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Intégration, dans le management, des valeurs, intérêts et stratégies des différents acteurs en interaction

Que ce soit la politique d’identification, de prévention ou de gestion, ces politiques peuvent être analysées selon le cycle des cinq étapes suivantes – découpage généralement reconnu dans l’analyse des politiques publiques (cf. par exemple Howlett & Ramesh, 1995) – : élaboration du problème dans l’espace

13 Il convient de rappeler que les assurances et les réassurances peuvent jouer un rôle important à la fois au niveau de la prévention et de la gestion de la catastrophe. Elles peuvent promouvoir la prévention par exemple à travers la différenciation des primes. La gestion pose toutefois le problème de l’assurabilité de certains risques. H. KUNREUTHER s’exprime ainsi : “There is grave concern by the property and casualty insurance and reinsurance industry that they cannot continue along their current path of providing protection against certain risks or taking on additional risks without exposing themselves to the danger of insolvency or significant loss of surplus which will threaten the availability of future coverage” (Rethinking society’s management of catastrophic risks, The Geneva Papers on Risk and Insurance, 22, 1997, p. 151).

public, formulation des différentes politiques possibles, processus de prise de décision, mise en œuvre de la politique choisie et évaluation de cette politique.

Chacune de ces cinq étapes met en situation des réseaux d’acteurs différents, de sorte que si l’on croise les trois politiques de management du risque avec les cinq étapes du cycle de la politique publique, nous obtenons une matrice de quinze ensembles d’acteurs en interaction (voir tableau 2).

Ces quinze ensembles peuvent être à leur tour différenciés selon les types de risque (systémique et catastrophiques, d’origine naturelle, technologique et conflictuelle) et selon les composantes de la sécurité humaine.

Cela rend compte, encore une fois, de la complexité de l’interrelation des acteurs intervenant dans le management des risques majeurs.

Le but d’établir une telle matrice d’analyse des acteurs est de permettre l’identification des points forts et des points faibles existants dans le management des risques majeurs d’un contexte donné et de proposer des solutions permettant de le rendre plus efficace et cohérent.

L’intégration des stratégies des acteurs en jeu représente un problème central du management des risques majeurs. En effet, ces acteurs appartiennent à la sphère politique, économique, idéologique, de la société civile ou des médias, et possèdent leur propre perception du risque. Chaque acteur agit en conséquence en fonction de ses intérêts et de ses valeurs. Il définit des stratégies. Sa marge de manœuvre est limitée par des contraintes de différentes natures. D’autre part, les acteurs qui interviennent dans l’évaluation des risques ne sont pas ceux qui s’occupent de la prévention ou de la gestion de la catastrophe. De même, les différentes composantes de la sécurité humaine relèvent d’actions et de projets d’acteurs distincts qui, en général, ne s’occupent que d’un risque particulier.

Pour parvenir à un management efficace et cohérent, il est très important de travailler à l’intégration des stratégies des acteurs en jeu. Les pouvoirs publics jouent un rôle central à cet égard. Ils doivent notamment mettre en place des politiques adéquates visant à coordonner les actions des acteurs, à éviter les blocages et à obtenir un consensus social en matière de management des risques majeurs. La mise sur pied des politiques efficaces et cohérentes n’est jamais facile, car les intérêts et les valeurs des acteurs, privés et publics, locaux, nationaux et internationaux, sont souvent divergents et parfois antagonistes.

Le management des risques majeurs constitue donc un problème de politique publique, car il concerne directement la sécurité humaine et les stratégies des acteurs en jeu. La « politique publique » peut être définie comme un processus complexe, constitué de l’interaction de nombreux acteurs, individuels et collectifs, publics et privés, nationaux et internationaux, parmi lesquels les pouvoirs publics jouent un rôle central.

5 étapes du

Tableau 2 : Typologie des réseaux d’acteurs du management du risque

4. C

ONCLUSION

En ce début de XXIème siècle, le management des risques majeurs constitue un enjeu crucial d’un point de vue à la fois scientifique et politique. Dans ce contexte, les questions centrales que sont, d’une part, l’impact du modèle de

développement économique contemporain sur les aléas (réchauffement de la planète, inondations, explosions de centrales chimiques ou nucléaires, guerres identitaires pour renverser le modèle de développement en vigueur et guerres pour le maintenir) et, d’autre part, les inégalités croissantes quant à la vulnérabilité sociale et individuelle face aux risques, ne pourront que difficilement être éludées.

Dans cet article, notre équipe pluridisciplinaire a eu pour objectif de poser des jalons conceptuels et méthodologiques, permettant de disposer à terme d’un cadre intégrateur pour aborder les politiques publiques en matière d’identification des risques, de prévention ou gestion des catastrophes.

