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LECTURE MULTIMODALE DES RECITS LITTERAIRES

I. Littératie médiatique multimodale en didactique de la littérature

II.1. Corrélations didactiques

Dans les milieux scolaires, nombreux constats alarmants signalent la présence d’un décalage entre les mutations profondes des pratiques socioculturelles suscitées par les avancés technologiques et les pratiques scolaires jugées archaïques. Ainsi, Nicolas Guichon (2012) fait remarquer, suite à une enquête menée auprès des lycéens, que nous vivons une époque de déconnexion entre les usages personnels et les usages scolaires des technologies de l’information et de la communication. Compte tenu de cette

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situation, il serait prolifique de rapprocher les pratiques scolaires des élèves à leurs pratiques culturelles quotidiennes.

Les institutions éducatives se voient donc contraintes d’adapter leurs contenus et leurs approches aux nouveaux besoins et aux particularités d’un public si consommateur des nouveaux outils informatiques. A une époque où le rapport au savoir est fréquemment remis en cause, il est temps de questionner les modes de transmission des connaissances car l’apprenant actuel s’ouvre progressivement à des sphères numériques variées pour puiser des informations de toutes natures. Son enseignant n’est plus le détenteur de connaissances encyclopédiques mais il est appelé à jouer d’autres rôles de guide ou de médiateur.

Dans ce climat mondial effervescent et témoin d’une montée vertigineuse sans précédent du numérique et du multimédia, le débat sur le devenir de l’enseignement de la littérature se met sur la table dans la mesure où les modes de production et de réception des textes littéraires se modifient profondément. En effet, le nouvel environnement numérique incite à revoir sa conception du texte littéraire dans sa matérialité puisqu’il devient un objet complexe qui suggère d’autres pratiques de lecture et d’écriture.

Toutefois, ce ne sont pas tous les textes littéraires produits à l’ère numérique qui se lisent de la même façon. Il est important, avant d’aborder les pratiques lecturales, d’établir la distinction entre la littérature numérique/multimodale et la littérature numérisée. Nous reprenons ici la distinction faite par Dufays, Ledure et Gemenne (2015 : 312) :

Distinguons, tout d’abord, les œuvres numérisées et la littérature numérique. La première catégorie comporte des textes qui ont été publiés initialement sous forme de livres et qui existent aujourd’hui sous version numérique. […] La littérature numérique interroge, quant à elle, le concept et le rôle du lecteur, de l’auteur. A la différence des œuvres numérisées, la littérature numérique est à la fois conçue et lue dans un dispositif numérique : elle en est indissociable.

De ce qui a été dit, on comprend que la littérature numérique transforme radicalement les modalités de création et de diffusion des textes parce qu’elle favorise l’interactivité entre l’auteur, le lecteur et le texte. Contrairement aux écrits imprimés dont le caractère est ferme et figé, ceux publiés sur la Toile sont multimodaux, mobiles, interactifs et accessibles à tous où que l’on soit. Les rôles sont aussi inversés ; le lecteur peut participer à l’écriture d’un texte et collaborer avec d’autres internautes à rédiger un

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écrit collectif. L’exemple des fanfictions confirme ceci : ce sont, en fait, des fictions rédigées par des fans qui s’initient au monde de l’e-écriture et qui racontent des récits autour de leurs personnages romanesques ou télévisuels préférés.

Cette écriture collaborative réalisée sur internet gomme les frontières entre l’auteur et ses lecteurs et par voie de conséquence l’écart entre temps d’écriture et temps de lecture est également réduit. De plus, la littérature interactive donne naissance à des textes multimodaux publiés sous la forme de livres hybrides parsemés de vidéos, de dessins, de musiques…

Parallèlement à la littérature numérique, existe sur le web la littérature numérisée. Elle concerne la numérisation d’œuvres classiques pour les conserver, les moderniser et les diffuser auprès d’un large public. On voit que la procédure de numérisation facilite l’accès gratuit aux œuvres avec un coût d’achat très réduit comparativement au livre imprimé. On note au passage que les œuvres numérisées conservent, grâce à certaines applications informatiques, les mêmes fonctionnalités du livre original avec des possibilités d’annoter le texte pour garder une trace de sa lecture. Ce qui signifie que le lecteur garde ses habitudes traditionnelles de lecture.

D’après Philippe Bootz (cité par Dufays, Germenne et Ledure, 2015 : 312), il existe diverses formes d’œuvres numériques telles que la littérature combinatoire, les hypertextes et les textes animés. La première catégorie correspond à l’esprit oulipien de permutation et de combinaison syntaxique de fragments textuels en mouvement. La création littéraire est générée selon des programmations informatiques qui mettent à la disposition des lecteurs différentes variantes du texte à actualiser. La particularité du groupe de l’OULIPO1 consiste en l’introduction de l’ordinateur dans les expositions comme un outil de réaliser des contraintes algorithmiques, Bootz (2003) retrace, dans ces propos, l’évolution de l’outil informatique dans la création littéraire : « le statut de

l’outil informatique change : d’aide technique à la création de matériau, il devient l’effecteur des processus décrits par l’algorithme ».

Dans le prolongement des travaux entrepris par les Oulipiens, un autre groupe nommé l’ALALMO (L’Atelier de Littérature Assistée par les Mathématiques et les Ordinateurs) met en avant l’idée d’une écriture à contraintes assistée par ordinateur. La mise en pratique de la littérature informatique dépasse la littérature combinatoire pour

1 OULIPO est l’acronyme d’Ouvroir de Littérature Potentielle : groupe formé de littéraires et de mathématiciens qui promeuvent les principes de la création à travers l’écriture par contraintes.

