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Risque : Étymologies et définitions

TEXTES DISCIPLINAIRES

1. L'H ISTOIRE ET LA PROBLÉMATIQUE DU RISQUE MAJEUR Sébastien Bertrand

1.3 Notions de risque et de catastrophe

1.3.1 Risque : Étymologies et définitions

Les dictionnaires Larousse et Robert attribuent au mot “ risque ” des origines anciennes. Les origines grecque (de rhiza, racine) ou latine (de resecare, couper, ou resecum, ce qui coupe en bas latin48), ne semblent pas faire l'unanimité. Le Robert assume plus volontiers la suite, savoir les termes risicus ou riscus en bas latin, qui donnent en italien risco en 1557 (aujourd'hui rischio), puis, exactement un siècle plus tard, la risque en français, mais alors au féminin49. On voit également apparaître le mot en allemand puis en anglais entre les XVIème et XVIIèmesiècles50.

Le théoricien du risque Niklas Luhmann assume pour sa part le fait que l’étymologie du mot reste en grande partie inconnue51. Plus récemment, le passage à son sens actuel serait le vocable italien risco, “ ce qui coupe ”, marquant une rupture ou un écueil (comme le montre le vocable espagnol riesgo, à la fois "risque" et "rocher découpé, écueil"), dans l’idée de “ risque que court une marchandise en mer ”52.

Le concept de risque dans son acception actuelle de “ danger éventuel plus ou moins prévisible ” ou d’“ éventualité d’un événement futur, incertain ou d'un terme indéterminé, ne dépendant pas exclusivement de la volonté des parties et

48 Grand Larousse en cinq volumes, Librairie Larousse, 1987, p. 2666.

49 Le Robert, Dictionnaire de la langue française, 1988, vol. 8, p. 426.

50 Luhmann, 1993.

51 Ibid., p. 9.

52 Ewald, 1986, p. 173. A noter qu'une interprétation divergente persiste, au sens de laquelle

"il n'y a pas le moindre commencement de preuve à ce roman nautique", et que le mot viendrait du roman rixicare, du latin rixare qui signifie "se quereller", qui aurait donné le français "rixe", associant le danger à l'adversité (P. Guiraud, in Le Robert, Dictionnaire de la langue française, 1988, vol. 8, p. 426.)

pouvant causer la perte d’un objet ou tout autre dommage ”53 nous vient, comme l’affirment le philosophe français François Ewald et l’anthropologue américaine Mary Douglas, de la théorie des probabilités, qu’on attribue à Pascal en 1657.

Et l'on peut situer ces développements des mathématiques en France au XVIIème siècle dans le prolongement du combat de l’humanisme face à la scolastique, qui débouchera au siècle suivant sur l’Aufklärung et les Lumières. Eu égard à cette filiation, Mary Douglas pense que “ les sciences sociales devraient accorder à la pensée probabiliste la place qu’elle mérite ; (...) selon cette approche, celui qui perçoit le risque sera inclus dans le système analysé ”54. Nous reviendrons sur l’importance de la subjectivité dans la définition même du risque un peu plus loin.

A l’heure actuelle, le terme de risque possède donc deux significations principales relativement distinctes. La première est celle du langage courant, où le risque se confond avec l’événement malheureux, le danger, le péril objectif.

La seconde est celle qui reste probabiliste, utilisée dans le droit de l’assurance,

“ mode de traitement spécifique de certains événements qui peuvent advenir ”55. Cette dernière définition n’est pas du ressort de la réalité, mais du ressort de l’entendement : en suivant François Ewald, nous assimilerons plus la notion de risque aux notions de hasard, de probabilité, d’aléa, de perte et de dommage, qu’aux notions de danger et de péril que le risque peut représenter. A la jonction de ces séries de notions se trouve celle d’accident, qui est ce contre quoi on utilise l’assurance, assortie d’une probabilité.

