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RECIT LITTERAIRE

IV. Les ateliers d’écriture

IV.1. Ancrages théoriques

L’émergence des ateliers d’écritures comme pratique scolaire remonte à la fin des années soixante. En réalité, ils trouvent leurs origines dans deux expériences fondatrices ; « celle d’Elisabeth Bing dans l’institut médico-pédagogique de Dieulefit et

celle d’Anne Roche à l’université d’Aix-en-Provence » (Lafont-Terranova, 2009 : 04).

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à dominante traditionnelle et aspirent à une libération de l’écriture du joug des conventions de l’académisme esthétique.

L’ouvrage Et je nageai jusqu’à la page (1976) retrace le combat ardu mené par son auteure (Elisabeth Bing) à l’IMP de Dieulefit de 1969 à 1972 au profit des jeunes classés comme caractériels à cause de leurs difficultés notamment sur le plan cognitif et communicatif. Traumatisée par sa propre expérience d’écriture, Bing invente un espace ouvert à tous les apprenants qui cherchent à retrouver le désir d’écrire comme celui retrouvé dans d’autres ateliers. Marianne Alfont fait remarquer à ce propos que : « dans

les ateliers de l’IMP de Dieulefit, on disait atelier de peinture, atelier de menuiserie. Elisabeth Bing demande qu’on remplace classe de français par atelier d’écriture »

(Alfant, 1990 : 24).

La règle de base sur laquelle se tiennent les ateliers s’articule autour de la liberté d’écrire contrairement à ce qui a été couramment imposé par l’école. Se rapportant toujours à son vécu personnel, Bing nous apporte un témoignage poignant : elle dit qu’à l’école on instaure « une écriture qui n’est pas la sienne, qui n’est pas conforme à son

désir » (Bing cité dans Boniface, 1992 :40). C’est pourquoi, pour elle, il faut que

l’écriture prenne le sens d’une émancipation dont elle regrette l’absence dans les institutions étatiques de l’éducation. Ceci la pousse à rompre avec le monde de l’école et à se consacrer à l’animation d’ateliers destinés prioritairement à des adultes. Elle fonde même en 1981 une association, qui porte son nom, et qui est censée regrouper des animateurs et des amateurs de l’écriture créative provenant d’horizons disciplinaires et professionnels fort divers.

Dans sa Lettre pour une éthique des ateliers d’écriture Bing (2001) résume les principes sur lesquels elle s’est appuyée pour fonder sa théorie. Elle y précise qu’elle s’est fixée comme objectif prioritaire d’amener les participants « à découvrir ou à

affirmer leur propre écriture, à mettre en œuvre ce qu’un lent travail d’intériorisation révèlera ou confirmera de ce qu’ils ont vraiment envie de lire » (Bing, 2001). Dans ce

cas de figure, le rôle de l’animateur se limite à celui d’un instigateur qui conduit les sujets-écrivant à extérioriser leur créativité.

A l’inverse d’Elisabeth Bing, la seconde expérience d’Anne Roche fut marquée par son ancrage dans un contexte propice à l’apprentissage pour le public scolarisé car Roche conduit ses recherches dans une institution favorisée sur le plan socioculturel. Il

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s’agit de l’université d’Aix-en-Provence au sein de laquelle elle se décide à renoncer aux cours magistraux et tient son premier atelier lors d’un séminaire expérimental en octobre 1968. Elle le baptise « création poétique » et postule que tout « étudiant en

lettres a certainement une pratique (cachée sous la table) de l’écriture. Pourquoi ne pas lui permettre de la mettre sur la table » (Roche, 1994 : 95).

En revanche, les tâtonnements des premiers ateliers n’ont pas tardé à se faire remarquer à cause de leur caractère peu structuré. Rossignol (1994 : 75) souligne que lors des premières expériences on « lit des textes écrits à l’extérieur et on les commente

un peu en désordre ». La réticence des participants désireux de s’abstenir de lire leurs

productions contraint l’animatrice à se borner aux commentaires des textes des volontaires.

C’est grâce à la découverte des activités oulipiennes en 1971-1972 que les ateliers prennent un nouveau souffle. L’équipe s’est progressivement constituée œuvrant davantage pour la désacralisation de l’écriture par le biais d’une logique adoptant conjointement une attitude créative et critique. La démarche voit son rayonnement avec le lancement en 1971 d’une maitrise en écriture à l’université d’Aix-en-Provence. Les étudiants ont désormais la possibilité de rédiger un recueil de poèmes, un roman ou rarement une pièce théâtrale. Au lieu d’analyser la fiction romanesque des écrivains, l’étudiant est appelé à faire « un autocommentaire sur la genèse de son texte, les

obstacles rencontrés, les phases d’élaboration, le rôle des feedbacks éventuels en groupe, etc. » (Roche, 1994 : 96).

