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L’ensemble de ces traits communs montre que tout se passe comme si la philosophie du wild

garden anglo-saxon avait ressurgi de façon latente dans le domaine du jardin public un siècle

plus tard mais au cours de son voyage vers le XXIe siècle s’était imprégnée de nouvelles valeurs environnementales.

En effet, la gestion différenciée puis durable du patrimoine vert public constitue aussi le ferment d’un type nouveau de parc urbain révélateur d’une plus grande participation de la nature urbaine au fonctionnement des agglomérations et même de l’environnement planétaire. Sur le plan social, ce mouvement paysager pourrait aussi révéler un rapport différent du citadin avec ses espaces publics comme supports de formes et d’éco -symboles d’une nature- refuge.55

La conception du jardin sauvage n’est plus pensée à l’échelle du laboratoire du jardin privé travaillé par le paysagiste-jardinier comme W. Robinson et G. Jekyll mais à celle du territoire urbain public géré par des paysagistes, des écologues et des horticulteurs. La touche de vivaces rehaussant le paysage du verger ou du bois du wild garden est réinterprétée aujourd’hui par exemple par des hectares de fleurs messicoles semées par des agriculteurs dans les prairies de jeux publics, par une gestion « douce » de friches urbaines existantes ou par la mise en scène de corridors biologiques dans le milieu urbain des pays du Nord de l’Europe.

De même, le wild garden est à resituer dans le rapport évolutif de la ville à la campagne: au temps de W. Robinson, le wild garden se construisit dans la campagne anglaise en cours de lotissement et s’appuyait sur les structures végétales existantes tandis que dans la démarche de la gestion différenciée, les villes comme Montpellier et Rennes se substituent à la campagne dépérissant pour proposer de nouveaux modèles paysagers ruraux et naturels reconstruits ex- nihilo ou maintenus artificiellement. Ce renversement des formes de nature se développe au moment même où nous pouvons affirmer avec Francois Ascher, « Il n’y a plus de limites nettes entre la ville et la campagne; les espaces publics et privés, extérieurs et intérieurs se recomposent dans de nouvelles configurations et à toutes les échelles. » 56

Dans le même esprit, la gestion différenciée et durable n’est plus le fruit d’individus anti- conformistes et novateurs comme W. Robinson et G. Jekyll mais d’une convergence de

consciences individuelles et collectives, d’un réseau d’initiatives éclectiques qui trouvent dans les valeurs environnementales des raisons d’agir pour produire des villes habitables sur le mode naturaliste. Les uns sont des scientifiques et des techniciens, les autres des acteurs politiques, des artistes ou de simples citoyens. Un même parc peut-être conçu par une équipe de gestionnaires composée à la fois de botanistes, d’écologues, de paysagistes conseillés par des agriculteurs, des associations et des plasticiens.

55

voir chapitre 5 de cette étude.

56

F. Ascher, la République contre la ville. Essai sur l’avenir de la France urbaine , Collection « monde en cours », édition de l’Aube, 1998, Paris.

Cet élan environnemental dans le monde des décideurs de jardins publics trouve aujourd’hui un écho équivalent dans celui des usagers des espaces verts urbains. En effet, des enquêtes isolées et non exhaustives font apparaître le souhait exprimé par certains citadins d’échapper à l’univers urbain dans un jardin globalement conforme à une idée de nature contradictoire, bucolique, sauvage mais esthétique et confortable comme un parc public.(cf chapitre 5)

Nous pouvons donc confirmer notre hypothèse initiale que la gestion différenciée s’inscrit dans la parenté du mouvement paysager du wild garden. Ces compositions paysagères imprégnées des valeurs poétiques, artistiques et naturalistes du wild garden se sont métissées avec de nouvelles valeurs liées au paradigme de la ville durable du XXIème siècle qui

replacent le jardin dans le contexte biologique planétaire et préparent l’évolution des rapports sociaux à la nature et à l’habitabilité de la terre.

D’une certaine façon, on aurait pu aussi explorer la voie de l’influence plus indirecte des botanistes spécialisés dans le jardin « sauvage » comme Jean -Henri Fabre, ce naturaliste qui cultiva au début du siècle à Sérignan- Du Comtat sa propriété nommée l’Harmas ou « terrain en friche » en provençal une collection d’essences arrangées selon un aspect visuel naturel, ou Paul Jovet dans l’Essonne qui conduisit un travail pionnier sur la flore spontanée de la ville et de sa banlieue .(cf chap 1)

Plus anecdotiquement, on peut cependant percevoir aussi dans les projets de « ville durable » d’Europe du Nord une certaine correspondance sur le plan urbanistique avec les systèmes de réseaux verts américains ou les parcs naturels nationaux promus par F. L Olmsted et ses disciples ou encore les cités-jardins de Howard.

En effet, dès le début du XXe siècle en Europe, la construction de la ville est marquée avant tout par la naissance de la science, « la planification urbaine et rurale » initiée entre autres par Patrick Geddes (1854-1932) qui sut y intégrer l’écologie comme art de vivre mais aussi comme science.57Parallèlement, le mouvement des cités-jardins lancé par Ebenezer Howard58(1850-1928) puis suivi par Lewis Mumford59(1895-1990) met en application le concept d’une ville équilibrée écologiquement et socialement viable .

Dans cet esprit de développement d’un paysagisme naturaliste, on pourrait aussi citer les travaux de F.L Olmsted60(1822-1903) qui réalisa des systèmes de parcs et de parkways comme Central Park(1857), Riverside Estate à Chicago(1869) et le Boston Parkway(1880), dans un projet de ville qui englobe l’urbain et la campagne en une seule composition . Enfin, sur le plan de la philosophie écologique, ce nouveau rapport à la nature durable s’inscrit de façon latente dans le courant du « wilderness », inspiré du transcendantalisme.

57

P.Geddes, Cities in evolution, 1915,(3rd edition 1968), London.

58

E. Howard, les Cités –jardins de demain, Paris, Dunod, 1969.

59

L.Mumford, The culture of the cities, London, 1952.

60

L’idée de ce sauvage idéalisé a été développée essentiellement par le philosophe américain Henry David Thoreau.

Nous pouvons également souligner que des paysagistes français contemporains qui ont adopté une attitude bienveillante envers la nature « dejà là » en promouvant les formes végétales naturelles, héritées de W. Robinson et G. Jekyll, comme Gilles Clément61, Gabriel

Chauvel62, Erwan Tymen 63et Alain Richert ,64sont susceptibles d’avoir inspiré les directeurs de services espaces verts de leur époque par leurs réalisations et leurs publications mais nous nous sommes intéressés essentiellement à l’origine historique de cette mouvance. D’autre part, nous pensons que le monde des ingénieurs gestionnaires du patrimoine vert public des villes relevait d’une culture spécifique, ce qui justifiait la restriction de l’étude des jardins naturels contemporains aux parcs de nature champêtres et sauvages issus de la gestion différenciée.

61

G.Clément, Le jardin en mouvement, Paris, Pandora, 1990.

62

G. Chauvel, « Plaidoyer pour les plantes sauvages », les plantes vivaces, SNHF, Paris, 1989.

63

J.F. Jarreau, interview de Erwan Tymen dans Quatre paysagistes, quatre styles, in L’ami des jardins et de la

maison, n° 751, 1989. 64

Schéma 7 ; Du wild garden à la gestion différenciée :

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