• Aucun résultat trouvé

TEXTES DISCIPLINAIRES

4. L A SOCIOLOGIE ET LA PROBLÉMATIQUE DU RISQUE MAJEUR Jean Rossiaud

4.3 La sociologie : deux axiomes, quatre concepts polaires et trois paradigmes

4.3.3 Trois paradigmes principaux

«Toute sociologie est l'étude des faits [et des phénomènes] sociaux dans leur orientation (actionnalisme), leur déterminisme (fonctionnalisme et structuro-fonctionnalisme) et leur expression (structuralisme). Ces paradigmes sont plus ou moins isolés les uns des autres et ont une certaine autonomie, mais une théorie sociologique fait souvent appel à des éléments de paradigmes différents.22

Ainsi donc, le traitement «sociologique» des phénomènes s’effectue à la croisée de trois champs, ou trois paradigmes23.

Chaque paradigme possède ses propres concepts : norme, statut, rôle, stratification, etc. pour le fonctionnalisme (p. ex. Durkheim) et système, feed-back, boîte noire pour le structuro-fonctionnalisme (p. ex. Parsons, Merton);

échange, code, structure, habitus, etc. pour le structuralisme (p. ex. Bourdieu, Foucault, Althusser); historicité, mouvement social, rapport de classe, enjeu central, etc. pour l'actionnalisme (p. ex. Touraine).

Définissons les différents paradigmes contemporains de la sociologie, pour mieux les différencier :

A. L’ACTIONNALISME

L’actionnalisme «explique les phénomènes sociaux à partir des rapports entre acteurs sociaux. Il oriente la plupart des théories sur les mouvements sociaux, les conflits sociaux et le changement social. […] Le principe de cette théorie est l'historicité, qui est la capacité de la société d'agir sur elle-même.»24 Au concept tourainien d’historicité il est possible (et préférable à mon goût) d’utiliser le

21 Ibid., p. 83.

22 Ibid., p. 67.

23 On considère qu'un paradigme est formé par trois éléments (a) une communauté scientifique (une réalité psycho-sociologique); (b) une conception du domaine d'investigation (l'aspect cognitif); (c) des habitudes dans la solution des problèmes qui peuvent être posés dans le domaine (habitus, pratiques) Ibid., p. 67.

24 Ibid., p. 10.

concept de «subjectivité». Je définis la subjectivité comme la capacité à se construire comme sujet autonome, à construire son propre devenir. La subjectivité peut être individuelle ou collective. La subjectivation est le processus qui permet d’accroître la subjectivité. La subjectivation peut également être individuelle ou collective. Le terme de subjectivité est préférable à celui d’historicité (aujourd’hui abandonné d’ailleurs par Touraine25), puisqu’il permet à mon avis, d’une part, de mieux faire le lien entre la construction individuelle et collective de l’autonomie et, d’autre part, de mieux concevoir les rapports entre une situation à un moment donné (la subjectivité) et le processus continu en oeuvre (subjectivation).26

L’analyse compréhensive, qui s’inscrit le plus souvent dans le paradigme actionnaliste, s'attache plus volontiers que les autres paradigmes «au sens pour expliquer les actions. «Dans la sociologie actionnaliste […]. Une action sociale est une conduite :

a) orientée vers certains buts (orientation qui ne doit pas être définie [exclusivement] en termes d'intentions individuelles conscientes);

b) placée dans les systèmes de relations sociales; utilisant des systèmes symboliques.»27

B. LE FONCTIONNALISME ET LE STRUCTURO-FONCTIONNALISME

Le fonctionnalisme a pour concepts de base le «système» et la «fonction».

«Toute institution, tout comportement, est un élément d'un système et il y est fonctionnel : il contribue à l'existence et à la continuité du système. La société est considérée comme le système le plus englobant. Les institutions y sont des sous-systèmes. […] La sociologie fonctionnaliste est une sociologie de l'ordre social; elle suppose une tendance générale à l'intégration et à l'équilibre.»28 Le structuro-fonctionnalisme est un paradigme voisin du fonctionnalisme.

Comme lui, il insiste sur le fonctionnement et l’intégration sociale, davantage que sur le conflit ou les normes. Ce courant s’est développé aux Etats-Unis, à la suite de Talcott Parsons et «propose un modèle d'analyse basé sur les impératifs fondamentaux de toute vie sociale organisée. Ces impératifs sont les suivants :

25 Touraine renonce au concept d’historicité tardivement cf. [Touraine, 1992, 1994]

26 Cf. Rossiaud 1996, 1997.

27 Hermans, Ad [1990, 9-10, 57-58].

28 Ibid., p. 45.

a) toute société mobilise des ressources, qu’elle prélève dans son environnement;

b) toute société poursuit des objectifs;

c) toute société intègre les différents intérêts qui la composent;

d) toute société entretient l'engagement des acteurs.

