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RECIT LITTERAIRE

II. Les activités de réécritures des récits littéraires

II.2. Les activités récréatives

Elles abordent l’écriture des textes narratifs par la voie de l’intertextualité prenant appui sur le fameux principe d’écriture mis en œuvre par Julia Kristeva qui atteste que « tout texte se construit comme une mosaïque de citations » (Kristeva, 1969 : 145-146). Son affirmation lie l’écriture littéraire à une productivité due aux interactions entre les textes d’une part et le lecteur/scripteur et les textes d’autre part. Ce phénomène est décrit par Gérard Genette (1982) en terme de transtextualité. Il parle plus précisément de lien hypertextuel qui unit, dans une relation interactionnelle, le texte original appelé hypertexte au nouveau texte produit dit hypotexte.

Dans cette perspective intertextuelle, les étudiants ont donc la possibilité de s’appuyer sur les textes des grands écrivains pour s’en inspirer afin de les transformer ou les transgresser. Toutefois, l’acquisition de cette habileté nécessite préalablement une bonne familiarisation avec les textes et une large culture livresque notamment pour les étudiants étrangers (Albert et Souchon, 2000 : 155) :

En situation d’apprentissage d’une langue étrangère, c’est bien là que se situe la difficulté principale. Si l’on part du principe que l’intertextualité est le fondement

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de l’expérience acquise des textes, il va falloir que l’apprenant étranger effectue de nouvelles expériences pour se constituer de nouveaux points de repères.

Plusieurs activités scripturales se pratiquent pour répondre à cette problématique et pour surmonter la difficulté des étudiants étrangers en matière de lecture/écriture littéraire. Parmi lesquelles nous citons le pastiche, la parodie, la modification des points de vue ainsi que l’amplification.

Pour ce qui est du pastiche, il est considéré comme un véritable exercice de lecture/écriture. Il se définit comme étant « une pratique d’écriture consistant à imiter,

dans une intention ludique, un texte source tiré de l’œuvre d’un écrivain reconnu »

(Eterstein, 2011 : 320). L’imitation dont il est question dans cet exercice s’effectue au niveau du style. Elle est perceptible à travers les procédés stylistiques et les règles d’écriture appliquées au texte source et que le pasticheur reprend pour donner l’impression que son texte est réellement écrit sous la plume du pastiché. D’où l’on peut parler d’une sorte de contrat entre le pasticheur et le pastiché selon lequel les deux se reconnaissent et s’identifient. Dans ce cas, le pastiche se veut un hommage rendu à l’écrivain imité puisqu’il implique une parfaite maitrise des codes d’écrit et des traits stylistiques déployés dans le texte modèle. La didactique de l’écrit se doit intégrer le pastiche notamment en début d’apprentissage parce qu’il « peut obéir à une utilisation

souple que l’enseignant peut adapter à différentes exigences ou différentes situations »

(Séoud, 1997 : 178).

De la même manière que le pastiche, la parodie conserve le style d’écriture du texte parodié mais en modifie le sujet ou le présente autrement. Elle procède à une transformation par déformation ou imitation à visée satirique et/ou ironique. Ce procédé est défini par Gérard Genette (1982 : 40) comme « une transformation ludique d’un

texte singulier». A la dimension ludique, Daniel Sangsue (1994 : 73) en ajoute deux

autres à caractère comique et satirique quand il définit la parodie comme « une

transformation ludique, comique ou satirique d’un texte singulier ». Si les deux auteurs

s’accordent donc à définir la parodie en insistant sur son essence comme réécriture transformatrice, Genette (1982) raffine son analyse en distinguant deux variantes de la parodie ; la première est la parodie stricte limitée à la transformation d’un texte singulier souvent bref tandis que la seconde dite mixte est fondée sur la transformation des œuvres intégrales.

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Dans tous les cas, la parodie exige de l’étudiant, pour qu’elle soit appréciée du lecteur, une connaissance des paramètres langagiers d’introduction, dans sa production, de citations explicites ou de faire des allusions implicites. Cela consoliderait les capacités de distanciation par rapport à l’auteur parodié et aiderait à avoir l’effet recherché qui est souvent le passage d’un état à un autre : passage du sérieux au banal (burlesque) ou du banal au grandiose (héroïcomique) pour arriver à la fin à amuser son récepteur.

