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CHAPITRE II : POUR UNE DIDACTIQUE DU RECIT

SEQUENCE NARRATIVE

III. Les catégories du récit littéraire et leur exploitation didactique

III.1. Le roman : œuvres intégrales et extraits

Depuis plusieurs années, le roman perçu comme étant une « œuvre narrative en

prose. (…) un récit d’imagination. » (Lesot et Eterstein, 1996 : 173) est l’objet d’intérêt

des didacticiens. Omniprésent dans la quasi-totalité des manuels scolaires, que ce soit en FLM ou en FLE, il se veut à la fois support privilégié pour le développement de la compétence de compréhension et un déclencheur de l’activité de production. Cependant, vu sa longueur, les enseignants recourent le plus souvent à opter pour des extraits romanesques, plus faciles à exploiter dans une classe de langue, pourvu qu’ils soient le

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plus possible représentatifs des traits distinctifs du genre à l’instar du cadre spatio-temporel, la présence des personnages et de l’intrigue.

De par sa vigueur et sa diversité, l’extrait romanesque, susciterait une attention particulière des apprenants et stimulerait leur appétit de lecture quand il serait présenté sous différentes formes « romans policiers, romans de science-fiction, romans

sentimentaux traduisant, dans les univers multiples et colorés qu’ils mettent en scène, les pulsions refoulées du monde moderne» (Bouthier et al. 2008 : 441). Il apparait donc

fructueux, sur le plan pédagogique, de dresser une liste, non exhaustive, des sous-genres canoniques du roman afin que l’on puisse les distinguer dans une classe de langue sur la base de critères fiables :

- Le roman de formation (d’éducation ou d’apprentissage) : son auteur met en scène un personnage en quête de se façonner au fil des pages. Toute l’intrigue est souvent centrée sur lui, sur sa vie, sur l’éducation qu’il a reçue, etc. A titre indicatif, nous donnons l’exemple des deux personnages flaubertiens, à savoir Julien Sorel protagoniste du roman le Rouge et le Noir et Frédéric Moreau de L’éducation sentimentale qui tiennent une place centrale et prépondérante dans l’évolution des évènements en jouant des rôles cruciaux. A propos de ce type de roman, Françoise Rullier-Theuret souligne que « le roman d’éducation

et le roman de formation, s’offrant comme la somme d’une expérience humaine, prétendent participer à la formation du lecteur » (Rullier-Theuret, 2006 : 169).

Toutefois, s’il est vrai que le romancier tend à transmettre une sagesse au lecteur, son ultime objectif ne se réduit pas à lui donner des leçons de morale mais plutôt à susciter chez lui une réflexion en portant un regard critique et lucide sur la société et en faisant un procès des travers de l’époque de telle sorte que le vraisemblable s’incorpore au réel et offre ainsi une image qui se donne nettement à voir.

- Le roman à thèse : en dépit des apparences flagrantes que ce type de roman partage avec le roman de formation, il s’en distingue par son souci de véracité et par le dessein de son narrateur de présenter à ses lecteurs la démonstration d’une idéologie ou du bien fondé d’une doctrine ou d’une philosophie. Loin de constituer un champ où se multiplient les interprétations, le roman à thèse est avant tout monologique. Son intention est de convaincre et de persuader le lecteur au moyen de la démonstration. A titre illustratif, nous donnons l’exemple

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du Dernier jour d’un condamné à travers lequel Victor Hugo cherche à exprimer son point de vue sur la question de condamnation à mort.

- Le roman d’idées : il s’agit d’une constance de la forme romanesque qui transcende le cadre simpliste de narration au profit de questions, d’une extrême importance, d’ordre philosophique, idéologique voire même métaphysique. A l’inverse du conte philosophique fondé sur la recherche indispensable d’une réponse à une question initiale, le roman d’idées suscite tant de questionnements qui restent à jamais soulevés. Sa dimension allégorique exige du lecteur le décryptage du sens latent afin de saisir au bout du compte la portée des idées abordées. Appartiennent à ce sous-genre les romans de la Condition humaine de Malraux et la Peste de Camus traitant successivement les thématiques du mal humain et de la maladie humaine.

