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Dé…nitions de la dépendance et délimitation du risque

2.2 La dépendance est-elle un risque ?

2.2.1 Dé…nitions de la dépendance et délimitation du risque

La dépendance est une notion complexe. Elle se dé…nit en partie par des observations mé- dicales objectives mais aussi par un environnement social et culturel. Dépendre vient du latin

1Ce chi¤re est obtenu en divisant le nombre d’assuré (3000000) par le nombre d’individus de plus de 40 ans

dependere qui signi…e /dépendre de/. Une chose ou un être dépend donc d’une autre lorsqu’elle entretient un lien avec la chose principale, que ce lien s’exprime dans une contingence physique (un rétroviseur dépend d’une voiture, les dépendances correspondent aux terres rattachées à un domaine) ou dans un lien de causalité (mes projets professionnels dépendent de mes résultats à l’examen). Lorsque la dépendance porte sur une personne physique, le terme exprime un état proche de la servitude. La personne dépendante est alors dans un rapport d’assujettissement ou de vassalité. Une personne âgée dépendante est donc une personne qui dépend d’une autre. L’Organisation Mondiale de la Santé dé…nit la dépendance comme une "situation d’une personne qui, en raison d’un dé…cit anatomique ou d’un trouble physiologique, ne peut remplir des fonctions, e¤ectuer des gestes essentiels à la vie quotidienne, sans le concours d’autres personnes ou le recours à une prothèse"(Wood 1980).

L’état de dépendance physique ne concerne pas que les personnes âgées, loin s’en faut. Les personnes handicapées, que cet handicap soit physique ou psychique, ainsi que les accidentés de la route, peuvent se retrouver en situation de grande dépendance. Cependant, nous nous intéres- serons exclusivement dans cette étude à la dépendance des personnes âgées. Non que les autres situations de dépendance nous soient indi¤érentes mais elles n’ont pas vocation à augmenter de manière signi…cative et mécanique dans les prochaines années. Les personnes naissant handica- pées ou contractant cet handicap durant leur vie ne représentent pas un phénomène nouveau, su¢ samment important pour in‡échir des variables économiques.

La multiplicité des termes employés pour désigner des situations proches de la dépendance ne facilite pas la tâche. Dé…cience, incapacité, handicap, désavantage, invalidité ou encore im- potence : di¢ cile de se repérer dans ce dédale de concepts. Face à cet imbroglio de notions qui, la plupart du temps, se recoupent, la classi…cation internationale proposée par l’Organisation Mondiale de la Santé est apparue comme un …l d’Ariane relativement …able (Wood 1980). Par le passé, les pays noti…aient principalement les statistiques de mortalité sur la base de la Classi- …cation Internationale des Maladies (CIM)2. La méthode suivie permettait ainsi de déterminer

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CIM : Classi…cation statistique Internationale des Maladies et des Problèmes de Santé connexes. La Dixième révision (CIM – 10) a été publiée en 1992. L’établissement de la Classi…cation a été entrepris en 1853 par le Congrès statistique international comme "nomenclature uniforme des causes de décès applicable à tous les pays". Depuis la Conférence internationale de la Sixième Révision (Paris, 1948), c’est l’OMS qui est chargée de la CIM. Quatre révisions ont été publiées après la CIM-6 de 1948, à savoir la CIM-7 en 1955, la CIM-8 en 1965, la CIM-9 en 1975 et la CIM-10 en 1992. Au …l des révisions, la CIM est devenue la classi…cation internationale type à

l’espérance de vie et les causes de décès. Mais les données recueillies ne donnaient aucune autre indication sur l’état de santé de la population en vie. Face à cette carence statistique, l’OMS a lancé un programme a…n d’obtenir des informations plus qualitatives sur l’état de santé de la population. La résolution WHA29.35 a approuvé la publication à titre d’essai d’une clas- si…cation supplémentaire des incapacités et handicaps. L’OMS a ensuite publié, en 1980, un instrument de classi…cation des conséquences des maladies –la Classi…cation internationale des handicaps : dé…ciences, incapacités et désavantages (CIH) (Wood 1980). Cette première grille a été expérimentée dans plusieurs pays. Puis un processus de révision a été entamé en 1995 qui a abouti à une nouvelle Classi…cation internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé que l’on appellera pour des raisons historiques CIH-23. C’est à partir de cette nouvelle grille que l’OMS a pu donner une dé…nition des termes dé…cience, incapacité et handicap qui présentent la particularité d’être tous distincts de la notion de dépendance. Une dé…nition de ces termes voisins nous permettra de mieux cerner le concept de dépendance et par là même, le périmètre du risque.

