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TEXTES DISCIPLINAIRES

3. L ES SCIENCES ÉCONOMIQUES ET LA PROBLÉMATIQUE DU RISQUE MAJEUR

3.3 Techniques de décision et d’analyse relevant d’autres domaines des sciences économiques

3.3.1 Evaluation de projets

A. ANALYSE DES INVESTISSEMENTS

Un investissement se définit comme étant “l’échange d’une satisfaction immédiate et certaine à laquelle on renonce contre une espérance que l’on acquiert et dont le bien investi est le support”18.

La décision d’investir se base sur le concept de valeur actuelle nette (VAN), qui s’exprime de la manière suivante :

VAN

( )

R C r

t t I

t t T

= o

+

=

1

1

où Io indique l’investissement initial, Ct les coûts opératoires (travail, énergie, ressources naturelles, etc.), Rt les recettes brutes, r le taux d’actualisation (cf. ci-dessous), et T la durée de vie de l’investissement. Il convient de souligner que ces variables peuvent être entachées de marges d’incertitudes élevées : comment évaluer en effet les recettes et les coûts provoqués par un investissement à l’horizon de 5, 10 ou 20 ans ? Comment juger la durée de vie des équipements, en particulier prendre en considération l’obsolescence technique ? Commet estimer le montant de l’investissement initial, lorsqu’il s’agit d’entreprendre des grands travaux de génie civil ?

Le critère de décision est très simple :

si VAN > 0, on effectue l’investissement, car on réalise un bénéfice,

si VAN < 0, on renonce à entreprendre l’investissement, sinon on subirait une perte,

parmi un ensemble de projets, on choisit celui qui affiche la VAN la plus élevée.

Le concept de taux d’actualisation (r), qui sert à actualiser un flux monétaire apparaissant dans l'avenir, exerce une influence très importante sur la VAN, et mérite quelques remarques supplémentaires. D’un point de vue théorique, le taux d’actualisation devrait refléter :

le coût d’opportunité du capital (le rendement du meilleur investissement possible);

18 MASSE P., Optimal investment decisions: Rules for action and criteria for choice, Englewood Cliffs, N.J., Prentice Hall, 1962.

la préférence pour le temps de la société (la préférence pour une consommation immédiate plutôt que future).

En pratique, toutefois, de nombreuses études se limitent à effectuer des simulations, en utilisant différents taux d’actualisation (r = 5%, 10%, etc.). Les études financières, en revanche, utilisent des données fournies par le marché (rendements des obligations de l’Etat, taux appliqués dans différentes branches économiques, etc.), pour évaluer le taux d’actualisation. Il convient toutefois de relever que ces marchés ne sont pas en mesure de fournir des informations adéquates lorsque les horizons temporels sont très lointains, car ils n’offrent aucun actif financier d’une durée aussi longue. Il faut aussi souligner qu’il n’est pas souhaitable de prendre en considération, comme on fait souvent, les risques provoqués par des projets d’investissement, par le biais d’un ajustement de r. Il faut au contraire construire des scénarios prenant en considération différentes combinaisons d’évolution des variables en jeu, et utiliser les critères de décision présentés dans la partie consacrée à l’économie du risque.

Le principe de l’actualisation a fait l’objet de controverses, car celle-ci a pour effet de pénaliser les projets dont les bénéfices apparaissent dans le long terme, par rapport à ceux qui produisent des bénéfices dans le court terme. D’après Ramsey, l’actualisation n’est pas défendable du point de vue éthique; cette conception est partagée par Solow. Pour sa part, Harrod affirme que l’actualisation “is a polite expression for rapacity and conquest of reason by possession” 19. Gollier, qui pense que “ne pas actualiser les bénéfices futurs d’une opération de prévention… conduirait à un réduction de la croissance économique par une mauvaise allocation de nos ressources”, affirme que “la prudence doit nous conduire à réduire le taux d’actualisation en présence d’incertitudes sur l’avenir”20.

Un autre problème qui mérite d’être évoqué est celui de l’irréversibilité provoquée par la réalisation d’un projet. Par “irréversibilité”, Arrow et Fisher entendent des investissements “infinitely costly to reverse” (1974, p. 315). Dans cette perspective, ils relèvent que “the expected benefits of an irreversible decision ought to be corrected in order to reflect the loss of options it entails”

(p. 319). De leur côté, Dixit et Pindyck rappellent que “a firm with an

19 RAMSEY F.P., A mathematical theory of saving, The Economic Journal, March 1928, p.

543; SOLOW R.M., The economics of resources or the resources of economics, American Economic Review, 64, 1974, p. 9; HARROD R.F., Towards a dynamic economy, London, Macmillan, 1948, p. 40.

20 GOLLIER C., Actualisation du long terme, Revue de l’Energie, 496, Mars-Avril 1998, p.

157-158.

opportunity to invest is holding an option… When a firm makes an irreversible investment expenditure, it kills its option to invest. … This lost option value is an opportunity cost that must be included as part of the cost of the investment”

(1994, p. 6).

