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13 Le sauvage, le champêtre et la ville ; des contradictions dépassées: quelles productions de la nature en ville ?

Cette recherche sur les définitions des notions de champêtre et de sauvage, suivie par les interprétations des spécialistes de plusieurs disciplines, nous ont amenés à constater la

multiplicité de leurs représentations mais aussi la production dense et multiforme de paysages et de jardins inspirés par ces thèmes. Si nous nous rapprochons de notre sujet sur les formes de campagne et de sauvage produits par les villes, nous pouvons nous demander pourquoi et comment des espaces publics gérés par les services de villes sont produits dans une intention sauvage et campagnarde? Nous proposons dans le chapitre suivant de résumer les nouvelles formes et les politiques contemporaines de traitement de cette nature dans les villes françaises afin de resituer notre sujet par rapport à l’ensemble des productions d’espaces verts urbains. Nous avons constaté que les notions même de campagne, de sauvage et de ville ont évolué à la fin du XXe siècle et de fait rendent difficilement lisible la demande publique de paysage et les productions de formes nouvelles inspirées par ces thèmes.

Louisa Jones, journaliste anglaise fait le constat de cette évolution : « En 1998, on estimait que la moitié des habitants de la campagne française était originaire de la ville. Dans les mêmes temps, la renaissance des jardins touche les villes: à Paris, depuis 1980, 171 nouveaux jardins ont vu le jour, plusieurs ayant été conçus pour apporter un peu de campagne dans la capitale. Dans les villes, les listes d’attente pour les attributions de jardins familiaux

s’allongent. Des villes moyennes demandent l’aide des grands du jardinage.» 144

En effet, dans les villes, apparaissent donc de nouvelles formes de nature en relation avec la campagne ou la forêt distinctes des jardins de repos et des aires de jeux urbains traditionnels.

* Des espaces de jardinage individuels ou collectifs :

Les jardins familiaux n’ont rien perdu de leur dynamisme des cités ouvrières du début du siècle. Comme le rappelle Françoise Dubost , sociologue, qui s’est intéressée « aux jardins ordinaires », l’appellation « jardin familial est utilisée de façon plus large. Historiquement , elle s’est substituée à celle de jardin ouvrier, et ce changement correspond à un déplacement des enjeux dont le jardin est l’objet. »145

Cependant, ce type de jardinage familial est de plus en plus pratiqué par des citadins en demande d’aménités ou en recherche d’une intégration sociale. L’association « Les restos du cœur », par exemple, donne leur chance aux chômeurs en les initiant au jardinage. Le plus

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L. Jones, Nouveaux jardins de campagne, Albin Michel, Paris, 2000.

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ancien réseau, les Jardiniers de France, possède cinquante trois jardins collectifs expérimentaux qui nourrissent des sans abris.

De façon plus spontanée, à San Francisco et à New York, des jardins communautaires permettent à des personnes âgées ou marginalisées de cultiver des fleurs et légumes. Ces initiatives permettent de tisser des solides liens entre des populations d’origine différente et formalisent l’apparition incontrôlée de jardins potagers dans les cours d’immeubles.

* des parcs agricoles :

Au XXesiècle, ce n'est plus l’agriculture qui conquiert le « saltus » de la garrigue et la forêt; c'est plutôt le projet urbain qui s'approprie les terres non bâties ensauvagées ou cultivées et qui y aménage des espaces de loisir et de production à l’intérieur des agglomérations. L’agriculture urbaine se distingue de l’agriculture rurale fuyant la proximité urbaine et de l’agriculture périurbaine traditionnellement limitée aux marchés des produits frais et fragiles Pierre Donadieu, spécialiste de la recherche sur le développement de la campagne urbaine, apporte une définition à ce concept novateur : « Le projet d’aménagement des campagnes urbaines autour des villes suppose d’avoir recours à des formes d’agriculture urbaine mais aussi périurbaine et rurale ; mais surtout de construire les relations sensibles à l’espace rural où se définit ainsi une nouvelle ruralité qui ne coïncide plus avec les seules activités agricoles et forestières. L’idée de parc de campagne renoue ainsi avec celle des parcs agricoles du XIXe siècle, mais demande à être réinventée pour les aires urbaines du IIIème millénaire.

