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Pierre Lopinet

Archéologue

lopinet_pierre@yahoo.fr

Magali Fabre

Doctorante, UMR 6636 / ESEP - Maison méditerranéenne des sciences de l’Homme, Université de Provence, Aix-Marseille I fabre_magali@yahoo.fr

Extrait de :

C. Bélet-Gonda, J.-P. Mazimann, A. Richard, F. Schifferdecker (dir.).

Premières journées archéologiques frontalières de l’Arc jurassien. Actes. Delle (F) - Boncourt (CH), 21-22 octobre 2005. Mandeure, sa campagne et ses relations d’Avenches à Luxeuil et d’Augst à Besançon.

Actualités archéologiques régionales.

Besançon, Presses Universitaires de Franche-Comté et Porrentruy, Office de la culture et Société jurassienne d’Émulation, 2007, 328 p., ill. (Annales Littéraires de l’Université de Franche-Comté, série Environnement, sociétés et archéologie 10 ; Cahier d’archéologie jurassienne 20).

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Introduction

Les travaux présentés dans cet article n’ont pas la prétention de proposer un schéma de lecture nou-veau pour la compréhension du monde moustérien en Franche-Comté. En l’état actuel des connaissan-ces, les conclusions ne doivent pas être hâtives et la documentation accessible régionalement pour cette période nous impose la plus grande prudence. Ces données ne suffisent pas, en effet, à affirmer de façon péremptoire et tranchée un fait préhistorique. Mais la valeur indicative de cette documentation permet néanmoins de mettre au jour certaines pistes non dénuées d’intérêt.

Nous présentons ici un premier état de nos recher-ches. La problématique actuelle est principalement construite autour de deux axes majeurs :

– la compréhension des dynamiques culturelles qui ont animé notre région et les départements limitrophes, aux alentours de 40 000 BP ;

– la caractérisation des comportements et des envi-ronnements des artisans du Moustérien.

Nous entendons alimenter ces questions en étudiant la composante typotechnologique des industries lithiques et en analysant la faune, selon trois appro-ches complémentaires : paléontologique,

taphono-mique et archéozoologique. Pour ce premier état de la recherche, nous nous appuierons sur le niveau VIII du gisement de référence qu’est la Baume de Gigny à Gigny-sur-Suran (Jura, France). Notre argumentation sera enrichie par un niveau moustérien plus problé-matique (cf. infra), mais fort intéressant, dit « série jaune », du Trou de la Mère Clochette à Rochefort- sur-Nenon (Jura, France).

1 Présentation générale des gisements

1.1 La Baume de Gigny

1.1.1 Présentation générale et stratigraphie

La grotte de la Baume de Gigny s’ouvre sur le flanc est de la vallée du Suran à une altitude de 485 m. Nous nous situons à 30 km au sud de Lons-le-Saunier (Jura France) et à 2 km à l’est des plaines tertiaires de la Bresse (fig. 1). La grotte s’ouvre dans les falaises de l’Oxfordien et de l’Argovien. Le système karstique de la Baume de Gigny s’est creusé dans ce dernier faciès (Campy 1982, p. 154). La grotte se présente comme une vaste galerie d’une centaine de mètres à l’extré-mité de laquelle se développe la salle « du Dôme » ainsi qu’une deuxième galerie et un petit diverticule.

La stratigraphie, puissante de 12 m, mise en évi-dence par les fouilles de M. Vuillemey, compte 28 divisions regroupées en quatre ensembles stratigra-phiques. Les niveaux protohistoriques regroupent les niveaux I à IIIa-c (Pétrequin et al. 1988). L’ensemble supérieur compte les niveaux IV à VI, renfermant des occupations du Paléolithique supérieur. Le niveau IV pourrait être contemporain du Bölling (Campy et

al. 1989, p. 250). L’ensemble moyen (niveaux VII à

XX) est la division la plus importante avec environ 5 m de puissance. Les industries moustériennes sont regroupées dans ce vaste sous-ensemble. En l’absence de datations radiocarbones fiables, seuls les calages isotopiques (Navarro 2004, p. 37) et chronoclimati-ques (Campy et al.1989 ; Lopinet 2002) permettent de proposer un cadre chronologique relatif accep-table : l’ensemble s’est mis en place entre 65 000 BP et 35 000 BP. L’ensemble inférieur débute par le plancher stalagmitique du niveau XXI (145 000 BP), pour se terminer par le niveau XXVIII.