Le tableau et la figure 4 fournissent un exemple de calcul de la VAN, avec trois scénarios (taux d’actualisation 0%, 5%, 10%). On remarque que dans le premier cas, après 14 ans on récupère l’investissement initial de CHF 1000; dans le deuxième cas, après 23 ans; dans le troisième cas, l’investissement initial ne sera jamais récupéré et la VAN est négative.

Recettes nettes

Tableau 4. Example de calcul de la VAN

Figure 4. Représentation graphique du calcul de la VAN.

B. ANALYSE COÛTS - BÉNÉFICES (ACB)

Avec l’ACB, on essaie d’évaluer les projets d’investissement d’un point de vue à la fois économique, social et environnemental21. On utilise les critères de décision précédemment présentés, fondés sur le concept de VAN. Toutefois, on ne se limite pas aux coûts et aux bénéfices financiers; on essaye d’élargir l’analyse à l’ensemble des coûts et des bénéfices, s’exprimant en termes monétaires ou non, engendrés par les projets envisagés. Par exemple, on cherche à internaliser les coûts environnementaux, comme la pollution de l’air ou les nuisances acoustiques. On doit aussi ajuster les prix de marché, lorsqu’ils sont biaisés par les phénomènes suivants:

la concurrence imparfaite : dans ce cas, en général les prix ne reflètent pas les coûts de production, car ils comprennent une rente. On essaye de contourner ce problème à travers l’utilisation des “shadow prices” (qui généralement expriment les coûts marginaux de production du bien);

le surplus du consommateur : le prix d’un bien ne reflète pas entièrement

“le consentement à payer” du consommateur. On essaye d’estimer ce

“surplus” et de le prendre en considération dans l’évaluation du projet;

les externalités : certains coûts, comme la pollution de l’air, ne sont pas compris dans les coûts de production. On essaye alors de les “internaliser”

21 Cf. l’article pionnier de Foster et Beesley, 1963.

0 200 400 600 800 1000 1200 1400

0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 20 22 24 26 28 30 32 34 36 38 40 42 44 46 48 50

Années CHF

VAN = CHF 369 r = 5%

Investissement initial

Recettes nettes cumulées

Recettes nettes annuelles

(de les exprimer en termes monétaires et de les prendre en considération dans le calcul des coûts). On a aussi des externalités positives, comme la formation de la main-d’oeuvre pendant la réalisation de certains travaux;

la distribution des revenus : la réalisation d’un projet peut avoir un impact plus ou moins important sur la distribution du revenu et le bien-être des différentes catégories sociales. On peut prendre en considération ce problème dans l’évaluation du projet, par exemple en attribuant des coefficients de pondération différents aux revenus perçus par les différentes catégories sociales.

Probablement, la plus grande difficulté de l’ACB réside dans la traduction en termes monétaires de coûts et bénéfices non-marchands. Ci-dessous, nous évoquons quelques concepts et techniques d’estimation concernant les biens environnementaux22.

Conceptuellement, la valeur économique d’un bien environnemental est donnée par l’addition de sa valeur d’usage, de la valeur d’option et de la valeur d’existence. La valeur d’usage est donnée par la jouissance du bien environnemental (admirer le Grand Canyon, par exemple). La valeur d’option est fournie par la valeur qu’on attache à la conservation de ce bien, autrement dit par la valeur qu’on attribue au fait de “ne pas tuer cette option” par un type d’exploitation qui crée des irréversibilités (par exemple, la sauvegarde des cascades d’Iguaçu permet à nous-mêmes et aux générations futures de pouvoir, un jour, les visiter). La valeur d’existence dérive du fait qu’on peut attribuer une valeur à un bien même si on sait que directement on n’en jouira jamais (même si je ne peux pas faire le voyage pour voir des espèces animales en danger de disparition, pour moi elles représentent une valeur pour le simple fait que je sais qu’elles existent).

Nous disposons d’un certain nombre d’approches pour estimer la valeur économique d’un bien environnemental :

le consentement à payer (willingness to pay) : à travers des enquêtes, on essaie de déterminer combien on est prêt à payer pour conserver un bien environnemental (par exemple, des espaces verts dans une ville), ou combien on exige en échange d’une nuisance (par exemple, la création d’un dépôt de déchets). Se posent les problèmes suivants : comment déterminer l’échantillon en vue de l’extension spatiale de certains dommages (pollutions globales) ? Comment estimer le “consentement à payer” des

22 Pour une réflexion générale sur les méthodes d’évaluation de la valeur de la vie humaine, cf. The price of life, The Economist, December 4, 1993, p. 76.

générations futures ? Comment traiter le facteur “perception du dommage”

(ou du risque)?

le prix hédonistique : à travers des techniques statistiques appropriées, on essaie de déterminer l’écart existant (par exemple) entre le prix d’une maison dans une zone non-polluée et le prix dans une zone polluée (toutes choses égales par ailleurs), et d’en déduire la valeur que les individus attribuent à un environnement non pollué;

le coût du transport : on estime la valeur d’un bien environnemental, à partir du prix payé par les visiteurs pour se rendre sur place;

le prix des biens engendrés par l’environnement : dans le cas d’une rivière, par exemple, le produit de la pêche;

le prix des produits qui remplacent les biens engendrés par l’environnement : par exemple, le coût des engrais chimiques qu’il faut produire pour remplacer les engrais naturels fournis par un marécage.