Le processus de dépendance : une chaîne causale

Les relations entre les di¤érents termes vus précédemment peuvent donc se résumer à l’aide du schéma de causalité de Wood (Wood 1980).

maladie ) dé…cience ) incapacité ) handicap ) dépendance

A chaque étape, une partie de la population n’est plus prise en compte comme l’indique la …gure 2-1.

La maladie

La maladie est à l’origine de la chaîne de causalité qui mène vers la situation de dépendance. Elle inclut également les traumatismes. Elle relève du domaine médical.

toutes les …ns épidémiologiques en général et pour de nombreux aspects de la gestion sanitaire.

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Fig. 2-1 –Du concept de maladie au concept de dépendance

La dé…cience ou l’invalidité

L’OMS dé…nit la dé…cience comme un manque d’ordre anatomique ou physiologique. Les dé…ciences ou invalidités sont les conséquences des maladies ou traumatismes. Elles regroupent l’ensemble des dysfonctionnements physiques ou psychiques. Une dé…cience peut tout de même permettre le bon déroulement de la vie quotidienne de l’intéressé, même de façon exceptionnelle. Au sein de la population des plus de 60 ans, trois personnes sur quatre subissent une dé…cience sensorielle ou physique comme l’indique le tableau 2.1, ce qui représente environ 3,4 millions de personnes. Un tiers des plus de 60 ans ont donc recours à une aide technique pour compenser cette dé…cience et un autre tiers à une aide humaine. C’est au sein de cette population de personnes dé…cientes que se situe la frontière parfois ténue entre les personnes dé…cientes et les personnes dépendantes.

L’incapacité

L’incapacité se dé…nit comme la conséquence d’une dé…cience. Une personne en situation d’incapacité ne pourra pas accomplir certains gestes ou certaines activités de la vie quotidienne.

D ive rs e s a p p ro ch e s d e s in c a p a c ité s d e s p e rs o n n e s â g é e s P a rt d e la p o p u la t io n d e s p lu s d e 6 0 a n s A vo ir u n e d é …c ie n c e * 7 5 ,1 R e c o u rir à d e s a id e s t e ch n iq u e s 3 5 ,6 R e c o u rir à u n e a id e hu m a in e ( p o u r le s p e rs o n n e s à d o m ic ile ) 2 7 ,9 E t re titu la ire d ’u n ta u x d ’in c a p a c ité * * 1 3 ,1 E t re c o n …n é a u lit 8 ,6 R e c e vo ir u n e a llo c a tio n 7 ,5 E t re a id é p o u r s o rt ir* * * 4 ,9 S o u rc e : IN S E E , e n q u ê te H a n d ic a p -In c a p a c ité -D é p e n d a n c e 1 9 9 8 e t 1 9 9 9

N o te : C e ta b le a u c o n c e rn e le s p e rs o n n e s à d o m ic ile e t c e lle s ré s id a nt e n in s titu tio n s o c io -s a n ita ire s o u p s y ch ia t riq u e , s a u f la lig n e " re c o u rs à u n e a id e hu m a in e " q u i c o n c e rn e u n iq u e m e nt le s p e rs o n n e s à d o m ic ile .

* L e s d é …c ie n c e s s o nt le s le s p e rt e s (a m p u ta tio n s , s c lé ro s e s ...) o u d y s fo n c t io n n e m e nts d e s d ive rs e s p a rtie s d u c o rp s o u d u c e rve a u . * * P ro p o rtio n d e p e rs o n n e s d é c la ra nt u n ta u x o ¢ c ie l d ’in c a p a c it é .

* * * S o nt re g ro u p é s d a n s c e t te c a té g o rie le s p e rs o n n e s n i c o n …n é e s a u lit , n i aya nt b e s o in d ’a id e p o u r la to ile tte e t l’h a b illa g e .

Tab. 2.1 –Résultats de l’enquête HID concernant les plus de 60 ans. Source : INSEE, enquête Handicap-Incapacité-Dépendance 1998 et 1999.

Cette situation d’incapacité ne recouvre pas totalement l’état de dépendance. Pour preuve, une personne ayant subi un accident qui l’empêche de conduire une voiture peut compenser cette incapacité, par exemple par l’utilisation des transports en commun. A condition, bien sûr, qu’elle habite une région correctement desservie. L’incapacité est donc une mesure objective alors que la dépendance est aussi fonction du contexte de vie de la personne. Le tableau 2.1 détaille la répartition des incapacités au sein de la population des plus de 60 ans.

