• Aucun résultat trouvé

Peut-on assurer le risque de dérive des coûts : le modèle de Cutler

3.3 Le cadre théorique de l’assurabilité

3.3.2 Peut-on assurer le risque de dérive des coûts : le modèle de Cutler

Le modèle d’évolution des coûts

Cutler suppose que tous les individus seront exposés au risque de dépendance dans k années mais pas avant (Cutler 1993). Les individus ne sont soumis au risque de dépendance qu’en t + k. Cette hypothèse se véri…e bien d’un point de vue empirique. Les courbes qui décrivent l’évolution du taux de prévalence en fonction de l’âge montrent qu’il existe une période de k années, entre le moment où les personnes s’assurent et le moment où la probabilité de devenir dépendant augmente, pendant laquelle le risque d’être dépendant est très faible. Cette hypothèse se véri…e également du côté des assureurs. Les premiers assureurs qui ont proposé des contrats dépendance en 1985 ont de leur propre aveu une sinistralité encore faible à ce jour. Les cohortes qui ont souscrit ce contrat dès le lancement ne sont pas encore parvenues à des âges où les probabilités d’incidence augmentent fortement. Le coût global des soins long terme pour un individu i dans k années noté Ci;t+k peut donc se décomposer en un risque agrégé commun

à l’ensemble des individus6 dépendants à cette date et une composante individuelle7. C t+k

6

On retrouve donc dans ce risque agrégé le coût moyen d’une journée en établissement de soin en t + k ou le coût moyen d’une heure d’aide à domicile en t + k ou encore la durée moyenne en dépendance en t + k.

7

représente le risque agrégé. C’est le coût moyen de la prise en charge dans k années par rapport à l’instant t. ei représente la composante individuelle autrement dit l’écart par rapport au coût

moyen dans k années.

Le coût des soins long terme pour un individu i dans k années peut donc s’écrire à l’instant t de la manière suivante :

Ci;t+k= Ct+k ei (3.4)

Ct+k représente donc le risque agrégé. i correspond à la composante individuelle et est

considéré comme proche de 0. Le fait de recourir à une forme exponentielle permet de supposer

i proche de 0 ce qui simpli…e les calculs de Cutler présentés en annexe.

On suppose dans l’équation 3.4 que la variation réside dans le coût des soins dispensés par les établissements et non dans la tari…cation e¤ectuée par les dirigeants des établissements de soins. Si l’augmentation des tarifs était uniquement due à une augmentation des pro…ts, le risque pourrait ainsi être diversi…é par l’assureur en possédant ou en contrôlant des établisse- ments de soins. Or dans le modèle, l’évolution des coûts n’est pas liée à une évolution de la tari…cation. La possibilité pour les compagnies d’assurance, de prendre des participations dans les établissements de soins ne devrait pas régler le problème de couverture du risque dépendance. A…n de simpli…er le modèle, Cutler transforme les coûts à l’aide d’une fonction logarithme. Après plusieurs simpli…cations présentées en Annexe du chapitre 3, nous pouvons alors exprimer la variance du logarithme du coût individuel :

V ar Ci; t+kln = V ar Ct+kln + 2i (3.5) De manière similaire, pour une cohorte de N individus, la variance du logarithme du coût moyen en t + k s’écrit : V ar CN; t+kln = V ar Ct+kln | {z } risque agrégé + 2 i N |{z} risque individuel (3.6)

La simpli…cation proposée par l’équation 3.6 est rendue possible par la transformation lo- garithmique du coût et parce que l’on suppose i proche de 0.

Les résultats du modèle de Cutler

Seul le risque individuel est mutualisable L’étude de la variance nous permet d’aboutir à plusieurs résultats. A partir de l’équation 3.6, il apparaît que quand N augmente8, N2 qui correspond au risque individuel diminue. Si l’on retient la variance du coût moyen comme mesure du risque, plus N augmente plus la part du risque total, qui dépend de l’écart à la moyenne, diminue. Le risque agrégé Ct+k ne dépend pas de N , il reste donc stable. La loi des

grands nombre s’applique donc sur le risque individuel mais ne permet pas de mutualiser le risque agrégé. On retrouve ici une prédiction théorique classique.

Ceci signi…e qu’à l’intérieur d’une cohorte, il ne peut pas y avoir d’assurance face au coût moyen des soins en établissement. Plus généralement ce sont les équations 3.5 et 3.6 qui vont donc déterminer l’o¤re d’assurance sur le marché du risque dépendance.

