• Aucun résultat trouvé

Risques majeurs de catastrophe et politiques publiques

La politique publique du management des risques majeurs recouvre trois politiques distinctes, que nous proposons d’appréhender de manière intégrée : la politique d’identification des risques (perception et évaluation), la politique de prévention des catastrophes et la politique de gestion de la catastrophe. Ces trois types de politique publique se nourrissent des leçons apprises suite à l’occurrence d’une catastrophe. Nous en donnons ci-dessous un rapide descriptif.

3.4.1 Identification des risques

La politique d’« identification » consiste d’une part à organiser l’expression de la perception individuelle et à faire émerger dans l’espace public les différentes

10 Nous pouvons aisément poser l’hypothèse que plus la capacité subjective d’un individu ou d’une population est grande, plus sa « résilience » potentielle (définie comme la capacité des individus ou des groupes à rebondir après la survenance d’une catastrophe) est grande également.

représentations sociales11 et d’autre part à disposer d’une évaluation objectivable des risques majeurs, comme le montre la figure 1.

Figure 1. Politique publique d’identification des risques majeurs

Si la prévention et la gestion des catastrophes ont généré des politiques publiques de plus en plus concertées, entre l’Etat d’une part et les autres acteurs économiques et sociaux d’autre part, la politique d’identification des risques, quant à elle n’a à ce jour, pas reçu l’attention qu’elle mérite, ni pour ce qui concerne la conceptualisation globale d’une telle politique, ni même si l’on fait l’inventaire des mesures que l’on pourrait ranger sous cette étiquette.

Et pourtant, il nous semble très important, a fortiori dans un cadre démocratique, qu’un Etat se donne les moyens d’évaluer systématiquement la perception des risques (notamment le sentiment d’insécurité) et mette en place les procédures politiques et administratives pour qu’un débat public s’ouvre autour de l’enjeu que constitue l’identification des risques majeurs.

En effet, il serait dans la logique démocratique qu’une politique d’identification des risques se donne pour premier objectif d’organiser l’expression de la perception individuelle, afin que les personnes les plus directement exposées puissent en toute légitimité exprimer leurs craintes (leurs angoisses) face à un environnement « naturel », « technologique » ou « social » générateurs d’aléas.

Un second objectif pourrait être de faire émerger et de confronter dans l’espace public les différentes représentations sociales des risques majeurs, qui peuvent

11 Notre définition de « perception » et des « représentations sociales » est suffisamment large pour permettre d’inclure le concept d’« attitude envers le risque »

dépendre, comme nous l’avons vu, de la formation, du statut social ou encore de la culture d’origine des personnes ou des groupes concernés. La société civile organisée en associations, groupements d’intérêts, syndicats, églises, etc.

pourrait alors se retrouver partie prenante d’un processus d’identification des risques.

Cependant, ni les perceptions individuelles ni les représentations sociales ne sont figées une fois pour toutes. Elles se transforment non seulement par le débat, dans la confrontation à l’autre et à ses normes, mais également par la confrontation aux événements et à leur évaluation objectivable. En d’autres termes, la subjectivité (individuelle et collective), c’est-à-dire notamment la capacité d’apprendre du passé pour agir sur l’avenir, ne se construit que dans la confrontation aux faits (objectivité) d’une part, et aux valeurs morales et éthiques d’autre part.

C’est le débat (l’intersubjectivité) qui va permettre de transformer les représentations sociales et les perceptions individuelles (risquophiles ou risquophobes) en enjeux politiques pour lesquels des décisions démocratiques devront être prises. Ces décisions formeront la base des politiques publiques de prévention et de gestion des catastrophes mises en oeuvre.

Pour que l’intersubjectivité soit possible, les différents acteurs en présence doivent adopter un minimum de langage commun, de terminologie ; et ce langage, cette terminologie sont par définition objectivables. C’est le rôle des scientifiques de proposer les éléments objectifs de définition qui pourront permettre à chacun d’exprimer sa subjectivité dans l’évaluation des risques et de la confronter à celles des autres. Notre définition, qui permet des évaluations différentes notamment de l’aléa, des éléments à risques, de la vulnérabilité et de la résilience permet de cadrer le débat public en faisant porter la réflexion sur chacun des éléments à prendre en compte dans l’évaluation des risques.

