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Lors de cette description des deux mouvances dites « sauvages »de l’art des jardins dans l’histoire (chapitres 2 et 3), nous avons pu relever une certaine similitude entre les parcs publics issus de la gestion différenciée et le « wild garden » anglo-saxon pratiqué dans l’histoire des jardins du 19ème siècle .

En effet, nous avons montré comment les conditions principales d’émergence de la gestion différenciée dans le monde des ingénieurs de villes rappelaient le contexte culturel

d’apparition du Wild Garden au 19ème siècle en Angleterre. Tout se passe comme si dans l’histoire des deux derniers siècles, une même logique s’était réitérée sous la période

victorienne et dans les années 70: un excès de pratiques horticoles intensives et d’académisme formel paysager illustré par un usage important de plantes non locales comme les essences exotiques ou les cultivars au 20ème siècle, une sophistication et une régularité des parterres, un emploi de méthodes de gestion fondées sur les dernières technologies comme la mécanisation auraient entraîné certains praticiens à proposer des modèles opposés de jardins plus rustiques, intégrés à leur environnement, fondés sur les savoir- faire traditionnels du jardinage et

d’aspect plus naturel. En synthèse, la recherche d’un jardin au comble de l’artifice aurait ainsi participé à l’avènement progressif du jardin sauvage.

Dans les deux périodes citées, le sauvage est essentiellement symbolique d’un souci de l’environnement, d’une esthétique champêtre en opposition à l’horticulture intensive et à l’indigence du jardin standardisé. Il donne une certaine légitimité aux valeurs de nature que la croissance des années 70 ou l’industrialisation de la fin du XIXe siècle avaient occultées. Les deux mouvements se sont développés aussi de façon synchrone au constat de la nécessité de budgets lourds pour satisfaire le désir de sophistication des parterres plantés et ont proposé des nouveaux modèles paysagers qui valorisaient le lieu par des moyens rustiques, ponctuels, demandant un coût d’investissement et de gestion moindre. En effet, nous avons vu qu’au XIXe siècle le jardin anglais sauvage s’épanouit alors que la demande de propriétaires aristocrates en jardiniers privés diminue et que le jardin se démocratise et devient un loisir pour tous. Un siècle plus tard, les jardins champêtres apparaissent en Europe quand le nombre de jardiniers publics et le budget public affecté au patrimoine vert décroissent .

D’autre part, nous avons souligné le parallélisme des deux mouvement dans les domaines de la préoccupation de mise en scène de la nature sur le plan esthétique et de la recherche d’une certaine dimension naturaliste dans le projet, sans pour autant qu’elle soit rigoureuse sur le plan scientifique.

Comme dans le wild garden, la composition des jardins publics issus de la gestion différenciée décline les ambiances rurales de l'agricole, de la friche, de la forêt, du jardin domestiqué et implique les supports paradoxaux de milieux biologiques et d’organisations spatiales spontanées d'une part et de compositions construites et gérées d'autre part.

Comme le jardin baroque,54 l’interpénétration des trois natures vierge, cultivée, jardinée permet à « chacune d’entre elles de tirer leur signification et leur force de leur

juxtaposition ». Pourtant, ces trois zones ne sont plus reliées par un axe de perspective qui symbolise les divers stades de contrôle de la nature par l’homme. Dans les deux mouvements, la préservation des espaces spontanés, l’art du rural, de l’infrastructure urbaine et du jardin se mêlent dans un même espace unique de troisième nature qui mime en réalité sous une forme de mise en scène bucolique et esthétisée la première et la seconde natures. Ce ne sont plus les grottes qui représentent les cavernes mais les formes graciles des essences choisies et leur dynamique temporelle qui imitent le rythme de la campagne et de la nature.

Ces parcs ont été construits à partir d’ images et d’ activités symboliques de la campagne comme le rythme des saisons, les gestes du travail de la terre, les formes archétypiques de la prairie, du bocage, des vergers, de la forêt.

Cette recherche d’intervention minimale dans la nature s’accompagne de la prééminence du jardinier naturaliste de terrain sur l’horticulteur ou le gestionnaire. Si G. Jekyll a pu être représentée comme artiste - jardinière en blouse dans son jardin laboratoire de Mansion House, les jardiniers publics de la fin du XXe siècle dans les villes adeptes de la gestion différenciée manient le cheval, la faucheuse et le fil de tonte comme à Rennes et plus rarement les machines à leur disposition.

Les deux mouvements ont mis en avant une certaine revalorisation des essences spontanées locales en tant qu’ illustration d’une culture orientée vers le régionalisme, recherche d’une certaine intégration dans le site d’accueil et exploitation du déjà là et enfin choix d’essences rustiques capables d’une auto-régénération.

Mais, au delà de l’intention de construire des espaces d’aspects plus naturels, les paysagistes anglais du XIXe siècle puis les gestionnaires de patrimoine vert public contemporain ont pratiqué un savant métissage des essences spontanées et des plantes exotiques acclimatées à leur site d’accueil et présentant des formes et des couleurs champêtres, sans se soucier d’une réelle démarche scientifique de gestion des milieux. La recherche d’une composition

harmonieuse qui mime les formes et les couleurs des espaces naturels l’a largement emporté sur la fonction de conservatoire d’essences locales; le mode de gestion des plantes sert essentiellement les effets paysagistes sans satisfaire la rigueur scientifique propre au fonctionnement de réserves naturelles nationales et régionales qui cherchent à gérer des ressources de nature et non des effets esthétiques.

Au cours de l’histoire, ces deux styles sauvages dans le jardin ont été exprimés par des recherches d’harmonies colorées inspirées de la nature in situ mais construites comme des tableaux élaborés à base de touches de fleurs vivantes en guise de pigments de palettes de peintres. Cette référence certaine au pictural s’appuie essentiellement sur la tradition

impressionniste revisitée à la fin du XIXe siècle puis du XXe siècle dans le domaine du jardin.

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Nous avons retracé les similitudes entre la gestion différenciée et le courant paysager anglais du XIX e siècle, le « wild garden » anglo-saxon, notamment sur le plan esthétique et

naturaliste. Nous avons aussi confirmé l’ hypothèse initiale :

Du point de vue de l’art des jardins, nous pouvons retrouver un certain parallélisme entre la gestion différenciée et le mouvement du Wild Garden anglo-saxon de la fin XIX esiècle, tant dans son opposition à la société industrielle et à ses corollaires d’horticulture intensive, de géométrie standardisée des parterres de nature, que dans la réhabilitation de la flore locale ou rustique, dans l’intégration des espaces agricoles et naturels dans le champ physique du jardin et dans le souci de la couleur impressionniste de la composition paysagère.

Cette étrange ressemblance nous permet d’établir un lien probable de parenté entre les deux mouvements et de comprendre mieux par analogie le contexte d’émergence de la gestion différenciée par rapport au mode de traitement de la nature précédant son apparition. Au delà, bien que les pionniers de la gestion différenciée n’aient jamais cité l’inspiration possible du wild garden, nous pourrions de façon latente entrevoir une certaine filiation entre les deux mouvements et avancer que la gestion différenciée des années 90-2000 pourrait au moins en France trouver une origine culturelle et conceptuelle latente dans le courant du wild

362 Le jardin sauvage : un héritage historique anglais en cours de mutation

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