1.1.2 Le niveau VIII

Puissant de 10 à 20 cm, ce niveau est formé d’une matrice argileuse brun rouge englobant un petit cailloutis calibré. Les caractéristiques d’altération très poussée, synonyme d’un dépôt de phase de réchauf-fement, permettent d’apprécier la mise en place de ce niveau lors de l’interstade de Loisia, corrélé à l’interstade d’Hengelo, ou des Cottés, aux alentours de 33 000 BP. Il est fort probable, d’après les études sédimentologiques de M. Campy (Campy 1982 ; Campy et al. 1989), que ce niveau ne soit que le reli-quat d’un ensemble sédimentaire plus vaste déman-telé par une reprise d’activité du réseau. Le niveau VIII livra 200 artefacts lithiques, ainsi que 897 restes osseux de grands mammifères.

Fig. 1. Situation géographique. (P. Lopinet)

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1.2 Le Trou de la Mère Clochette

Le Trou de la Mère Clochette s’ouvre dans un abrupt du Bathonien moyen de la falaise qui borde la rive droite du Doubs, à 1 km en amont (nord-est) du centre du village de Rochefort-sur-Nenon. La grotte mesure 15 m, parallèlement à la direction de la rivière et 10 m dans la plus grande dimension perpendiculaire. Elle est éclairée par trois ouver-tures, à l’est, au sud-est et au sud » (Feuvrier 1913, p. 246). « Elle s’ouvre […] à une vingtaine de mètres du Doubs canalisé et à 7 m au-dessus du niveau de l’eau » (Feuvrier 1907, p. 238). Cette description empruntée à J. Feuvrier, qui dirigea les fouilles de 1905 à 1907, est la seule et unique vision du site telle qu’elle devait apparaître avant la vidange totale.

La stratigraphie mise au jour par le fouilleur est alors décrite très sommairement. Deux couches sont alors individualisées : un niveau néolithique et un niveau aurignacien. Par la suite, P. Ripotot et R. Sei-bel distinguent arbitrairement trois horizons au sein de ce niveau aurignacien : un Moustérien « final », un horizon aurignacien et un horizon attribué avec réserve au Châtelperronien (Brou 1997 ; Desbrosse 1984 ; Ripotot et Seibel 1958).

2 Étude de la faune du niveau VIII

de la Baume de Gigny

Les différents travaux traitant de la faune, publiés dans la monographie de 1989 (Campy et al. 1989),

n’ont porté que sur une part infime de la documen-tation accessible. Suite au récent dépôt au Musée d’archéologie de Lons-le-Saunier de la totalité des artéfacts osseux mis au jour lors des fouilles de M. Vuillemey, il nous a semblé primordial de propo-ser une révision de la faune du niveau VIII.

L’étude préliminaire de l’assemblage osseux des mammifères du niveau VIII permet de caractériser les environnements et les comportements des Mousté-riens de la Baume de Gigny (Campy et al. 1989). Elle est conduite selon trois approches complémentaires : – paléontologique : apports d’informations sur les

structures biologiques des populations mamma-liennes et sur le paléoenvironnement climatique ; – taphonomique : analyses des représentations squelettiques et/ou du degré de conservation des restes fossiles (Efremov 1940) ;

– archéozoologique : études des relations Homme/ Animal dans le but de définir le mode d’acquisi-tion et le traitement des ressources animales par l’homme (Chaix et Méniel 1996).

L’assemblage est constitué de 897 restes, dont 146 ont été déterminés au moins anatomiquement (16,3 %), plus de la moitié l’étant au niveau taxonomique. La diversité spécifique est importante avec onze espèces de mammifères, soit trois carnivores (Mustela

ermi-nea, Vulpes vulpes, Ursus spelaeus), cinq herbivores (Cervus elaphus, Capreolus capreolus, Rangifer tarandus, Rupicapra rupicapra, Equus caballus), un lagomorphe (Lepus timidus) et deux rongeurs de grande taille (Cas-tor fiber et Marmota marmota) (fig. 4).

Fig. 3. Action des carnivores. Mandibule d’ours. Baume de Gigny, niveau VIII. (M. Fabre)

