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RECIT LITTERAIRE

I. Lecture-écriture littéraire

Lire et écrire des textes littéraires en classe représentent deux paradigmes indispensables à une approche de la littérature. Toutefois, il est nécessaire d’aborder ces deux activités en mettant la lumière sur la nature de leur lien et les dimensions qu’il faudrait prendre en compte dans un projet d’enseignement/apprentissage de la lecture-écriture littéraire.

I.1. Définition du concept

Nier le lien étroit qui unit la lecture littéraire et l’écriture en didactique des langues n’est pas envisageable puisque l’acte d’écrire un texte de type littéraire suppose au préalable que l’apprenant soit familiarisé avec le genre textuel qu’on lui demande de produire. C’est, en fait, à partir des activités de lecture que l’on construise des modèles d’écriture d’une manière réflexive ou intuitive. Lire devient, dans ce cas, un acheminement vers la production écrite. Canvat conforte cette thèse quand il affirme qu’ : « il n’est pas de pratique scripturale qui ne se situe en fonction d’un système

générique préexistant, que ce soit pour le respecter ou pour le transgresser » (Canvat,

1998 : 275).

La pertinence des propos de Canvat se manifeste dans leur caractère novateur et libérateur ; la liaison qu’il établit entre la lecture et l’écriture s’inscrit dans une pratique discursive marquée par une appartenance générique qu’il est possible de dépasser. Ainsi, il ne fait pas du genre une limite infranchissable de la pratique scripturale, mais une référence par rapport à laquelle se situe le sujet-écrivant capable d’apporter des ajustements et des maniements selon ses intentions communicatives et ses performances langagières.

A l’opposé de la conception de Canvat, d’autres auteurs voient que c’est l’acte d’écrire qui conditionne celui de lire et que sans écriture, la voie à la lecture serait close. C’est la position que soutient avec conviction Gérard Vigner qui se propose un nouveau regard selon lequel le texte littéraire sera appréhendé : « cette nouvelle façon de poser le

regard sur les textes ne peut venir que d’une expérience de l’écriture, même modeste, même caricaturale à la limite » (Vigner, 1979 : 165).

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De ce qui précède, des voix s’élèvent pour instaurer un terrain de réconciliation entre deux pratiques à rapport dialectique. Par voie de conséquence, l’expérience de lecture ne serait, à nos yeux, autre chose qu’un soutien à l’écriture tout comme celle-ci qui ne ferait que consolider le rapport de l’apprenant au texte dans tous ses états : un support à lire ou à écrire, il est cette voie à emprunter pour s’ouvrir à la littérature et aux cultures qu’elle véhicule. Barthes (1971 : 914) atteste cela en confirmant que :

Le Texte demande qu’on essaie d’abolir (ou tout au moins de diminuer) la distance entre l’écriture et la lecture, non point en intensifiant la projection du lecteur dans l’œuvre mais en les liant tous deux dans une même pratique signifiante.

Dans le même dessein d’abolition de la distance entre lecture et écriture littéraire, François le Goff oriente la problématique de prédominance de la lecture (lire pour écrire) ou de l’écriture (écrire pour lire) tant débattue par les didacticiens vers un nouvel angle. Il traite la question en mettant en relief les interactions dans les deux sens, c’est-à-dire de la lecture vers l’écriture et vice versa, c’est ce qu’il appelle les interactions combinées qui tendent à étudier la « chaine d’interaction du type écriture/lecture/écriture/lecture » (Le Goff F. 2010 : 201). Cela favorise l’intégration de

la littérature dans des séquences permettant à l’apprenant d’incorporer progressivement les savoirs littéraires dans un mouvement dynamique entre la lecture et l’écriture.

Le phénomène des interactions lecture/écriture est désormais désigné par le concept de littératie emprunté à l’anglais (literacy) qui consiste en un véritable domaine de constitution de savoirs et de développement de compétences lecturales et scripturales. Selon Christine Barré-De Miniac, ce nouveau concept est défini ainsi : « la

littératie désigne des activités qui mobilisent l’usage de l’écriture en réception (lecture) et en production (l’écriture) » (Barré-De Miniac, 2006 : 49). Définir ainsi la littératie,

c’est vouloir mettre en évidence des techniques indispensables à la mise en œuvre des deux actes de lire et d’écrire. Ces deux pratiques ne seront pas alors une fin en soi mais des outils mis au service de la pratique langagière en des situations authentiques d’apprentissage.

Une définition très proche de celle de Christine Barré-De Miniac est reformulée par Jean-Pierre Jaffré (2004 : 31) en ces termes : « la litératie désigne l’ensemble des

activités humaines qui impliquent l’usage de l’écriture, en réception et en production ».