Outre le pastiche et la parodie, une autre activité canonique des réécritures littéraires des récits est la modification des points de vue narratifs. Cet exercice couronne souvent la lecture d’un extrait. Après avoir déterminé qui parle et qui voit dans un texte, l’enseignant peut proposer à ses apprenants une piste d’écriture portant sur la modification du point de vue. La tâche exige généralement que l’étudiant substitue le point de vue d’un narrateur ou d’un personnage à un autre et vise « l’étude

approfondie d’un procédé narratologique au service de la lecture, procédé qui est effectivement d’une grande utilité lorsqu’il ne devient pas une fin en soi» (Godard,

2017 : 173). C’est pourquoi un appareillage pédagogique devrait être fourni aux étudiants sur la question de la focalisation dans le récit pour les guider au cours de leurs modifications.

Enfin, nous soulignons que l’une des nombreuses variantes de la réécriture à partir d’un hypertexte est l’amplification ayant pour but « d’étoffer un texte, de le transformer

en ajoutant ça et là des mots ou des passages nouveaux » (Séoud, 1997 : 179). Les

propositions qui s’y rattachent sont très variées : rédiger les répliques d’une entrevue sur laquelle le romancier ne s’est pas attardé, insérer une description à une séquence narrative ou apporter des explications à un évènement raconté est un acte qui, selon Anne Godard (2017 : 175) « présente un intérêt en terme de motivation et

d’entrainement à la production écrite ».

II.3. Les activités créatives

Elles se situent dans le prolongement des autres activités critiques et récréatives dont elles semblent être une suite naturelle. En effet, les récits littéraires ayant servi de support pour le commentaire, la dissertation, le pastiche… joueraient le rôle de stimuli pour l’activité scripturale et entraineraient les lecteurs vers la voie de vivre une

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expérience singulière et personnelle d’écrire leurs propres textes, manifestes de leurs vrais sentiments et véritables réflexions.

Les suggestions de pratiques d’écritures créatives sont d’une foisonnante variété. En ce domaine, il est primordial que l’enseignant conceptualise des situations d’énonciation et d’intégration authentiques prenant en compte la complexité de la tâche proposée. Lorsqu’on est conscient de l’utilité de son acte et qu’on sait pourquoi et à qui écrit-on, on a généralement plus de chances à se représenter les partenaires de la situation de communication dans laquelle s’insère notre production écrite. De même, il est capital, à ce stade, que le niveau cognitif des apprenants soit pris en considération dans la conception des consignes et des sujets de rédaction : par exemple, il est d’une extrême importance que le genre textuel que l’on demande à l’apprenant de produire soit bien travaillé en classe avec ses paramètres et caractéristiques afin de faciliter au maximum sa reproduction.

Il est ainsi possible de proposer aux apprenants, en s’inspirant de textes autobiographiques par exemple, de tenir un cahier journal dans lequel ils établissent leurs autobiographies. Ils peuvent aussi être invités à rédiger des récits courts à partir de sujets de production libre (raconter un souvenir, un évènement heureux ou malheureux à partir d’un fait divers par exemple…). L’objectif est toujours de libérer leur imagination dans un langage approprié comme le laissent supposer Erick Falardeau et Gauvin Fiset (2009 : 31) dans ces propos :

Ainsi, en étant appelés à développer leur créativité, les élèves apprennent à imaginer des mondes nouveaux, différents, des façons de s’exprimer qui utilisent le langage à des fins esthétiques – sonorité, rythme, paradoxes, hyperboles, métaphores, … Le travail sur la créativité en classe de français permet à l’élève de créer à l’aide du langage …

On comprend alors que l’écriture d’invention s’avère très profitable étant donné qu’elle provoque souvent l’intérêt des apprenants et sollicite leur créativité : en se référant essentiellement à leurs expériences, à leurs pensées et à leurs états d’esprit, ils s’expriment dans des registres diversifiés. C’est leur subjectivité qui est valorisée car ils sont, avant tout, la première source d’imagination et de création de productions écrites originales. Pour bien illustrer ces activités d’écriture originales, Amor Séoud (1997 :180-181) cite trois exemples de situations que nous reprenons dans le tableau ci-dessous :

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Suppressions Modifications ; que se passerait-il si

Scénarios futuristes : qu’arriverait-il si ?

- Supposez que personne n’ait inventé les souliers ; comment serait le monde ?

- Supprimez les chaises et l’envie de s’assoir : quelles en seraient les conséquences ?

- On interdit toute nouvelle invention

- Les U.S.A sont rayés du monde.

