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Qu’est-ce qu’un risque assurable ?

3.3 Le cadre théorique de l’assurabilité

3.3.1 Qu’est-ce qu’un risque assurable ?

Assurabilité et théorie économique

Le rôle théorique de l’assurance dans l’allocation des risques au sein de l’économie est un sujet des sciences économiques depuis plus de 40 ans. Les premiers travaux ont mis en évidence la distinction entre risque diversi…able ou individuel (qui peut être mutualisé au sein des compagnies d’assurance et donc disparaître des portefeuilles individuels) et risque systémique ou social4 (qui ne peut être diversi…é et qui doit donc être réparti entre les agents économiques en proportion de leur tolérance au risque) (Arrow & Lind 1970). Lorsque la richesse globale, c’est à dire la somme des richesses dans tous les états du monde ne varie pas, le risque est purement individuel. Il correspond à la distribution d’une richesse constante entre plusieurs

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états du monde. Les individus vont alors chercher à transférer de la richesse d’un état du monde à un autre. Lorsque la richesse globale varie, le risque est dit social. Il peut a¤ecter tous les états du monde de la même manière.

Un exemple édi…ant de ces deux types de risque est celui de l’exploitant agricole dont le revenu est soumis à deux types de risques (Henriet & Rochet 1991). D’une part, l’exploitant peut tomber malade et d’autre part la récolte peut être a¤ectée par des aléas climatiques.

Le risque individuel Le risque de tomber malade supporté par l’exploitant agricole peut être complètement diversi…é, si on écarte la possibilité d’une épidémie, en créant une mutualité su¢ samment importante d’exploitants agricoles. La loi des grands nombres s’applique alors pleinement. Conformément à la théorie, les individus riscophobes vont chercher à égaliser leur richesse entre les di¤érents états du monde. Dans ce cas, le métier de l’assureur consiste alors à bien évaluer les risques et à vendre su¢ sament de contrats d’assurance a…n de faire disparaître le risque individuel. Il pourra alors tarifer ses contrats à peine plus cher que leur coût actuariel. Dans ce cas les risques sont dits "justi…ables de la loi mathématique des probabilités"5. Si cela n’est pas le cas, les risques sont a priori non assurables. Cette distinction entre risque assurable et non assurable n’est cependant pas …gée.

"Cela explique que certains risques catastrophiques soient actuellement inassu- rables. Mais le champ des risques assurables s’élargit sans cesse grâce aux études des théoriciens."

Encyclopedia Universalis.

Le risque social Le deuxième type de risque est celui qu’une tempête ravage les récoltes, a¤ectant simultanément tous les agents. Si l’économie est composée de N individus et de S états du monde mutuellement exclusifs, il existe SN états collectifs. On peut établir une partition de ces états collectifs que l’on appelle des états sociaux. Un état social se dé…nit par le fait que la richesse globale est constante. Si chaque état du monde s procure la même richesse

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aux individus, un état social se caractérise donc par le fait qu’on observe un même nombre d’individus dans chacun des états. On appelle un état social. Chaque état social comprend donc un nombre d’états collectifs dé…ni par la formule suivante :

N !

n1= !n2= !:::ns= !

n1= représente ici le nombre d’individus dans l’état 1 sachant que l’on se place dans l’état

social . On peut alors distinguer chaque état social à l’aide d’un indice t. W t représente le

niveau de richesse agrégé associé à l’état social t.

Il convient alors de maximiser la fonction d’utilité collective suivante : 8 > > < > > : M ax ci t U = N P i=1 i T P t=1 tui cit s:c: N P i=1 cit= N P i=1 wit= W t 8t

Les choix des i sont arbitraires. Ils représentent le poids social de l’individu i. A chaque

choix de icorrespond une allocation optimale (Gollier 1992). citcorrespond au bien contingent

de l’individu i dans l’état du monde t.

La condition du premier ordre de ce programme nous donne :

iu0i cit = ju0j c j

t 8i; j et pour tout t (3.1)

Cette condition est appelée "condition de Borch" (Borch 1962) (Borch 1989). Par ailleurs, l’indice d’Arrow-Pratt de tolérance absolue au risque pour l’individu i et pour le niveau de consommation ci ts’écrit :

ti ci t =

u0i cit

u00i cit (3.2)

A l’aide de 3.1 et 3.2 on en déduit la relation suivante :

@cit @W t = ti c i t N P j=1 tj cit (3.3)

La somme des tolérances au risque des individus dé…nit ce que l’on appelle la tolérance au risque absolue du groupe (Eeckhoudt, Gollier & Schlesinger 2005). La relation 3.3 signi…e que lorsque la richesse agrégée croît, l’augmentation marginale de la consommation d’un individu est égale à sa part dans la tolérance au risque absolue du groupe. Plus une personne a une tolérance au risque élevée, plus sa part optimale dans la prise en charge du risque social est importante. Un individu neutre au risque assumera alors le risque agrégé dans sa totalité.