En effet, les concepts ayant trait aux probabilités vont justement entrer dans le dispositif de l’Etat-providence avec la question des assurances, dont François Ewald s’est attaché à décrire le processus historique. Il nous apprend que le terme "risque" fait son entrée dans le droit positif français avec la notion de

“ risque professionnel ” tel que défini dans la loi du 9 avril 1898 sur les accident du travail ”. Cette loi tient compte du fait que “ tout travail a ses risques ; les accidents sont la triste mais inévitable conséquence du travail même ”56. Nous reviendrons sur l'angle historique de l'avènement puis de l'extension de la problématique du risque dans le chapitre "Une histoire de l’évaluation et de la

“ gestion ” du risque", p. 69.

53 Le Robert, Dictionnaire de la langue française, 1988, vol. 8, p. 426.

54 Douglas, 1987, p. 55.

55 Ewald, 1986, p. 173.

56 Ewald, 1996, p. 388.

La question qui reste posée est de savoir qui définit les menaces, dangers et risques, qu'il en soit ou non l'objet. Même une notion plus intrinsèquement liée au sujet individu, groupe ou société, comme la peur, ne nous permet pas de faire la part des choses entre objectivisme et subjectivisme. Jean Delumeau, dans La peur en occident (1978), donne comme définition de la peur, “ l’habitude que l’on a, dans un groupe humain, de redouter telle ou telle menace, (réelle ou imaginaire [je souligne]) ”. L’historien de préciser qu’en psychiatrie, on distingue entre peur (objet déterminé) et angoisse (danger pas clairement identifié). Tout dépend donc de celui qui est sujet à la peur et qui appréhende plus ou moins précisément les menaces qu’il sent peser sur lui. Or si l’on accepte cette idée de menace perçue, qui équivaudrait dans la typologie de notre équipe de recherche à l’aléa perçu, la subjectivité prend une place considérable dans la définition du risque.

Paul Slovic, posant la question de savoir ce qu’est le risque in fine, l’assume lui comme subjectif et décline plusieurs propositions, qui en déploye bien la polysémie : “ hazards, probability, consequences, potential adversity, or a melting pot57 ”.

Au-delà, faut-il même rechercher une réalité derrière la notion de risque ? A la suite de l’anthropologue culturaliste Mary Douglas, qui prend nettement parti pour une vision subjectiviste du risque, on peut soutenir qu’il n’est pas une chose matérielle : “ c’est une construction intellectuelle très artificielle, qui se prête particulièrement bien à des évaluations sociales de probabilités et de valeurs ”58. Il est important d’insister sur cet aspect “ construit social ” du risque59. Le risque ne saurait être un donné ex nihilo ; en tant que produit de l’observation de la réalité, il a toujours été une construction mentale, et les tenants d’une approche axée sur cet état de fait sont ainsi nommés

“ constructivistes ”.

Ulrich Beck tente pour sa part une synthèse dans ce débat entre réalisme et constructivisme. Selon lui, “ les risques sont à la fois “ réels ” et constitués par la perception et la construction sociales, (...) la connaissance que l’on en possède découle, de façon toute différente, de l’histoire, des symboles culturels (la compréhension de la nature par exemple) et de la structure sociale du

57 Melting pot des diverses propositions énoncées s’entend. Paroles prononcées lors de la conférence sur “ Risque et société ” à Paris-La Villette en novembre 1998, cf. Tubiana, (s.d.), 1999.

58 Douglas, 1987, p. 56.

59 Lire à ce propos en particulier les contributions de Denis Duclos ou Mary Douglas, op. cit..

savoir ”60. Au final, on peut arguer du fait que le risque recouvre d’une part de multiples phénomènes réels et d’autre part des “ construits analytiques ” variés : déjà à l’origine il se définissait comme “ probabilité de survenance d’un événement ”, et ont toujours été utilisées comme facteurs de risque toutes variables auxquelles le risque apparaissait lié, avant même que l’on établisse de causalité au moyen de quelque critère scientifique que ce soit61.