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La notoriété du Domaine de Méric et de ses propriétaires nous a permis d’explorer les publications locales et de comprendre comment ce parc privé avait été médiatisé et perçu par les visiteurs au XIXe siècle.

*Une représentation scientifique et agronomique liée à la personnalité du propriétaire du domaine.

Gaston Bazille, propriétaire du Mas Méric, homme de lettres et de droit à l’origine, devint un agronome passionné et membre de la société Centrale de Pomologie et de la Société Centrale d’Agriculture de l’Hérault. Rentier et gestionnaire de 10 hectares de vignes et fruitiers à Méric, il était aussi propriétaire d’un autre domaine, le domaine de Saint Sauveur à Lattes. Il expérimenta sur ses terres la culture des plantes tinctoriales, notamment la garance alors massivement utilisée pour le teinture des habits militaires, et l’élevage des bovins.

Infatigable novateur pendant 10 ans, il vulgarisa ses travaux sur les races bovines, les fumures, les cultures fourragères et les vacheries modernes équipées industriellement pour approvisionner les villes en lait.

Cette immersion dans la recherche agricole est encore latente sur le site à travers les traces dans l’occupation végétale du Mas Méric, notamment des vestiges de garance dans la prairie provenant éventuellement d’anciennes plantations temporaires et des essais sur les variétés de fruitiers sur les terrasses.

Il se consacra également à la vigne, sous l’angle de la recherche scientifique. En effet, il participa à la première mission d’observation du Phylloxera, mandatée par la Société Centrale d’Agriculture.

En 1868, il fut cosignataire du premier rapport sur ce parasite après observation des domaines de la rive gauche du Rhône en Provence en compagnie d’Emile Planchon, son voisin, habitant de la villa Planchon jouxtant le mas Méric.

Emile Planchon poursuivit seul ses expériences d’éradication du phylloxéra, puis en 1871, identifia des plants américains peu sensibles à cet insecte comme porte-greffe des variétés de vignes françaises.

Le dernier héritier du domaine arracha l’ensemble des vignes en 1992 sur le site avant l’acquisition par la Ville.

Ce passé du Mas Méric et de son propriétaire G. Bazille impliqué dans les expériences agronomiques sur le site de Méric , les échanges amicaux et professionnels avec le célèbre E.

Planchon n’ont pas traversé la mémoire collective de Montpellier mais restent présents dans l’esprit des scientifiques et historiens locaux.

Au delà des archives du lieu, cet engouement pour l’agronomie et la viticulture dans la famille Bazille illustre le milieu culturel et social traditionnel d’une famille bourgeoise de Montpellier vivant d’une économie agricole provenant de plusieurs domaines et ouverte au goûts de l’époque pour le développement scientifique et agronomique.

* Une représentation jardinière et botanique de la propriété Méric.

Les actes notariés mentionnent un jardin à l’anglaise enrichi par G. Bazille à partir de 1856. Ce grand voyageur à l’étranger, notamment en Angleterre, se passionna d’horticulture et recomposa sa terrasse haute du domaine en prairie jardinée et fleurie de lauriers roses, ombragée d’arbres exotiques de grande rareté et rythmée d’éléments architecturaux comme l’orangerie, la maison de jardiniers et le bassin.

En effet, la présence d’un arbousier de Grèce (Arbustus X andrachne), d’un sapin d’Espagne (Abies pinsapo), d’un sapin de Nordman (Abies nordmaniana) et d’un cèdre de l’Atlas (Cedrus Atlantica) atteste sa volonté de recherche d’arbres exotiques rares, plantés à cette même époque dans le jardin des plantes et dans quelques propriétés privées appartenant à des bourgeois locaux grands amateurs de botanique comme le Château- Bon, le château de la Paillade, le château du Terral et le château de Grammont. Ces familles se côtoyaient régulièrement, s’échangeaient des boutures et plants étrangers, construisaient des serres d’expérimentation et devenaient des membres assidus de la société d’horticulture de l’Hérault. Dans les terrasses inférieures, G. Bazille aménagea des planches de vergers, de floriculture pour les fleurs des bouquets de la demeure, des châssis pour les essais de maraîchage.

La composition du parc n’était pas sans évoquer un vocabulaire d’art des jardins à l’anglaise, notamment l’effet de « Kitchen garden »dans le potager et le verger clôturés de murets couronnés de tuiles plates à proximité de la demeure et le cheminement du bois exotique sinuant entre les arbres exotiques et les bâtisses anciennement agricoles transformées en fabriques après rehaussement des murs par un cailloutis précieux rose.

Un bois jouxtant la demeure semble avoir été aménagé au XIXe siècle avec une placette centrale desservant un rayonnement d’allées agencées comme un labyrinthe.

Cependant, le mas Méric reste empreint d’un style méditerranéen, voire italien avec ses terrasses, ses revêtements muraux en cailloutis rose, les calades de galets encadrant les allées, les canalettes d’eau et les versants boisés de pins et de cyprès.

Le propriété décrite au XVIIe, XVIIIe et début XIXe siècles comme fraction d’un pays rural fondé sur une économie vivrière devient ainsi un lieu de villégiature, un support de création d’un parc à l’anglaise et un lieu d’accueil d’arbres rares en Méditerranée. Le Mas Méric est cité par ses contemporains amateurs de botanique, de jardins ou par ses visiteurs comme un domaine aménagé et enrichi par son propriétaire.

Initialement espace très ordinaire, il acquiert un statut de paysage reconnu pour sa valeur botanique et jardinière. Plus généralement, il raconte l’art de vie de la bourgeoisie montpelliéraine qui partageait sa vie entre l’hôtel particulier au centre ville et la villégiature à la campagne pour l’accueil de la famille et des amis l’été, dans un cadre composé pour refléter les valeurs sociales de l’époque .