Peut-on mutualiser le risque agrégé entre les di¤érentes cohortes ? S’il existe un risque agrégé dans le coût supporté par chaque cohorte, une compagnie d’assurance peut essayer de mutualiser le risque entre plusieurs cohortes. Dans la gestion des contrats d’assurance-vie avec support en euros, les compagnies d’assurance-vie gèrent un risque agrégé (le risque d’un e¤ondrement des marchés …nanciers) entre plusieurs cohortes de souscripteurs. Il est donc légi- time de se demander si une mutualisation intercohorte est possible dans le cas de la gestion du risque dépendance. A…n de tester cette hypothèse, Cutler suppose que le logarithme des coûts agrégés de long terme est donné par la relation suivante :

Ct+1ln = Ctln+ t+1 (3.7)

représente le coe¢ cient d’autocorrélation entre Ct+1ln et Ctln.

8

t+1 représente ici une innovation de coût à l’instant t + 1. t+1 peut correspondre ici à un

progrès technique dans la prise en charge qui s’impose à tous, une nouvelle loi qui impose un nombre d’in…rmières par personne âgée plus important ou encore à l’augmentation du nombre moyen de jours passés en dépendance. Après plusieurs manipulations (cf Annexe du chapitre 3), Cutler aboutit à l’expression de l’écart type du logarithme du coût agrégé dans k années.

Cln t+1; t+k = 2 4 k X i=1 0 @ i 1 X j=0 j 1 A 23 5 1=2 k (3.8)

L’équation 3.8 représente donc l’écart type du coût agrégé moyen calculé entre t + 1 et t + k, pris en logarithme. A noter ici que la transformation logarithmique ne simpli…e pas les calculs. Il est donc également possible de partir d’une série non transformée :

Ct+1= Ct+ t+1 (3.9)

et d’aboutir à la même formule de l’écart type du coût moyen sur k années :

Ct+1; t+k = 2 4 k X i=1 0 @ i 1 X j=0 j 1 A 23 5 1=2 k (3.10)

La seule di¤érence réside dans les estimés qui sont di¤érents entre l’équation 3.7 et 3.9. A partir de l’équation 3.8 ou 3.10, on peut distinguer deux cas.

1 cas : les coûts ne sont pas autocorrélés ( = 0) Si les coûts ne sont pas corrélés dans le temps, la probabilité pour que = 0 est signi…cative. La variance du coût moyen est alors égale à

2

k, expression qui décroît lorsque le nombre de cohortes k augmente. En e¤et si = 0,

l’expression i 1P j=0 j !2 = 1. On a donc : V ar Ct+1; t+kln = k P i=1 2 k2 = k 2 k2 = 2 k

Dans ce cas, la variance du coût moyen calculé sur plusieurs cohortes diminue avec le nombre de cohortes assurées k. Les assureurs supportent le risque d’un écart à la moyenne qui tend à diminuer plus le nombre de cohortes assurées augmente. Plus l’assureur assure de cohortes, plus il mutualise son risque. La loi des grands nombres s’applique et le risque de dérive des coûts devient assurable. Dans le cas où les coûts agrégés ne sont pas corrélés, il est donc possible de procéder à une mutualisation intercohorte du risque agrégé.

2 cas : les coûts sont autocorrélés ( = 1) Si = 1, les coûts agrégés suivent une marche aléatoire. La variance du coût agrégé peut s’écrire :

V ar Ct+1; t+kln = 2 k2 ! k X i=1 i2 ! (3.11) k P i=1

i2 est asymtotiquement équivalent à k3. On peut donc réécrire 3.11 de la manière sui- vante : V ar Ct+1; t+kln = 2 4Pk i=1 i 1P j=0 j !23 5 2 k2 2 k k2 = k 2

A l’inverse du premier cas, le risque augmente avec k. Plus le nombre de cohortes augmente, plus le risque pour l’assureur augmente. Dans ce cas, la mutualisation du risque entre plusieurs cohortes ne résoud en rien le problème du risque agrégé. Il apparaît d’après notre modèle que la faculté de réduire le risque agrégé en le mutualisant entre di¤érentes cohortes décroît lorsque l’autocorrélation des coûts augmente.

Une forte autocorrélation des coûts signi…e que les chocs qui a¤ectent les coûts ont un caractère permanent. L’in‡uence des chocs ne diminue pas avec le temps. Par ailleurs, les innovations de coût notées t+1 sont supposées non centrées. On suppose ici que le coût de prise en charge d’une année sur l’autre peut augmenter ou non mais qu’il ne peut pas diminuer. Ce phénomène peut s’apparenter à un e¤et de cliquet.

