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Les limites du modèle et des estimations obtenues

3.3 Le cadre théorique de l’assurabilité

3.3.3 Les limites du modèle et des estimations obtenues

Limites du modèle

Le recours à une transformation logarithmique des coûts Cutler recourt systémati- quement à une transformation logarithmique du coût a…n de parvenir à une forme simpli…ée de la variance comme l’indique l’équation 3.6. Cette transformation est intéressante car elle per- met de bien distinguer le risque agrégé non mutualisable du risque individuel mutualisable. En revanche, il n’est pas nécessaire d’appliquer la transformation logarithmique lorsqu’on étudie la mutualisation intercohorte. Ce recours systématique à la transformation logarithmique rend plus di¢ cile l’interprétation des résultats et notamment celle de l’écart type relatif à l’évolution des coûts. Comme l’indique Cutler, pour une compagnie d’assurance qui assurerait 20 cohortes l’écart type du logarithme du coût moyen Cln

t+1; t+20 en institution serait de 14%. Cependant

ce résultat est di¢ cile à interpréter dans la mesure où il s’agit de l’écart type du coût moyen pris en logarithme. Le passage de l’écart type du logarithme au logarithme de l’écart type n’est pas aisé. L’interprétation de ce résultat est donc di¢ cile. Une solution serait de ne pas transformer la série à l’aide de la fonction logarithme, d’estimer les coe¢ cients d’autocorrélation sur la série non transformée et de calculer Ct+1; t+20. C’est la méthode que nous appliquerons dans notre

estimation.

L’indépendance entre le risque agrégé et le risque individuel On suppose dans le modèle de Cutler que les variables aléatoires Ct+k et i sont indépendantes.

C’est une hypothèse forte dans la mesure où on peut envisager que plus le coût moyen aug- mente et plus la dispersion du coût individuel augmente ou inversement. Il est en e¤et possible d’envisager des phénomènes de compensation entre l’évolution du coût moyen et l’évolution du coût individuel. Le risque global pourrait donc être limité en raison de ces compensations. On peut par exemple imaginer qu’une large di¤usion des techniques médicales et des techniques de prévention augmentent la durée moyenne en dépendance (et donc le coût agrégé), mais qu’en revanche cette large di¤usion permette de resserrer la distribution du risque individuel autour du risque moyen.

Le nombre d’individus par cohorte Nous avons montré que les possibilités de mutuali- sation dépendaient à la fois du nombre d’individus N mais également du nombre d’années de décalage k entre l’instant t et le moment où le risque d’incidence sera élevé t + k. Cependant, le nombre d’individus assurés chaque année peut varier. Il est donc possible d’indicer N en fonction de k. Il est donc possible d’imaginer qu’en jouant sur le nombre de cohortes assurées k et le nombre d’individus par cohorte Nk, il soit possible de diminuer le risque agrégé. Le fait

d’assurer moins d’individus au début et davantage à la …n ou l’inverse pourrait permettre de diminuer le risque global.

Le choix des variables Cutler ne dispose pas des séries de coûts en établissement sur une série su¢ sament longue. Les proxys qu’il choisit à la place sont assez éloignées du coût de la dépendance. Ce sont essentiellement des données de santé qui peuvent à ce titre capturer des e¤ets qui n’ont pas de réels rapports avec le coût de la dépendance. Le progrès médical, ou le recours aux soins peuvent ainsi fausser les estimations. Par ailleurs, le pouvoir explicatif du modèle est faible puisqu’on explique les évolutions des coûts uniquement par les coûts passés et non par d’autres variables.

Limites des interprétations

Comme les séries de coûts retenues par Cutler suivent un processus DS, la mutualisation intercohorte n’est a priori pas possible. Cutler remarque à ce propos que cette faculté de mutualiser le risque entre plusieurs cohortes successives et donc d’opérer ex post des transferts intergénérationnels s’inscrit davantage dans la tradition des assurances sociales (c’est le cas notamement d’une assurance vieillesse gérée par répartition) plutôt que dans celle de l’assurance privée. La prise en charge du risque par les pouvoirs publics peut se faire selon deux modalités :

– la répartition ;

– la mise en place d’un fond de réserve.