Handicaps et désavantages

Le handicap ou le désavantage traduit justement cet écart qui peut exister entre l’incapacité d’un individu et les ressources dont il dispose pour pallier ses incapacités. Les désavantages ou handicaps désignent les di¢ cultés que rencontre dans la vie en société une personne sou¤rant d’incapacités. Une personne en fauteuil roulant, par exemple, ne pourra pas exercer certaines activités professionnelles si le lieu de travail n’est pas aménagé. Si la notion de dé…cience et son prolongement, l’incapacité, s’expliquent par des données médicales et objectives, la notion de

handicap fait appel à des facteurs plus socio-économiques et subjectifs. Une incapacité ne sera pas vécue de la même façon en fonction de l’âge, du sexe, de la catégorie socioprofessionnelle ou du niveau culturel de l’individu. Dans la même logique, cette incapacité ne se traduira en handicap qu’en fonction des ressources économiques de l’individu, de son logement, de la desserte de son quartier par les transports en commun ou de son degré d’insertion dans des rapports de solidarités traditionnelles (famille, amis, voisinage etc. . . ).

La dépendance : concept sanitaire ou social ?

La dépendance peut donc se dé…nir comme le besoin d’aide humaine pour les actes essentiels de la vie quotidienne (Duée & Rebillard 2004a). Elle est une conséquence des incapacités. Contrairement au handicap, elle concerne essentiellement les personnes âgées. La dépendance apparaît donc comme une sous catégorie du handicap. Elle représente le handicap dû au grand âge.

La dépendance apparaît comme une notion relative, qui se dé…nit par rapport à un environ- nement socio-économique, dans lequel tous les facteurs sont interactifs. La dépendance est aussi une notion subjective car elle s’exprime avant tout par rapport aux besoins de l’individu. C’est pourquoi la notion de dépendance se situe au carrefour des disciplines relevant des sciences de la médecine et des sciences sociales. Le docteur Arvieu souligne que face au phénomène de dépendance, "nous retrouvons une expression de la séparation du sanitaire et du social encore ancrée dans bon nombre d’esprits et entretenue par notre système de couverture sociale et par la décentralisation" (Arvieu 2001). Il n’est en e¤et pas facile de dé…nir la dépendance comme une simple perte d’autonomie face aux tâches élémentaires de la vie quotidienne. N’est-ce pas une façon de répandre l’idée selon laquelle tout ce qui touche au sanitaire ne relèverait pas de la dépendance ? Les questions de dépendance sont en e¤et traitées en dehors du champ sani- taire car la tradition française appréhende trop souvent la dépendance comme une corrélation inéluctable de la vieillesse. La vieillesse n’étant pas appréhendée comme une maladie, la dépen- dance est de fait exclue de la sphère sanitaire. Cette exclusion est peut-être quelque peu hâtive dans la mesure où les gériatres démontrent que la quasi-totalité des états de dépendance sont très souvent des conséquences directes de plusieurs pathologies, elles-mêmes favorisées par le

vieillissement. Le traitement de la dépendance ne peut donc se contenter d’un volet uniquement social car ce serait faire … d’une ré‡exion sur les programmes de prévention en gérontologie. Le docteur Arvieu dénonce à ce sujet l’absence quasi-complète des pouvoirs publics à ce niveau. La tendance actuelle est de traiter la dépendance comme un état quasi-inéluctable dû à la vieillesse et non comme la conséquence d’une pathologie. On devient dépendant parce qu’on est vieux. Si la corrélation ne fait pas de doute, la vieillesse n’est pas le seul facteur explicatif de la dépendance.

Dépendance et perte d’autonomie

Même s’ils sont parfois utilisés indi¤éremment, ces deux termes présentent des acceptions distinctes. La perte d’autonomie est un concept recoupant une réalité plus large que celle du handicap et donc de celle de la dépendance. Une perte d’autonomie peut donc s’expliquer par un handicap mais aussi par bien d’autres raisons. Le chômage de longue durée peut, par exemple, se traduire par une perte d’autonomie …nancière. La perte d’autonomie se dé…nit donc comme "l’impossibilité pour une personne d’e¤ectuer certains actes de la vie courante, dans son environnement habituel"4. Là encore, la notion de "perte d’autonomie" ne recouvre pas totalement l’état de handicap pour la bonne et simple raison qu’une "perte d’autonomie" n’a pas nécessairement une origine physiologique. La dépendance correspond donc bien à une situation de perte d’autonomie mais une perte d’autonomie particulière, et ceci pour au moins trois raisons.

