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Au sens strict et didactique, le terme scientifique de campagne102 ( ou de champagne) renvoie au paysage de l’openfield, c’est à dire aux parcelles non encloses, généralement très régulières, dont les limites sont à peines perceptibles par des repères codifiés dans chaque région. Dans cette acception, la campagne s’oppose au bocage, parcelles généralement de forme irrégulière et closes, soit par des haies vives, soit par des arbres de talus ou encore des murs de pierres sèches

*La campagne des géographes

De façon plus générale, la campagne évoque des paysages ruraux. Si l’on se réfère par exemple à l’Atlas des paysages ruraux de France et plus particulièrement à la synthèse

géographique des formes de campagne de Pierre Brunet, la diversité des paysages ruraux de la France reflète la diversité des paysages de l’Europe. « Se rapprochent aussi bien les bocages atlantiques ou montagnards, qu’on retrouve de la Galice à la Norvège et des Pyrénées aux Carpates, que les campagnes découvertes de Rhénanie et d’Europe orientale. Certaines formes sont sans doute moins représentées, mais des exemples de villages linéaires issus de

défrichement forestier sont connus dans le Bassin parisien, des huertas méditerranéennes existent en Roussillon et en basse vallée du Rhône, des cas de Coltura promiscua se rencontraient prés de Vienne et dans l’Agenais. Seuls manquent les paysages de latifundia soit nus, soit à culture céréalières sous des bois clairs ainsi que les enclosures à nouvel habitat dispersé et les campagnes collectivisées des pays socialistes d’hier. » 103On en déduit que le sens actuel a perdu la notion de pays plat d’origine cité dans le dictionnaire puisqu’elle englobe les campagnes de montagne, mais concerne tous les types de formes de champs cultivés y compris le bocage, le boisement et les marais quand ils sont travaillés ou mis en pâturage et l’urbanisation implantée dans ces cultures .

Pierre Brunet repère plusieurs typologies de campagnes dans leur organisations spatiales notamment les paysages de bocage, les paysages méditerranéens de la pierre, les paysages de l’eau, les paysages de terrasses. Si l’on revient aux territoires de l’entre- deux, entre champs cultivés et friches ou espaces boisés liés au sauvage, nous pouvons noter que ce géographe les qualifie de « campagnes » .« Ces paysages à faible empreinte agricole » implantés notamment dans le quart sud-est de la France qui contient plus de surfaces incultes, des forêts et des alpages que de terres cultivées. Dans le Massif Central, en Corse, dans les Alpes maritimes , par exemple, « les îlots de campagne qui accompagnent de modestes hameaux s’émiettent parmi les landes, les petits bois et de vastes pacages. »104

102

Maurice Morin, Guide pratique de géographie générale, Classiques Hachette, paris, 1962.

103

P.Brunet, La France toujours recréée, in l’ Atlas des paysages ruraux de France, sous la direction de P. Brunet, J.P De Monza, 1992.

104

Jean-Claude Bontron, met en perspective l’évolution des campagnes au regard de la politique agricole communautaire et de l’urbanisation. Son hypothèse l’amène à imaginer une

rétractation du paysage productif agricole avec les différentes formes de « mise en réserve » du territoire que constituent la jachère ou l’ extensification et la conservation forestière qu’elle va entraîner dans les régions sans potentiel de renouvellement agricole. « L’urbanisation d’abord soutenue par un développement résidentiel élargi, par la croissance de l’économie des loisirs, de la remise en forme et du tourisme, va de plus en plus marquer le paysage rural de ses signes : diffusion des constructions neuves, multiplication des infrastructures,

uniformisation des matériaux, introduction massive des modèles urbains.

Mais dans le même temps, la montée des préoccupations écologiques tend à mettre au premier plan la préservation des fonctions patrimoniales remplies par les espaces ruraux, promus au rang de conservatoire des espaces naturels et des paysages, de la faune, de la flore et des grands équilibres vitaux. Entre ces espaces convoités et ces espaces délaissés, les paysages agraires, soumis à deux dynamiques contradictoires, auront beaucoup de mal à développer une logique paysagère qui leur soit propre. » 105

Cette campagne deviendrait alors le support des aménités paysagères liées aux agglomérations urbaines ou le cadre de projets écologiques liés à la quête de développement durable pour la planète.

