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Dans un premier temps, on peut relater le mouvement du paysage californien sauvage américain des années 70-90 , en faveur des causes sociales ou écologiques et animé par plusieurs paysagistes leaders :

Laurence Halprin a appliqué les principes du « Happening » et du « Be-in », chers aux années 60, à des séances publiques de création en faisant fabriquer des maquettes avec du bois flotté trouvé sur la plage. Richard Haag avait recours à des tactiques de « Guerilla » pour faire pression sur les instances publiques. Peter Walker a inventé un nouveau modèle qui interprète l’art moderne minimaliste sous forme de compositions abstraites. Le patriarche du groupe de l’école des modernistes californiens est sans conteste Thomas Dolliver Church qui fut à l’origine d’un nouveau type de paysage résidentiel en Californie dans les années 40. Il employa Halprin pour réaliser quelques uns de ses jardins les plus célèbres.

Naguère, les plantes de la côte pacifique faisaient presque figure de mauvaises herbes que l’on s’empressait d’éliminer, dès qu’il était question de créer un paysage peuplé d’espèces

tropicales et semi-tropicales, grandes consommatrices d’eau ; Isabelle Greene et d’autres paysagistes ont su acclimater des jardins plus colorés mais aussi plus aptes à supporter la sécheresse que les jardins d’ornement fleuris.

Comme exemple, nous pouvons citer Lawrence Halprin dans son projet de lotissement écologique ; The Sea Ranch, sur les falaises du Nord de San Francisco en 1963, se situe en rupture avec le cadre stérile et bien léché des grandes banlieues américaines. Dans le même esprit que Ian Mac Harg et de son ouvrage de référence, « Design with nature »86, des prairies d’herbes hautes ponctuées de gros rochers, des affleurements de pierres tapissées d’orpins jaunes sont exploités comme attributs paysagers. Halprin définit son mode d’intervention dans cette nature brute faite de prairies, de rochers et de forêts: « J’ai senti que ce pouvait être une merveilleuse expérience en matière d’aménagement écologique. J’ai vite été convaincu que le Sea Ranch pouvait devenir un endroit permettant d’établir une interaction entre la nature sauvage et les habitations humaines où l’écologie laisserait les gens s’intégrer à

l’écosystème ». Afin de relier les habitations entre elles, des sentiers ont été simplement crées en ménageant des passages à la tondeuse au milieu des herbes hautes des prairies.

Dans son projet audacieux de design moderniste de Lovejoy Plaza, à Portland en Oregon, Lawrence Halprin cherche à réaliser en milieu urbain la copie d’une particularité de la nature

86

I. Mac Harg, Design with nature, in cahiers de l’IAURIF, volume 58-59, septembre 80, traduction de “Design

et à mettre un peu les citadins à l’abri des conditions hostiles qui règnent dans les rues des villes contemporaines. Il s’inspire des sites naturels monumentaux de l’Ouest américain et propose une forme nouvelle : la nature abstraite mais reproduite à son échelle et dans toute sa puissance plutôt que miniaturisée ou banalisée par un excès de détails pittoresques.

L’intention de Halprin était de créer « un équivalent expérimental de la nature » et non un simple symbole. 87

Richard Haag, dans le site de Bloedel Reserve, à Bainbridge Island en 1978, met en pratique son nouveau concept, celui du « no forcing » qui consiste à transformer radicalement un lieu grâce à de subtiles altérations inspirées de son séjour au Japon.

Plus récemment, Angela Danadjieva décline le thème du sauvage dans son projet de création d’une station d’épuration à West Point en 1996 ; l’endroit, fabriqué de toutes pièces d’après des plans et des maquettes, paraît naturel; elle s’est inspirée des courbes dessinées par les dunes et les vagues qu’elle a découvertes en survolant le site. Les nouvelles plantations regroupent 200 000 végétaux du bord de mer, spécialement cultivés et présentant la même taille, la même densité et la même disposition qu’à l’état naturel.

* L’inspiration sauvage dans les projets paysagers français contemporains :

En France, si l’on suit la rétrospective de l’histoire des paysagistes depuis l’après- guerre avec Linda Leblanc et Jacques Coulon, on peut affirmer qu’un mouvement inspiré par l’écologie dans les années 70 a pris de multiples formes d’applications matérielles et de significations culturelles en perdurant jusqu’au début du XXIe siècle : « Face à l’indigence de l’espace vert et à l’épuisement de la pensée sur le jardin, les paysagistes d’aujourd’hui

cherchent ailleurs des sollicitations susceptibles de renouveler leur réflexion. Il nous semble que les domaines d’investissement qui ont le plus enrichi la réflexion et la production des paysagistes sont ceux ouverts par l’écologie et l’art contemporain. La naissance et le développement de l’écologie ont souligné l’importance des fonctionnements

d’interdépendance du vivant. » 88

Les alternatives du jardin sauvage liées à ce désir d’intégrer l’écologie au dessin de jardin peuvent revêtir des formes diverses :

-Une approche plastique fondée sur les formes du milieu vivant sans approche particulière

naturaliste, comme le Parc de Villeneuve à Grenoble conçu en 1974 par Michel Courajoud

qui le décrit comme tel : « L’image du parc est celle d’une mise en géométrie de la montagne, passée au filtre de l’urbain. »89 Le concepteur repositionne son intervention par rapport à la nature : « Le rôle du paysagiste n’est pas de contredire l’urbanité volontaire en ponctuant la ville d’îlots de fausse vraie nature » Selon Bernadette Blanchon, « Il doit, avec des matériaux propres à l’urbain, recréer de toute pièce un cadre qui, par référence, donne à la ville des capacités émotives identiques à celles rencontrées dans la nature»90 . Le parc est dessiné comme une géométrie rationalisée tout en évoquant les formes de la nature vierge à l’horizon.