Dans le cas où la corrélation des coûts est signi…cativement égale à 1, la mutualisation du risque entre les cohortes augmente le risque supporté par les assureurs. Si les risques sont

fortement corrélés entre eux, les assureurs se verront donc dans l’impossibilité de diversi…er totalement le risque agrégé. Il convient donc d’évaluer d’un point de vue empirique. Si sur les séries passées de coût on observe une forte autocorrélation des coûts, on pourra en déduire qu’il n’est pas possible de mutualiser le risque agrégé entre les di¤érentes cohortes d’assurés. Le risque dépendance est alors partiellement non assurable. Dit autrement une composante du risque dépendance ne sera pas assurable. Cela expliquerait donc pourquoi les assureurs proposent des produits forfaitaires qui ne couvrent pas toute l’étendue du risque dépendance.

Pour cela nous nous intéresserons à des séries françaises de soins à domicile que nous com- parerons aux résultats obtenus par Cutler sur les séries américaines de soins en établissement. Cela nous permettra donc de comparer l’évolution des coûts dans deux pays di¤érents mais aussi pour deux types de prise en charge. Le risque agrégé ne se limite pas au risque d’évolution des coûts. Le risque agrégé existe également au sein du risque démographique. L’augmentation de la durée moyenne en dépendance participe au risque agrégé noté Ct+k dans le modèle de

Cutler. Cependant, ce risque agrégé est di¢ cile à reconstituer. Nous utiliserons donc l’évolution des coûts comme une proxy de l’évolution du risque agrégé et ceci pour au moins deux raisons. – Le risque de coût représente la composante la plus volatile du risque agrégé si on le

compare aux évolutions démographiques.

– Le risque agrégé contenu dans le risque démographique est déjà couvert par les contrats en rente. La composante du risque dépendance qui n’est pas couverte par les contrats actuels est bien le risque de coût. C’est donc a priori le risque d’évolution des coûts qui semble poser le plus de problèmes en matière d’assurabilité.

La méthode d’estimation

Dans un premier temps, il convient de voir si la série de coût suit une marche aléatoire ce qui correspond à un processus DS (cf Annexe du chapitre 3). Une alternative intéressante au modèle de marche aléatoire consiste à montrer que les coûts sont stationnaires autour d’une tendance. Les coûts suivraient alors un processus TS. Leur non stationnarité serait de nature déterministe. Dans ce cas, il y aurait moins d’incertitude sur les coûts futurs que dans le modèle de marche aléatoire simple. Dans le modèle TS, la seule source de risque résiderait dans la divergence entre

les coûts et la tendance, qui serait stable à long terme. Un processus TS est donné par :

Xt= ft+ t

où ft est une fonction déterministe du temps et t est un processus stationnaire. Dans le

cas où ft est une fonction polynomiale d’ordre 1 on a :

Xt= + t + t (3.12)

A l’opposé, dans le modèle de marche aléatoire, l’incertitude sur les coûts futurs augmente au fur et à mesure que l’horizon temporel s’allonge. A…n de tester la présence de racine unité ( = 1), c’est à dire de tester une forte autocorrélation des coûts, Cutler a e¤ectué des tests de Dickey-Fuller augmentés. Le test se base sur une complexi…cation de l’équation suivante à partir de l’équation 3.12.

log (Ct) = + log (Ct 1) + t + + d (log (Ct 1)) + t

On introduit donc un retard sur la variable prise en di¤érence représenté ici par l’opérateur d a…n de contrôler la corrélation du résidu. Les évaluations empiriques permettent donc de tester les deux hypothèses décrites ci-dessous.

Conjecture 2 H0 : présence de racine unitaire.

L’hypothèse nulle de di¤érence stationnaire est = 1, = 0. Dans ce cas la série suit une marche aléatoire et n’est pas stationnaire.

Conjecture 3 H1 : les coûts sont stationnaires autour d’une tendance.

On pose également comme hypothèse possible que les coûts soient stationnaires autour d’une tendance constante, éventuellement avec une composante autorégressive.

