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Le XIXe siècle a été du point de vue de l’histoire des jardins le moment du passage du jardinisme aristocratique anglais fondé sur la composition des paysages, impliquant les théories esthétiques du sublime et du pittoresque, au style paysager reposant sur la nouvelle sensibilité romantique.

Michel Baridon remet en perspective la création paysagère à l’époque industrielle : « L’entrée de la machine dans la vie quotidienne a été ressentie comme une rupture ; elle a transformé la vision de la nature. Jamais peut-être la nature n’a paru si belle. Ils idéalisent d’autant plus ces visions de campagne qu’ils se savent voués à un mode de vie qui ne peut plus changer. Pour certains, comme Dolfuss en Alsace ou Schneider en Bourgogne, ce seront les jardins ouvriers concédés par les industriels à proximité du lieu de travail. Pour d’autres comme Haussmann, ce seront les grands parcs de villes. Pour d’autres enfin, surtout dans les couches moyennes urbaines, ce seront les jardins individuels des villas de banlieue qui permettront à chaque famille de s’approprier un peu de vaste nature. De là, trois façons au moins de concevoir le rôle des jardins. »3

La caractéristique artistique de ce début de siècle est essentiellement marquée par l’évasion développée à travers l’architecture, la littérature et les voyages. Susan et Geoffrey Jellicoe évoquent l’évolution des jardins en relation avec les styles architecturaux :« Dans le domaine de l’ architecture, tous les pays européens se mirent aux styles gothique, grec, égyptien ou indien ou encore renaissance italienne. Dans le même esprit, l’urbanisme devint classique et conservateur dans un style hérité de A.Le Nôtre dans la capitale française sous l’impulsion de Napoléon et du Baron Haussmann, greco-roman en Allemagne, notamment sous l’inspiration de l’architecte Schinkel ou encore gothique en Angleterre. Le néo- classicisme de

l’architecture et le romantisme des parcs devinrent indissociables dans cette quête du passé idéalisé ».4

Les paysagistes s’attachaient essentiellement à mettre en valeur l’aspect remarquable du naturel en créant de toute pièce des jardins-spectacle fondés sur le pittoresque, l’anecdote littéraire ou picturale. Le style paysager avait atteint son apogée sous le Second Empire avec une recherche de l’ordre et de la méthode dans l’irrégularité. L’unité reposait sur la diversité

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M. Baridon, Les jardins, R. Laffont, PP941-942.

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des références historiques cosmopolites et le désir de restituer, voire d’amplifier les scènes de la nature à une dimension monumentale tant au niveau de leur échelle visuelle que par les émotions qu’elles procuraient. Les matériaux utilisés pour imiter les effets de nature étaient artificiels, les végétaux essentiellement exotiques, le terrain faisait l’objet d’une table rase pour être une conception ex-nihilo tel un décor naturel de fiction. Le Parc des Buttes

Chaumont, par exemple, réalisé par J.C.A. Alphand en 1863 fut une excellente illustration de cet art du paysage scénographique construit à partir d’une carrière, comprenant des caves de stalactites, des montagnes de faux - rochers et un manteau épais de végétation.

J. P. Le Dantec résume ainsi cet attrait pour cette nouvelle esthétique des jardins: « Le progrès de l ‘horticulture et tout spécialement des techniques d’acclimatation de végétaux vont

entraîner, combinés au goût romantique de la liberté des formes et pour l’ailleurs, une vogue des arbres, des arbustes et des fleurs exotiques en particulier et élargir la palette horticole des jardiniers paysagistes qui vont inventer des regroupements végétaux, souvent liés à ces mouvements de terrain artificiels, caractéristiques du style paysager du 19e siècle. »5

En effet, en plein développement économique et industriel de l’Europe et de l’Amérique, la volonté générale de changement de décor dans le parc paysager se traduisit par l’introduction massive d’essences d’Amérique du Nord, de Chine et du Japon .