A ce stade se dessinent les positions du groupe d’Aix qui affiche clairement sa perception à l’égard de l’écriture. Celle-ci n’est plus vue comme une pratique réservée aux talentueux mais une activité accessible à tous les élèves ayant le désir d’écrire mais n’arrivent pas à commencer et qui éprouvent des difficultés à passer à l’acte. Les ateliers s’adressent aussi à tous « ceux qui croient que l’écriture, « ce n’est pas pour

eux», que c’est pour les bons élèves, les premiers de la classe » (Roche, Guiguet et

Voltz, 2006 : 1-2).

Ce positionnement de désacraliser le processus scriptural commun aux deux expériences fondatrices des ateliers d’écriture a été en réalité alimenté par des convictions inspirées de plusieurs courants. En vue de déterminer les multiples influences ayant un impact indéniable sur le développement des ateliers, Terranova

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(2009) reprend, en moyennant quelques modifications, les sous-titres d’un chapitre de Rossignol (1996 : 21-51) dans lequel il livre une réflexion à propos des influences sur les fondateurs.

En effet, la première influence a été exercée par les ateliers américains appelés « Creative Writing Workshop » ou « Creative Writing Course » adoptés à l’université d’Iowa dès 1897. Cette chaire commence à délivrer des diplômes en la matière à partir de 1931. Les premiers ateliers sont caractérisés par Boniface (1992 :199) comme étant « des ateliers de lecture » dans la mesure où ils se consacrent à lire des textes produits en dehors de la classe. Les ateliers français les rejoignent dans la favorisation de la lecture publique opposée à la pratique scolaire régnante où le texte est adressé à un seul lecteur : le professeur. L’impact des ateliers américains sur ceux français est également perceptible dans ces propos d’Anne Roche (1994 :95) : « à partir d’octobre 1968, à la

fois sur le modèle de Creative Writing (…) et sur l’inspiration de la pédagogie de Freinet, je proposai à l’université un module d’enseignement intitulé création poétique ».

Ces déclarations reviennent à dire que les ateliers d’écriture se nourrissent énormément de ceux américains et se référent également au domaine de la pédagogie de Freinet. Ce dernier a dû faire face à des élèves déstabilisés après le désastre engendré par la Première Guerre Mondiale. Dans ces circonstances contraignantes, l’instituteur Célestin Freinet tente de motiver ses élèves malgré le contexte dur de son travail dans des classes dépourvues de moyens. Il s’inspire principalement de l’Ecole Active de Ferrière (1922) qui replace l’apprenant au cœur de la construction des savoirs. Ce que l’on retient souvent de la nouvelle pédagogie de Freinet, c’est son invention du « texte

libre » appelé ainsi puisque tout pourrait y être écrit à partir des histoires personnelles

des enfants. A la suite de Clanché (1988), Yves Reuter (1997 :24) établit cinq invariants du texte libre que l’on énumère dans les points suivants :

Le texte libre « n’est pas isolé mais mis en relation avec d’autres pratiques d’expression (musique, dessin, …) […] il repose sur des outils spécifiques (de reproduction, de conservation, de transmission, …) […] il est considéré comme une pratique de communication, avant d’être un moyen d’apprentissage de la langue […] il n’est pas noté […] il s’agit enfin d’une pratique parmi de nombreuses autres pratiques scripturales au sein de la classe.

Toutes ces caractéristiques ont prodigué au texte libre un statut privilégié en classe et ont engagé une véritable réflexion sur une écriture centrée sur le sujet-écrivant

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et sur le rôle de l’enseignant en sa qualité de simple animateur. L’écho de cette position d’envisager l’écrit sur les pionniers des deux mouvements du Nouveau Roman et du Surréalisme est non négligeable. Chacune de ces deux écoles littéraires a ensuite apporté aux ateliers une nouvelle vision de l’écriture : elle ne relève plus du don mais plutôt de « la fabrication ». Cette nouvelle notion est la résultante de cette attitude des nouveaux romanciers pour qui « l’écriture est un faire plutôt qu’un dire » (Rossignol I. 1994 : 36). La même idée est reprise par les surréalistes mais sous le terme de « bricolage ». Les convergences entre les théories du Nouveau Roman et les ateliers d’écriture sont mises au point par Ricardou (1989 : 112-113) qui atteste que : « le dire,

pour l’essentiel […] se fabrique dans le produire ».

L’approche selon laquelle l’accent est mis sur le faire se retrouve dans les activités scripturales oulipiennes dont l’influence sur les ateliers d’écriture est remarquable au point de vue de Lafont Terranova (2009 :28) qui souligne à cet effet que :

L’Oulipo a un double statut dans le mouvement des ateliers. D’un côté, en tant que mouvement littéraire, ses idées ont exercé une grande influence sur nombre de fondateurs et d’animateurs d’ateliers en France. De l’autre côté, à partir de 1976, les oulipiens ont commencé à organiser et à animer des stages d’écriture.