Les résultats sur données américaines

Les données de coût en établissement Suite aux résultats du modèle, Cutler va véri- …er empiriquement si les coe¢ cients d’autocorrélation entre le coût agrégé de la dépendance aux di¤érentes périodes sont signi…cativement unitaires ou non. La notion de coût agrégé est complexe puisqu’elle comprend l’ensemble des coûts qui ne peuvent être mutualisés entre les individus. La question se pose donc de savoir quelle proxy du coût agrégé retenir. Le plus aisé est de retenir une variable du coût de la dépendance. En e¤et, des trois risques sous-jacents de la dépendance identi…és précédemment, le risque de coût est celui qui se rapproche le plus du risque agrégé Ct dé…ni dans le modèle théorique. Cutler va donc s’employer à retenir des

variables du coût de la dépendance et il va s’intéresser uniquement au coût de prise en charge en établissement.

Les données qui représentent le mieux les coûts en établissement aux Etats-Unis sont les données annuelles issues du programme Medicare. Au moment de l’étude seulement 21 obser- vations étaient disponibles ce qui est insu¢ sant pour procéder à des estimations signi…catives. Cutler utilise d’autres données relatives au coût des soins médicaux issues des indices des soins médicaux CPI (Consumption Price Index), qui sont disponibles sur une longue période. On distingue donc :

1. Les soins médicaux CPI agrégés qui représentent un indice de l’évolution du coût des soins ;

2. Les biens utilisés en médecine à savoir les médicaments ainsi que le matériel médical ; 3. Les services utilisés en médecine (personnel médical et coûts hospitaliers) ;

4. Les indices des charges …xes relatives à la médecine ambulatoire ou aux cliniques de jour et aux chambres d’hôpital (ces deux composants faisant partie de la composante services médicaux). On s’intéresse ici aux frais hôteliers de la médecine.

Il est raisonnable de penser que les coûts de fonctionnement des établissements de soins sont proches de ceux d’un hôpital, bien que le coût d’une chambre d’hôpital comprenne également le coût de l’aide professionnelle (notamment l’aide professionnelle à domicile ou aide soignante) ainsi que le coût du matériel médical. On suppose que l’on peut assimiler frais hôteliers d’une

chambre d’hôpital et frais hôteliers d’une chambre en établissement de soins même si une partie du coût d’une chambre hospitalière s’explique par le coût de l’aide professionnelle aussi bien que par celui du matériel médical. Les données des soins médicaux CPI sont disponibles pour chaque année entre 1947 et 1991.

Résultats sur données américaines Les résultats obtenus sur les séries américaines montrent que les séries semblent non stationnaires et semblent suivre un processus DS (cf Annexe).

Ensuite, à l’aide des estimés il est possible à partir de l’équation 3.8 de simuler ce que serait la variabilité du coût moyen dans k années. Pour cela on utilise di¤érentes valeurs de et les écarts types des résidus estimés sur les séries passées. Pour une compagnie d’assurance qui assurerait 20 cohortes et en retenant l’hypothèse de marche aléatoire ( = 1), l’écart type du logarithme du coût moyen en institution serait de 14%.

Cutler explique donc que les assureurs proposent des contrats incomplets car ils n’arrivent pas à prévoir l’évolution du risque agrégé de dépendance. Comme les contrats sont incomplets (soit ce sont des contrats en rente soit ils plafonnent les prestations versées en montant ou en durée), les individus souscrivent peu. Le faible développement du marché ne s’expliquerait donc pas par des comportements de myopie face au risque mais bien par un comportement rationnel. Les contrats proposés ne couvrent pas l’intégralité du risque donc les individus ont rationnellement intérêt à ne pas les acheter. Cutler met en évidence l’incomplétude du marché de l’assurance dépendance et par suite le faible développement de ce marché. Par conséquent il préconise une prise en charge publique du risque dépendance.

Une seconde source de risque agrégé étudiée aux Etats-Unis réside dans le taux d’institu- tionnalisation (cf Annexe du Chapitre 3). Le taux d’institutionnalisation est assez faible aux Etats-Unis et l’aide à domicile est considérée comme moins coûteuse que l’aide en établisse- ment. Une brutale augmentation du taux d’institutionnalisation entraînerait donc une brutale augmentation des coûts de prise en charge.

En France l’aide à domicile est moins coûteuse uniquement en cas de dépendance légère. En ce qui concerne la dépendance lourde c’est l’inverse. Par ailleurs, la prise en charge se répartit de manière à peu près équitable entre la prise en charge à domicile et la prise en charge en

établissement. Cette répartition reste relativement stable au cours du temps. Après une volonté forte de développer les établissements de soins on observe aujourd’hui un revirement politique vers une prise en charge à domicile. Par conséquent, le risque d’institutionnalisation en France n’apparaît pas comme une composante majeure du risque agrégé.