En Grande Bretagne, les principes paysagers mêlant classicisme et romantisme, formulés par Repton, continuèrent à être appliqués, notamment à Regent’s Park au cœur de Londres, réalisé en 1813 en collaboration avec l’architecte Nash. Des terrasses de villas classiques

monumentales pénétrèrent dans un parc public constitué de lacs, de ponts et de paysages de forêts exotiques. De même, Joseph Paxton, urbaniste et horticulteur, chef jardinier du Duc du Devon créa dans cette région des paysages aussi monumentaux que singuliers comme la grande serre (1836) ou l’aqueduc cyclopéen(1840), d’une trentaine de mètres de hauteur, reconstitué dans un style naturel. Parallèlement, Edward Hussey exprima dans ses projets le romantisme anglais en restaurant en 1837 le vieux château de Scotney, datant de 1378, en ajoutant une aile du bâti en ruine dessinée, en s’inspirant de tableaux classiques. A l’opposé, James Bateman, à Bidulph Grange dans la région de Strafford, proclamait une nouvelle ère de l’internationalisme britannique en réunissant plusieurs types de paysages, de philosophies et de styles dans un ensemble cohérent : un bâti de style Renaissance, couplé avec un jardin japonais et des kiosques égyptiens.6

Cet aspect pittoresque du paysage s’épuisa au fil du temps et devint progressivement une pure recette académique et répétitive. L’éclectisme et l’historicisme se perpétuaient et s’opposaient à l’innovation. J.P.Le Dantec rappelle la perte de vitesse de ce style paysager à la fin du XIXe siècle : « L’art des jardins publics paysagers s’était par la force de la commande mué presque partout en art officiel, autant dire en art académique : rien d’étonnant s’il était devenu le réceptacle de la statuaire »pompier » célébrant des « gloires » politiques et des allégories bien-pensantes »7. Progressivement, la standardisation, l’internationalisation et la

démocratisation des parcs heurtèrent la tradition anglaise aristocratique et la culture savante du jardinage.

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J.P. Le Dantec, Jardins et Paysages, Larousse, 1996, p. 243.

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D’ après une traduction de G. and S. Jellicoe, The landscape of man, Thames and Hudson, 1987, pp. 265-270.

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Alors, dans cette Angleterre industrielle, démocratique et urbaine s’amorça un nouveau courant de pensée paysagiste qui s ‘exprima selon plusieurs mouvances radicalement distinctes sur le plan des échelles de travail et des références culturelles, mais qui révéla des tentatives de réponse alternative au constat de la banalisation du jardin :

-un paysage urbain équipé pour les ouvriers et la classe moyenne

Loudon, encore imprégné des valeurs du pittoresque, se tourna vers les commandes de parcs publics et se donna alors comme but de donner du plaisir esthétique et d’éduquer par la botanique la population ouvrière, notamment avec son arboretum public de Derby. Dans le même esprit, l’équipe formée de l’architecte Nash et du paysagiste Repton s’adapta à la nouvelle demande de la classe moyenne bourgeoise en proposant le plan du quartier Ladbroke Estate et Holland Park à Londres en 1846 combinant les petits jardins privés et le parc

collectif privé.8

-Des parcs fondés sur l’association des techniques contemporaines et de formes de nature domestiquée :

Les expositions universelles de Londres en 1851 et de Paris en 1889 montrèrent la relation possible entre le rationalisme de l’ingénierie et le paysage romantique de l ‘émotion. Notamment, Paxton se tenait au fait des découvertes industrielles et créa pour celle de Londres, Crystal Palace, une serre monumentale où il logeait des arbres exotiques entiers et recomposait un paysage prestigieux en l’honneur des conquêtes coloniales. Ce palace fut érigé par la suite à Sidenham dans un parc d’échelle monumentale.9

-Des couloirs urbains de nature reconstituée :

Ces projets furent essentiellement ceux de F.L.Olmsted aux Etats Unis: il considéra le paysage naturel américain comme un réservoir de formes et de couleurs et s’en inspira pour créer des réseaux verts urbains de parcs dans les villes de Chicago, Boston et New-York et étendit sa mission de créateur de parcs aux aménagements de réserves naturelles.

-Un retour vers un paysage rural anglais promu par le mouvement Art and Craft initié par William Morris (1834-1896) : on peut citer essentiellement W.Robinson et G.Jekyll qui s’attachèrent à promouvoir un style de jardin revalorisant la flore locale et la mise en scène de la nature spontanée que nous étudierons dans le chapitre suivant. 10

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The landscape of man, op. Cit. 9

The landscape of man, op. Cit. 10

Planche photos 5 . Les jardins anglais de la fin du XIX

e

siècle : une priorité

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