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* La campagne dans les jardins historiques :

Si l'on revient à l'univers du parc, nous pouvons d'une certaine façon affirmer que les jardins ont été moins souvent influencés par l'environnement rural réel que par cette image de la campagne issue des schémas de la littérature antique : les Bucoliques, les Georgiques etc... Par exemple, les jardins anglais comme Stourhead Gardens, dans le Wiltshire, édifiés par la famille des Hoare au XVIIIe siècle, constituent des témoignages d 'inspiration pastorale gréco- latine ou picturale par mimétisme avec les peintures de paysage du XVIIe siècle, eux-mêmes imprégnés d'images virgiliennes. (Poussin, Le Lorrain, Salvatore Rosa...). Dans cette optique,

133

P.Donadieu, « La jachère : hypothèse pour un exorcisme », in Le courrier de l’environnement de l’I.N.R.A, n°19, pp. 19-22, 1993.

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il faut citer le hameau du Petit Trianon à Versailles aménagé en 1774 par Marie-Antoinette en mimant la rusticité campagnarde avec de faux torchis et un toit de chaume. Les moutons sont apportés sur le site pour permettre aux pratiquants du lieu d'endosser le rôle de berger

arcadien.

Cette Arcadie, revisitée jadis par les peintres et les écrivains, puis interprétée par les "classes cultivées", semblait alors s'imposer dans l'esthétique des parcs de campagne, à la faveur de la disparition progressive de la paysannerie et des motifs paysagers ruraux d'origine. L’urbanisme et la campagne purent cohabiter dans des villes bâties au XVIIIe siècle comme Bath, en grande Bretagne, conçu par John Wood (1704-1754) dans un style classique paysager. Les « crescents » et les «circus » se succédèrent avec comme premiers plans des morceaux de campagne, de prairies pâturées et de bocages inclus dans la ville.

Toujours sur la même lancée, Gabriel Thoin135, paysagiste du XIXe siècle, propose des modèles de jardins construits tels des compositions picturales, notamment les types champêtres (champs cultivés, près, rivières..) ou pastoraux (eaux vives, ruisseaux, pelouses, saules, cabanes rustiques...) qui furent interprétés par les jardiniers tout au long du siècle.

* La campagne dans les projets contemporains

Face à cette demande sociale de campagne pittoresque, les paysagistes se tournent depuis peu vers cette problématique. Pierre Donadieu étudie leurs réponses :

En alternative du projet de parc public, le paysagiste peut répondre à une certaine aspiration champêtre contemporaine en mettant en œuvre des formes de campagnes comme les vignes, les vergers, les prés, les marais mis en scène dans le registre du jardin et formant repères territoriaux dans la culture paysagère occidentale. A l’inverse, le projet paysagiste qui s’était surtout concrétisé dans la ville s’étend de plus en plus à l’espace rural hors les murs de la ville ou à ses limites à l’intérieur des agglomérations en partenariat avec les agriculteurs .136

De façon générale, malgré la prégnance de schèmes arcadiens dans l’inspiration paysagère du XXesiècle, on peut dire que les paysagistes contemporains utilisent assez rarement le

vocabulaire champêtre dans la description de leur projets. Les livres de présentation des jardins actuels des années 90 comme l’ouvrage Paysages du Moniteur 137 ou Parcs et jardins contemporains de Jean Paul Pigeat138 ne font pas apparaître la typologie des jardins

campagnards ou des campagnes jardinées. Plus récemment pourtant, Louisa Jones ,

journaliste anglaise, a mis en avant ce qu’elle appelle les nouveaux jardins de campagne dans son dernier livre en montrant des images de jardins hétéroclites utilisant les produits de la campagne, ou qui adoptent un esprit champêtre lié aux herbes folles de la campagne. En outre elle y recense, sans logique apparente liée à la définition officielle de la campagne, les jardins intimes comme les jardins de curés et les jardins de grands- mères où règnent des fleurs, des légumes et des plantes aromatiques, les jardins d’essences botaniques, notamment d’ anciennes variétés de légumes et de fruits plus courants dans l’arrière-pays français, des jardin d’herbes traditionnels, des jardins de château dans l’inspiration médiévale, des jardins formels déclinant les haies agricoles, des jardins inspirés esthétiquement ou biologiquement par la friche.

135

G. Thoin, Plans raisonnés de toutes les espèces de jardins, réédition Inter-livres, 1820.

136

P. Donadieu, La société paysagiste, ENSP, 2001.

137

L.Leblanc, J. Coulon, Paysages, Le Moniteur, Paris, 1993.

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Cependant, à travers les grandes réalisations contemporaines, on peut relever chez les paysagistes une certaine tendance à créer des mises en scènes sur le thème de la campagne reconstituée, symbolisée ou aménagée, définissant de nouveaux rapports spécifiques du jardin et de la campagne :

-

des paysagistes qui jouent sur l’imaginaire de la campagne dans les jardins ou dans la ville : Camille Muller par exemple propose dans son jardin privé du faubourg Saint Antoine « une campagne sur un toit parisien » 139 Il aménagea un jardin de lianes luxuriantes sur les 100m2 de toits, le planta d’essences de talus ou de champs comme la vigne, les clématites, les sorbiers, les graminées, les giroflées, les capucines ou les pieds de tomates. Cette niche dans la ville suffirait à entendre les papillons, les martinets et moineaux et à respirer les odeurs des champs.

A l’échelle plus vaste d’un espace public, Louis Benech, chargé avec Jacques Wirtz et Pascal Cribier de redessiner les jardins du Carroussel et des Tuileries à Paris jouent sur des

compositions florales à aspect naturel, des mixed borders mêlant graminées et fleurs vivaces des champs dans des parterres réguliers et formels de jardins classiques.

