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Intégration des composantes de la sécurité humaine

Avoir pour objectif de diminuer les risques majeurs, quelle que soit leur origine, à travers un management intégré, revient à œuvrer pour accroître la sécurité des populations concernées. C’est pourquoi, pour parvenir à une approche intégrée des risques majeurs, nous avons recours au concept de « sécurité humaine », tel qu’il a été élaboré par le Programme des Nations Unies pour le développement en 1994 (PNUD, 1994, p.23-49). Dans cette section, nous allons montrer indicateurs permettent la comparaison de différents pays avec les mêmes instruments.

De plus, dans un premier temps, l’intégration des différentes composantes de la sécurité humaine (à savoir la sécurité environnementale, économique, alimentaire, sanitaire, personnelle, communautaire et politique) permet une prise en considération effectivement pluridisciplinaire du risque majeur. Dans un second temps, dans le travail interdisciplinaire, le concept de sécurité humaine est donc à même de rendre compte de la complexité du management des risques majeurs.

3.3.1 La sécurité humaine : un concept-clé

La récente popularité de la notion de sécurité – notamment à travers son élargissement et son approfondissement dans la notion de "sécurité humaine" – ne date que de la fin de la guerre froide, spécifiquement dans le Rapport mondial sur le développement humain de 1994 du PNUD, préparant le Sommet sur le développement social de Copenhague de 1995.

Ce rapport insiste sur l’importance de passer d’une conception restrictive de la sécurité à une conception large :

« La sécurité a toujours signifié deux choses essentielles : se libérer de la peur et se prémunir contre le besoin (« freedom from fear and freedom from want »).

Les Nations Unies l’ont reconnu dès leur création. Mais au fil du temps, la première composante a pris le pas sur la seconde […] Le moment est venu de passer du concept restreint de sécurité nationale au concept global de sécurité humaine » (p. 25).

Cette nouvelle conception9 de la sécurité humaine vise à réunir à la fois les dimensions individuelles et collectives de la sécurité.

Sur le plan des droits fondamentaux, elle affirme (sans l'énoncer explicitement) la nécessité de l'intégration des trois générations de droits humains qui ont eu pour fonction essentielle de protéger la liberté des individus contre les abus de l'Etat, puis de demander à l'Etat d'intervenir pour garantir l'égalité des citoyens quant à l'exercice de cette liberté, enfin de demander à l'Etat de mettre en œuvre des politiques publiques visant à favoriser la solidarité, notamment dans les domaines du développement, de la protection de l'environnement et de la paix.

Cette approche basée sur les droits (rights based approach) n’est pas directement suggérée par le PNUD, mais elle l’est le plus souvent par des ONG travaillant dans le développement. L’intérêt de cette approche en matière de sécurité humaine, et donc de risques majeurs, c’est qu’elle offre aux différents acteurs impliqués dans le management des risques, un cadre commun – légitime, si ce n’est légal – (c’est-à-dire un même set de règles du jeu) pour défendre leurs intérêts et leurs valeurs, dans le domaine des politiques publiques d’identification des risques, de prévention des catastrophes et de gestion des catastrophes.

9 Il s’agit notamment, après deux siècles d’occultation par l’idée de sécurité de la nation, d’une réactualisation du concept de sécurité défini par le libéralisme du XVIIIe siècle (cf.

chapitre « La santé publique et le management du risque majeur » 9 in rapport d’activité du MRM 1999-2000, non publié, 167 p.).

3.3.2 Sécurité humaine et risque majeur

Comme le souligne encore le Rapport du PNUD (1994) : « En dépit de sa simplicité, le concept de sécurité devrait révolutionner la société du XXIème siècle. » (p. 23). A notre sens, c’est notamment parce qu’il permet une appréhension globale du risque que le concept de sécurité est prometteur, non seulement dans ses caractéristiques heuristiques, mais également dans ses potentialités pratiques, c’est-à-dire pour un management effectivement intégré du risque majeur. D’après ses concepteurs en effet, la sécurité humaine possède quatre caractéristiques essentielles (p. 23-24) :

• La sécurité humaine relève d’un désir universel.

• Les composantes de la sécurité humaine sont interdépendantes et leurs conséquences touchent l’ensemble de la planète.

• En matière de sécurité humaine, il vaut mieux prévenir que guérir.

• La sécurité humaine est axée sur les individus.