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s’intéresser de près à générer automatiquement des textes en suivant une approche algorithmique scientifique.

Aux Etats-Unis, voit le jour en 1987 l’hypertexte créé pour la première fois par Michael Joyce qui a réalisé son récit intitulé Afternoon, story avec le logiciel Storyspace. Clément (2006 : 90) définit ainsi l’hypertexte :

L'hypertexte est d'abord apparu comme une tentative de déconstruction du texte, comme une libération des contraintes et des artifices de la rhétorique classique subordonnée à la linéarité du discours. Dans la culture américaine qui l'a vu naître, il a accompagné le mouvement libertaire et servi d'étendard à une contestation de l'ordre littéraire établi.

L’hypertexte déconstruit la trame narrative linéaire et affiche des liens que le lecteur poursuit afin de personnaliser son parcours de lecture. La fiction est fragmentée et fait appel à une pensée associative. Pour les textes animés, ils se distinguent par leur mise en forme particulière qui intègre des images, des vidéos, des sons… ce qui rend le texte multimédiatique.

D’une manière générale, nous dirons que la lecture numérique se caractérise par plusieurs propriétés. Tout d’abord, elle consolide la lecture sélective dans la mesure où le lecteur procède, en premier lieu, à la sélection et à la localisation des informations avant de les lire ou de les analyser. C’est pour cette raison qu’il est indispensable d’avoir des habiletés d’orientation et de représentation mentale de la macrostructure du texte.

De plus la lecture numérique est fragmentaire vu la multiplication des parcours de lecture proposées. En recourant à des logiciels spécialisés et en activant les liens recommandés, le lecteur choisit librement son itinéraire de lecture et en garde la trace grâce à l’opération d’archivage de sa navigation. Nous signalons aussi que les liens que le lecteur active sont choisis en fonction de ses objectifs. Une fois le lien activé, le lecteur se trouve face à un écran dynamique où il doit gérer et organiser minutieusement ses tâches. Ces dernières sont d’une complexité contraignante pour le lecteur qui s’efforce à s’adapter aux exigences qu’impose le support numérique comme la compréhension des valeurs des icones, l’accès aux informations fournies par les menus déroulants, le retour en arrière, etc.

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II.2. Pistes pédagogiques

Les enjeux de la lecture numérique pratiquée dans le cadre de l’enseignement de français sont indénombrables. De prime abord, elle présente l’avantage d’ouvrir la voie sur des possibilités d’exploration des supports médiatiques en pleine mutation et favorise l’interactivité entre les auteurs et les communautés des lecteurs d’horizons et de pays divers.

En outre, elle est une invitation à la découverte de nouvelles formes de littérature engendrées par le développement technologique sans frein. Ainsi, les œuvres littéraires, notamment patrimoniales, deviennent plus attractives et mieux accessibles à un large public. Elles sont aussi une source incontournable de motivation des apprenants lorsqu’elles sont accompagnées d’animations ludiques. L’interactivité que sous-tendent ces textes encourage l’apprentissage de certaines opérations mentales spécifiques.

Par ailleurs, l’introduction massive du multimédia et du numérique dans le paysage éducatif entraine un changement des pratiques pédagogiques. Dans le but de tirer profit des potentialités des TICE dans la promotion d’une culture littéraire, quelques démarches sont proposées par Jean-Louis Dufays, Dominique Ledur et Louis Gemenne (2015 : 315-318)

La première consiste en l’utilisation du web en tant que ressource documentaire pour comprendre un récit imbriqué de données culturelles et historiques qui échappent aux apprenants. Étant connectés à la Toile en classe, les élèves peuvent à tout moment avoir des réponses à leurs interrogations au moment où elles naissent car il est impossible à l’enseignant de prévoir des réponses complètes à toutes les questions : même s’il fait des efforts, il ne peut pas imaginer tous les questionnements qui puissent traverser l’esprit de ses élèves.

De plus, internet offre un accès rapide aux intertextes d’une œuvre littéraire quelconque ainsi qu’à ses multiples rééditions, réceptions et interprétations. Grâce aux sites, il est maintenant possible de comparer les textes. Le multifenêtrage facilite leur mise en réseaux et favorise des allers-retours à la quête de traces intertextuelles. Parallèlement aux stratégies de lecture linéaire pratiquées avec les livres imprimés, lire les œuvres numériques mobilise également des stratégies de lecture réticulaire.

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L’utilisation d’une version numérique d’un roman dans un travail d’analyse et d’interprétation est une autre proposition enrichissante. Par exemple, la construction d’un index à partir de sa lecture d’œuvres littéraires en se servant de certains logiciels pour élaborer des statistiques ou des cartes de représentations.

Interpréter une œuvre hypertextuelle est une occasion pour l’élève de mettre en valeur son propre parcours dans le texte pour le comparer à ceux de ses camarades de classe. Il se rend ainsi compte que la frontière entre lecteur et scripteur ne tient qu’à un mince fil.

Etant donné que la compréhension d’un texte littéraire ne se manifeste effectivement que par l’intermédiaire d’une production langagière orale et/ou écrite, l’outil informatique met à la disposition des élèves un éventail riche de possibilités d’expression. On cite à titre illustratif la publication de textes personnels ou collaboratifs sur des blogs et des réseaux sociaux, des sites de critiques littéraires, etc.

D’autres opérations sont rendues possibles grâce à des logiciels comme l’insertion d’images ou de vidéos à l’intérieur du texte, la fragmentation de l’œuvre… Une dernière démarche consiste à inciter les élèves à constituer une anthologie multimodale de leurs textes préférés.