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Le risque de dérive des coûts

3.2 Les di¤érentes composantes du risque dépendance

3.2.2 Le risque de dérive des coûts

L’aléa moral social

Le coût moyen de la prise en charge de la dépendance est di¢ cilement prévisible pour une cohorte donnée (pour laquelle les coûts sont concentrés à un horizon éloigné de 20 ou 30 ans). La mutualisation du risque au sein de cette cohorte ne diminue donc pas le risque social lié à l’incertitude qui a¤ecte le coût moyen de la prise en charge. S’il peut-être démontré qu’en présence de risque agrégé, le marché est peu e¢ cient dans la couverture du risque dépendance, alors il sera contraint de proposer la plupart du temps une couverture incomplète. Un assureur peut être capable de mutualiser un risque récurrent au sein d’une cohorte de gens mais incapable de prendre en charge leur risque agrégé.

Dans un article récent, Denis Kessler, Président Directeur Général de SCOR, expliquait la présence de ce risque agrégé en raison d’un "aléa moral social" (Kessler 2007). L’aléa moral en matière de dépendance serait donc moins lié au comportement de l’assuré qu’à l’environnement social qui imposerait de nouvelles normes de prise en charge. La notion de dépendance est en e¤et relativement récente et fortement liée à la perception sociale qu’on en a. Le climat social peut très bien imposer qu’avoir accès à une balnéothérapie de manière quotidienne ou aller au cinéma une fois par semaine est le strict minimum auquel une personne à droit. Le risque de dérive des coûts liés à la dépendance peut s’e¤ectuer à di¤érents niveaux :

1. au niveau du seuil à partir duquel on est dépendant (ne plus pouvoir prendre le train peut-il être considéré comme un signe de dépendance ?) ;

2. au niveau de l’appréciation de l’intensité de la dépendance (comment dé…nit-on la dépen- dance lourde) ;

3. au niveau de l’assistance jugée normale par rapport à un certain degré de dépendance (cela renvoie directement au taux d’encadrement dans les maisons de soins ou au nombre d’heure par semaine pour une aide à domicile) ;

4. au niveau du renforcement des normes à respecter notamment dans les établissements de soins (sécurité, hygiène) ;

5. au niveau de l’introduction du progrès technique (si une machine est inventée qui permet de laver une personne, ou de faire son ménage, elle va devenir rapidement incontournable).

Si on prend l’exemple des allocations versées aux handicapés, les pays développés ont connu une évolution qui tend à con…rmer ce risque de dérive des coûts. Ces allocations connaissent encore aujourd’hui un taux de croissance à deux chi¤res sans relation avec l’évolution de l’état de santé des populations concernées.

Si les composantes du risque démographique restent dans le domaine du temps long, le risque de dérive des coûts peut lui présenter une volatilité beaucoup plus forte dans la mesure où il est soumis aux aléas de la demande sociale et politique. C’est pourquoi nous nous intéresserons en particulier au risque de dérive des coûts dans la mesure où c’est lui qui est le plus à même de peser sur l’assurabilité du risque agrégé.

Contrat forfaitaire versus contrat indemnitaire

Deux grandes approches sont à priori possibles pour assurer le risque dépendance : – le contrat forfaitaire (assurance en rente) ;

– le contrat indemnitaire.

Dans le cas du contrat forfaitaire, l’assuré cotise tant qu’il est vivant et valide puis, s’il devient dépendant au cours de sa vie, celui-ci reçoit une rente mensuelle jusqu’à sa mort. Le montant versé chaque mois est déterminé au moment de la souscription. L’indemnité I n’est

pas une fonction du coût e¤ectif de la prise en charge X. C’est pourquoi on parle de contrat forfaitaire. En cas de dépendance, l’assureur verse une somme mensuelle établie au moment de la signature du contrat. Il s’agit donc d’une assurance dépendance en rente. Ce type de contrat couvre donc l’individu contre la composante démographique du risque dépendance. L’individu est en e¤et couvert contre la probabilité de devenir dépendant ainsi que contre le risque de durée en dépendance. Si la probabilité de devenir dépendant ou si la durée moyenne de dépendance augmente, l’individu continuera à recevoir sa rente mensuelle. En revanche, le risque d’évolution des coûts entre la date de souscription et la date de survenance de la dépendance reste à la charge de l’assuré. Imaginons le cas où au moment de la souscription du contrat, la rente choisie par l’assuré permet d’acheter 5 heures d’aide par semaine. Si au moment où l’individu devient dépendant (20 ans plus tard), le coût de l’aide a doublé, l’individu ne sera pas couvert contre ce type de risque. A l’inverse, l’intérêt de ce contrat réside dans la liberté d’utilisation de la rente versée. Comme l’indemnité versée n’est pas une fonction du coût du sinistre, l’assuré n’est pas tenu de justi…er ses dépenses de soins. Rien ne lui interdit d’épargner cette rente ou de la verser à ses enfants.

Le contrat indemnitaire, quant à lui, couvre l’individu contre l’intégralité du sinistre. Il agit comme une assurance classique. Ce contrat peut prévoir un niveau de coassurance ou une franchise. Quoiqu’il en soit, l’indemnité I(X) est toujours une fonction de X, le montant du sinistre. C’est pourquoi on parle de contrat indemnitaire. En cas de sinistre on verse une indemnité qui est fonction du coût du sinistre. Ce qui sous entend par ailleurs que l’assuré doit justi…er ses dépenses de prise en charge. C’est sur la base d’une facture émise par un organisme de soins que l’assureur indemnisera l’assuré, comme c’est le cas pour les complémentaires santé. Ou alors on peut aussi prévoir un système où l’assureur propose directement une prestation en nature en cas de dépendance. Il di¤ère du contrat forfaitaire par le fait que l’assuré reçoit non pas une rente mais un remboursement de ses soins relatifs à sa perte d’autonomie et ceci normalement jusqu’à sa mort. Ce contrat couvre l’intégralité du risque …nancier de la dépendance. Il couvre à la fois le risque de probabilité, le risque de durée mais également le risque d’évolution des coûts. Le produit indemnitaire est en fait très proche des contrats de complémentaire santé qui sont proposés en France.

Les premiers contrats proposés aux Etats-Unis étaient de type indemnitaire alors qu’en France, les contrats sont forfaitaires. Cependant, dans la pratique, de nombreux contrats amé- ricains proposent une couverture indemnitaire plafonnée à un certain montant par jour ou par mois, ce qui de facto rapproche ce type de couverture du contrat forfaitaire. Cette préfé- rence pour les contrats forfaitaires s’explique dans la mesure où les deux sociétés d’assurance américaines qui ont proposé des contrats indemnitaires non plafonnés au début des années 90 ont rapidement fait faillite, ce qui a particulièrement échaudé la profession et notamment les réassureurs.

On va donc s’intéresser principalement au risque de dérive des coûts dans la mesure où c’est le risque qui semble le plus volatile et c’est celui qui aujourd’hui n’est pas couvert par les produits proposés. La question est donc de savoir s’il est possible de prévoir un contrat qui couvre l’intégralité du risque et qui ne laisse pas le risque de dérive des coûts à la charge de l’assuré. Autrement dit peut-on repousser la frontière de l’assurabilité sur le risque dépendance ? Dans cette perspective nous aurons recours à un modèle théorique simple développé par Cutler.