- Le roman policier : dit aussi « polar » ou encore « roman noir » est un récit à énigme et à suspense dans lequel les faits s’enchainent avec un rythme très rapide pour qu’un crime soit élucidé grâce à l’intelligence humaine et/ou aux moyens techniques dont le détective ou le policier dispose. L’atmosphère dans laquelle baigne l’enquête témoigne du sentiment d’insécurité et de la menace étouffante qui pèsent sur les citoyens des métropoles contemporaines. Parmi les romans qui se réclament de ce genre, nous avons L’Affaire Lerouge (1866) d’Emile Gabriau, L’Assassinat du père Noël (1934) de Pierre Véry et La

position du tireur couché (1981) de Patrick Manchette.

- Le roman autobiographique : nourri d’éléments puisés de la vie réelle du narrateur, ce roman autorise, à l’opposé de l’autobiographie, certains travestissements de la réalité par l’intermédiaire de la transformation de faits et le changement de quelques noms des personnages. Il se distingue aussi du journal intime, s’élaborant au jour le jour, par son caractère global et rétrospectif. L’auteur y raconte son expérience personnelle et dévoile ses souvenirs ou une partie de sa vie. Les confessions de Jean Jacques Rousseau est considéré comme étant le premier roman autobiographique en littérature française.

- Le roman comique : il alterne description de la réalité et introduction du burlesque, de l’humour et parfois de l’ironie. La visée du romancier est de faire

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rire en prenant une distance par rapport au monde représenté à l’instar d’Ulysse de James Joyce.

- Le roman fantastique : connu essentiellement par l’introduction de faits qui échappent au rationnel et qui demeurent quasiment hors d’atteinte de la compréhension logique comme cela se produit dans le roman portant le titre Le Tour d'écrou de Henry James paru en 1898.

- Le roman de science-fiction : il prend généralement pour cadre une époque futuriste et s’appuie sur des hypothèses scientifiques pour fournir aux lecteurs un monde tout à fait nouveau et inaccessible. Jules Verne est l’un des auteurs de la science-fiction les plus célèbres. Parmi ses romans, on cite Voyage au centre de

la terre publié en 1864.

Confronté à chaque fois à une de ses formes, le lecteur suit le rythme de l’histoire en s’appuyant sur des questionnaires bien élaborés et des activités variées le guidant tout au long de la séance pour aboutir à la fin à déchiffrer le texte, à comprendre sa polysémie et à saisir sa portée. Enfin, l’apprenant serait capable de restituer, sous forme de résumé ou de compte-rendu (oral ou écrit) ce qu’il a compris du récit lu. Parfois, il est même possible de faire appel à des ateliers d’écriture : en manipulant certains variables de l’extrait, on pourrait demander aux apprenants d’imaginer une autre situation finale, d’ajouter un autre personnage ou de changer carrément le cours de la trame narrative en y introduisant de nouvelles péripéties.

Autre caractéristique à ne pas occulter dans l’enseignement du genre romanesque est sa nature descriptive et narrative : en effet, l’apprenant aurait l’opportunité, quand il lirait des extraits descriptifs de se rendre compte de l’aspect esthétique de la langue. Il est sensibilisé, à travers toutes les figures de style, à l’ingéniosité de l’écrivain qui arrive par des jeux de mots, des combinaisons lexicales, des structures grammaticales à peindre une scène, un personnage ou encore un mouvement. De même, le professeur doit attirer l’attention de ses apprenants que lire un roman ou un extrait constitue un moment crucial dans l’apprentissage de la langue.

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III.2. La nouvelle : atouts pédagogiques

Un genre narratif assez proche du roman, la nouvelle est caractérisée avant tout par sa brièveté. Elle offre une multitude d’atouts didactiques et se prête excellemment à être exploitée intégralement en classe de langue. Par conséquent, elle présente l’avantage d’être accessible à un grand nombre d’apprenants que la lecture de récits longs rebuterait. Ils s’initient alors à la lecture d’histoires complètes et courtes, ce qui pourrait aiguiser leur plaisir de lire des récits plus longs.

En termes pragmatiques, lire une nouvelle serait une entreprise moins contraignante tant que l’objectif de la lecture, à savoir le dénouement, est vite atteint sans grands efforts car elle est moins longue que le roman. De même, son intérêt pédagogique est dû en grande partie à ses caractéristiques stylistiques qui se résument en plusieurs points. D’abord, son unité d’action lui confère un caractère de concision et de concentration. Le nouvelliste expulse les descriptions étalées, les digressions ainsi que les intrigues secondaires pour ne se focaliser que sur un seul élément (anecdote, faits quotidiens…) articulé à un nombre restreint de personnages et de lieux que l’apprenant identifierait aisément dès sa première lecture.