Cutler conclut son étude en avançant que si le risque dépendance n’est pas assurable par le marché en raison de la présence d’un risque agrégé, il convient aux pouvoirs publics de le prendre en charge. Cette interprétation est cependant à nuancer et ceci pour au moins trois raisons :

– La répartition rencontre également des di¢ cultés face au risque long ;

– La mise en place d’un fond de réserve ne voit pas son e¢ cacité nécessairement augmenter s’il est géré par les pouvoirs publics ;

– Le marché peut lui aussi mutualiser des risques entre plusieurs cohortes d’assurés.

La gestion par répartition Dans le cas de la répartiton, les prestations versées au titre d’une année correspondent aux cotisations perçues la même année. Si les Français cotisent aujourd’hui cela leur ouvre des droits qui vont générer dans 15 ou 25 ans des prestations dont le coût aura fortement progressé. Si l’on prend en compte la structure de la pyramide des âges (papy-boom) et l’allongement de l’espérance de vie, cet horizon de 15 à 25 ans correspond à une période où les enfants du baby boom rentreront dans une période où les taux de prévalence sont habituellement élevés. Si on prend la progression moyenne des coûts en établissement aux Etats-Unis (8,3%) et des coûts d’aide à domicile en France (6,42%), on obtient un taux de croissance moyen de 7,36%9. Le coût de prise en charge sera quasiment multiplié par 3 dans 15

9Il s’agit ici des tarifs nominaux et non de l’évolution des tarifs retraités de l’in‡ation. Nous ne disposons pas

ans (2,902) et par 6 dans 25 ans (5,903). Cette augmentation sera certainement supérieure à l’augmentation du PIB. Dans le même temps, les cotisations auront au mieux doublé. Il semble di¢ cile de multiplier les cotisations par 6 d’ici 25 ans. On pourrait alors se retrouver dans la même situation qu’avec les retraites c’est à dire être contraint d’augmenter les cotisations et diminuer les pensions. Pour résumer, la dérive des …nances publiques n’est pas préférable à l’insolvabilité présumée des compagnies d’assurance. Qu’il soit couvert par les pouvoirs publics ou par le marché, le statut de risque long nécessite un pré-…nancement sous forme de provisions.

L’alternative du fond de réserve Pour faire face aux coûts futurs, la cinquième branche de sécurité sociale devrait mettre en réserve une forte proportion de ses ressources annuelles a…n de provisionner les dépenses de dépendance des générations du papy-boom. Cependant, cette option semble di¢ cile et ceci pour au moins trois raisons.

1. En premier lieu, cela semble di¢ cile de mettre en réserve une part importante des cotisa- tions annuelles compte tenu des besoins immédiats. L’APA rencontre déjà des di¢ cultés de …nancement, notamment dans certains départements.

2. En second lieu, il est rare que les responsables politiques décident de ne pas redistribuer les cotisations a…n que leurs successeurs héritent de la situation la meilleure qui soit. 3. En…n, la gestion d’actif n’est pas le "coeur de métier" de la sécurité sociale. Or le fait

de mettre de côté une partie des cotisations nécessite de les placer. Le manque à gagner sur 15 ans, de fonds non investis est en e¤et considérable et limiterait le recours à un système de type fond de réserve. Par ailleurs, le taux de croissance des coûts est plus proche du rendement des actions sur longue période. Des travaux empiriques ont en e¤et montré que le taux de rendement moyen réel de l’indice S&P sur la période 1870-2000 était de 8,91% alors que sur la même période le rendement de l’actif sans risque était de 3,24% (Mehra & Prescott 1985) (Fama & French 2002). Même si ces résultats sont à nuancer notamment sur la période 1951-2002, il n’en demeure pas moins que la prime de risque reste conséquente. Il serait donc a priori plus intéressant d’investir une partie des

cotisations en actions puis de diminuer progressivement cette part au fur et à mesure que l’on se rapproche du moment où les générations nombreuses atteignent les âges élevés.