Dans la « confrontation » des spécialisations scientifiques, nous avons dû surmonter plusieurs difficultés préalables. Tout d’abord, le fait que la notion de risque est « polysémique », nous a obligés à trouver un langage commun, clé de l’interdisciplinarité. Ensuite, le caractère performatif de l’énonciation d’un

« risque », nous a incité à mieux concevoir les rapport entre perception subjective du risque et une nécessaire objectivation scientifique. Nous avons dû alors dépasser l’opposition entre les paradigmes « objectivistes » et « constructivistes » et, dans nos études de terrains, nous avons décidé de nous appuyer sur des méthodes tant qualitatives que quantitatives. De plus, comme le risque est un concept transversal à la plupart des disciplines scientifiques, nous avons été incités à prendre en compte de manière combinée les approches disciplinaires et à dépasser la simple pluridisciplinarité. La question centrale qu’il faut se poser est la suivante : comment des individus et des sociétés, confrontés à une conceptualisation aujourd’hui universelle des risques majeurs, risques eux-mêmes de plus en plus globaux, agissent localement et concrètement, dans un cadre culturel donné, pour appréhender ces risques, prévenir et gérer les catastrophes ? Afin de prendre en considération la complexité des problèmes qui se posent aux décideurs nous proposons d’intégrer les cinq champs suivants : les approches disciplinaires, les différents types de risques majeurs, les composantes de la

« sécurité humaine », les différentes politiques publiques de risques majeurs et, enfin, les valeurs, intérêts et stratégies des différents acteurs en interaction dans les différentes politiques publiques en jeu.

Nous devons souligner qu’une des originalités de notre approche est celle qui consiste à vouloir considérer selon la même démarche scientifique, et selon les mêmes procédés de management, les risques majeurs que nous avons nommés

« catastrophiques » (par opposition aux « risques systémiques »), c’est-à-dire les risques liés à des événements qui se manifestent soudainement, qu’ils soient d’origine « naturelle », « technologique » ou suite à un conflit armé ; et, ceci, même s’il faut reconnaître que, premièrement, « risques catastrophiques » et

« risques systémiques » sont étroitement interdépendants, deuxièmement, quelle qu’en soit l’origine, toute catastrophe est anthropique, c’est-à-dire qu’il n’y a

catastrophe que parce que cela concerne des sociétés humaines et, troisièmement, les interactions entre différents types de risques ont des effets multiplicateurs.

Un autre aspect original de notre perspective est à relever. L’hypothèse selon laquelle on appréhende mieux les vulnérabilités et les résiliences sociales en centrant l’analyse sur la notion-clé de sécurité humaine, telle qu’elle est développée par les Nations-Unies. En effet, diminuer les risques majeurs, quelle que soit leur origine, à travers un management intégré, revient à œuvrer pour accroître la sécurité des populations concernées, dans les sept composantes que sont la sécurité économique, alimentaire, sanitaire, environnementale, personnelle, communautaire et politique. L’intégration de ces sept composantes permet une appréhension à la fois globale et complexe du risque majeur, tout en obligeant à un travail interdisciplinaire et à un management interprofessionnel de l’identification, de la prévention et de la gestion.

Selon notre analyse, le management des risques majeurs recouvre trois politiques publiques distinctes, que nous proposons d’appréhender de manière intégrée : la politique d’identification des risques (perception et évaluation), la politique de prévention des catastrophes et la politique de gestion de la catastrophe. De plus, ces trois politiques doivent être analysées selon le cycle des cinq étapes traditionnelles en matière d’évaluation de politiques : élaboration du problème dans l’espace public, formulation des différentes politiques possibles, processus de prise de décision, mise en œuvre de la politique choisie et évaluation de cette politique.

Méthodologiquement, la démarche consiste alors à repérer, pour chacune des politiques et au cours des différentes étapes, les réseaux d’acteurs en interaction.

Une telle matrice d’analyse des acteurs a une vertu pragmatique : elle facilite, dans chaque contexte donné, l’identification des acteurs principaux à chaque étape, met à jour les redondances et les lacunes, et permet ainsi de proposer des solutions visant à rendre plus performant le système d’interaction.

Nos premières observations de nos deux premières recherches de terrain au Guatemala et en Ukraine nous incitent à penser que, actuellement, le management des risques majeurs est le plus souvent défini comme un « management de crise » du fait que les pouvoirs publics se concentrent principalement sur la gestion de l’événement catastrophique, c’est-à-dire la gestion de l’urgence. Très peu est finalement fait dans le domaine de l’identification, de la prévention ou de la préparation. D’où notre insistance à définir le management, à la fois pour ce qu’il est (une politique) et pour ce qu’il doit être, une véritable politique publique démocratique.

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