Pascal Cribier décline encore le modèle du potager à La Coquetterie, en Normandie, où un jardin de cour a été planté de trente six carrés de vivaces, d’aromates et de légumes . -des paysagistes qui sont inspirés par les formes et les sens de la campagne remis en scène dans les jardins à la campagne ;

Alain Richert, paysagiste et peintre, a entrepris par exemple un Jardin des Sens en basse Normandie autour d’un ancien moulin. Il a travaillé à un jardin « pétalier »inspiré des petits fruits d’antan appelés confituriers mais aussi à un potager, un verger et un étang. Le jardin se fond insensiblement dans le paysage de campagne. Les espèces spontanées de la région sont encouragées comme les aubépines, les érables champêtres. A la façon de William Robinson, il mélange essences exotiques et indigènes en jouant sur des harmonies de couleur et de

feuillage. Il illustre un art de vie à la campagne fondé sur un art des jardins mimant la campagne cultivée par les agriculteurs.

Eric Ossart et Arnaud Maurières, paysagistes, ont construit Les Jardins du Paradis à Cordes sur Ciel en Midi-Pyrénées et valorisent les plantes que les citadins jugent vulgaires et que l’on trouve dans les vieux jardins de campagne comme les cymbalaires et les orpins. Parmi les formes végétales , on trouve une rivière de seaux de jardiniers, un potager expérimental, des murs de lianes, des matériaux en tiges de châtaigniers et osiers tressés.

Anouk Debarre et Pascale Hannetel proposent dans le bassin de rétention de la Petite Gironde à Coulaines le projet d’un ruisseau reconstitué autour de prairies humides . « En périphérie nord, la greffe avec le coteau bocager environnant est assurée par des plantations denses de bosquets, interrompues de vergers qui créent une échappée visuelle vers la campagne. »140 -Des paysagistes inspirés par la géométrie des paysages agricoles :

Jacques Simon, par exemple, a crée de nombreux sillons de terre stylisés visibles depuis les airs comme un drapeau européen ou un personnage. Ses outils préférés sont la charrue, le bulldozer et l’hélicoptère.

Dans le même esprit, les architectes Patrick Taravella et Sonya Lesot rythment leur parc au prieuré d’Orsan dans le Berry avec des structures de plessis de châtaigniers traditionnellement

139

L. Jones, Nouveaux jardins de campagne, Albin Michel, Paris, 2000

140

utilisés pour les terres agricoles. Les structures définissent des espaces, des lignes, des plans comme des terres de maraîchage.

-Des paysagistes qui s’inspirent de la friche de la campagne :

Raphaël Larrère soutient la proposition du paysagiste Gilles Clément d’anticiper

l’appréciation des espaces de friches comme espaces de liberté aux marges du terroirs en montrant que la friche peut être source d’inspiration dans le cadre de la thèse du jardin

planétaire : « Il s’agit de mettre au service du jardin le « pouvoir de conquérir l’espace » de la végétation et la diversité floristique de certains stades de son évolution. Il s’agit donc

d’accélérer la mise en place des stades les plus riches et de ralentir l’installation d’une formation forestière fermée. Dans une dynamique qu’il pilote, Clément propose de saisir des occasions de découverte, d’émotion esthétique, d’anticiper celles qui seront offertes l’année suivante, et d’adapter le dessin du jardin et le linéaire des sentiers à l’éclosion de ces

floraisons. » .141

-Des paysagistes qui s’intéressent à des morceaux de campagne transformés en parcs publics : Claire et Michel Corajoud, Jacques Coulon réaménagent deux cents hectares de terrains agricoles dans le Parc départemental du Sausset, en Seine Saint Denis. Il s’agit de décliner le thème de la campagne et de la forêt sous ses différentes formes : lisières, bocages, prairies, berges de rivières, zones humides, clôtures en bois, pontons : « Les principes de mise en valeur du site de la plaine de France et ceux d’un nouvel usage de loisirs créent un maillage de structures contradictoires qui évoque le territoire en devenir. On n’a pas choisi ici des formes abouties, mais des principes conceptuels et agricoles. »142

Olivier Philippe, de l’Agence Ter, propose aussi pour les 30 hectares de vignes enclavées dans le territoire de Montpellier une « arlequinade » de terres agricoles locales comme les fruitiers de vergers secs, de vergers nourriciers, des prairies sèches et humides, tout en ouvrant l’espace recomposé pour les loisirs urbains et les pratiques sportives et festives. « Ce qui sera contemporain dans ce parc, ce sera l’acceptation du jeu de l’imbrication, de la mixité des espaces et des usages. C’est cette mixité qui créera l’ambiance champêtre du parc, c’est à dire le lieu de tous les possibles, où l’on peut pique-niquer dans les vignes tout en étant à l’ombre d’un figuier, où il est possible de faire la sieste ou de jouer au ballon dans un frais vallon, de faire du jogging au travers de jardins familiaux. Cette mixité sera traversée par une esthétique contemporaine qui sera présente dans tous les ouvrages. »143

Les schèmes arcadiens d’origine sont réinterprétés selon d’innombrables modes pour satisfaire la plus grande palette de souhaits des usagers de parcs publics. La campagne

constitue dans ses projets soit le matériel végétal à mettre en scène, soit le motif emprunté aux formes paysagères rurales, soit le lieu d’accueil de créations ou encore la symbolique du parc selon un schème arcadien revisité

141

Raphaël Larrère , « Paysages en friches », in Paysage et aménagement, n°34, hiver 96/97.

142

L.Leblanc, J. Coulon, Paysages, Le Moniteur, Paris, 1993.

143

O. Philippe, Note de présentation du concours international du concours de paysage de Malbosc, Ville de Montpellier, 2000.

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