La mutualisation intercohorte par le marché Le marché peut également e¤ectuer des mutualisations intercohortes. Les produits d’assurance vie investis sur des supports en euros e¤ectuent un lissage de la rentabilité des actions entre les générations ce qui revient ex post à un transfert intercohorte. La personne qui souscrit un contrat lorsque la bourse est au plus bas va nécessairement redistribuer une partie de ses gains vers ceux qui ont souscrit lorsque les cours boursiers étaient au plus haut. Cet exemple permet de rappeler que le transfert in- tercohorte du risque n’est pas l’apanage des pouvoirs publics. Le risque long de la dépendance présente des inconvénients mais également des opportunités pour un assureur. Durant une pé- riode su¢ sament longue (15 à 25 ans), il sait que les taux de sinistres vont être faibles. Cela incite donc à une gestion d’actif adaptée à cette particularité du passif d’assurance. La gestion par répartition semble moins à même de béné…cier de ce décalage temporel. En…n, l’intérêt du recours à l’assurance dans la gestion du risque dépendance réside également dans l’e¤ort des assureurs en terme de prévention.

Il ne s’agit pas ici de montrer que la couverture du risque agrégé par le marché est aisée, mais plutôt de rappeler que ce n’est pas parce qu’il existe un risque agrégé que la prise en charge par l’Etat est nécessairement plus e¢ cace. Qui plus est, le fait de ne pas pouvoir assurer face au risque agrégé n’empêche pas une assurance du risque individuel. A priori même ce risque agrégé semble assurable en capitalisation sur longue période en utilisant les rendements supérieurs des marchés …nanciers sur longue période. A charge ensuite aux pouvoirs publics de trouver la meilleure articulation entre l’assurance et l’assurance sociale, qui elle a davantage vocation à se concentrer sur les besoins immédiats des populations les plus vulnérables.

Dans sa démonstration Cutler faisait de ce problème d’assurabilité du risque agrégé la raison principale du faible développement du marché de l’assurance dépendance américain. Pourtant le marché de l’assurance dépendance semble pour l’instant plus dynamique en France qu’aux Etats-Unis même s’il reste faiblement développé par rapport à certains marchés comme celui de la complémentaire santé. Il semble donc que les di¢ cultés d’assurabilité posées par ce

nouveau risque ne soient pas la cause principale du faible développement du marché américain. Derrière cet argument de l’assurabilité se cache peut-être une di¤érence dans la nature de la complémentarité entre assurance sociale et assurance privée qui n’est pas la même de part et d’autre de l’Atlantique. En e¤et, aux Etats-Unis, existe de par la réglementation, des e¤ets de substitution entre assurance privée et assurance publique contrairement à la France, ce qui rend moins attractifs les produits d’assurance dépendance pour un résident américain.

D’autres raisons du côté de l’o¤re peuvent expliquer le développement limité du marché de l’assurance dépendance (degré de concurrence entre les o¤reurs, portabilité du contrat, etc...). Le produit dépendance rencontre notamment des di¢ cultés en matière de distribution. Pour un réseau de distribution de produits d’assurance, le produit dépendance est peu rentable. Il nécessite un temps d’explication assez long et une bonne connaissance du risque. En revanche les commissions perçues par le réseau sont souvent insu¢ santes au regard du temps passé avec le client. Associer dépendance et retraite dans un même contrat permettrait ainsi de limiter ces problèmes de distribution. L’o¤re rencontre également des di¢ cultés d’un point de vue …scal. En comparaison avec les produits d’assurance-vie ou même de retraite (PERP), l’assurance dépendance est peu intéressante d’un point de vue …scal. L’e¤ort d’épargne de toute une vie devrait pouvoir être transformé en garantie dépendance sans pénalité …scale (Vasselle 2008).