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LECTURE MULTIMODALE DES RECITS LITTERAIRES

I. Littératie médiatique multimodale en didactique de la littérature

I.1. Définition du concept

Sous l’impulsion des nouvelles technologies de l’information et de la communication et face à l’éclosion des nouveaux médias, nous sommes vite passés de la littératie classique à la littératie médiatique. L’expression désigne couramment « l’ensemble des compétences caractérisant l’individu capable d’évoluer de façon

critique et créative, autonome et socialisée dans l’environnement médiatique contemporain » (Fastrez et de Smedt, 2012 : 47).

La littératie médiatique semble une évolution naturelle de l’éducation par les médias qui se sert des productions médiatiques dans l’enseignement des disciplines scolaires. Elle se distingue de l’éducation aux médias qui mise particulièrement sur les médias eux-mêmes (leur production et réception, impact sur le public...). Dans ce contexte, les médias se rattachent fortement à la littératie puisqu’ils permettent de décoder des supports (télévision, radio, smartphones…) et des textes médiatiques (page web, publicités, films…) variés.

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Des débats houleux sur les valeurs éducatives des mass médias s’est constituée progressivement une approche définitionnelle de la littératie médiatique. Lors du colloque National Ledearship Conference on Media Literacy tenu en 1992 aux Etats-Unis, il a été officiellement reconnu que pour être une personne compétence en littératie médiatique, il est impératif d’être capable d’accéder à des produits médiatiques imprimés et électroniques pour les décoder, les analyser et les évaluer. Toutefois, avant la naissance de la littératie médiatique, nous retrouvons que le phénomène est désigné chez les Anglo-Saxons vers la fin des années 1990 par littératies multiples et multilittératie que Cope et Kalantzis (1999) définissent en termes de foisonnement des canaux médiatiques de communication et d’accroissement sans frein de la diversité linguistique et culturelle. Ce nouveau visage de la littératie se démarque de la littératie classique dominée par l’usage exclusif de l’écrit par le recours à des modes de représentations diverses touchant au langage écrit, oral et visuel.

En effet, c’est le qualificatif « multimodale » ajouté à l’expression de littératie médiatique qui signale à fortiori cette multiplication des supports des messages produits et la diversité des modes de communication. Ainsi, la multimodalité peut être redéfinie

« à partir des postulats épistémologiques de la sémiotique sociale, dont le noyau fondamental reste la réception/compréhension/production- en contexte réel de communication- du sens » (Lebrun, Lacelle et Boutin, 2012 : 2-3). Nous dirons alors

que la multimodalité relève d’une utilisation contextualisée des ressources sémiotiques telles que l’écrit, l’image, le son… pour représenter du sens. Pour produire ce sens, on mobilise un mode sémiotique particulier que nous jugeons le mieux approprié à la situation de communication.

D’après Bearne et Wolstencroft (2007), la littératie médiatique multimodale devrait être enseignée aux jeunes adolescents dans une optique critique à travers une approche distancielle des multitextes pris comme objets à analyser et en débattre les contenus et non pas comme des produits à recevoir massivement sans questionnements ou interrogations.

Une des conséquences de l’intégration de la littératie médiatique à l’apprentissage des langues est, bien entendu, l’élimination des frontières entre lecteur et scripteur. Elles sont dorénavant moins rigides et la lecture/écriture se fait désormais au moyen d’autres supports qui modifient considérablement nos façons de lire et impactent nos manières de communiquer.

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I.2. Enjeux éducatifs

Le recours à la littératie médiatique multimodale dans le champ éducatif s’intensifie progressivement mais sans faire l’objet d’enseignement formel dans les programmes disciplinaires. Il revient souvent aux enseignants d’entreprendre des initiatives personnelles ou de suivre des recommandations issues de séminaires ou de recherches didactiques consultées. Pourtant, le besoin des apprenants de se former en lecture et écriture multimodales se fait de plus en plus sentir pour compléter leurs habiletés en littératie classique et en raison de leur contact permanent aux nouveaux médias envahissant leur vie.

