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à Augusta Raurica-Augst (Bâle-Campagne, CH) Véronique Brunet-Gaston

2 Les chapiteaux ionicisants à calathos à languettes

2.1 Évolution structurelle

Le type des « kapitelle mit Pfeifenblattkalathos », étu-dié par H. Kähler (1939, type Q) et complété par M. Trunk (Trunk 1991), est si insolite qu’il mérite qu’on lui porte à nouveau attention, tant il est une composante du décor architectural de la région, et ce grâce aux découvertes récentes de Besançon. Dans sa

forme « française », le chapiteau est dit « ionicisant », du fait de son abaque carré, du kyma ionique et des balustres latéraux, mais son gorgerin s’étire tellement qu’il peut s’apparenter à un calathos à languettes. C’est donc un étrange avatar, issu du chapiteau io-nique normal 3 ; il semble que sa structure ait inclus une sorte de réminiscence du tambour cannelé de l’ordre grec initial. Cette « étiologie » pourrait s’expli-quer – entre autres – par des raisons pratiques : les volutes débordent généralement du lit de pose d’où une perte de matière importante et une grande dif-ficulté de taille. À tel point d’ailleurs que, dans cer-tains cas, l’assise comprend le chapiteau et le départ du fût cannelé (Bingöl 1980).

Le chapiteau de la Porte Saint-André à Autun (fig. 4.1) semble en cela un prototype local, du fait non pas que les pilastres cannelés n’ont pas été ravalés, mais plutôt qu’il s’agit d’un choix stéréotomique qui aboutit – du moins nous semble-t-il – à un calathos à languettes. La dernière modification découle de l’usa-ge croissant de l’ordre composite puisque, toujours proches de l’aire culturelle qui nous préoccupe, deux chapiteaux d’Alésia (fig. 2) (Catalogue 1894, pl. X) montrent que pouvaient se côtoyer au sein d’un édi-fice des chapiteaux ionicisants et des chapiteaux com-posites à calathos à languettes, voire à godrons. Ces dernières se font alors plus discrètes et disparaissent derrière la classique couronne d’acanthes (fig. 2).

2.2 Typologie

On peut différencier trois variantes à l’intérieur du type général : d’abord une variante à abaque bien in-dividualisé, échine ionique et calathos à languettes, dont l’exemplaire le mieux conservé est celui d’Augst ; ensuite un type avec des feuilles allongées et incisées par une nervure, enfin un type sans abaque avec une échine ionique, soulignée par un rang de perles et pirouettes, et un calathos à larges languettes.

2.2.1 Chapiteau à abaque, échine ionique et calathos à languettes fines

Après nous être intéressée à l’évolution structurelle, attachons-nous maintenant à l’évolution chrono-logique. Le prototype serait celui du forum de

Min-turnae daté du troisième quart du Ier siècle av. J.-C. (Trunk 1991, p. 122). Pour notre région, la forme la plus précoce serait augusto-tibérienne, représentée par l’ordre de la galerie de la Porte Saint-André in

situ à Autun (fig. 4.1), ou encore par une paire de

chapiteaux de pilastres à Sens. Si les chapiteaux de Sens ont clairement sur la même assise un calathos à Fig. 2. Chapiteaux d’Alésia (Catalogue 1894, pl. X)

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languettes, et la partie haute d’un fût cannelé termi-né par des ménisques, celui d’Autun, comme on l’a précisé plus haut, est plus difficile à interpréter. On peut ensuite citer le chapiteau trouvé dans la Curie de la basilique d’Augst 4, daté de la première moitié du Ier siècle (fig. 4.2) ainsi qu’un fragment d’échine ionique d’un chapiteau d’Avenches (inv. 73-3577), et enfin un pilastre d’Autun (fig. 1. Autun 0085 et Autun 0086) trouvé dans les fondations du chœur de l’abbaye Saint-Jean-le-Grand (fig. 1) 5.

Le portique de l’area sacra, de Nyon, réalisé au milieu du Ier siècle (vers 50-70), est conservé sur une travée restituée in situ à l’esplanade des Mar-ronniers (fig. 4.3) ; il se compose de colonnes ru-dentées et cannelées reposant sur une base attique et couronnées de chapiteaux composites à calathos à godrons 6 (le registre des feuilles n’est pas repré-senté par les restaurations, mais les arrachements de quelques feuilles sont visibles en limite de cassure). Cette variante se retrouve aussi à Autun sur un cha-piteau composite (ML 595/619 ; Brunet-Gaston et

al. 2004, p. 28) et au sanctuaire de Champlieu dans l’Oise (Brunet-Gaston 2000, p. 20). Les exemplaires du « Kapitell mit verdecktem kalathos » cités par U. W. Gans, qui présentent déjà des couronnes d’acanthes, ne sont selon lui attribuables qu’au Ier siècle (Gans 1992, p. 64-70) ; cependant, à Aquilée, un chapiteau du milieu du IIe siècle présente un haut calathos à languettes et une rangée de feuilles d’acanthes cordi-formes (Scrinari 1952, n° 75), tout comme certains exemplaires de Saintes (Tardy 1989, p. 100, fig. 49).