Ce détour théorique nous a donc montré qu’en présence d’un risque agrégé non diversi…able, il est nécessaire que ce risque soit diversi…é sur tous les membres du groupe et que la répartition tienne compte de la tolérance au risque de chacun. Ce risque social ou agrégé est donc non diversi…able et a priori non assurable dans le sens où il ne peut pas être transféré en totalité à une compagnie d’assurance. La compagnie d’assurance présente en e¤et une aversion au risque même si celle-ci est moindre que celle des individus pris séparément. Le transfert de ce deuxième type de risque n’est devenu possible qu’avec le développement des marchés …nanciers. L’instrument …nancier généralement utilisé est le contrat à terme. Dans ce cas, des institutions …nancières acceptent de couvrir le risque systémique (les aléas climatiques par exemple) en échange d’un gain espéré positif. Les agriculteurs transfèrent donc une partie du risque à ces institutions. La théorie l’explique par le fait que les institutions …nancières sont moins riscophobes que les exploitants agricoles. Le recours aux marchés …nanciers n’est cependant pas la seule manière de transférer un risque non diversi…able. L’assureur peut céder une partie de ce risque à un réassureur ou alors convaincre ses actionnaires de consacrer une partie plus importante des fonds propres de la société à la couverture de ce risque. Le métier de l’assureur réside alors dans son savoir-faire …nancier. La prime que devra acquitter l’assuré sera alors toujours nettement supérieure au coût actuariel du contrat puisqu’il faudra inclure le coût …nancier de la couverture (chargement de la réassurance, prime de risque pour les instruments dérivés, rémunération des fonds propres, etc...). A ce propos, l’histoire montre que l’assurance a toujours cherché à repousser la frontière de l’assurabilité en incluant des risques a priori non diversi…ables dans le champ de l’assurance (Bernstein 1998).

L’inassurabilité d’un risque peut également s’expliquer par les imperfections de marché. Les agents économiques peuvent sous évaluer un risque, présenter une demande non solvable ou encore adopter des comportements opportunistes soit vis-à-vis de l’assureur soit vis-à-vis de

l’Etat. Ces comportements, davantage liés à la demande d’assurance, seront étudiés dans les prochaines parties.

Les critères de l’assurabilité

Un risque est dit assurable lorsqu’il est possible de le transférer à une compagnie d’assurance moyennant un prix accepté par l’assureur et l’assuré. Le fait qu’un risque ne soit pas assurable ne signi…e pas qu’il n’est pas possible de le couvrir. Les mutuelles et les compagnies d’assurance ne sont en e¤et que des institutions parmi d’autres dans le cadre de la gestion des risques (Denuit & Charpentier 2004). L’auto-assurance ou l’assurance intrafamiliale peut également se révéler très e¢ cace dans la gestion de certains risques. Cette alternative est particulièrement pertinente dans le cas de l’assurance dépendance. Le risque dépendance était d’ailleurs jusqu’il y a peu couvert de cette manière. Les problèmes soulevés par l’assurance dépendance viennent d’ailleurs du fait que la famille ne veut plus gérer à elle seule ce risque mais qu’elle veut le transférer aux autres institutions de gestion des risques : les compagnies d’assurance, l’Etat ou encore les marchés …nanciers. Nous nous intéresserons dans ce chapitre à la possibilité de transférer le risque de dépendance à une compagnie d’assurance. Nous pouvons donc retenir trois types d’assurabilité :

– une assurabilité juridique ; – une assurabilité actuarielle ;

– une assurabilité économique (Godard, Henry, Lagadec & Michel-Kerjan 2002).

Ces di¤érents types d’assurabilité sont présentés en annexe (Annexe du chapitre 3). Lors- qu’un des critères suivants n’est pas respecté, le transfert d’un risque à une compagnie d’as- surance n’est plus possible. On parle alors de risque non assurable. Si la dépendance est non assurable elle restera donc couverte par la famille. L’assurance dépendance présente donc un fait nouveau. Jusqu’à présent la compagnie d’assurance était le principal vecteur pour gérer et couvrir les risques des particuliers. Seuls les grands groupes industriels ré‡échissaient à la répartition optimale entre autoassurance, assurance et marchés …nanciers. Mais le caractère in- tertemporel du risque dépendance amène les particuliers à e¤ectuer des arbitrages similaires. Le comportement des particuliers face au risque dépendance peut se résumer à l’aide des questions

suivantes. Est-ce que je peux compter sur mes enfants ? Est-ce que j’essaie de gagner davantage durant ma vie active a…n de me constituer une épargne de précaution ? ou est-ce que je souscris une assurance ou encore un contrat d’assurance-vie ? A ce propos il est intéressant de noter que des stratégies de gestion des risques qui étaient jusqu’à présent réservées à des grands groupes industriels se retrouvent maintenant au niveau individuel.

Ce détour théorique nous a permis de mieux comprendre ce qui déterminait l’assurabilité d’un risque. Il convient maintenant de s’intéresser aux risques sous-jacents qui déterminent l’assurabilité du risque dépendance. Dans un premier temps, nous nous intéresserons au risque d’incidence et au risque de durée qui relèvent tous deux de la démographie et de la médecine. La capacité à prévoir l’évolution de ces deux risques sous-jacents déterminera en grande partie l’assurabilité du risque dépendance.