Les différents sous-systèmes de la société globale répondent à ces 4 impératifs : l'économie à a), la politique à b), la justice à c) et l'enseignement à d)».29

C. LE STRUCTURALISME

Le structuralisme conçoit la société comme «un système de règles fini qui permettent d'engendrer toutes les expressions du social. […] Le social est interprété à travers les codes culturels, la culture étant considérée comme un univers de signe (mythes, langages, rituels, idéologies). L’analyse structuraliste dégage les caractéristiques formelles du système, sa structure, et cherche une homologie entre les structures de différents systèmes (économiques, de parenté, linguistique, etc.). Le paradigme structuraliste est fécond pour l’analyse de phénomènes culturels et symboliques […].»30

[…] L'analyse structurale fait abstraction du sens que donne l'acteur aux actes, pour découvrir comment ses actes se structurent, avant toute interprétation […]31.

D. PARADIGMES ET VOCABULAIRE

a. Deux connotations différentes du terme de «structure»

Le terme de «structure» n’a pas la même connotation s’il est employé dans le cadre des paradigmes actionnaliste et structuro-fonctionnaliste, d’une part, ou du paradigme structuraliste, d’autre part.

«La structure factuelle, qui renvoie à une réalité structurelle et observable, doit être distinguée de la structure conçues par les structuralistes, qui désigne une réalité structurale et échappant à la conscience. La structure factuelle est un agencement d’éléments (comportements, phénomènes). C’est en ce sens que le terme est utilisé par les tenants du structuro-fonctionnalisme [et de l’actionnalisme]. La structure, telle que la conçoivent les structuralistes, est un agencement, inconscient pour les acteurs sociaux, par rapport auquel s’oriente

29 Ibid., p. 84.

30 Ibid., p. 83.

31 Ibid., p. 57

toute pratique sociale. C’est à l’intérieur de cette sorte d’architecture logique que surgissent des développements historiques et des comportements sociaux, qui peuvent être imprévisibles mais jamais arbitraires. Le contenu des éléments du système n’est pas considéré : c’est de leur rapport avec d’autres éléments que les éléments tirent leur signification. Il s’agit donc d’une description théorique de la disposition ou de l’agencement des éléments d’un système, dans lequel chaque élément est défini par des positions, des différences.»32

b. Différentes connotations du terme de «système»

Dans son acception théorique la plus générale, le système est « la forme cohérente et globalisante d’un réseau de relations », dont les éléments sont interdépendants. Le système est donc « une totalité qui diffère de la somme de ses parties. […] Les caractéristiques fondamentales d’un système sont la différenciation et l’intégration »33. Cependant, selon que l’on se réfère à l’un ou l’autre des paradigmes exposés ci-dessus, le concept de système varie. Dans les paradigmes fonctionnaliste et structuro-fonctionaliste, le « système social » (en analogie avec l’organisme de la biologie) est par définition un « système fonctionnel », la différenciation et l’intégration sont donc également considérées comme fonctionnelles. Dans le paradigme actionnaliste, c’est le concept de « système d’action historique » qui est pertinent. Celui-ci permet de différencier les principaux acteurs sociaux en fonction de l’enjeu central d’une société à un moment donné de son histoire. Dans le paradigme structuraliste, le

« système social » est un système signifiant (en analogie avec la langue) ; la différenciation est donc conçue comme uniquement significative (et non réellement observable).

Les théories de la complexité (en particulier les théories de l’auto-organisation et celles de la « seconde cybernétique »34) ont donné un second souffle au concept de système et l’ont sorti de l’ornière structuro-fonctionnaliste. Ce paradigme concevait la société comme une boîte noire, comme un organisme en constante recherche d’équilibre homéostatique, et ne permettait pas de prendre en compte la capacité autonome des acteurs à défendre des intérêts et des valeurs propres et à développer ainsi des projets en rupture avec le système, c’est-à-dire non fonctionnels du point de vue systémique. Les théories de l’auto-organisation - développées dans le cadre des sciences de la vie - permettent de

32 Ibid., p. 83-84.

33 Ibid., p.84-85.

34 Cf. Atlan, Varela, Maturana, Dupuy. Discussion dans Rossiaud [1996; 1997]

sortir de la notion d’ « organisme » et de concevoir l’acteur individuel ou collectif, également comme un « système ».

La figure 1 présente les principaux concepts sociologiques, appartenant aux trois différents paradigmes, dans des champs délimités par les deux axes mentionnés ci-dessus.

Figure 1. : Les concepts sociologiques s’inscrivent entre deux axes et trois paradigmes.

4.4 La sociologie du risque et les trois paradigmes sociologiques