L’association faunique est dominée par les cervidés, en particulier par le chevreuil (34 %) chez les her-bivores et par l’ours chez les carnivores. On relève également une bonne représentation du renne et du castor. L’environnement suggéré par l’associa-tion faunique est plutôt froid, comme le reste de la séquence de la Baume de Gigny, mais la présence du cerf et du chevreuil signale un réchauffement. De récentes analyses biogéochimiques sur l’émail den-taire de rongeur (Navarro 2004) et de cheval (Fabre, thèse en cours) nous confortent dans l’idée d’un réchauffement relatif pour le niveau VIII. Cette cou-che ne contient que 24 os entiers témoignant d’une forte dégradation du matériel. Les représentations anatomiques pour chaque espèce ne montrent pas de tri particulier, toutes les parties du squelette sont représentées ; 21 % des os présentent des traces dues à l’action des carnivores (fig. 2 et 3). On retrouve ces traces aussi bien sur les vertèbres et les côtes, que sur les mandibules et les os longs ; plus de la moitié (55 %) est située sur ces derniers. On ne remarque pas de choix préférentiel des espèces ; en effet, les traces de carnivores sont observées sur des herbivo-res (cheval, renne, chevreuil, castor), mais également sur des carnivores comme l’ours dont la moitié des restes porte des traces. Les types de traces (pits,

fur-row, puncture, score...) ainsi que leur intensité et leur

taille sont également variés. Les petits carnivores Fig. 4. Décompte des restes par espèces ainsi que le nombre minimum d’individus (NMI). Baume de Gigny, niveau VIII. (M. Fabre)

Fig. 2. Action des carnivores. Radius de chevreuil. Baume de Gigny, niveau VIII. (M. Fabre)

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retrouvés dans cette couche tels que le renard et l’hermine sont probablement les auteurs de certai-nes traces. L’ours, plus massif, a certainement joué lui aussi une part active dans la formation de cet assemblage. Une autre hypothèse peut être avancée : il s’agit de l’action de carnivores tels que le loup et la hyène, bien qu’ils ne soient pas présents dans l’as-semblage. Si l’on s’intéresse à l’homme comme agent accumulateur, on constate que l’assemblage n’a livré qu’un seul reste avec des stries d’origine anthropi-que. Il s’agit d’un métatarse de renne (fig. 5 et 6). On dénombre parmi ces restes de faune quatre os brûlés de couleur noire (carbonisés) et deux retou-choirs. Ceci laisse penser que l’homme a participé à l’accumulation de ces restes. Il semble toutefois difficile de distinguer clairement la contribution de l’homme et celle des carnivores dans la constitution de l’assemblage.

En conclusion, l’analyse préliminaire des restes osseux du niveau VIII de la Baume de Gigny mon-tre un specmon-tre faunique très diversifié, mais les restes déterminables taxonomiquement sont peu nom-breux du fait d’un matériel fortement dégradé. Aussi bien l’homme que les carnivores semblent avoir par-ticipé à l’établissement de cette accumulation. Au niveau de l’environnement, les données convergent vers un milieu froid avec toutefois une tendance au réchauffement.

3 L’étude lithique du niveau VIII

et de la «série jaune»

3.1 Problématique

En France, dès 40 000 BP, le monde moustérien subit de profondes mutations. Le monde de l’homme de Néandertal voit son territoire s’amenuiser, se morce-ler, et être envahi par une branche hominisée cou-sine : Homo sapiens sapiens. Les mutations, dont la ou les causes nous échappent encore, qui animèrent ce monde finissant, vont progressivement amener cer-taines de ces ethnies moustériennes à se transformer ou à céder leur place aux ethnies châtelperronien-nes (Pélegrin 1995) ou néronienchâtelperronien-nes (Slimak 2004). Cette période cruciale, par le caractère spontané des réactions, prouve plus que tout, pensons-nous, la diversité et la vivacité culturelle et ethnique existant

au Paléolithique moyen. En ce qui nous concerne, la problématique est simple : les industries de l’Est de la France précédant les cultures du Paléolithique supérieur ancien portent-elles au sein de leurs assem-blages les prémices ou les signes avant coureurs d’une évolution ? Les mécanismes culturels et évo-lutifs ayant conduit les sociétés moustériennes aux sociétés châtelperroniennes sont connus et a fortiori bien individualisés, du moins pour le Sud-Ouest de la France (Pélegrin 1995 ; Soressi 2002). En partant de certains de ces acquis, ont été étudiés les niveaux moustériens des gisements de l’Est de la France qui, par leur contexte stratigraphique et chronologique, se placent aux marges géographiques des mondes traditionnellement attribués au Paléolithique supé-rieur ancien. Nous tenterons donc de mettre en évi-dence la composante typologique et technologique de ces industries afin de vérifier et d’entériner l’hypo-thèse émise ci-dessus.