* Une représentation picturale internationale du site par le peintre impressionniste Frédéric Bazille (cf planche photos 11)

L’histoire de Méric est relatée à travers un palimpeste de strates historiques, botaniques, agronomiques, sociales mais surtout artistiques. En effet le fils du propriétaire du Mas Méric au XIXème siècle vivait à Paris en 1859 pour approfondir son goût pour la peinture. Participant à l’atelier de Gleyre, Frédéric Bazille y rencontra Claude Monet, Auguste Renoir et Alfred Sisley, les futurs piliers du Mouvement impressionniste. D’ origine bourgeoise, il se partageait entre une vie d’artiste marginal et ses séjours champêtres en famille à Montpellier. A Méric, la vie de famille, le parc et les berges du Lez devinrent des sujets d’inspiration et de prédilection du peintre. Ses peintures témoignent d’une part de la conservation à l’identique du lieu mais aussi du mode de gestion et d’usage des composantes du parc Méric. Les thèmes des peintures oscillaient entre la mélancolie de la vie de famille, l’esthétisation du jardin et des espaces naturels. Le jeune peintre rendit compte des formes, des effets de lumière des massifs arbustifs, des arbres, de l’ambiance de famille, des tissus et toilettes de l’époque à la fois avec une grande exactitude et une interprétation libre. Parmi les tableaux les plus connus, on citera« La réunion de famille » sur la terrasse de Méric sous les marronniers et à proximité de la serre envahie de glycines comme à l’existant , « Le petit jardinier » habillé et chapeauté d’élégants habits blancs au milieu de parterre de fleurs, « La vue du village » où la cousine surplombe d’une terrasse du site les berges du Lez et le village de Castelnau.

Enfin « Les baigneurs » illustrent la silhouette flatteuse et sereine de jeunes garçons se baignant sur les berges du Lez en contrebas du site.

Outre ces œuvres picturales, la correspondance régulière entre Frédéric Bazille et son père témoigna de son affection pour le lieu mais aussi de ses échanges sur sa propriété avec les peintres de renom impressionnistes :

« Je suis absolument seul à la campagne. Mes cousine et mon frère sont aux eaux, mon père et ma mère habitent la ville. Cette solitude me plait infiniment ; elle m’a fait beaucoup travailler et beaucoup lire »9.

En 1864, à l’occasion d’une visite chez les Monet, il écrivit à sa mère : « Ce sont des charmantes gens. Ils possèdent à Sainte Adresse près du Havre une charmante propriété en ville comme à Méric ».10 En 1869, il envoya à ses amis Monet et Renoir des produits des fruitiers de Méric.

Frédéric Bazille, seul peintre impressionniste de l’Hérault avec A.Bruyas, son voisin de Montpellier qui a exposé au salon local, transposa l’inspiration des guinguettes de la Seine, les déjeuners sur l’herbe dans son univers intime, familial et méditerranéen. A travers ses créations, il a artialisé le jardin de Méric au niveau international grâce à la communication autour de ses œuvres. Il révéla essentiellement l’aspect luxuriant et fleuri des terrasses, la fraîcheur des berges du Lez, l’ombrage des arbres exotiques, un univers qui s’appuyait sur la réalité contemporaine du site mais aussi le rapprochait plus du paysage des jardins de Giverny, de la forêt de Fontainebleau, de Honfleur, beaucoup plus que des parcs arides méditerranéens.

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F. Daulte, F Bazille et son Temps, Cailler, Genève, 1952.

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Cependant, la lumière forte, les jeux d’ombrage, l’eau, le mas aux murs ocres brûlés par le soleil, les collines couronnées de pins des tableaux rappellent ponctuellement l’insertion du site dans le climat méditerranéen. Les interprétations de la nature de Méric puisaient leurs sources dans de multiple références, en particulier aux images de campagne arcadienne avec ses occupants sereins et paisibles, de nature pseudo- sauvage avec les berges luxuriantes du Lez au cœur de Montpellier, enfin à la nature domestiquée et soignée de l’art des jardins. Sa production picturale fut abondante mais courte car il perdit la vie sur un champ de bataille le 28 novembre 1870.

La carrière d’artiste de F. Bazille ne dura que quelques années. S’il connut comme ses camarades Monet, Renoir, Sisley la difficile reconnaissance au temps de l’Impressionnisme, il n’acquit jamais la même renommée posthume au niveau national.

Pendant longtemps, le peintre montpelliérain fut oublié ; ses œuvres furent cependant appréciées dans les pays étrangers, notamment en Italie, aux Etats-Unis, à Chicago et à Boston.

Elles furent réhabilitées par les auteurs locaux comme le peintre Descossy qui écrivit « Montpellier, berceau de l’impressionnisme » en 1933 ou l’historien F. Daulte dans ses écrits autour de 1950. A l’extérieur du cercle des amateurs d’art et d’histoire, il devint connu après 1991, lors de l’achat du Mas Méric par la ville.

Planche photos 9 : Le patrimoine du Mas Méric interprété par le peintre

impressionniste Frédéric Bazille .

« Les terrasses de Méric », 1867, sur la terrasse haute, F. Bazille à la droite .

« Le petit jardinier », non daté, dans le parc anglais .

« La vue du village », 1865 ; vue du Lez, du village de Castelnau depuis la terrasse de vergers

« La scène d’été », non datée ; vue du Lez depuis les berges au bas de la propriété.

412 L’acquisition du site par la ville : la conception d’un parc public

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