On reconnait certes la nécessaire union des deux modes de littératies (classique et médiatique), mais on n’arrive pas encore à instaurer des pratiques effectives qui concrétisent ce métissage sur le terrain. Partant de ce constat, Walsh (2008) s’interroge sur la stratégie à suivre en vue de garantir le passage entre l’écrit classique et l’écrit multimodal. Pour lui, il est encore difficile de fournir une réponse définitive à la question car les recherches ne font que commencer et elles peinent encore à comprendre la complexité de la tâche.

En effet, même si la littératie médiatique constitue un domaine encore ouvert à toutes les hypothèses, les travaux menés s’accordent sur l’importance de ses enjeux didactiques. Ainsi, le groupe canadien de recherche en littératie médiatique multimodale dirigé par Monique Lebrun, Nathalie Lacelle et Jean-François Boutin a mis au point, en s’appuyant sur des études expérimentales, une approche critique de la multimodalité bâtie sur de nombreuses pistes pédagogiques dont le but est l’amélioration des compétences des apprenants en littératie médiatique. Pour y parvenir, les trois chercheurs (2012 : 7-8) fixent trois paramètres à prendre en compte :

- Enrichissement des procédés d’analyse textuelle en misant sur la cohérence

textuelle et l’encouragement à exprimer ses opinions.

- Soutenir l’apprentissage de la grammaire de l’image, fixe soit-elle ou mobile,

et dévoiler les liens qu’elle entretient avec le texte pour fonder une culture de lecture qui associe texte, image et son.

- Sensibilisation des élèves aux aspects sociaux et idéologiques des productions

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De leur côté, les chercheurs de l’université belge de Louvain-la-Neuve comme Pierre Fastrez et Thierry de Smedt (2012) ont tenté d’étudier la problématique des enjeux de la littératie médiatique multimodale en contexte éducatif. Ainsi, ils ont élaboré un outil conceptuel défini en termes de compétences à installer chez les apprenants car pour eux, la littératie est avant tout « la compétence à effectuer un

certain nombre de tâches sur un certain nombre d’objets médiatiques. » (Fastrez et de

Smedt, 2012 : 48). Les objets médiatiques qu’ils évoquent sont de trois types : informationnels, techniques et sociaux.

La première catégorie considère les documents médiatiques comme des objets informationnels dans le sens où ils constituent des systèmes signifiants de représentations associés à des signifiés. Ils se caractérisent par leurs propriétés formelles, leur ancrage référentiel et leurs modes particuliers de signification. L’ensemble de ces caractéristiques fait de l’objet médiatique une forme-objet. Pour l’expliquer, les auteurs donnent des exemples comme le journal qui possède une texture, l’image qui a des couleurs, le film ayant une durée, etc.

La valeur référentielle suggère que tout document renvoie systématiquement à quelque chose extérieure : un reportage télévisé ou radiophonique raconte un fait, un article de presse aborde souvent un évènement d’actualité, etc. L’accès à tous ces modes de représentations mobilise l’appareil conceptuel sémiotique que l’école se doit d’appliquer pour guider les apprenants à agir en tant que lecteur/scripteur à la diversité des phénomènes mondiaux qui les entourent. Pour ce faire, la maitrise de nouvelles capacités s’impose comme une condition préalable pour accéder aux informations fournies quotidiennement par les médias.

Les deuxièmes objets médiatiques sont de type technique puisqu’ils sont le fruit d’une production technique à plusieurs dimensions fonctionnelle, technologique et sémiotique. Les préoccupations éducatives actuelles accordent une attention particulière aux compétences numériques pour faciliter aux apprenants la manipulation d’objets en leur inculquant un savoir-faire opérationnel. Le but principal demeure la réalisation d’opérations courantes telles que l’accès à internet, le tri des informations, l’envoi d’emails, l’utilisation d’outil informatique, etc. Il est possible de suivre une progression par degrés afin de mener les apprenants d’une utilisation opératoire des objets médiatiques vers l’adoption d’une attitude critique dans la gestion des problèmes techniques.