L’expression campagne urbaine désigne le mélange durable et intentionnel de formes et de fonctionnalités urbaines et rurales impliquant des habitants de cultures différentes. Issue d’un projet de paysage ou reconnue pour ses qualités paysagères et environnementales propres, la campagne urbaine doit offrir aux habitants et usagers de l’espace, un métissage de formes urbaines, circulatoires, agricoles, forestières et aquatiques dont les produits et services leur sont en partie destinés, notamment l’agriculture urbaine. » 146

Le concept de campagne urbaine est une réponse possible aux projets publics de

requalification des périphéries urbaines partagées entre les espaces urbanisés et ceux qui ne le sont pas. Il a été mis en œuvre dans le Plateau de Saclay, la plaine de Versailles, et est en cours d’étude dans des villes comme Strasbourg et Montpellier.

* des espaces de campagne ou de nature sauvage crées ex nihilo dans la ville :

Désormais, l’idée de créer un verger ou une prairie de coquelicot est faisable tant du point de vue de la conception que de l’usage social. Dominique Perrault explique son intention de créer un verger de 450 pommiers autour du vélodrome et de la piscine olympique de Berlin en 2000 : « C’est un morceau de nature décalée; il n’y a plus de campagne, le citoyen européen vit en ville, on retrouve dans la ville des éléments de campagne, de la même façon que la campagne est à la ville. C’est un collage d’un morceau de nature rurale ». Le même concepteur a fait le pari en 1997 d’implanter une greffe de forêt mature au cœur de la Bibliothèque Nationale et explicite son geste : « Au milieu de ces champs de connaissance où sont conservés tous les écrits, dans toutes les matières prend place un morceau de nature sauvage, libre, sacrée, intouchable, que l’homme ne peut que bien mal protéger ». 147

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P. Donadieu, « Définition de campagnes urbaines », in Mouvance, cinquante mots pour le paysage, , Edition de la Villette, Paris, 1999.

147

R. Raderschall et E. Bonnemaison, « Une nouvelle nature de la ville, interview de Dominique Perrault », in

Nous étudierons plus particulièrement dans le cadre de cette thèse la part de ces parcs et jardins de campagne ou de nature sauvage crées dans la ville et produits dans les services espaces verts des villes par le monde des ingénieurs.

* l’alternative naturaliste :

C’est l’espace urbain revu par les scientifiques comme les botanistes et les écologues qui s’intéressent aux formations végétales et animales comme des écosystèmes. Pierre Donadieu résume leurs intentions: « Sous toutes les latitudes, existe un groupe social , les scientifiques naturalistes, pour lequel la nature ne suscite aucune frayeur, mais est construite comme un univers à décrire et à comprendre, pour mieux en tirer parti de divers points de vues

scientifiques, économique, symbolique ou esthétique. Pour ce groupe, comme pour une partie des citadins, l’espace inculte favorise la reconquête souhaitée de la nature sauvage, l’identité des régions ou des espaces de liberté à ouvrir au public. »148

La « colline » de Marseille ou le Bois de Montmaur à Montpellier sont par exemple des pinèdes où se rencontrent les pratiques de découvertes de la nature par les scolaires et les adultes, celles de loisirs et de pique-niques libres. La municipalité de Montpellier a même crée une réserve naturelle volontaire au sein même de la ville.

Cette nouvelle typologie de parcs est née de façon concomitante à une prise de conscience de la nécessité d'un environnement urbain durable qui rompt avec la tradition de l’art des jardins historiques et contemporains.

Nous verrons dans le cadre de cette thèse que les nouveaux parcs urbains publics de gestion différenciée, inspirés par le thème de la campagne et du sauvage, comprennent à la fois des objectifs scientifiques de naturalité et le désir de conception d’espaces imaginaires comme cela a été vu dans la typologie précédente.

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14 Problématiques, hypothèses, modèles, démarches,

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