- On multipliait par dix le prix des lessives ? - On faisait payer l’eau

au prix de l’alcool ? - On assurait la gratuité des produits alimentaires ? - On parvenait à dispenser l’homme de dormir ?

- Tous les gens devenaient sourds ? - On découvrait que les

matières plastiques sont nuisibles à la santé ?

Tableau 04. Exemples d’activités créatives

Il importe d’ajouter que ce type d’écriture offre le privilège aux apprenants d’être dans la peau des auteurs pour expérimenter effectivement l’écriture vue sous l’œil de la créativité et de l’originalité, ce qui désacralise le rapport à l’écriture littéraire et permet une meilleure exploration des possibilités du langage écrit : « l’écriture créative,

parce qu’elle libère l’expressivité de l’élève, devient alors facteur de motivation dans l’apprentissage de la langue» ( Falardeau et Fiset, 2009 :30-31).

Afin de valoriser, l’expressivité des scripteurs, il est important de donner à leurs textes d’autres publics par le biais de lectures oralisées lors des manifestations scolaires, des affichages dans les journaux scolaires ou par la voie de publication électronique sur les blogs et les réseaux sociaux pour encourager toute initiative d’écriture créative.

III. La production écrite des récits

Les travaux qui ont été conduit au cours de ces dernières décennies sur la production des récits sont foisonnants. Sur le plan théorique et pratique, les deux approches cognitives et psycholinguistique ont apporté un éclairage fort intéressant sur le processus scriptural, notamment en milieu scolaire : la première vise à étudier les opérations qui s’effectuent chez l’apprenant pour récupérer et organiser les idées et les évènements de l’histoire qu’il souhaite raconter alors que la seconde se préoccupe de l’analyse des opérations de cohérence textuelle et de la gestion des marques linguistiques qui s’y attachent. Généralement, les chercheurs s’appuient sur l’une de ces

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deux approches pour étayer leurs réflexions. A titre indicatif, nous citons Hayes et Flower qui se tiennent à la théorie cognitiviste alors que Garrett privilégie de développer ses travaux sur la base de la psycholinguistique.

Pour le modèle d’Hayes et Flower (1980), l’écriture se fonde sur les interrelations entre différentes activités cognitives intervenant au cours de la production écrite. Cette théorie se base sur une démarche de résolution de problèmes qui tient compte de ces trois dimensions principales :

- Le contexte de la tâche où sont soulevées des questions telles que : pour qui

écrit-on ? Pour quel but ? De quoi doit-on parler ? …

- Les connaissances enregistrées dans la mémoire à long terme du scripteur. Ce

sont des connaissances conceptuelles (relatives au thème), linguistiques/rhétoriques (plans d’écriture, types de textes, conventions socioculturelles…) et situationnelles (relatives principalement au destinataire).

- Les processus d’écriture qui comprennent trois sortes d’opérations, à savoir la

planification (récupération et sélection des idées dans sa mémoire à long terme), la mise en texte et la révision (retour sur le texte et mise au point). Quant au modèle psycholinguistique de Garrett (1984), il s’attache à la production des mots et des phrases et aux liens qui s’établissent entre la compréhension d’une part et la production de l’autre part. Garrett étudie l’élaboration conceptuelle du message et sa transposition en formes linguistiques. Selon lui, la construction de ces fromes passe d’une représentation mentale à laquelle sont associés des éléments syntaxiques à la production d’un message articulé par le producteur à l’intention du destinataire.

Constatant que les deux modèles appliqués séparément présentent des lacunes, Michel Fayol se propose de les combiner dans une seule approche qui met en relation les deux modèles de production écrite. Son modèle est spécifique à la rédaction des récits ; « une synthèse de ces deux approches n’est réalisable que sur un type de texte

particulier pour lequel on dispose d’un éventail suffisant de recherche : le récit »

(Fayol, 1985 : 132). Il s’intéresse particulièrement aux aspects relatifs à la production écrite du récit auxquels la didactique doit prêter attention. Ces aspects sont d’ordre conceptuel, linguistique/textuel et relatif aussi à l’articulation oral/écrit.