En effet, l’évaluation des risques identifiés et exprimés dans l’espace public repose sur l’analyse qualitative ou quantitative, éventuellement la modélisation, des paramètres définissant les risques majeurs. Cette évaluation peut soulever de fortes controverses qui, la plupart du temps, trouvent leur origine dans les incertitudes qui entachent certains phénomènes et qui suscitent des interprétations divergentes de la part des scientifiques. Il convient de souligner que la controverse est une caractéristique inhérente aux problèmes complexes (cf. Roqueplo, 1997).

Le rôle d’une politique publique est de permettre l’expression des craintes, de faire nommer les risques auxquels les populations estiment qu’elles sont exposées ; de permettre un échange avec les personnes qui connaissent les

domaines concernés, scientifiques, techniciens ou autres experts : faire étudier les situations de façon systématique, faire connaître leurs conclusions, leur position. Mais aussi, permettre le dialogue entre les savoirs scientifiques et les savoirs populaires. Il y a donc, dans cette politique, des enjeux de participation communautaire non seulement dans l’identification, mais également dans la prévention et la gestion, de la part de populations qui se seront senties concernées dès le début du processus.

3.4.2 Prévention des catastrophes

La « prévention » vise d’une part à diminuer l’aléa, lorsque cela est possible, d’autre part à en limiter les conséquences néfastes. On parle alors de

« mitigation12 du risque ». La prévention présuppose de définir des objectifs de sécurité et d’envisager un ensemble de mesures permettant de les atteindre. La définition des objectifs de sécurité soulève le problème de l’acceptabilité des risques, qui varie d’un groupe social à l’autre, dans le temps et dans l’espace. Le

« principe de précaution » a émergé récemment dans l’objectif d’éviter aux sociétés d’être exposées à des risques majeurs. La Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement de 1992 affirme par exemple que « pour protéger l’environnement, des mesures de précaution doivent être largement appliquées par les Etats selon leurs capacités. En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement »(Nations Unies, 1993; p4;

Godard, 1999).

Les mesures de prévention des risques majeurs peuvent être regroupées en cinq catégories : 1) l’information de la population, 2) les accords librement consentis entre les acteurs (par exemple, renonciation à utiliser certaines substances toxiques dans les processus de production), 3) l’amélioration de l’offre de biens et services (par exemple, création d’infrastructures permettant de contourner des risques d’inondation ou offrant des services sanitaires), 4) les instruments économiques (comme les taxes incitatives visant à modifier le comportement des consommateurs ou les subventions octroyées à certains projets), enfin 5) les instruments réglementaires et techniques (standards de qualité, normes d’émission, règlements de planification comme les plans d’occupation des sols, aménagement du territoire, etc.).

12 « Mitigation » (ou « atténuation ») : mesures prises avant une catastrophe visant à réduire ou annuler son impact sur la société et l’environnement (cf. DEPARTEMENT DES AFFAIRES HUMANITAIRES DES NATIONS-UNIES, Glossaire international multilingue agréé de termes relatifs à la gestion des catastrophes, DHA, Genève, 1992).

3.4.3 Gestion des catastrophes

La « gestion d’une catastrophe » consiste à mettre en œuvre des stratégies visant à répondre à la crise ainsi qu’aux problèmes de réhabilitation et de reconstruction. Il convient de souligner qu’à travers une bonne préparation (« preparedness ;preparación), c’est-à-dire entre autres avec le développement et la mise sur pied de systèmes d’alerte précoce (early warning system ; el sistema de alerta temprana) , l’élaboration et la mise en pratique de plans d’évacuation, de secours etc., il est possible de limiter les conséquences de la catastrophe13. Mais cette réduction des conséquences n’est réellement efficace que si la population concernée le plus directement est impliquée dans cette gestion. Cela signifie qu’il y a un travail de diffusion et de formation important à développer afin que la population connaisse les mesures existantes et sache comment agir lorsqu’un événement catastrophique survient.

La réalisation de l’événement catastrophique met souvent en lumière les failles et les forces existantes dans les politiques d’identification, de prévention et de gestion mises en oeuvre. Une analyse des acteurs opérant dans les différentes politiques concernées permet de mieux comprendre les causes, d’apprendre de la catastrophe et de proposer une réorganisation à terme des dispositifs. Une intégration, dans les politiques publiques elles-mêmes, des différents acteurs (étatiques ou privés) impliqués permet de renforcer ces politiques en évitant les redondances et les lacunes administratives. Elle permet également d’en augmenter l’efficacité en leur donnant une plus large assise sociale.

3.5 Intégration, dans le management, des valeurs, intérêts et