Force est de constater qu’un nouveau champ de recherche émerge et s’impose en didactique des langues pour nous éclaircir davantage sur le lien souvent problématique

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entre la lecture et l’écriture et sur les possibilités de le didactiser. La littératie se préoccupe en premier lieu de la nécessaire prise en compte de la complémentarité entre les deux activités dans tout processus d’enseignement ou d’apprentissage des phénomènes littéraires.

I.2. Les dimensions de la lecture-écriture littéraire

Sous l’influence de la conception de la lecture-écriture conçue par les chercheurs de l’école de Louvain et qui est très prisé en didactique de langues, de nombreuses initiatives se sont inscrites dans leur sillage et ont fourni d’autres modélisations adaptables dans l’enseignement de la littérature. C’est le cas notamment de Noël Sorin (2004) qui a élaboré un modèle pratique au sein duquel interagissent les trois dimensions de la compétence littéraire telles qu’elles ont été définies par Jean Louis Dufays (1996) et Carl Canvat (1999), à savoir les dimensions culturelle, interprétative et axiologique. De là, il théorise sa proposition et la schématise comme l’indique la figue ci-dessous :

Figure 04. La lecture/écriture littéraire (Noël, 2004)

Nous constatons la présence de trois sortes d’interactions émergeantes de cette représentation :

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I.2.1. Culturel-Axiologique

En effet, de l’interaction entre les deux dimensions culturelle et axiologique émerge un contexte caractérisé par le foisonnement des postures qu’adopte le sujet lecteur/scripteur à l’égard du texte littéraire à plusieurs niveaux : au niveau critique, il se munit d’outils et s’appuie sur des critères en vue de mener une comparaison entre les textes à la recherche de leur part d’originalité ou de conformité. Les grilles intégrées à une telle démarche portent généralement sur le cadre spatiotemporel du récit, les personnages, les schémas narratif et actantiel… L’analyse de tous ces éléments aurait comme effet leur réinvestissement lors de la production de séquences narratives.

Au niveau esthétique, la sensibilisation des apprenants aux procédés stylistiques et aux effets textuels relève d’une invitation à explorer la manière de dire et d’écrire d’un écrivain. Au niveau éthique, l’initiation de l’apprenant à aborder des thèmes culturels en compréhension ou en production sera un moment privilégié pour saisir les valeurs et les stéréotypes que véhiculent les textes. En fait, l’objectif primordial de ce premier niveau d’étude est apprendre à émettre des jugements sur les œuvres lues et à s’initier aux procédés d’écritures littéraires.

I.2.2. Axiologique-Interprétatif

La deuxième interaction se situe au carrefour du croisement des deux dimensions axiologique et interprétative. A ce stade, le sujet développe conjointement ses compétences émotionnelle et cognitive ; en premier lieu, quand il éprouve le plaisir de lire en s’identifiant aux personnages, en partageant leurs aventures et en pénétrant leur univers fictionnel, il serait motivé pour faire surgir son potentiel rédactionnel afin de mettre en évidence son imaginaire, ses capacités créatives et d’exprimer sa propre conception du monde proche ou différente de celle des romanciers.

En outre, il élabore, d’un point de vue cognitif, des significations en lecture et en écriture grâce notamment aux textes résistants ou riches en intertextualité présentant l’avantage de dévoiler les non-dits et les implicites dans un jeu de déduction et d’induction. Ceci met en jeu la dimension symbolique de la littérature vue sous le regard de la pluralité et de l’influence réciproque. Les activités préconisées dans l’optique de cette deuxième interaction visent la découverte des univers littéraires pour en créer d’autres soit par l’intermédiaire de l’imitation soit par l’invention de nouvelles intrigues.

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I.2.3. Culturel-Interprétatif

Enfin, la troisième composante résulte de l’interaction entre les dimensions culturelle et interprétative. De là, l’apprenant se construit des repères culturels par la voie des comparaisons entre les différentes œuvres et aussi entre celles-ci et les productions artistiques (adaptations cinématographiques et représentations théâtrales par exemple). La constitution de réseaux de lecture autour d’un auteur, d’un personnage, d’un thème, d’un genre littéraire, etc., semble être un exercice propice à travailler l’intertextualité sous ses diverses formes (citations, références, allusion…).

Les trois composantes exposées constituent une conception moderne de la lecture-écriture littéraire. Elle pose des jalons pour une intervention didactique qui intègre des savoirs littéraires mais aussi elle inverse la tendance puisque l’apprenant ne sera plus un simple récepteur, il devient à son tour producteur de sens qu’il communique à ses camarades et à son enseignant, lesquels se trouvent constamment en situation de réception. Ce feed-back favorise les interactions au sein du groupe classe et développe les performances communicatives de ses membres.