Ce type est représenté à Besançon par un frag-ment issu de la couche stratigraphique 1201, et par huit blocs de la couche 1224 (Gaston et Munier 2007, fig. 4, galerie AO). Sur un haut gorgerin à languettes, se développe une échine ionique, dont la transition est assurée par un ovolo à perles et pi-rouettes. La ciselure est fermement réalisée avec des rainures interstitielles profondément creusées au trépan. Ce type de chapiteau semble être associé à un fût cannelé, du moins en partie haute, comme on peut l’observer sur un bloc découvert au collège Lumière (fig. 1.1224.2). Terminé par un astragale en tore lisse, comportant un sillon médian, ce der-nier bloc conserve en outre le profil d’une cavité de louve caractéristique d’un dispositif auto-serrant et d’une mortaise de scellement. D’un diamètre de 41 cm, cet élément correspond enfin à celui du gorge-rin à languettes des blocs de la domus de Besançon (fig. 1.1224.1 et 1224.6). L’énorme chapiteau (fig. 1.1201.12), dont le diamètre sous l’ovolo à perles et pirouettes plano-convexes est d’environ 80 cm, ap-partient à la même strate que le chapiteau à acan-the cordiforme. Si on ajoute que le chapiteau a une hauteur restituée de 49 cm, ses dimensions sont vé-ritablement monumentales. La hauteur de l’échine ionique, abaque compris, est généralement égale à la hauteur du calathos à languettes, ovolo à perles et pirouettes compris, soit 24,6 cm x 2 = 49,2 cm (soit 1 pied 1/8 ou ± 49,5 cm). En calquant les proportions de la colonne d’Augst, on obtient un diamètre à la

base du chapiteau estimé à ± 67 cm, soit un diamètre à la base de la colonne de ± 78 cm, si la rétraction du diamètre en haut de la colonne est égale à 1/7e. En supposant que la hauteur de la colonne se com-pose de huit modules, soit 8 diamètres, la colonnade culminerait donc à ± 6,25 m. De dimensions similai-res à la pièce 1224.1 (fig. 1), le bloc 1224.6 (fig. 1) présente un fragment de feuille retombant sur le gor-gerin à languettes : sa position semble impliquer un dispositif de volute diagonale. Ceci montre plutôt l’adaptation d’un carton initial du type à « balustres latéraux » en sa variante naturelle « à volutes diago-nales » (Kähler 1939, Q9, taf. 12).

L’association des fragments 189.1, 2 et 3 (fig. 3) permet de mettre en évidence un type différent, les composantes ioniques sont présentes mais avec des variantes notoires. Sur un haut gorgerin à languettes, se développe une échine ionique à volute diagonale. Une bractée assure la transition avec l’abaque, non conservée. La rencontre entre les deux volutes diago-nales est comblée par une bractée qui se recourbe à la transition du calathos. La transition est assurée par un ovolo à perles et pirouettes planoconvexes entre deux listels. Le kyma ionique se compose d’un rang d’oves et lancettes. L’ove est assez bien dégagé des co-ques qui encadrent une lancette, soudées comme sur les cartons tibériens (Tardy 1989, p. 160). Les quatre faces du chapiteau sont désormais semblables, les volutes se rencontrent ainsi en suivant l’axe des dia-gonales de l’abaque.

Les volutes se composent d’un ruban lisse termi-né par un œil lisse ici percé de cinq trous de trépan (fig. 3.189.1) comme on l’observe sur le chapiteau de Villards-d’Héria (Jura, France) exposé au musée de Lons-le-Saunier.

Cependant, l’absence d’autres fragments pour le

calathos ne permet pas de trancher, ce dernier modèle

peut fort bien être un chapiteau composite comme on l’a vu plus haut à Alésia (fig. 2).

2.2.2 Chapiteau à abaque, échine ionique et calathos à feuilles allongées

Ce type est très peu représenté, un seul élément a été trouvé : l’un des chapiteaux d’Avenches (fig. 4.4) dont l’échine à oves et fer de lances cordiformes Fig. 3. Chapiteau du collège Lumière à Besançon. (C. Gaston - INRAP)

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Premières journées archéologiques frontalières de l’Arc jurassien Le décor architectonique dans l’Arc jurassien « étendu » de Augustodunum-Autun (F) à Augusta Raurica-Augst (CH)

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pourrait être attribuée à l’époque flavienne, rappelle ceux du petit compitalium adossé à l’aedes vestae sur le

Foro Romano (fig. 4.5) attribué au début du IIe siècle (selon Hülsen cité par Coarelli 1992)7.

2.2.3 Chapiteau à échine ionique seule soulignée d’un rang de perles et pirouettes,

et calathos à larges languettes

Les chapiteaux du site de Mandeure, l’un au musée de Besançon, l’autre au dépôt Saint-Paul de la ville de Besançon, sont assez bien conservés ; l’un com-porte une petite portion de fût lisse s’amortissant en congé et couronné d’un astragale en tore. Les comparaisons régionales sont deux chapiteaux rem-ployés dans la tour sud de Kaiseraugst (Kähler 1939, taf. 12, Q12 et Q13), mais les photos des blocs pré-sentés sont ceux actuellement au musée d’Augst (fig. 4.2). Dans tous les cas, le lien stylistique entre Mandeure et Augst semble très fort : les chapiteaux relèvent du même « carton » et du même atelier (fig. 4.2 et 4.6 à 8). On observe un traitement identi-que des feuillages enroulés sur les balustres et retenus par un lien, avec une fleur à quatre pétales ornant la volute. Les languettes sont terminées par des ménis-ques. La forme des oves indique une datation tardive (fin du IIIe siècle ?), de même que la disparition de l’abaque, voire la dissolution des balustres au profit d’un rang complet d’oves et lancettes. Le modèle sem-ble être de façon lointaine le type à abaque, échine ionique et calathos à languettes fines. Enfin, un petit chapiteau de pilastre de placage venant d’Autun re-lève du même modèle (ML 556, Brunet-Gaston et al. 2001-2006).