3.2 La production : état des lieux

3.2.1 Le niveau VIII de la Baume Gigny

Ce corpus s’élève à 200 pièces (116 en chaille pour 84 en silex). Seuls sept nucléus ont pu être identifiés. La tendance se voudrait de modalité discoïde, avec tou-tefois une variabilité importante des conceptions, intégrant parfois une orientation laminaire. Un débitage sur face inférieure d’éclat a été mis en évi-dence. La part de la production corticale représente 56 % de la production totale. Les angles de détache-ment sont principaledétache-ment compris entre 65° et 85°. Soixante-dix-neuf outils ont été individualisés, dont 55 racloirs. Sont représentés de manière anecdoti-que grattoirs, denticulés, encoches et perçoirs. L’ori-ginalité de cet outillage tient dans la présence, certes maigre, de deux pièces bifaciales de type prondnick et d’un biface partiel (fig. 7.1 et 2). Pour complé-ter ce rapide inventaire des principales caractéristi-ques du niveau VIII, notons les douze couteaux à dos cortical(fig. 7.5) ainsi que les six couteaux à dos abattu (fig. 7.3 et 4), représentant respectivement 6,2 % et 3,1 % de l’ensemble de l’outillage. Le pour-centage de la production ayant un rapport d’allon-gement supérieur à 1,5 est de 40 et de 15,5 pour un allongement supérieur à 2. Plus de 56 % des talons Fig. 5. Stries anthropiques situées sur l’extrémité proximale d’un

métatarse de renne. Baume de Gigny, niveau VIII. (M. Fabre) Fig. 6. Stries anthropiques parallèles situées le long de la diaphyse du métatarse de renne. Baume de Gigny, niveau VIII. (M. Fabre)

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reconnus sont lisses. M. Vuillemey a qualifié cette industrie de Moustérien « riche en racloirs ». Nous pensons plutôt qu’il faille voir dans cette industrie un Moustérien charentien de type Ferrassie, somme toute classique pour la région. Par contre, il serait tentant, tout comme l’a fait M. Vuillemey, de sai-sir un éventuel rapprochement avec les complexes micoquiens d’Europe centrale. La tendance bifaciale est en effet fortement connotée par son fond typo-logique. Tout aussi plausible serait la filiation avec un Moustérien de tradition acheuléenne, puisque la production laminaire, loin d’être anecdotique, est pour une large part orientée vers la confection de supports à dos cortical et abattu.

3.2.2 La série jaune de la Mère Clochette

Le principal écueil qu’a été l’étude du fond mousté-rien de la Mère Clochette est son caractère incertain. À la suite des différentes fouilles et des divers inven-taires et phases de reclassement, les collections châ-telperroniennes, aurignaciennes et moustériennes ont largement été mélangées. La validité intrinsèque ainsi que l’authenticité et l’intégrité des séries méri-tent alors une certaine retenue. Il reste possible, tou-tefois, de reconstituer les corpus et d’écarter une large majorité d’éléments perturbateurs. En l’état actuel des recherches, l’ensemble de la collection compte

environ 2500 artefacts ; 2210 sont en chaille, 60 en silex et 230 en matériaux divers. Seules 554 pièces ont été pour l’heure inventoriées. Nous comptons 60 nucléus essentiellement de modalité discoïde dont 17 à débitage unifacial. Les outils sont au nombre de 157. Le groupe IV domine largement les effectifs avec un total de 68 pièces soit 34,5 % (fig. 8.2 et 5). Les racloirs, au nombre de 53, représentent 27,5 % du total des outils. Le groupe Paléolithique supé-rieur, quant à lui, atteint les 16,6 % avec un effectif de 32 pièces (indice fortement enrichi par la pré-sence de couteaux à dos cortical). 36,5 % de la pro-duction offre un rapport d’allongement supérieur à 1,5. Ce pourcentage se réduit à 12,5 % pour un rap-port supérieur à 2. Signalons la présence notable de cinq couteaux à dos abattu soit 3,2 % (fig. 8.3 et 4) et de 31 couteaux à dos cortical qui représentent 20 %, dont certains retouchés. La production d’éclats lami-naires est donc avérée et notamment représentée lors des premières phases de production. Le carac-tère intentionnel de ce type de pièce est confirmé par les nombreuses traces d’utilisations et de retou-ches observées sur le tranchant brut, opposé au dos naturel. Ce rapide décompte permet alors de confir-mer l’attribution typologique de cette industrie à un faciès de type denticulé, avec toutefois une orienta-tion marquée vers une producorienta-tion leptolithique. Fig. 7. Industrie lithique de la Baume de Gigny, niveau VIII. 1. Biface partiel ; 2. Prondnick ; 3 et 4. Couteau à dos abattu ; 5. Couteau à dos cortical. Échelle 1 : 2. (1 à 4 : M. Vuillemey ; 5 : P. Lopinet)

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