Au cours de leurs stages, les Oulipiens mettent en place une pratique de l’écriture axée sur les contraintes selon lesquelles la littérature est alliée aux mathématiques et l’invention fictionnelle est combinée avec une systématisation des possibilités structurales. La part importante accordée par les Oulipiens à la lecture et à la réécriture croise les apports des théories de l’intertextualité comme nous le montre André (1989 : 212) : « ce tourniquet entre la lecture des textes de l’héritage est constitutif de l’atelier

de création littéraire ».

Etant convaincu qu’un texte s’écrit dans l’interaction avec d’autres textes, les fondateurs des ateliers français ont puisé dans d’autres cultures des formes littéraires étrangères comme le haïku japonais. Celui-ci est classé parmi les exercices à encourager dans les ateliers par Roche, Guiguet et Voltz (1998 : 110) qui le définissent comme étant des « petits poèmes japonais de trois vers libres, parfois cinq, jamais plus». Les Haïku décrivent le plus souvent un moment de pensée, de bonheur ou de mélancolie qui traverse l’esprit à un moment donné.

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IV.2. L’apport des ateliers d’écriture

Les effets des ateliers d’écriture reflètent largement leur impact sur les sujets-écrivant ainsi que sur les textes qu’ils produisent comme le laisse explicitement entendre Rossignol (1994 : 468) quand il affirme que « les effets de l’atelier sont donc

multiples. De fait, ils concernent aussi bien l’écrivant que l’écriture ».

Du point de vue du scripteur, il est à constater que celui-ci s’initie à la prise du recul par rapport à son texte dans une démarche d’autoréflexion puisque l’atelier semble, pour Lafont (1999 : 542) comme étant « une aide pour mettre une distance

entre les scripteurs et leur pratique d’écriture d’une part, entre ces derniers et les textes qu’ils produisent d’autre part ». En fait, la mise à distance du scripteur vis-à-vis de sa

pratique scripturale et de son texte produit s’avère importante pour retravailler le texte par l’intermédiaire de lectures orales publiques suivies par des commentaires et des jugements esthétiques.

L’intérêt majeur de ces confrontations est double, d’une part elles aident l’apprenant à se débarrasser de ses angoisses face au sujet de production et de l’autre part elles le conduisent vers une acquisition d’une confiance en ses capacités scripturales. Dans ce contexte, l’atelier d’écriture n’apparait pas seulement comme une occasion propice à l’encouragement du processus d’écriture mais aussi un lieu favorable à la construction collective des savoirs dans une optique d’entraide et de coopération. Ce constat est dressé par Guibert (2003 :47) qui avoue que « les participants s’aident

mutuellement pour que personne ne reste en difficulté ».

Ce que l’atelier pourrait en outre apporter comme bénéfice au groupe, c’est la modification des représentations que ses membres se font de l’écriture. En enchainant les participations, en multipliant les productions et en s’impliquant vivement dans les échanges oraux, le sujet démystifierait l’écrit et le percevrait comme un acte que l’on peut apprendre et/ou enseigner. Ce bouleversement dans les attitudes des apprenants est attesté par Oriol-Boyer (Boyer cité par Penloup, 1990 : 20) pour qui « admettre le

principe d’un atelier d’écriture, c’est prendre le risque d’au moins une hypothèse, monstrueuse peut-être pour certains. Celle-ci : l’écriture est une discipline susceptible d’être enseignée elle aussi ». L’écriture peut faire donc comme toutes les autres

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Par ailleurs, l’apport pédagogique des ateliers d’écriture se manifesterait également au niveau des textes qui s’y écrivent. La réponse qu’ils apportent aux problèmes rédactionnels soulevés en contexte scolaire réside dans la nécessité de dépasser la vision réductrice selon laquelle le texte est régi par des règles grammaticales, orthographiques, lexicales… auxquels toute l’attention doit être accordée pour se focaliser beaucoup plus sur la syntaxe textuelle et l’énonciation. L’enjeu est donc d’ordre pragmatique puisque le niveau global du texte l’emporte sur le niveau phrastique. Ainsi, les animateurs encouragent la production de textes qui tiennent compte des enjeux communicatifs et mettent en place des activités qui développent les compétences métatextuelles des scripteurs.

Notons enfin que pour que tous les enjeux précités soient effectivement concrétisés au sein de la classe de langue, Eva Kavian (2007 :33) propose l’organisation des ateliers selon une progression qui englobe l’ensemble des objectifs que nous venons d’énumérer. En effet, elle schématise le parcours d’un atelier en déterminant les phases suivantes :

1. Déblocage, réassurance, entrée dans la fiction ; 2. Déploiement de l’imaginaire ;

3. Les outils de la narration, les outils de lecture et de retravail ; 4. Mise en projet, écrits plus long, plus élaborés (nouvelle, roman…).

Ces étapes correspondent bien aux ateliers d’écritures à enjeux littéraires puisque la part accordée à la fiction, à l’imaginaire et aux formes d’écriture littéraire est prépondérante.