87

M. Leccese, Le nouveau paysage américain, la Côte Ouest, Telleri, Italie, Vilo international, 2000, France .

88

L. Leblanc, J. Coulon, Paysages, Le moniteur, Paris, 1993.

89

M. Corajoud, Espaces verts, n°25, 1970, p 32.

90

- des formes de pensées écologiques métissées avec des références historiques, jardinières et rurales:

Par exemple, le Parc du Sausset réalisé à partir de 1981 par Claire et Michel Corajoud puis Jacques Coulon est composé à la fois d’un marais reconstitué pour créer une réserve

ornithologique et d’ espaces forestiers et bocagers très dessinés. La gestion de l’espace laisse une part de développement spontané et aléatoire.

Ces jardins peuvent aussi prendre la forme de lieux d’introduction d’espèces issues de milieux sauvages et réintroduits dans un jardin façonné comme les créations de Roberto Burle-Marx au Brésil : « Il devient évident que le jardin repose sur une base écologique, surtout dans un pays comme le Brésil, dont les conditions climatiques et géologiques sont très variées. C’est là que j’ai véritablement perçu la force de la nature originaire des tropiques que j’avais sous la main, comme un matériau prêt à servir le projet artistique qui était le mien. Depuis ce jour, j’ai utilisé l’élément natif naturel, avec toute sa force et toutes ses qualités, comme une matière propre à concourir à mon projet de composition plastique».91

Pourtant ces jardins sont contrôlés et guidés par le jardinier, mis en scène à l’intérieur d’un site enclos.

Si l’on pense aux espaces métissés qui jonglent savamment entre la biologie et l’art de domestiquer les plantes, divers modèles coexistent sous la même appellation : la création ex- nihilo d’un musée naturaliste miniaturisé comme le jardin naturel adossé au cimetière du Père-Lachaise, lieu de reconstitution d’une palette de biotopes de l’Ile-de-France à l’intérieur d’une poche urbaine; ou encore le « jardin en mouvement », une friche préexistante ou constituée, jardinée ponctuellement et plantée d’essences vagabondes qui se déplacent dans des îlots imprévus dans les jardins du paysagiste Gilles Clément. Ce dernier résume sa philosophie du jardin entre l’espace sauvage et l’ intervention minimale :" Suivre le flux naturel des végétaux, c'est s'inscrire dans le courant biologique qui anime le lieu et l'oriente. le mouvement est son outil, l'herbe sa matière, la vie, sa connaissance, c'est dans la graine que se trouve l'essentiel du message biologique, celui qui génère un ordre dynamique, porteur de jardins inconnus ». 92

-un laboratoire de production de plantes spontanées urbaines comme le jardin privé de Louis- Guillaume Le Roy, qui a appliqué ses « principes écologiques qui devraient régir jardins et paysages »93 en Hollande. J. P Le Dantec dit à son propos . « Cette approche, nourrie par la lecture de scientifiques et de philosophes ( Jacob, Mandelbrot, Serres), est aussi une poétique anti-systématique et anti- conformiste qui l’a conduit à édifier son propre jardin expérimental sur 3,5 ha de friches. »94. On peut citer dans cette filiation le jardin sauvage de la butte Montmartre, abandonné puis ouvert tel quel pour expliquer le secret du monde naturel aux enfants, le jardin sauvage botanique et didactique de Jean-Henri Fabre à Sérignan- du Comtat, ce naturaliste qui cultiva au début du siècle dans sa propriété nommée l’Harmas (ou « terrain en friche » en provençal) une collection d’essences arrangées selon un aspect visuel naturel ou encore celui de Paul Jovet dans l’Essonne qui conduisit un travail pionnier sur la flore spontanée de la ville et de sa banlieue. Le milieu urbain est artificialisé, mais la flore acclimatée à ces conditions extrêmes évolue de façon aléatoire.

91

R. Burle -Marx, “Jardins au Brésil” , in Techniques et Architecture,Vol.7, n°7-8, Paris, 1947.

92

G. Clément, Le jardin en mouvement, Pandora, Paris, 1990.

93

L. G. Le Roy, « Principes écologiques qui devraient régir jardins et paysages » , in Le jardin, lectures et

relations, Yellow Now, Bruxelles, 1977. 94

Le jardin sauvage cultive la même ambiguïté de sens et recouvre un gradient d’espace de nature allant du plus spontané au pur artifice, se référant à la ville, à l’urbain éclaté, à l’entre campagne et ville ou à la réserve naturelle .

Ces illustrations éparses du sauvage dans le jardin urbain mettent en perspective la richesse des combinaisons éventuelles de l’art et de la science dans la fabrication d’un naturel sous contrôle, la confusion sémantique portant sur les mots naturel et sauvage entretenue de manière chronique.

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