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III.1. Les aspects conceptuels

Ils concernent les tâches qui président l’organisation des faits à raconter. Puisque le récit se définit selon Labov comme « une méthode de récapitulation de l’expérience

passée consistant à faire correspondre à une suite d’évènements (supposés) réels une suite identiques de propositions verbales » (Labov, 1978 : 295-296). Cela implique

évidemment que l’apprenant doit mettre en œuvre un ensemble d’opérations cognitives pour gérer son activité d’écriture : il doit d’abord récupérer des évènements enregistrés dans sa mémoire puis en sélectionner celui qui mérite d’être relaté. D’après Fayol (1996 : 134-135), cette sélection obéit à trois sortes de paramètres.

III.1.1. Connaissances sur le sujet d’écriture

Il s’agit de disposer d’assez de connaissances sur l’univers ou le monde dans lequel s’inscrit le sujet d’écriture, c’est-à-dire que pour écrire, le producteur doit avoir une connaissance préalable d’un script qui est « un schéma cognitif représentant

une séquence d'événements ou d'actions intervenant fréquemment dans la vie

quotidienne » (Dennhiere et Baudet, 1992 : 111). Souvent, les enfants acquièrent

précocement les scripts dont le nombre s’accroit au gré des expériences nouvelles. Au fur et à mesure que l’enfant multiplie et diversifie ses scripts, il sera de plus en plus conscient du caractère singulier et novateur que doit avoir l’évènement à raconter en classe par opposition aux scripts à déroulement ordinaire voire banal. L’évènement se caractérise avant tout par l’introduction d’éléments inattendus.

Dans une situation d’écriture, l’enseignant doit donc prendre en compte que la durée de pré-écriture varie selon que le sujet de la production porte sur un évènement ordinaire ou inattendu car dans ce dernier cas, l’étudiant est censé effectuer plus d’opérations cognitives. Par conséquent, il aurait besoin de suffisamment de temps pour rédiger son texte.

III.1.2. Les données socioculturelles

Le deuxième paramètre correspond à ce qui mérite d’être raconté en fonction des données socioculturelles qui déterminent l’utilité ou la futilité de l’évènement par rapport à la communauté culturelle de l’étudiant. A titre indicatif, nous dirons que certains thèmes qui paraissent aux yeux des membres d’une société donnée banals suscitent un engouement chez d’autres populations.

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III.1.3. La connaissance conceptuelle

Le troisième paramètre a trait à l’évaluation de la connaissance conceptuelle par rapport au système de valeur du destinataire. Contrairement à l’oral où le narrateur se permet d’ajuster permanemment sa narration dépendamment des interactions à chaud du récepteur, à l’écrit l’étudiant se représente un destinataire fictif de son récit. Les conditions d’énonciation caractéristiques de la seconde situation n’autorisent pas comme dans le premier cas un réajustement de son discours ou un feed-back avec le récepteur. C’est pour cette raison qu’il est primordial dans les situations d’intégration proposées aux apprenants pour écrire un récit en classe que la situation de communication soit le plus possible précise. Elle doit englober toutes les indications nécessaires à la compréhension du contexte d’énonciation : à qui écrit-on ? Pour quel but ? A quelle occasion ? …

Après avoir sélectionné l’évènement digne d’être relaté selon la connaissance du déroulement habituel des scripts et en prenant en compte le contexte d’énonciation, le scripteur passe alors à la narration de l’évènement, fictif soit-il ou réel. Il le décompose ainsi en des composantes inscrites dans une chronologie causale des faits en respectant les différentes phases de structuration du texte narratif.

En effet, du maintien en mémoire des différentes composantes du récit à leur transposition, l’élaboration de la trame narrative diffère selon qu’on travaille avec un public plus ou moins adulte ou au contraire débutant. Tandis que l’enfant fait plusieurs pauses au cours de la narration parce qu’il récupère à chaque fois une composante de l’histoire avant de la transcrire en continuant à effectuer la même opération jusqu’à la situation finale, l’adulte reconstitue toutes les composantes narratives puis passe à la rédaction.

De ce fait, les stratégies de production mises en œuvre par les apprenants débutants reposent sur une association successive des évènements et une liaison automatique des propositions sans une unité thématique globale. Cette difficulté est ressentie chez les enfants quand ils veulent organiser une représentation cohérente des faits comme en témoigne Michel Fayol (1997: 136) : « les enfants jeunes ne savent pas

construire une représentation cohérente d’un évènement. Dès lors, leur modalité de production reflèterait la faiblesse de cette capacité d’organisation des faits ». C’est

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concepteurs des manuels scolaires soient élaborées de telle sorte qu’elles prennent en considération de telles contraintes.