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En dernier lieu, nous dirons que les objets médiatiques relèvent d’objets sociaux parce qu’ils prennent place dans des contextes authentiques de communication. Ils reflètent ainsi les intentions de leurs producteurs et les effets qu’ils laissent chez les récepteurs. La dimension sociale apparait nettement au niveau de la sociabilité des usagers qui s’en servent pour entrer en contact avec une communauté par l’intermédiaire des réseaux afin de partager ses points de vue et développer ses interactions sociales dans le respect des avis des autres.

En fonction des trois objets susdits, Pierre Fastrez et Thierry de Smedt distinguent quatre sortes de tâches médiatiques que l’on peut faire en classe. Ce sont la lecture, l’écriture, la navigation et l’organisation.

En ce qui concerne la lecture, elle correspond à l’activité de réception d’objets médiatiques. Evaluer les performances du lecteur à y accéder se fait par le truchement de grilles d’interprétations qui portent généralement sur les thématiques abordées par ces objets, sur leurs systèmes de représentation, leurs multiples formes, les contextes de productions ainsi que sur leurs effets sur le public. Dans ce nouveau contexte marqué par le foisonnement des nouveaux médias, le lecteur se trouve contraint d’acquérir aussi une autre compétence que Jenkins (Jenkins cité par Fastrez et de Smedt, 2012 : 52) nomme la navigation transmédiatique. Il s’agit d’être capable de suivre l’évolution d’informations diffusées sur divers canaux. Dans le domaine de la littérature, cette capacité est de plus en plus requise.

La deuxième tâche relative à l’écriture stipule qu’être compétent en écriture médiatique exige la maitrise de capacités de création et de diffusion de ses productions personnelles régies par des règles d’écriture informationnelle et des contraintes techniques. Quatre opérations spécifiques submergent au cours du processus d’écrire via les médias : interaction avec la machine à travers son interface, utilisation d’outils de communication et de représentation pour effectuer une écriture technique à caractère informationnel, mise en réseaux de sa production et implication de son identité dans la communication.

La navigation englobe les opérations de recherche et d’exploration. La première renvoie à une pratique courante à l’école qui est la recherche documentaire. C’est une recherche consciente de l’information orientée vers un but précis puisqu’on tâche à retrouver des éléments en relation avec des critères bien déterminés. Cependant, les

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éléments retrouvés doivent être appréhendés avec un esprit critique pour ne pas reprendre les informations d’une façon désordonnée telle qu’on les a trouvées. Il est nécessaire de les ordonner, les articuler et les agencer pour former un discours cohérent et organisé. L’exploration est corrélative à une utilisation libre et ouverte d’internet notamment basée sur des choix correspondant à son profil et à ses intérêts généraux.

L’organisation concerne la structuration conceptuelle des documents médiatiques selon plusieurs critères définis par les usagers (typologies des documents, thèmes communs, destinataires, provenances, modes de lectures…) et vise la mise en œuvre de maintes tâches comme la conservation, l’annotation, la synchronisation des objets médiatiques et l’archivage. L’organisation touche aussi à l’interaction sociale et à l’aspect relationnel car elle offre des moyens pour gérer ses contacts et interagir avec les autres sur les espaces sociaux.

Le croisement entre objets médiatiques et tâches scolaires structure un ensemble de compétences indispensables à l’enseignement de la littératie médiatique multimodale parce qu’on focalise l’intérêt des acteurs pédagogiques (professeurs, élèves, familles…) sur les principes fondateurs sur lesquels ils s’appuient dans leurs démarches didactiques.

II. Littérature et TICE

La littérature ne reste pas indemne des bouleversements technologiques qui touchent de plein fouet l’apprentissage des langues. Elle en subit les conséquences et s’ouvre sur des pratiques enseignantes novatrices en tissant des liens fort étroits avec les TICE qu’elle utilise pour se présenter à son public de façon moderne et attractive. Dans ce point, nous aborderons ces liens et comment l’enseignant pourrait-il s’en servir pour concevoir des activités pédagogiques au sein de sa classe.