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Les prémisses de la critique de la gestion horticole et rationalisée de l'espace vert dans les années 60-

252 Synthèse des résultats : Les condition de l’émergence de la gestion différenciée

21 Les prémisses de la critique de la gestion horticole et rationalisée de l'espace vert dans les années 60-

Les premières critiques de la gestion horticole traditionnelle font surface pendant les Trente Glorieuses, époque favorable aux constructions massives d’espaces verts publics, mais aussi propice à leur dérive potentielle vers la banalisation et à une rationalisation excessive.

Après la dernière guerre, l'aménagement du territoire avait pour objectifs prioritaires la croissance

économique, le développement de l'industrialisation et l'accélération de l'urbanisation. En effet, la pénurie de logements justifiait pour l'Etat la priorité donnée à la construction rapide, abondante et économique d'un habitat social. Cependant, cette urbanisation était orientée par quelques principes fonctionnalistes de recherche de qualité de vie qui étaient clairement exprimés dans la Charte d'Athènes présentée en 1943 par Le Corbusier. La nature devait pénétrer en « doigts de gants » dans la ville jusqu’aux pieds des immeubles pour garantir une qualité de vie de proximité des habitants (loisirs, transports…) :

"Les clefs de l'urbanisme sont dans quatre fonctions:" habiter, travailler, se récréer, circuler."(article 17) D’une part, l’urbanisation massive participa à l’émergence de nouvelles politiques d’aménagement du territoire et à des démarches paysagères concernant les méthodes et les formes de la nature à mettre en place. En même temps, de nouvelles institutions ont été fondées pour former des compétences dans le domaine du paysage et affirmer le statut des professionnels du paysage:

- D’ambitieuses préoccupations paysagères étaient affichées dans les schémas directeurs

d’aménagement établis pour la région de Paris dans les années 60 sous l’égide de Paul Delouvrier et dans les métropoles d’équilibre par les OREAM(organisations d’études d’aménagement d’aires métropolitaines) établis par la DATAR. Par exemple, celui du Val de Loire, entre Giens et Tours, qui anticipait le développement du bassin économique le long de la Loire moyenne, annonçait clairement un parti d’aménagement pour l’ensemble constitué par Tours, Blois, Orléans en tant que métropole- jardin où le paysage (jardins, agriculture, forêts, espaces naturels) assurait la cohérence de l’ensemble et constituait le support du développement économique. Ces importants travaux servirent à

l’élaboration d’un schéma d’aménagement, «la métropole- jardin», en direction des professionnels.2 -Il fut mis en place en 1967 au sein du Ministère de l’Equipement et du Logement le Service Technique Central d’Aménagement et d’Urbanisme, constitué d’une équipe interdisciplinaire pionnière dite « relation villes-campagnes », chargée de promouvoir le développement de l’urbanisation dans les SDAU et les POS en tant que territoire existant à qualifier.

- Créé en 1945, la section du paysage et de l’art des jardins de l’Ecole Nationale d’Horticulture de Versailles apparut à la fin des années 60 comme l’expression politique du désir de donner un rôle aux paysagistes dans le contexte du rétablissement de la France. Le contenu de l’enseignement tenta de parvenir à équilibrer le poids séculaire de la tradition horticole versaillaise. Bernadette Blanchon, historienne, rappelle qu’en 1967, “Sgard introduit le plasticien Bernard Lassus à la section du Paysage de Versailles et obtient la création d’un cours d’écologie par Jacques Montegut. Les

paysagistes cherchent alors à élargir les préoccupations de l’école vers l’aménagement du territoire et

2

Sous la direction de P. Dauvergne: « le paysage rural et régional, les paysages de la Loire moyenne, contribution à la méthodologie des études d’aménagement », in La documentation française, 1975.

à promouvoir la figure du « paysagiste d’aménagement », historien, agronome, sociologue et écologiste, un homme de synthèse dans la lignée du professionnel des projets paysagers de l’entre- deux -guerres, N. Forestier. »3

-Le lancement du CNERP (Centre National d’Etude et de Recherche sur le Paysage) fut créé en 1973 près de Versailles par le premier Ministre de l’Environnement, Robert Poujade, pour développer en particulier une approche du paysage mieux en prise avec les grands enjeux du territoire et y préparer des professionnels de l’urbanisme et de l’aménagement.

D’autre part, en dépit de cette volonté de progression véritable de la culture paysagère et de l’installation généralisée d’espaces de nature urbaine, force est de constater avec du recul que la réalité sur le terrain était très éloignée ou à l’opposé des principes affirmés au départ. Les espaces vides de l’urbanisation constitués par des zones agricoles ou des jardins ont été souvent considérés sans valeur économique ou culturelle et le plus souvent assimilés à des réserves foncières pour la construction. Aucun moyen en personnel et en crédit n’a été consacré à leur conservation.

En effet, dans le cadre des aménagements urbains nouveaux, l’ urbanisme tranchait souvent dans le vif et effaçait l'ancien parcellaire, non sans prévoir de vastes parcs urbains à la place des bidonvilles, comme en Région parisienne à la Courneuve ou à la Défense. Dans le cadre des Zones d’Urbanisation Prioritaire, de nombreux projets se fixaient pour objectifs de résorber les vides des terrains vagues des banlieues. François Beguin écrit à propos de cette époque : "Une des solutions imaginées consiste à faire du vert avec du vide. Le parc ou l'espace public combinant minéral et végétal se présente comme un moyen de reconquête du sol devenu vacant"4.

