement par le fait que « L‟affirmation de l‟exigence de séparation des autorités administrative et judiciaire n‟a pas aux yeux d‟aucun des constituants pour conséquence , même implicite d‟interdire aux tribunaux judiciaires de connaître du contentieux administratif : la preuve en est que les partisans de l‟unité de juridiction y sont favorables ; au demeurant , le titre 1er

est inséré , au moment de son adoption le 5 juillet, dans un projet plus global qui reste fidèle à une option judiciaire jusqu‟alors incontestée, même si plusieurs variantes s‟opposent».5

Le professeur Chevallier avancera une explication de l‟attitude paradoxale des constituants : « alors que le principe de la compétence judiciaire ne prêtait guère à discussion, les divergences concernant ses modalités d‟application vont entraîner l‟adoption d‟une formule radicalement opposée, sans pourtant qu‟un véritable débat apparaît comme un retournement …. ».6

1Cf. Arthur, séparation des pouvoirs et séparation des fonctions, R.D.P., 1902, p.442, cité in. Laidie Yan,

Relire un contemporain…, op.cit., p. 787.

2Dupuis G., les privilèges de l‟administration, thèse, Paris, 1962, dactylographiée, p.21, cité in J.

Chevallier, l‟élaboration historique du principe de séparation…, op.cit., p.12.

3Vedel G., La loi des 16-24 août 1790 : Texte ? Prétexte ? Contexte ? in. R.F.D.A, 1990, n°5, p.710. 4Chevallier Jacques, Du principe de séparation au principe de dualité, in. R.F.D.A, 1990, n°5, p.713. 5Ibid., p.716.

6

Le professeur Jacques chevallier considère que dès le départ s‟est posé la question de la soumission de l‟administration au droit commun des tribunaux indépendants : « ces derniers devaient-ils être compétents pour connaître des litiges que son action pouvait provoquer ? ».1

Pour l‟un des pères fondateurs de la justice administrative et du droit administratif, cela allait de soi Lafférrière invoquant l‟histoire constate : « depuis que des juridictions régulières ont été instituées on ne trouve pas d‟époque où les corps judiciaires chargés d‟appliquer les lois civiles et criminelles aient été en même temps appelés à statuer sur les difficultés en matière d‟administration publique »2

.

C‟est ainsi que le système juridique français a refusé aux tribunaux judiciaires la possibilité de statuer sur les questions administratives.

Faisant la synthèse de cette évolution le professeur G. Bigot conclura que finalement « La révolution française, parce qu‟elle sépare les organes et les fonctions, prépare le terrain pour l‟édification d‟un tel droit, qu‟elle ne parvient pas néanmoins à conceptualiser ; elle n‟en éprouve pas d‟ailleurs le besoin. Les constituants qui érigent en sphères autonomes administration et justice, créent les conditions de notre droit administratif, qui se caractérise par le contrôle des actes que produit l‟administration….la révolution n‟accouche que de l‟administration contentieuse, manifestation particulière du pouvoir administratif ».3

Le professeur chevallier expliquera longuement le recours au principe de la séparation des pouvoirs en considérant qu‟en fait le principe de la séparation est conçu d‟abord comme une arme contre l‟administration : il s‟agit de lui imposer le juge indépendant, contre lequel les lois révolutionnaires l‟ont prémuni. Mais chose étrange l‟administration accepte ce principe, s‟en empare même pour fixer des limites aux investigations de son juge ?4

Par le recours au principe de séparation on recherche à définir une réalité et à caractériser une jurisprudence.

Mais ce principe est lui-même ambigu : la doctrine l‟invoque dans de nombreuses occasions, parfois contradictoires et toujours diverses5.

En fait et contrairement à ce qu‟on pourrait penser comme relevant de l‟évidence, la notion de séparation des pouvoirs et son corollaire la séparation des autorités sont des notions peu claires.

C‟est par rapport à ces notions, et notamment celles constituant le droit administratif que le Doyen G. Vedel opposera les notions proprement conceptuelles à celles fonctionnelles. « Les premières peuvent recevoir une définition complète selon

1Chevallier Jacques, Du principe de séparation au principe…, op.cit., pp : 11-12.

2E. Laferrière, traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, 2°éd., 1896, t.1, p.138. 3Bigot G., Introduction historique au droit administratif depuis 1789, …, op.cit., p.17 ; cf. également à ce

propos Laferrière J., Les raisons de la proclamation de la règle de la séparation des autorités administratives et judiciaires par l‟assemblée constituantes, in. Mélanges Paul Negulesco, Bucarest, 1935, pp : 429-443.