Même s’il convient qu’il est extrêmement difficile d’arrêter une définition précise de la sécurité humaine, le Rapport 1994 du PNUD précise qu’on peut

« aisément lui reconnaître deux aspects principaux : d’une part, la protection contre les menaces chroniques, telles que la famine, la maladie et la répression et, d’autre part, la protection contre tout événement brutal susceptible de perturber la vie quotidienne ou de porter préjudice à son organisation dans les foyers, sur le lieu de travail ou au sein de la communauté. Ce type de menace existe indépendamment du niveau de revenu et de développement d’un pays. La sécurité humaine peut disparaître lentement et sans bruit ou sous l’effet d’un choc brutal et retentissant » (p. 24). Ainsi, ces deux aspects de la sécurité humaine, proposés par le PNUD, reprennent précisément les deux types de risques majeurs, tels que nous les avons définis dans la section précédente, les risques « systémiques » et les risques « catastrophiques ».

3.3.3 Les sept composantes de la sécurité humaine : catégories d’éléments à risques

Par ailleurs, le PNUD suggère également, quoique de manière implicite, une relation entre la sécurité humaine et le risque. Cette relation passe par l’idée de

« menace ».

« La liste des menaces qui pèsent sur la sécurité humaine est longue, celles-ci peuvent néanmoins être classées en sept grandes rubriques » (p. 26).

• économique

• alimentaire

• sanitaire

• l’environnement

• personnelle

• communauté

• politique

Dans la définition courante du risque, un aléa n’est considéré comme un risque que si la menace porte sur des éléments à risques qui possèdent une certaine valeur. Les composantes de la sécurité, énoncées ci-dessus, nous donnent donc un cadre (quasi exhaustif) pour l’analyse des éléments à risques, ainsi que des pistes d’analyse pour l’évaluation, dans chaque cas d’espèce, de la vulnérabilité (voire de la résilience) qui se rapporte à chaque élément à risque.

Nous n’explorerons pas ici dans le détail ce que recouvrent ces sept composantes, ni la construction des indicateurs spécifiques.

3.3.4 Sécurité humaine et développement social : une approche systémique Le Rapport du PNUD précise : « Toute définition doit éviter de confondre sécurité humaine et développement humain. Ce dernier est en effet un concept plus large. Il a été défini […] comme un processus d’élargissement des possibilités de choix offertes aux individus. Le concept de sécurité humaine implique, quant à lui que les individus peuvent exercer ces choix librement et sans risque, et en pouvant raisonnablement espérer que les perspectives présentes aujourd’hui ne s’évanouiront pas totalement demain. […]. Le concept de sécurité humaine implique que les individus aient les moyens de se prendre eux-mêmes en charge. Tout humain doit pouvoir satisfaire ses besoins et gagner sa vie. C’est la condition de sa liberté. Alors seulement, il est en mesure de contribuer pleinement à son développement et à celui de sa communauté, de son pays et du monde. La sécurité humaine est un élément essentiel du développement participatif. » (p. 24-25).

La sécurité, notamment dans le discours contemporain des Nations Unies, se trouve ainsi à la frontière conceptuelle entre la structure et le processus. Aux deux niveaux de l'individuel et du social, l'idée de sécurité renvoie tout à la fois à celle d'absence d'insécurité et à celle de condition de la liberté et donc de condition du développement (humain, c'est-à-dire à la fois personnel et social), c'est-à-dire de l'émancipation. De plus, ce développement humain est conçu comme participatif, c’est-à-dire qu’il en appelle à la subjectivation (individuelle et collective), définie ici comme la capacité des individus et des groupes à

apprendre du passé, pour faire face au présent, tout en se projetant dans l’avenir10.

Autrement dit, d'un point de vue conceptuel, l'idée de sécurité implique à la fois celle de permanence structurelle (absence de chaos) et de potentialité du système.

D'un point de vue moral et politique, puisque - en tant que notion performative - son énonciation (normative) est action (idéologique et politique) – la notion de sécurité sert à la fois à désigner un socle minimal de valeurs (la satisfaction des besoins fondés sur la dignité universelle) et un appel à l'auto-organisation sociale et à la démocratisation. L’existence d’un tel consensus, moral et politique, est extrêmement récente dans l’histoire humaine et est loin d’être négligeable dans l’optique de faciliter l’interaction des acteurs du management du risque. L’appel à l’auto-organisation sociale, de surcroît, incite également les chercheurs et les politiques à prendre en considération des catégories de population qui étaient jusqu’alors exclues de facto de la conception et de la mise en œuvre des politiques publiques ou, en d’autres termes, qui n’accédaient pas à la qualité d’acteur.