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du développement de la ville

4 Le second théâtre à scène

Comme cela a déjà été dit, l’amphithéâtre n’a pas eu une durée de vie bien longue. La prospérité gran-dissante est probablement à l’origine de la décision intervenue vers la fin du IIe siècle ap. J.-C. de réta-blir la conception architectonique originale et de construire un nouveau théâtre à scène à l’emplace-ment de l’amphithéâtre (fig. 2.4.E et fig. 4). Pour remplacer ce dernier, un nouvel amphithéâtre, qui s’intègre en grande partie dans le relief naturel, a été aménagé à la périphérie sud-ouest de la ville, au Sichelengraben (fig. 3) (Berger 1998, p. 91-95).

4.1 Les témoins d’un grand chantier antique

Dans le cadre des travaux archéologiques menés au cours de ces dernières années, des fouilles ont égale-ment eu lieu à l’emplaceégale-ment du chantier antique, dans la zone située directement à l’ouest du second

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théâtre à scène. Grâce à elles, on connaît aujourd’hui toute une succession de couches et de vestiges qui peuvent être mis en relation directe avec l’édifica-tion du monument et nous donnent une vision de ce que pouvait être un grand chantier dans l’Anti-quité (Hufschmid et Horisberger 1995 et al., p. 97-100 ; Hufschmid 1999, p. 145). Les structures les plus spectaculaires étaient des aires de gâchage de grandes dimensions (fig. 11), dans lesquelles était préparé le mortier pour les murs de calcaire parfois épais de quatre mètres. À leurs côtés, des zones de préparation pour de l’opus signinum ont aussi pu être observées, en bordure desquelles avaient été disposés des caissons en bois contenant la tuile pilée prête à l’emploi. Grâce aux analyses les plus récentes, on sait que le mortier de tuileau a été utilisé exclusivement lors de la construction des voûtes du théâtre ; les aires de mélange pour l’opus signinum peuvent donc être mises en relation directe avec les structures voûtées de l’édifice. En raison de l’utilisation sélective des matériaux de construction, on peut faire la même déduction en ce qui concerne les parties de l’ouvrage en tuf. Ce matériau, qui peut être facilement scié lors-qu’il vient d’être extrait, n’a été utilisé que pour les voûtes lors de l’édification du second théâtre à scène. Les fines couches de poussière et de fragments de tuf visibles dans la séquence stratigraphique de la zone de chantier indiquent à quel moment de la construc-tion intervient cette partie du travail, exécutée par des équipes de « spécialistes ». Au milieu des aires de

gâchage se trouvent parfois de petits canaux délimi-tés par des pierres en calcaire, dont on ignore à ce jour la fonction précise (fig. 11). Il existe par ailleurs des indices clairs de la présence d’activités de forge qui sont probablement à mettre en lien avec l’affû-tage des outils de tailleurs de pierre, ainsi qu’avec la fabrication d’éléments de construction en fer comme des clous ou des crampons.

4.2 Structure et statique

Alors que les deux premiers théâtres prenaient encore fortement appui contre la colline du côté est, il est décidé de donner un aspect plus monumen-tal et plus représentatif au second théâtre à scène, ce que les possibilités financières permettent doréna-vant. Une structure plus massive est donc également nécessaire du côté est ; elle a été assurée statique-ment par un double mur périphérique (fig. 4). En outre, la hauteur de ce nouveau théâtre devient telle, qu’elle rend également nécessaire des contreforts sur ses flancs nord et sud (Hufschmid 1998a, p. 80-81). Toute la partie orientale de l’édifice, qui comprend la plus grande partie de la cavea, n’a pas été construite sous forme d’une structure creuse, mais présente des compartiments délimités par des murs et remplis de gravats et de terre (structure pleine compartimentée) (fig. 12.B). Afin que les murs périphériques puissent supporter l’importante pression ainsi générée, ils ont été délibérément déchargés par des contreforts en forme de voûtes verticales (fig. 4 et fig. 12.A). Tous les deux compartiments, des vomitoria recouverts de voûtes coniques en tuf, présentant un décrochement à mi-parcours, menaient de la périphérie à l’inté-rieur de l’édifice (fig. 12.C) (Hufschmid 2002). La statique de la voûte a été conçue de façon à ce que les poussées vers l’extérieur soient absorbées par les matériaux de remplissage des compartiments et que les pressions diagonales le soient par les segments de murs correspondants ou par des arcs de tête mas-sifs à la base des voûtes (fig. 13). Des constructions conçues de façon similaire sur le plan statique ont également été mises en évidence aux entrées nord et sud du théâtre (Hufschmid 1998a, p. 74-78).