Parallèlement, l’unité d’action favorise aussi une lecture ininterrompue et d’un seul coup. Cela correspond au temps imparti à l’activité de lecture en contexte scolaire. Ainsi, il vaudrait également ajouter que cette concentration sur un seul élément inclût assurément une concentration sur un seul moment. L’histoire se déroule selon une durée si courte et met la lumière sur un laps de temps limité souvent à un moment de vie et parfois même à un jour ou à un instant.

Par ailleurs, une attention particulière mérite d’être accordée, dans l’optique de l’exploitation pédagogique de la nouvelle, à l’esthétique de l’effet sur laquelle elle repose quand elle joint le vraisemblable à l’incroyable. Même si elle puise des péripéties du réel, elle s’achemine vers une chute abrupte et inattendue qui procure à l’étudiant des sentiments intenses de plaisir avec une impression d’être pris dans un engrenage.

Si l’étude d’une nouvelle implique la maitrise de plusieurs paramètres inhérents à ses caractéristiques intrinsèques, il est intéressant de signaler que la diversité de ses sous-genres devrait être prise en compte dans le cadre d’un apprentissage cohérent de tel genre narratif. Parmi les types de nouvelles les plus connues, nous répertorions les suivants :

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- La nouvelle réaliste : comme son nom l’indique, la nouvelle à caractère réaliste se fonde sur le vraisemblable et le crédible. Elle est ancrée dans la réalité et s’inspire de faits réels ou plausibles pouvant se produire effectivement. L’objectif étant de peindre le quotidien des différentes strates sociales, notamment les défavorisées, l’écrivain s’autorise la reproduction du langage du peuple et la transcription de dialogues familiers. A l’origine, la nouvelle réaliste puisait des thèmes de faits vrais observés ou inspirés de faits divers publiés dans les journaux. Des auteurs comme Guy de Maupassant, Emile Zola ou encore Gustave Flaubert ne visaient point, à travers leurs nouvelles, à idéaliser la société dans laquelle ils évoluent, mais plutôt à la représenter avec ses vrais aspects et sans aucun embellissement.

- La nouvelle d’anticipation et de science fiction : les évènements que la nouvelle d’anticipation relate sont habituellement empruntés à des visions relatives à l’avenir. De ce fait, le lecteur se voit plongé dans un univers où tous les éléments qui composent le décor renvoient à une représentation future de la réalité imaginée par l’auteur. Bien qu’ils soient deux sous-genres analogues mettant en scène un monde futuriste, la nouvelle de science fiction se distingue de celle réaliste. Elle s’appuie sur des données scientifiques qui s’imbriquent dans la fiction romanesque. Le recours à l’apport de la science requiert dans ce sens une place prépondérante dans la représentation que le narrateur se fait de l’avenir de l’humanité.

- La nouvelle fantastique : tout comme le roman fantastique, la nouvelle dite fantastique se caractérise aussi par l’intrusion d’éléments irrationnels de nature surnaturelle ou insolite dans un cadre réaliste. C’est dans cette optique que la nouvelle est perçue par Theuret (2006 : 60) comme le terrain de prédilection du fantastique, « sans pour autant trahir le réalisme : la tension

entre le familier et l’étrange, qui est un trait définitoire du genre, se mue en tension entre le réel et l’irréel, entre la logique et la folie ». En effet, le cadre

réaliste sert d’arrière-plan pour la mise en relief de l’étrange et pour susciter chez le lecteur comme chez le personnage un sentiment de déstabilisation et d’angoisse vu l’incapacité d’attribuer une explication logique aux phénomènes extravagants auxquels il assiste. En dépit des tentatives de

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comprendre l’origine de la transgression de la loi naturelle, l’énigme reste non résolue à la fin du récit.

Le point fort commun à tous ces types de nouvelles est sans contredit cet effet de clôture-ouverture. Cela ouvre la voie à des pistes d’activités créatives et de prolongement où l’apprenant serait amené à expliquer par exemple l’évènement narré dans une nouvelle fantastique, à imaginer ce que devient le personnage d’une nouvelle réaliste ou à se situer dans d’autres univers futurs à la manière des auteurs de nouvelles d’anticipation.