4Chevallier J, l‟élaboration…, op.cit., pp.12-13.

5Pour certains il va de soi cf. De Laubadère A., traité élémentaire de droit administratif, t.1, 4e éd., 1967,

pp : 339-347 ; pour d‟autres auteurs y voient un principe fondamental à étudier en tant que tel, cf. par ex.

des critères logiques habituelles et leur contenu est abstraitement déterminé une fois pour toutes (…) ; alors que les notions « fonctionnelles » au contraire sont différemment construites. Elles procèdent directement d‟une fonction qui leur confère seule une véritable unité… »1

.

On peut considérer que le principe de séparation est une de ces notions fonctionnelles, au contenu fuyant et variable. On s‟y réfère pour imposer une évolution, pour expliquer une jurisprudence, mais sans qu‟il soit possible de déterminer son contenu de manière certaine et immuable.2

Le professeur F.P. Benoit dans un article publié dans le mélange marcel Waline, présentera une critique rationnel et réaliste du fondement de la justice administrative en France considérant qu‟il y a manifestement une méconnaissance de ce qu‟il appelle la vérité historique3. En ce sens que c‟est à partir d‟une « fausse image technique » que s‟est construite une conception des rapports institutionnels à savoir : la structure et la détermination des compétences entre les deux ordres de juridictions. Or pour l‟éminent professeur cette conception est construite sur la base d‟une logique abstraite, sans aucun lien avec les données de fait de l‟histoire et de la réalité4, d‟où sa critique de l‟aspect

paritaire entre les deux ordres de juridictions.5

Et le professeur de faire un constat clair et précis : « La justice administrative a été un fait avant de conduire à la proclamation du principe de la séparation des autorités, et celle-ci n‟avait pour objet que d‟affirmer la volonté de maintenir ce fait préexistant, et non de le créer.6

Pour cette raison, l‟auteur récuse donc l‟hypothèse d‟une logique fondant la justice administrative en France en ce sens que si logique il y a elle ne peut être que le fait du fondement politique qui seul peut déterminer les données de la logique juridique interne de l‟institution : « C‟est lui qui commande les modalités de l‟organisation et du fonctionnement de la justice administrative, comme ses rapports avec la justice judiciaire (…) ; c‟est lui donc qui commande que par sa structure, la justice administrative soit proche de l‟administration active. C‟est lui qui interdit que soient longtemps supportées les immixtions des juges judiciaires dans le domaine de l‟administration : c‟est donc lui qui pousse au rétablissement du critère organique en matière de répartition des compétences… ».7

En conclusion, il serait erroné aux termes de F.P. Benoit de considérer la justice administrative comme un problème de technique juridique car pour lui « c‟est un des éléments essentiels de notre conception de l‟État ».8

1 Cf. JCP., 1950 I, n° 851 .P25-26.

2 Chevallier Jacques, l‟élaboration historique…, op.cit., p.26.

3Benoit F.P, Les Fondements de la Justice Administrative, in. Mélanges M.Waline., Le juge et le droit

public T.II, Paris, L.G.D.J., 1974, pp : 292.

4

Ibid., p.292.

5 Ibid., p.292. 6 Ibid., p.293. 7 Ibid., p.294

8Ibid., p.294-295 ; cf. Drobenko (B), de la pérennité du principe de séparation des autorités

Tous ces développements sont importants pour le fondement et l‟évolution de notre justice administrative : le système français du contentieux administratif a été fondé et s‟est développé dans un contexte spécifique : historique, philosophique, argumentaire, doctrinal, tout à fait spécifique en total adéquation avec l‟histoire de la nation française dans toute sa grandeur, ses paradoxes, ses mythes, et les contraintes politiques.

Il est ainsi impératif pour notre système constitutionnel et juridictionnel de se libérer du mimétisme constitutionnel et juridique français et de lui imprégner une identité culturelle conforme au contexte historique et sociale de l‟Algérie. Il ne s‟agit évidemment pas de proposer une rupture avec le droit français, mais on doit orienter et intégrer notre légistique et notre système dans la voie sure du comparatisme et du droit comparé. On insiste surtout sur le fait d‟importer des notions juridiques sans en mesurer les implications et les conséquences, pensant qu‟elles sont des standards alors qu‟elles sont comme des êtres vivants ayant leurs spécificités et leurs propre « métabolisme biologiques ».

Comment a été constitutionnalisée la justice administrative en France et quelles en sont les conséquences sur la définition du litige administratif et de sa répartition de compétences entre juridictions administratives et ordinaires ?

Paragraphe 2 - Le noyau constitutionnel de la compétence de la

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