4.3 Séquences de construction et intégration des anciennes structures

Comme pour l’amphithéâtre, certaines parties des anciens édifices ont été intégrées dans le second théâ-tre à scène (Hufschmid 1997, p. 103-104). Le phéno-mène est cette fois le plus marqué dans le secteur des flancs nord et sud, où les fondations de grès des couloirs d’entrée reposent sur les vestiges des fonda-tions des deux précédents théâtres (fig. 4). En maints endroits, on ne s’est guère soucié de raser les anciens éléments, seul le strict nécessaire a été enlevé. C’est une situation qui est perceptible de façon particu-lièrement claire dans la partie sud, là où les piliers de soutènement massifs du second théâtre à scène reposent en partie sur le mur périphérique du pre-mier édifice (fig. 14). Comme le montrent les vesti-ges conservés, les fondations des nouveaux éléments Fig. 11. Augst, chantier du

second théâtre à scène ; aire de gâchage du mortier avec petit canal d’évacuation en pierres calcaires.

(I. Horisberger-Matter - Römerstadt Augusta Raurica)

Fig. 12. Augst, maquette de travail du second théâtre à scène, permettant de distinguer la structure statique de l’ouvrage. A. Segments de murs avec contreforts en voûtes verticales ;

B. Comblement des cunei avec des déchets de chantier et des sédiments graveleux ; C. Vomitoria (jadis voûtés). (I. Horisberger-Matter - Römerstadt Augusta Raurica)

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Premières journées archéologiques frontalières de l’Arc jurassien La ville romaine d’ Augusta Raurica-Augst (Bâle-Campagne, CH) et son théâtre. Les recherches actuelles

ont été visiblement construites avec suffisamment de soin pour que des fissures n’apparaissent pas ulté-rieurement dans la zone de contact entre les deux phases. Des traces de réparation en profondeur de la maçonnerie du second théâtre à scène sont pourtant visibles en différents endroits. On voit par exemple une réparation sur une grande surface à la périphérie est, dans la zone d’accès au vomitorium nord-est, sous le niveau de sol antique (fig. 4), qui indique qu’à un moment non précisé de la reconstruction, le sommet des murs s’est en partie érodé et a été recons-truit ultérieurement en léger décalage par rapport au plan de base (Hufschmid 1998b, p. 102-103).Y-a-t-il eu à cet endroit une interruption prolongée de la construction ? Et si tel est le cas, pour quelle raison ? Est-il possible que le projet ait été suspendu pendant un à deux ans pour des raisons financières ?

4.4 Les corridors d’entrée nord et sud

(aditus maximi) : témoins

d’une architecture ambitieuse

L’étude détaillée des fondations de grès massives res-tées in situ au nord et au sud du théâtre (Hufschmid et Horisberger 2004, p. 223-225), ainsi que celle des différents éléments d’architecture et pans de murs effondrés retrouvés en démolition, ont permis la res-titution de l’architecture des corridors dans les zones d’accès de la façade ouest. Là où l’on a parlé pendant plus de dix ans de « fondations quadrangulaires d’un mur de scène », on peut maintenant restituer des foyers d’entrée, bien conçus sur le plan statique et recouverts de voûtes en plein cintre dans un style méditerranéen (fig. 15 et fig. 16). Les voûtes en tuf qui enjambent ces corridors étaient portées par des arcs doubleaux (fig. 15) contrebutés en façade extérieure par un sys-tème de piliers ou de pilastres (fig. 16). Trois passa-ges voûtés exécutés en grand appareil menaient de la façade ouest à l’intérieur du couloir à partir duquel le public était réparti dans les gradins (fig. 16). Fig. 13. Augst, tentative de

reconstitution de la structure statique du vomitorium sud-est du second théâtre à scène. (T. Hufschmid - Römerstadt Augusta Raurica)

Fig. 14. Augst, second théâtre à scène, succession des constructions dans la partie sud de la périphérie ; l’un des piliers de soutènement du second théâtre à scène a été posé directement sur l’arase de la périphérie du premier théâtre à scène.