* La campagne périurbaine des écologues :

Les formes de la campagne sont susceptibles d’être analysées par les naturalistes sous l’angle des modèles spatiaux formels étudiés par les scientifiques comme le bocage, la zone humide, la prairie sèche ou d’indicateurs de biodiversité comme la niche ornithologique, le biotope d’une plante rudérale, le degré d’artificialisation du territoire, élaborés sur des bases d’écosystèmes ou de fonctionnalités écologiques.

Philippe Clergeau , chercheur à l’INRA, montre combien cette étude scientifique concernant la faune et la flore de la campagne se mêle avec celles du milieu urbain du fait des échanges biologiques entre les deux milieux : « Certaines espèces subissent en milieu rural une pression anthropique considérable les amenant à rechercher en permanence des secteurs moins

perturbés. L’installation en zone péri-urbaine et urbaine peut alors constituer une réponse à cette pression de sélection »106. Dans d’autres cas, les échanges biologiques ville-campagne peuvent aussi être permanents pour certaines populations végétales ou animales qui utilisent simultanément les deux milieux. Par exemple, P. Clergeau cite les choucas et les pigeons qui nichent en ville et qui vont se nourrir essentiellement dans la campagne périurbaine ou les étourneaux qui s’alimentent à la campagne et viennent dormir en ville. Dans les grandes villes comme Rennes, P. Clergeau et J.P. Marchand ont montré que les étourneaux utilisent de plus en plus les friches de la frange suburbaine en attente d’urbanisation comme site de dortoir nocturne et éventuellement les parcs urbains. 107

La ville est alors considérée comme un habitat à part entière participant à la conservation de certaines espèces pour la plupart menacées par l’intensification de l’agriculture. Elle est un milieu refuge pour les espèces de la campagne(cas des renards par exemple).

La ville peut aussi offrir des habitats similaires à ceux de la campagne environnante. On peut alors parler de forte interpénétration des milieux urbains et ruraux sur le plan scientifique.

105

J.C Bontron, « Quelle France pour le prochain siècle ? », in l’ Atlas des paysages ruraux de France, sous la direction de P. Brunet, J.P De Monza, 1992.

106

P. Clergeau, Biodiversité en milieu urbain, Ministère de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement, avril 2000.

107

P. Clergeau, J. P. Marchand, Evolution des paysages et émergence de risques environnementaux : exemple des dortoirs urbains d’étourneaux en Bretagne, in l’Espace géographique, 1999.

Enfin les échanges biologiques villes -campagne se réalisent par des couloirs de dispersion, ce qui peut entraîner des préoccupations épidémiologiques et des processus de colonisation des villes par des espèces de la campagne.

A travers ces analyses de la campagne contemporaine par des scientifiques géographes et écologues, nous avons souligné que les définitions d’origine de la campagne ont évolué en relativisant progressivement l’idée des frontières physiques et biologiques entre l’urbain et les champs cultivés. La campagne peut alors être intégrée dans la ville ou rester mitoyenne de la ville dans le cadre des nouvelles communautés d’agglomérations ou des communautés urbaines.

Mais pour les géographes et les écologues, l’heure actuelle est sans doute celle des interrogations et des remises en cause de leur pratiques centrées sur des études d’ éco

systèmes. La question contemporaine pour les chercheurs en sciences sociales est bien plus de se demander comment telle ou telle société a pensé et vécu son environnement, comment elle a pratiqué son milieu, son espace écologique et comment elle le perçoit. Le géographe doit alors entrer dans un système descriptif et explicatif de son environnement rural, établir des relations entre les indicateurs visuels du paysage rural et les composantes fonctionnelles liées à l’histoire de l’aménagement agricole et au développement rural.

Cette campagne est analysée sous l’angle d’ une étude morphologique d’un paysage perçu par les usagers, d’un lieu de pratiques humaines. Alors entre en jeu le regard des artistes et des paysagistes.

Nous avons vu, au sens propre, que la campagne désignait dans les dictionnaires les champs cultivés sans limites parcellaires distinctes, hors de la ville. Plus largement, la campagne est analysée par les scientifiques comme l’espace multiforme de plateau, de montagne ou de banlieue des villes qui a trait à l’agriculture de production ou à la friche et qui établit des liens biologiques de plus en plus denses avec les milieux urbains.

122: Les principales idées sur la campagne au sens figuré

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