Dans le même esprit, les chercheurs soulignent cette volonté d’expansion de la nature urbaine

accompagnée d’une volonté de faire table rase du territoire en place. Bernadette Blanchon, par exemple, rappelle :“ A la même époque, les Floralies montrent qu’en forçant la nature, on obtient les effets

plastiques désirés comme dans un tableau abstrait : le site est une abstraction, une invention destinée à recouvrir la réalité qu’on ne souhaite pas voir. La recherche de la nouveauté à tout prix rejoint l’impossible mémoire, celle des bombardements, de l’Occupation et des compromissions. L’héritage de l’existant n’est pas recevable dans cette période d’innovations et de contradictions, et cela jusque dans les interventions en villes nouvelles au début des années 70.”5 Bernadette Blanchon évoque aussi les fonctions réelles des aménageurs du paysage à cette époque : “ Les paysagistes sont à peine associés aux travaux de la

reconstruction et généralement cantonnés au rôle de“ végétaliseurs à posteriori … L'investissement rapide de ces espaces entraîne une simplification du dessin de l'espace vert en surfaces fonctionnelles plantées d'arbres et délimitées par des haies d'arbustes persistants…Le vocabulaire de l’art des jardins s’adapte aux grands ensembles; les espaces sont découpés à partir de courbes de niveau des allées et caractérisées par un système de haies et de contre- haies constituées de troènes communs ou dorés, de Prunus, Berberis et de buffets de lauriers, et sont plantés d’arbres rythmés et colorés ou parfois fastigiés, selon un dessin géométrique et des alternances de couleurs. ”6La gamme des arbres utilisés est pauvre et normalisée.

Ainsi, parallèlement aux opérations vertes de l’Etat, les services d’Espaces verts de villes s'investissaient particulièrement dans la création d'espaces verts "utiles" et fonctionnels pour les habitants. Les efforts des gestionnaires du patrimoine vert public étaient essentiellement tournés vers la réalisation d'aires de jeux

3

B. Blanchon, “ les paysagistes en France depuis 1945 ”, in Les espaces publics modernes, sous la direction de Virginie Picon- Lefebvre, édition Le Moniteur, 1997.

4

François Beguin, "Vague, vides, verts", in Le Visiteur, Ville , territoire, paysage, architecture, n°3, automne 97.

5

B. Blanchon, ibid.

6

pour enfants, d'espaces de détente et de promenades pour les adultes. L'espace était avant tout pensé comme un décor, réceptacle de mobilier urbain et d'équipements de confort et de loisir. Dans les années 60-70, l'explosion quantitative du patrimoine vert des villes a amené les élus à mesurer la potentialité paysagère en terme de « ratio de surface d’espace vert par habitant », situé entre 10 et 25 m2.

La décoration florale constituait une préoccupation aussi importante pour l'aménagement des villes. "Les villes ne viennent plus inaugurer des étagères d'azalées ou de chrysanthèmes, mais des compositions florales spectaculaires autour de tapisseries de Lurçat, des poèmes d'Aragon, des œuvres de Chagall, des porcelaines de Sèvres, mis en scène par les ingénieurs paysagistes de la Ville7". En un certain sens, les fleurs sont utilisées comme remplissage de motifs picturaux ou plus généralement artistiques.

En même temps, des techniques horticoles intensives et mécanisées furent mises en œuvre pour rationaliser les interventions sur ces nouvelles et vastes surfaces publiques : traitements phytosanitaires, forçage des végétaux par une utilisation importante d’engrais, mécanisation des tontes de gazons, automatisation des serres, utilisation d’essences exotiques ou de cultivars. Les projets s’orientaient vers les références d’images produites comme des espaces très construits, équipés, plantés de cultivars d’arbres bleus ou rouges à port géométrique et ornés par la mosaïculture. La vocation fonctionnelle et la facilité de maintenance des espaces prévalaient sur la créativité des compositions. L’époque était celle de l’espace public dit « vert ». Marc Rumelhart a désigné cette nature urbaine « jardins publics, jardins mécaniques »8, où « les déviances de la propreté, du nettoyage et du récurage sont camouflées en pseudo- jardinage », et où dominent de « vastes plaines engazonnées, coloriages a minima des immenses espaces libérés, espaces on- ne- peut plus verts et on- ne- peut plus libres où le mal de vivre atteint son paroxysme » 9.

Cependant, nous pourrions modérer ces propos en citant les efforts de certains chefs de service d’espaces verts qui malgré ces nouvelles contraintes d’entretien s’étaient adaptés à cette nouvelle commande de verdissement des grands ensembles en cherchant à créer de nouvelles formes urbaines. Nous pouvons citer par exemple ce jugement sur le travail de Jean Marc, ingénieur horticole aux Services techniques de Saint Etienne, à propos de la Z.U.P de Beaulieu le Rond- Point mise à l’étude dès 1950 et réalisée à partir de 1964: “ A l’implantation exemplaire des parcs répond une maîtrise raffinée du végétal d’accompagnement, déclinée selon les modes habituels aux squares urbains, avec une virtuosité étonnante due aux talents de l’ingénieur des services techniques de la ville, associé à l’équipe de conception dés l’origine de l’opération. ”10

7

M.-J. Gambard, "Les jardins de la seconde guerre mondiale en 1977", in Paysage et Aménagement, août-septembre 1988

8

M. Rumelhart, G. Chauvel, « Jardins publics, jardins mécaniques », in Paysage et aménagement n°30, février 1995.

9

M. Rumelhart, « Pour un jardin public écologique, reportage dans le quotidien végétal des villes et des banlieues », in La

plante dans la ville, Ed. INRA, Paris 1997. 10

22 L’apparition d'un système critique de la gestion horticole des

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