(I. Horisberger-Matter - Römerstadt Augusta Raurica)

Fig. 15. Augst, coupe restituée à travers la halle d’entrée nord du second théâtre à scène. Vue de la moitié orientale de la pièce avec son système de piliers, deux arcades aveugles latérales formant des niches, ainsi qu’un passage central voûté menant à la cage d’escalier aménagée à l’arrière, qui permettait l’accès à la première praecinctio. (T. Hufschmid - Römerstadt Augusta Raurica)

Fig. 16. Augst, tentative de restitution de la façade externe du second théâtre à scène. On reconnaît les trois passages voûtés, faits de grands blocs de grès, menant de l’ouest dans le hall d’entrée nord, ainsi que les contreforts en forme de pilastres placés entre eux ; tout à droite de l’image, on voit une fenêtre de l’aditus nord, à deux rangs de claveaux de grès encore conservés. (T. Hufschmid - Römerstadt Augusta Raurica)

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Au cours de ces dernières années, différents éléments de ces passages ont été dégagés lors de sondages, parmi lesquels un claveau de 1,8 tonne ainsi qu’un des blocs, très simplement mouluré, de l’imposte. Grâce à une découverte récente, la situation à l’in-térieur du corridor est également mieux connue. La disposition à trois arcs de la façade d’entrée se répète ici, seul l’arc médian servant au passage vers la cage d’escalier située à l’arrière, les deux autres arcs laté-raux se présentant sous forme de niches formant des arcades aveugles (fig. 15) ; un fragment effondré a pu en être dégagé et documenté en 2002 dans la zone du couloir d’entrée sud (fig. 17) (Hufschmid 2003, p. 131-139). Sur le plan architectonique, ce dispo-sitif d’entrée tout comme la façade tournée vers l’ouest s’inscrit parfaitement dans la syntaxe archi-tecturale romaine, où les arcades sont séparées les unes des autres par des éléments verticaux (ce que A. von Gerkan a qualifié de « Theatermotiv »). C’est l’exécution qui est étonnante, avec ses contreforts maçonnés motivés par les contraintes statiques, au lieu des colonnes ou des pilastres de grand appareil qui soulignent ailleurs la fonction ornementale des ordres (fig. 16). La façade en question reprend la technique du grand appareil, mais la transpose en quelque sorte dans une réalisation en petit appareil adaptée aux ressources en matières premières. Dans cet exemple, on a donc affaire à une interprétation locale, voire régionale, d’un motif de façade d’une romanité très classique.

Un regard sur la colonie d’Avenches montre que le théâtre d’Augst n’est pas un cas unique de cette « interpretatio gallica » du langage architectural. Un schéma absolument similaire a été mis en œuvre dans la phase la plus récente du mur d’enceinte de l’am-phithéâtre, les éléments verticaux, dans le cas précis

des pilastres, étant une fois encore réalisés en archi-tecture de petit appareil (Bridel 2004, p. 192-199).

4.5 Bichromie et joints soulignés en rouge

Le traitement des parements visibles des murs du second théâtre à scène révèle un autre élément d’in-fluence régionale. À la place d’un enduit mural, on a affaire à un traitement original de la surface qui consiste à jointoyer les interstices entre les blocs de calcaire coquillier gris avec un mortier spécial, selon un processus particulier. Chaque joint est souligné par un sillon passé à la peinture rouge foncé pour l’accentuer optiquement (fig. 18). Ce qui est frap-pant, c’est que le mortier de jointoyage n’a pas été étalé sur les faces des moellons pour obtenir une véritable pietra rasa, mais que ceux-ci ont été laissés délibérément apparents (Hufschmid et Horisberger 2004, p. 216-220). L’impression d’irrégularité qui en résulte a probablement été un peu atténuée par l’ap-plication ultérieure d’un lait de chaux, mais montre cependant que l’effet recherché n’était pas une imi-tation de blocs, mais visait délibérément à créer une surface structurée par la couleur.

On trouve un traitement similaire des joints sur les pilastres du mur d’enceinte de l’amphithéâtre d’Avenches, dont il a déjà été question plus haut (Bridel 2004, p. 196-199), mais également dans les arènes de Grand, Caerleon (Newport, Grande- Bretagne), Trèves (Trier-Saarburg, Allemagne) et Xanten (Wesel am Niederrhein, Allemagne), ainsi qu’au théâtre d’Alésia (Côte-d’Or, France). Ce type de décoration des murs paraît essentiellement réparti dans l’espace gallo-romain et semble avoir trouvé avec les édifices de spectacle un domaine de prédilection, même si elle n’est pas exclusivement réservée à ce type de constructions, comme le mon-trent différentes caves en Allemagne.

5 Le canal d’évacuation des eaux