En premier lieu, cette perte d’autonomie s’explique par une dé…cience. Son origine est donc médicale, que cette dé…cience soit d’ordre anatomique, physiologique ou encore psychique im- porte peu. En second lieu, cette perte d’autonomie porte sur les actes élémentaires de la vie quotidienne. Elle est donc ressentie chaque jour, et nécessite l’intervention journalière d’une personne externe autonome. La dépendance se distingue donc d’autres états de désavantages par la régularité de son handicap. En…n, en France, la dépendance est un concept propre aux personnes âgées.

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Arrêté du 13 mars 1985 portant sur l’enrichissement du vocabulaire aux personnes âgées, à la retraite et au vieillissement.

Face à cette di¢ culté d’origine conceptuelle, c’est peut-être la dé…nition de Memmi qui nous permet de mieux d’appréhender le phénomène dans son ensemble. "La dépendance est une relation contraignante, plus ou moins acceptée, avec un être, un objet, un groupe ou une institution réels ou idéels, et qui relève de la satisfaction d’un besoin ou d’un désir." (Memmi 1979). A l’inverse, l’autonomie se dé…nit en e¤et comme "le droit de l’individu à se déterminer librement"5.

Dépendance et Long-Term Care

Il est nécessaire de confronter la dé…nition française de la dépendance à celle des autres pays à la fois pour a¢ ner le concept mais aussi pour mener à bien les comparaisons internatio- nales. La plupart des langues étrangères ont contourné les di¢ cultés conceptuelles rencontrées en France à propos du concept de dépendance. Elles ne désignent non pas l’état des personnes vieillissantes, mais le type de soins dont elles béné…cient. Ainsi on parle de "P‡egebedurfung"6 en allemand ou de "Long-Term Care" aux Etats-Unis. Notons cependant que le concept de "Long-term Care" ne recouvre pas exactement le même sens. Ce concept pourrait se traduire de manière littérale par "les soins de longue durée"7. La terminologie anglo-saxonne appréhende l’ensemble des personnes atteintes d’un handicap qui se retrouvent en situation de dépendance dans l’accomplissement des actes élémentaires de la vie quotidienne. Dans cette optique, elle ne distingue pas la dépendance des personnes âgées des autres situations de handicaps. Cette distinction renvoie donc à la critique que formulait le docteur Arvieu concernant la notion française de dépendance. La France apparaît en e¤et comme un des rares pays à opérer une corrélation de fait entre dépendance et vieillissement, excluant ainsi l’aspect pathologique du phénomène. Les pays anglo-saxons, quant à eux, appréhendent la dépendance comme la consé- quence directe d’un accident ou d’un état pathologique permanent. Certes, le fait d’isoler la dépendance des personnes âgées des autres types de handicaps n’est pas médicalement infondé, mais cette approche génère deux types de di¢ cultés. En premier lieu, cette spéci…cité accordée

5Dé…nition du Dictionnaire Robert.

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Littéralement, celui qui a besoin de nous.

7On se rapporte à la traduction du rapport de l’OCDE intitulé "Long-Term Care for Older People" en anglais

à la dépendance des personnes âgées tend à exclure la composante sanitaire de la dépendance et à nous orienter vers une dé…nition plus sociale que médicale. En second lieu, cette spéci…cité nous oblige à un nécessaire retraitement statistique dans les comparaisons internationales.

La dépendance : un état irréversible ?

Pendant longtemps, nous avons pensé la dépendance comme un état irréversible. La seule issue étant le décès. D’ailleurs, dans les tables multi-états qui permettent le calcul des proba- bilités, la probabilité de passer de l’état dépendance à l’état valide est supposé égale à zéro (Taleyson 2003a). Cette conception est une des conséquences de l’approche décriée par le doc- teur Arvieu. Si la dépendance apparaît comme une période de …n de vie et non comme la conséquence directe d’une pathologie, il semble impossible de quitter cet état. Cependant, des travaux américains montrent qu’avec une rééducation appropriée, il est possible de redevenir valide.

Le risque dépendance se distingue donc du risque santé dans la mesure où il introduit une cassure dans l’évolution du capital santé au …l du temps comme l’indique la …gure 2-2. Le scénario 1 représente un choc sanitaire totalement réversible. C’est le cas d’un rhume avec auto-guérison. Le scénario 2 correspond à un choc partiellement réversible. Un cancer soigné su¢ samment tôt peut rentrer dans cette catégorie. Le scénario 3 correspond à un choc irréver- sible. On retrouve dans ce troisième scénario les cas de dépendance. La maladie d’Alzheimer est un bon exemple du scénario 3.